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Résumé (La gouvernance des politiques publiques de protection sociale des enfants au Sénégal)

Rama Diallo Tall§

Résumé : Au Sénégal, la gouvernance et la production de l’action publique dans les politiques de protection sociale de l’enfant sont exécutées par plusieurs acteurs. Cet article analyse les dynamiques qui existent dans cette gouvernance polyarchique sur ces politiques. Cette coproduction et cette gouvernance polyarchique est une arène où les confrontations, les interactions, les luttes, les conflits, les compétitions entre acteurs contribuent à la progression de la vulnérabilité de l’enfant. Les résultats obtenus montrent que les multiples interactions entre les acteurs fragilisent les interventions. Les pratiques et les attitudes dans la prise en charge de l’enfant s’inscrivent dans des logiques différentes. La gouvernance polyarchique constitue un frein dans les réalisations des politiques publiques de protection sociale de l’enfant. 

Mots-clés : Gouvernance polyarchique, action publique, protection sociale, vulnérabilité, interaction.

Abstract: In Senegal, the governance and production of public action in child social protection policies are carried out by several actors. This article analyzes the dynamics that exist in this polyarchic governance over these policies. This polyarchic co-production and governance is an arena where confrontations, interactions, struggles, conflicts, competitions among actors contribute to the progression of the child’s vulnerability. The results obtained show that the multiple interactions between the actors weaken the interventions. Practices and attitudes in the care of the child are part of different logics. Polyarchic governance constitutes a brake to the achievement of such policies.

Keywords: Polyarchic governance, public action, social protection, vulnerability, interaction.

 

Introduction

Les études africanistes sur les politiques publiques ont été longtemps le point aveugle de la recherche d’après les chercheurs (Eboko 4). Pendant une trentaine d’années, les études politiques sur l’Afrique se sont focalisées sur l’idéologie et la gouvernance des Etats postcoloniaux (Eboko 4). Ainsi, son processus tardif de prise en compte en Afrique a attendu la disparition de l’Etat post colonial africain organisée et financée par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale. Ce n’est qu’en 2000, que l’analyse des politiques publiques en Afrique a connu sa genèse et elle est mobilisée pour rendre compte de l’émergence dans le continent.

À l’exception de certains anthropologues qui ont abordé les politiques publiques en mettant l’accent sur les jeux des acteurs au niveau local, national ou international, il y a eu la multitude de travaux dont l’attention a plus souvent été portée sur les politics et la polity que sur les policies (Eboko 4). Cependant, depuis peu, l’étude de la gouvernance et des politiques publiques est devenue un objet de recherche à part entière. Ce regain d’intérêt, est caractérisé par des interrogations sur l’action publique et les rapports entre l’action collective et les politiques publiques. Et surtout son rôle dans l’analyse des politiques publiques qui était de questionner le rôle historique de l’Etat et sa capacité à gouverner la société. Au fil des années, l’analyse de l’action publique change de perspective pour tenir compte de la multiplication des acteurs, liée au transfert de compétences et de ressources vers d’autres niveaux de gouvernement.

  1. Contexte

La nouvelle perspective sur les transferts de compétences montre que l’État n’est plus le seul acteur de l’action publique et de l’exécution des politiques publiques d’où la réactualisation et le re-questionnement de la gouvernance de l’action publique. Au Sénégal, cette nouvelle perspective de l’action publique est récente et nous la retrouvons dans les politiques de protection sociale de l’enfant. En effet, les questions concernant la protection sociale de l’enfant sont exécutées par plusieurs acteurs. Elles offrent en quelque sorte « un schéma très dynamique, au sein duquel se déploient les anciennes alliances, les nouvelles affiliations, les désaffiliations et les stratégies globales » (Eboko 4).

Nous considérons que beaucoup d’action publique et de politiques publiques vont mêler dans leurs actions des acteurs publiques et non publiques. De manière spécifique, nous remarquons que l’action publique sur les questions de protection sociale de l’enfant est coproduite à plusieurs niveaux, du global au local. Cette coproduction entraîne une gouvernance plurielle. Autrement dit, la protection sociale de l’enfant au Sénégal devient une organisation sociale où les confrontations, les interactions, les luttes, les conflits, les compétitions entre acteurs contribuent à l’accroissement de la vulnérabilité de l’enfant. Ce regain d’intérêt soulève la question de savoir si l’Etat est absent ou incapable de mener à bien son rôle de protecteur ?

Dans cette optique, cet article analyse clairement les groupes et les acteurs qui fondent et qui font l’action publique et la gouvernance de la protection sociale de l’enfant au Sénégal. D’une certaine façon, nous analysons les politiques en termes de gouvernance, de confrontations, de négociations, d’intérêts et de dynamique des interactions. L’objectif est de décrire, d’analyser et d’expliquer les dispositifs qui structurent la production de l’action publique autour de la protection de l’enfant en faisant d’une part la description des politiques publiques de protection sociale de l’enfant et d’autre part en mettant l’accent sur les formes de gouvernance auxquelles elles donnent lieu dans la prise en charge de l’enfant.

Dès lors, il urge d’analyser les politiques publiques de protection et l’action publique en faveur de l’enfant car il est paradoxal de voir tout ce dispositif institutionnel ainsi que les acteurs en présence autour de l’enfant et que cela ne permet pas de résorber le problème de vulnérabilité de cette catégorie. La capacité de gouvernance, l’efficience des approches, la cohérence des modes et la synergie des acteurs offrent une opportunité d’analyse de la production de l’action publique aux segments les plus bas de la communauté et des échelles d’interventions. L’Etat central et local et ses collaborateurs seront au centre de ces ethnographies à Dakar, Louga et Saint Louis dans le cadre de cette recherche. 

Un nouveau modèle de régulation s’impose, il est polyarchique (plusieurs centres de pouvoir), avec de multiples scènes de négociation et la présence d’un grand nombre d’acteurs. Parmi ces acteurs, nous voyons de plus en plus souvent apparaître des opérateurs privés dotés de leurs propres logiques d’action et d’intérêts. Par ailleurs, de nombreux acteurs publics sont susceptibles d’intervenir selon les circonstances du moment et les hasards des rencontres. La scène d’action tend donc à s’élargir au point de devenir fluctuante. Dans le cadre d’un même programme d’action publique, et sur un même territoire, on peut retrouver toute une série d’acteurs et de niveaux d’action impliqués. A ce titre, nous sommes confrontés à des formes de gouvernance à multiples niveaux. Ce sont des combinaisons multiples et complexes de financements croisés, de contrats institutionnels, de conventions et d’alliance entre des acteurs très diversifiés. Les interactions autour de la protection sociale de l’enfant supposent de plus en plus aussi des espaces de dialogues entre acteurs et un partage de l’institution publique à tous les niveaux (local, national, international). Nous pouvons dès à présent parler de gouvernance polyarchique. Ces acteurs s’activent pour apporter une réponse à la souffrance quotidienne des enfants mais la situation montre que des efforts doivent être encore faits. Ces constats nous poussent à nous poser un certain nombre de questionnements : quelles sont les dynamiques qui existent dans la gouvernance polyarchique des politiques de protection sociale des enfants au Sénégal ?  Comment les acteurs structurent l’action publique et influent chacun en fonction de son approche à la gouvernance de la protection sociale ?

  1. Méthodologie

La recherche s’est déroulée à Dakar, St Louis et Louga (Coky). Le choix de ces zones n’est pas fortuit. Nous avons fait des études de cas pour chaque zone de l’enquête. La méthode qualitative a été privilégiée en raison de nos objectifs : cartographier les acteurs et les domaines d’interventions, décrire et expliquer les mécanismes, les pratiques de protection sociale et les modes de gouvernance en montrant les enjeux, les contradictions et les stratégies. La technique mise en exergue est l’entretien l’observation et l’analyse de contenu. L’avantage est de trianguler nos données, le recours à ces techniques de recueil de données citées, permet de recueillir les informations sur la production et la structuration de l’action publique des politiques de protection sociale de l’enfant au Sénégal et sur la gouvernance multi niveaux avec les enjeux, les pratiques et les attitudes.

L’étude a concerné les acteurs de la protection sociale de l’enfant, les parents, les enfants et les maîtres coraniques. Notre cible principale est le groupe constitué par les acteurs intervenants dans la protection sociale qu’ils soient étatiques, non étatiques, organismes nationaux, internationaux, communautaires pour comprendre les représentations, les dispositifs, les pratiques, les attitudes et les mécanismes mis en place pour les enfants aussi les modes de gouvernance, les enjeux, les collaborations. Les cibles secondaires sont les parents, les personnes ressources, les enfants, les maîtres coraniques pour appréhender les représentations, les croyances, le rôle, les besoins des enfants, la participation à l’élaboration des politiques.

  1. Les modèles appropriés

Nous avons accordé une place importante à l’interactionnisme dans la mesure où les dimensions telles que l’interaction, la collaboration, le pouvoir, la négociation et la confrontation nous intéressent pour mieux comprendre le processus dans lequel se réalisent les dispositifs de protection sociale de l’enfant. Cette recherche montre comment les différents acteurs développent des interactions entre eux à travers des jeux de rapports et des situations concrètes. Par référence à Mead, nous pouvons estimer que c’est à travers la dynamique des interactions que l’on peut saisir le sens du jeu des acteurs (Mead). Dans la mesure où nous sommes en face d’une interaction entre acteurs du publique et acteurs d’exécution de proposition et de contre-proposition (Eboko 5), ce courant permet de décrire les processus d’interactions entre les différents acteurs et les enjeux de ces interactions.

L’analyse stratégique nous sert aussi de cadre pour étudier les logiques d’actions et les stratégies que dégagent les acteurs de la protection sociale. Cette théorie telle que conçue permet d’analyser la stratégie et le pouvoir des acteurs à partir d’une situation donnée et démontre comment les acteurs bricolent, négocient, construisent les stratégies et les rapports de pouvoir à travers le clientélisme, le réseautage, la domination etc. Les enquêtes exploratoires ont montré que les différentes structures développent des stratégies d’action pour obtenir de la part des bailleurs un financement. Des écarts et des contradictions ont été notés et c’est ce que J. P. O. De Sardan explique « qu’il y a des écarts importants entre les normes officielles qui régissent les institutions et les comportements réels des agents et ils sont loin d’être respectés » (De Sardan 4).

  1. Résultats

4.1. Les acteurs et les actions : entre engagement et enjeu

La question de l’enfance et le système de protection sociale sont au cœur des politiques et programmes de plusieurs acteurs dont plusieurs ministères et organes de l’Etat, les organismes, les organisations communautaires et la société civile. Ces dernières années, la multiplication des organisations et structures de protection de l’enfant est surprenante, plus de 200 répertoriées et autant d’autres qui œuvrent dans l’ombre. Certes, il est considéré comme un engagement national mais plusieurs facteurs montrent qu’il y a des enjeux. Ce qui nous a poussé à vouloir questionner les enjeux qui existent dans la création d’une structure pour enfant tant du plus haut niveau de l’échelle qu’au plus bas et surtout désigner qui est « acteur ou sujet de l’enfant ».

Les acteurs interpellés sur ces enjeux expliquent que :

cette floraison d’acteurs et d’actions ne constituent pas un engagement mais une source de survie et d’enrichissement pour ces acteurs. Ils ne s’activent pas pour le compte de l’enfant mais pour leur propre compte, déjà, dès que les bailleurs financent ou appuient, les 80% du budget vont dans la logistique et le fonctionnement (location bureau, voiture, carburant, salaire) et les activités envers l’enfant se contentent des miettes qui semblent insuffisantes.

Selon cet acteur rencontré à Dakar : « séne boop rekk le gnou fi nékal, (ils ne sont là que pour eux-mêmes), ils se sucrent derrière le dos des enfants, certains vivent pour l’enfant et d’autres vivent de l’enfant ».

L’analyse de ces propos nous édifie sur le paradoxe qu’il y a dans l’émergence des différentes politiques, programmes et projets de protection de l’enfant et sur la persistance de la souffrance de l’enfant au Sénégal. Ces deux explications interpellent les logiques et les conditions de création d’une structure pour l’enfance. Nos investigations en ce sens ont révélé qu’il n’y a pas de dispositif de contrôle et de suivi pour la plupart des structures.

Nombreuses de ces organisations développent des pratiques et des attitudes selon les différentes approches qui concernent la protection sociale de l’enfant. La construction de la prise en charge par les différents acteurs montre qu’il existe plusieurs contraintes car chaque structure ou acteur développe sa propre stratégie et sa ligne de conduite de prise en charge.  Même si certaines actions sont bien visibles et ont permis d’améliorer et de protéger l’enfant, cette pluralité d’acteurs favorisent dans les pratiques institutionnelles comme communautaires, des chevauchements et des contradictions. Ces contradictions sont plus visibles du plus haut niveau de l’échelle surtout dans les services étatiques.

 

 

4.2. Des interventions et interactions qui fragilisent le dispositif

D’abord la cartographie des acteurs de la protection sociale de l’enfant montre qu’il existe une pluralité d’acteurs. Ils sont étatiques, non étatiques et communautaires. Les acteurs construisent leurs propres approches de prise en charge. En effet, au niveau étatique, les interactions des acteurs s’inscrivent dans une absence totale de cadre de concertation et dans un cloisonnement des rapports. Cet état de fait reflète la configuration des rapports entre acteurs étatiques au niveau national.

De manière générale, le ministère de la famille, de la femme et de l’enfance est l’exécutant principal de la protection sociale de l’enfant. Cependant, dans l’exercice de cette fonction, d’autres acteurs étatiques s’attribuent d’autres mandats et responsabilités sur la protection de l’enfant et ne sont pas nécessairement en coordination entre eux. Notre recherche démontre en ce sens qu’au sein du ministère de tutelle, le ministère de l’enfance, il existe un manque de consensus entre les différentes directions comme celle de la protection des groupes vulnérables et celle de la petite enfance. Les acteurs travaillent de façon isolée et ne disposent pas d’indicateurs clefs si ce n’est que l’indicateur « enfant ».

A part la dislocation des actions au niveau du ministère de tutelle, nous avons d’autres ministères qui interviennent dans la protection de l’enfant. Ces départements ministériels exécutent eux aussi des programmes en faveur de l’enfant dont certaines activités sur le terrain sont totalement ignorées par le ministère de tutelle. Ces interventions sectorielles même si elles semblent être des avancées pour les différents ministères concernés, nous avons noté des dédoublements sur les actions et cela ne favorise pas la pérennisation des actes de protection sociale de l’enfant. Le manque de coordination, de stratégies et de protocoles d’actions communs influence sur la collaboration des acteurs étatiques et entravent dans l’obtention de bons résultats en matière de protection sociale de l’enfant.

            Au niveau non étatique, les acteurs concernés sont les partenaires techniques et financiers, les organismes. Leurs interventions s’inscrivent dans une reconnaissance sur les actions menées. En ce qui concerne les partenaires techniques et financiers et les organismes, les interactions sont plus structurées. Il existe rarement ou quasiment pas de compétition ou de rivalité dans leurs actions. Ils travaillent sur des thématiques propres à chacune et dans des zones spécifiques. Ces organisations sont considérées comme expertes dans le domaine dans lequel elles s’exercent. Leur collaboration n’est pas basée sur une reconnaissance dans les interventions mais sur une relation stratégique.

Cette stratégie est propre à chacune d’elles autrement dit chacune des ONG est organisée selon sa propre logique de fonctionnement. Elles collaborent et coordonnent certaines de leurs activités dans le but de partager des résultats et d’obtenir des indicateurs de référence. Le jeu de la collaboration repose sur des enjeux, sur une relation de situation présente. Toujours dans le même sillage, la collaboration se limite à des invitations, à des ateliers ou activités de restitution de rapports d’enquête.

Au niveau communautaire, les interventions sont influencées par les priorités des bailleurs. En effet, les acteurs fondent leurs actions par rapport aux exigences des bailleurs dans l’optique d’accéder aux fonds. Leurs interventions s’inscrivent dans une relation stratégique et dans une logique de (re)positionnement. En revanche, même si leurs interventions s’inscrivent dans une absence totale de synergie, elles sont considérées plus dynamiques par la communauté. Cela peut s’expliquer par leur approche micro lors du déroulement des activités.

Les interactions des acteurs font référence dans notre recherche à la structuration du dialogue, la configuration, les méthodes, les démarches, la collaboration entre les échelons (local, national, international). Nous affirmons à partir de ces données, que ces interactions entre acteurs de la protection sociale de l’enfant ne suivent pas un processus commun, elles sont éparpillées et contradictoires et fragilisent les interventions dans la prise en charge de l’enfant.

4.3. Les logiques des acteurs dans les pratiques de prise en charge de l’enfant

L’ethnographie des pratiques de prise en charge de l’enfant montre que le processus s’articule à deux niveaux dans les localités où l’étude s’est effectuée : le niveau institutionnel et le niveau communautaire. Nous observons l’existence de différentes logiques et stratégies étant donné les niveaux de l’échelon qui coproduisent les pratiques.

À Saint Louis nous avons noté qu’entre l’intervention institutionnelle et communautaire, les pratiques répondent aux préoccupations de l’acteur concerné. La dynamique montre :

  • l’implication de la population dans la prise en charge des questions touchant l’enfant : santé, éducation, protection,
  • la collaboration entre la mairie, les services décentralisés, les organisations communautaires de base et la population à travers les Comités Départementaux pour la Protection de l’Enfant, les conseils de quartier et les comités de quartier
  • et l’engagement communautaire à travers la prise en charge communautaire et l’initiative Ndéyuu daara (maman du talibé).

À Louga plus précisément à Coky, nous retrouvons le même scénario concernant le processus dans les pratiques. Cependant, le contexte religieux influe dans les interventions à adopter. Il y a la présence de plusieurs organismes internationaux et nationaux. La précarité de la zone de Louga reflète la configuration sociale de la population et leurs conditions de vie. En effet, la situation nutritionnelle de la zone incite les interventions à se focaliser dans ce domaine. Autrement dit, les attitudes et les pratiques dans la protection sociale de l’enfant tant au niveau institutionnel que local sont axées sur l’éducation, la santé et la nutrition.

À Dakar, nous avons la centralité des décisions dans la prise en charge de l’enfant au niveau national même si nous retrouvons des délégations de pouvoir.  Nous retrouvons la présence de tous les ministères et les bureaux régionaux des organismes. Dakar est la zone pilote en ce qui concerne les projets et programmes.

L’hypothèse selon laquelle les pratiques et attitudes des acteurs dans la prise en charge de l’enfant s’inscrivent dans des logiques différentes est confirmée. En effet, à Saint- Louis, Louga, Coky et Dakar, les pratiques de protection sociale de l’enfant sont exécutées par plusieurs acteurs. Ainsi, les logiques qui sous-tendent ces pratiques sont régies par un certain nombre de facteurs : d’abord la typologie de l’acteur, la structure (institutionnelle ou communautaire) et la particularité de la zone d’intervention. À ce titre, les logiques se conforment aux relations qu’entretiennent les acteurs. Chaque acteur de la protection sociale de l’enfant crée sa propre logique d’action individuelle et/ou collective dans un souci de reconnaissance, de (re)positionnement et d’obtention de ressources financières à travers des pratiques clientélistes, informelles, népotisme et de réseautage.

 

4.4. La gouvernance polyarchique, un frein dans la réalisation des politiques de l’enfant

La gouvernance dans les politiques de protection sociale de l’enfant offre une multitude de négociations en scène et un grand nombre d’acteurs. Elle mêle dans notre recherche les acteurs du privé et les acteurs du public. Ces acteurs se lancent dans des combinaisons multiples et complexes. De manière générale, cette gouvernance polyarchique se soumet aux règles établies, mais créée en dessous des moyens de contournement. Ces aspects montrent que différents acteurs assurent la délivrance des biens et services en faveur de l’enfant.

Dans cette recherche, la gouvernance suppose l’implication des usagers et des bénéficiaires à la gouvernance et à la délivrance des biens leur concernant. Cependant les résultats démontrent les effets pervers de cette gouvernance polyarchique que sont : la non-participation, le partage et la gestion de l’information. Les bénéficiaires estiment que les programmes des acteurs ne répondent pas à leurs besoins, ils ne participent pas aussi à l’élaboration des projets et programmes. Dans certains cas où l’enfant participe, il est juste mis en contribution dans la mise en œuvre mais n’est pas acteur dans la décision. Cela s’explique par le fait que le cadre culturel et social n’est pas encore favorable à une participation de l’enfant dans les projets les concernant. De plus, les contradictions qui relèvent de la conception des politiques à l’exécution et à l’évaluation soulèvent le débat sur les limites des politiques publiques qui ne correspondent pas le plus souvent aux réalités sociales et à la demande sociale. Les résultats montrent que la gouvernance polyarchique est à l’origine des contre-performances et aux conduites solitaires dans l’exécution et la réalisation des politiques.

4.5. Le rôle des organisations « régulatrices » dans la cohésion des acteurs et des actions

Les organisations régulatrices dans la protection sont censées réguler les actions concernant la protection sociale de l’enfant au Sénégal et coordonner les interventions des acteurs. Leurs rôles sont de coordonner, de contrôler, de mettre en place une stratégie transversale pour la protection de l’enfant et de veiller à l’amélioration des services sociaux de base de l’enfant. Ces organisations que nous avons nommé « régulatrices » sont des coalitions qui regroupent un ensemble d’acteurs étatiques, non étatiques, communautaires, société civile, personnes ressources travaillant dans le secteur de la prise en charge de l’enfant.

La plus connue est la Coalition Nationale en Faveur de l’Enfance qui regroupe plus de 200 associations et organisations et qui opère sous la tutelle de plusieurs partenaires stratégiques. Cependant, les activités de la Coalition Nationale en Faveur de l’Enfance ne sont pas reconnues dans l’unanimité par les acteurs de la protection sociale de l’enfant, c’est pourquoi, il y a eu la création de la CAPE (Coalition des Acteurs de la Protection de l’Enfant) qui elle aussi constitue un cadre fédérateur qui regroupe en son sein plusieurs acteurs et dont les dirigeants sont des personnes ressources très qualifiées dans la protection enfantine.

À côté de ces deux organisations, il y a la CAPE (Cellule d’Appui à la Protection de l’Enfant) créée et rattachée à la présidence mais dont le rôle est fortement décrié par les associations locales dans nos zones de recherche. Ces associations ne se sentent pas concernées par les activités de la CAPE dont le rôle initial était de constituer un fort leadership autour des différentes parties prenantes sur la question de l’enfant. La CAPE n’assure pas pleinement le rôle qui lui est attribué car les défis concernant le renforcement des capacités, le développement des compétences, la mobilisation de ressources, la coordination entre les multiples acteurs ne sont pas effectives.

Les organisations « régulatrices » pouvaient assurer une bonne prise en charge des questions de l’enfant au Sénégal si elles réussissaient à relever les nombreux défis qui freinent l’effectivité des politiques publiques de l’enfant et qui rendent toujours la persistance de la vulnérabilité de l’enfant. Beaucoup de défis non atteints sont dus à une mauvaise gouvernance des systèmes de protection sociale de l’enfant, à l’appropriation des politiques et aux écarts dans les normes officielles sur les délivrances de services. Ces aspects nous permettent d’interroger les modes de gouvernance et la structuration de l’action publique autour de la question de la protection sociale de l’enfant.

4.6. Analyse de la gouvernance des politiques de l’enfance à l’épreuve du développement

Parler de la gouvernance et de la production de l’action publique autour de la protection sociale de l’enfant au Sénégal revient à apporter des réponses sur comment se passe le processus de gestion et de délivrance des politiques publiques de protection sociale de l’enfance au niveau central et au niveau local. Au préalable, l’objectif était de faire une analyse des dynamiques qui structurent l’action publique autour de la protection sociale de l’enfant et à la gouvernance et d’analyser les modalités de délivrance de biens et services publiques.

Nos explorations nous ont amené à découvrir que dans la gouvernance des questions concernant l’enfant, l’Etat du Sénégal n’est pas le seul acteur et qu’il existait d’autres modes de gouvernances établis par d’autres acteurs non étatiques. De Sardan explique pour illustrer l’existence de plusieurs modes de gouvernance que la fonction particulière de l’action collective, de l’autorité ou de la régulation longtemps associée à l’Etat, est aujourd’hui mise en œuvre par d’autres types d’institutions et d’acteurs (De Sardan 8).

En ce qui concerne notre recherche sur la gouvernance et la production de l’action publique dans les politiques de protection sociale de l’enfant, la gouvernance désigne les divers dispositifs de délivrance des biens et services établis par les acteurs de la protection sociale de l’enfance. La gouvernance dont il est question ici donc apparaît comme la description de nouvelles gestions publiques qui tout en étant variées possèdent des principes communs. Elle questionne et renvoie aux actions de l’Etat et à d’autres institutions. La gouvernance explique comment les relations de pouvoir se manifestent et comment les services de biens et services collectifs sont délivrés aux usagers. La délivrance de biens et services passe par la conception de politiques publiques et ces politiques sont vues comme le déroulement logique d’un programme d’actions, impulsé par une décision initiale prise par les autorités publiques.

Cependant, comme le souligne Favre « …Il y a d’autres domaines où l’on est bien en présence d’actions ou de politiques mais qui ne sont pas des actions publiques ou des politiques publiques » (Favre). Ces explications montrent que dans les politiques et les actions délivrées, des relations de pouvoir se manifestent et la gouvernance au quotidien démontre les services et biens délivrés aux bénéficiaires qu’elles soient publiques ou privées. Autrement dit, nous nous retrouvons devant diverses formes de politiques et d’actions exercées par une multitude d’acteurs.

Au Sénégal, ces cinq dernières années sont marquées par l’émergence de plusieurs politiques et actions publiques comme privées en faveur de l’enfance. Les nouvelles pratiques de protection sociale de l’enfance élaborées pour l’enfant sénégalais ne sont pas adoptées à l’unanimité et cela peut s’expliquer par la mal gouvernance autour de ces politiques. En effet, il existe tout un processus : de la conception, à l’élaboration des politiques, à l’acceptabilité, l’appropriation, à l’adaptation et aux différents modes de gouvernance qui se créent. Cependant, il existe plusieurs contraintes liées à ce processus et influent sur l’appropriation et l’acceptabilité des nouvelles pratiques de protection sociale de l’enfance.

En effet, si nous prenons par exemple la gratuité des soins pour les enfants de moins de cinq, beaucoup de parents interrogés sur la question ont préféré adopter d’autres stratégies de prise en charge sanitaire outre la gratuité en choisissant le mode payant. Cette réaction suscite des questionnements étant donné que la gratuité est bénéfique pour les parents, pourquoi choisir de payer pour soigner son enfant. Ces attitudes sont expliquées par le fait que les parents ne sont pas satisfaits de la qualité des soins qu’octroie cette politique de gratuité. Au niveau des hôpitaux et des districts, souvent l’attente pour obtenir des soins d’urgence et le manque d’infrastructures font que des stratégies de contournement sont optées. Mais, il faut signaler que même si les assurances, les Institutions de Prévoyance Maladie (IPM) envoient leurs malades dans les cliniques, en cas de complication majeure l’hôpital est la destination finale car même s’il manque d’infrastructures, il renferme le potentiel en expérience dans divers cas de pathologies.

Au niveau de l’éducation, des progrès ont été accomplis avec l’augmentation de la part allouée à ce secteur dans le budget national et l’extension des infrastructures, des programmes, des projets et des politiques dans le domaine de l’éducation. A cela s’ajoute l’augmentation des taux brut de scolarisation et des taux d’achèvement, l’implantation de nombreuses écoles à proximité des habitations, la réalisation de l’inscription des enfants dans le préscolaire. Certes, l’école sénégalaise absorbe un budget assez consistant ce qui est rassurant par rapport aux normes internationales mais ces aspects n’ont pas réussi à relever les défis et les disparités existants dans le secteur. Certaines politiques en faveur de l’éducation des enfants rendent l’enfant vulnérable surtout les jeunes filles et maintenant les garçons.

La politique de l’achèvement qui consiste à maintenir l’enfant pendant cinq années au primaire jusqu’en cours moyen 2 est décriée par certains leaders de la protection sociale de l’enfance qui estiment que c’est une mauvaise politique. En effet, la politique de laisser passer l’enfant en classe supérieure sous réserve d’une bonne moyenne même avec l’échec à l’examen fait que beaucoup d’enfants se retrouvent sans diplôme après l’échec à l’examen du baccalauréat. Ainsi, l’enfant perd 15 ans de sa vie car se retrouve sans diplôme et sans qualification professionnelle. Cette conséquence de la politique d’achèvement impacte la vie de l’enfant. Il y a aussi après l’exécution des objectifs du millénaire pour le développement en 2015 et l’arrivée des ODD (objectifs de développement durable), il est inconcevable que l’on retrouve des abris provisoires dans les établissements scolaires alors que le pays parle de l’Education Pour Tous et du maintien des enfants à l’école.

Le secteur de l’éducation sénégalais renferme un système qui absorbe plusieurs problèmes et beaucoup de polémiques : les écoles coraniques. Ce système est considéré comme le parent pauvre du secteur éducatif sénégalais. Des milliers d’enfants fréquentent les écoles coraniques et la plupart mendient pour survivre. D’innombrables politiques en faveur des daaras issus de l’Etat, des organismes, de la Société civile ont été initiées. Cependant le problème majeur des écoles coraniques demeure dans la gouvernance de ce système qui selon un Maître Coranique est un véritable lobbying où Maître Coranique et acteurs de la protection de l’enfance se confrontent.

Nous avons noté lors de notre enquête qu’il avait une floraison d’associations, de projets et de politiques d’appui aux daaras (école coranique) et à ses pensionnaires. Ces acteurs proposent des plans d’actions pour améliorer la situation des écoles coraniques mais la gouvernance des actions est parcellaire car chaque acteur agit en solitaire alors qu’ils ont le même domaine d’intervention. En plus de ces faits, les principaux concernés c’est-à-dire les Maîtres Coranique ne participent pas à l’élaboration des différentes politiques élaborées ce qui fait la plupart d’entre eux sont réticents et méfiants envers les intervenants. Ces réactions sont dues aux différentes approches qui résultent d’une gouvernance clientélisme, informelle et favoritisme car les politiques, les stratégies sont celles des bailleurs le plus souvent sans adaptation socio culturelle. Le projet de modernisation récemment initié a subi beaucoup de critiques liées à son élaboration, à sa conception et à son adaptation. La lettre de politique sectorielle de 2009 précisait que la politique de modernisation des daaras devra permettre l’insertion socioprofessionnelle de certains talibés d’une part, et d’autre part la mise en place de passerelles pour l’intégration de ceux d’entre eux présentant des aptitudes pour le circuit franco-arabe formel ou classique. Cette politique assurerait également une plus nette démocratisation du système éducatif dans un souci d’équité puisque ces daaras seront intégrés dans l’école formelle. Dans ces daaras modernes, l’État déterminera et réglementera en effet le programme, la formation et les normes relatives aux enseignants, ainsi que les exigences en matière de sécurité et d’hygiène. Les écoles seront soumises à des inspections effectuées par des agents de l’État et, si elles ne respectent pas les normes, ordre pourra leur être donné de fermer. La mémorisation du Coran s’y effectue en général en trois ans et mène à l’enseignement franco arabe ou à l’école française. L’Inspection des daaras précise que le daara moderne prend en charge les enfants dès l’âge de 5 ans. La scolarité s’étale sur 8 ans et se déroule en trois étapes.

Toutefois, si tel est l’objectif de ce projet, le problème se situe où ? Pourquoi la réticence des Maîtres Coranique sur le refus d’être modernisés ? Ils nous ont révélé que le problème résidait d’abord sur le terme de « modernisation des daaras ». Autrement dit, ils sont gênés par le terme utilisé. Un directeur d’un Institut Islamique explique :

les termes comme modernisation, réaménagement peuvent constituer des blocages pour l’adoption de ce projet, des problèmes d’interprétation et d’acceptabilité peuvent surgir car certains refuseront de changer leur mode d’enseignement et de perception sur le daara. D’autres termes pouvaient être employés comme renforcement, amélioration et cela prendrait en compte la prise en charge et l’appui des daaras sur les plans sociaux, culturels et pédagogiques. Des modèles de daara déjà en place dans le système ont réussi à faire des avancées sans l’appui du projet ou de l’Etat. Ce sont les daaras comme Pire, Coky etc.

Ces propos montrent la réticence des acteurs qui est due à la mauvaise gouvernance de la question du projet de modernisation. Les daaras traditionnels pouvaient être des modèles ou des pilotes et associer les initiateurs de ces structures pouvaient rendre cette politique plus effective. Il y a aussi le fait que la connaissance de la logique de fonctionnement et du mode de régulation interne des daaras n’est pas partagée par tous les acteurs de la protection de l’enfance.

Le troisième domaine qui nous intéresse est la protection avec ses nouvelles dispositions de protection sociale. Des efforts ont été entrepris dans le cadre de la protection à travers des engagements pour renforcer l’assistance de l’enfant. Les ratifications des codes, des conventions, des chartes sont des avancées en matière de législation mais cela n’a pas permis de lutter de lutter contre la discrimination, la vulnérabilité et les disparités de l’enfant. Depuis 2013, l’Etat a mis en place le programme des bourses de sécurité familiale qui consiste à fournir des allocations trimestrielles de 25000 FCFA aux ménages dans une situation d’extrême pauvreté. Certes, la bourse permet aux ménages de résoudre certains problèmes mais les critères d’inclusion ont fait des exclusions sociales. Les critères pour bénéficier de ces bourses sont : l’inscription et le maintien des enfants à l’école, le respect du calendrier de vaccination et l’enregistrement à l’état civil. Cependant, cette initiative pouvait inclure d’autres cibles comme les maîtres coraniques, les enfants travailleurs qui subviennent aux besoins de leurs familles et qui ne bénéficient d’aucun système de protection et de gestion des risques.

Au Sénégal, plusieurs textes contenus dans le Code de la famille, le Code de procédure pénale, le Code de procédure civile se sont consacrés dans la protection de l’enfant. Malgré ces mesures préventives, la violation des droits de l’enfant persiste. C’est pourquoi un projet portant sur le Code de l’enfant est en cours, qui une fois votée va corriger certaines disparités et discriminations qui sont dans nos lois comme la définition de l’âge de l’enfant et l’interdiction de la mendicité sous toutes ses formes.

Un acteur nous explique que :

les textes ne fixent pas l’âge de l’enfant. L’enfant est définit comme tout être humain âgé de moins de 18 ans et cela est valable aussi pour l’âge au mariage. Le Code de la famille sénégalaise fixe l’âge au mariage à 16 ans. D’autres lacunes notamment la tolérance de la mendicité dans les lieux de culte alors que il faut interdire et légiférer la mendicité sous toutes ses formes. Le principal est la suppression des dispositions de l’article 285 du code de la famille relatives à la tolérance des châtiments corporels dans le cercle familial pour le respect de l’intégrité physique des enfants.

Autre fait à souligner, la transposition des modèles de politiques, de programmes, de projets des occidentaux qui ne répondent pas à nos réalités socio culturelles. Les politiques publiques de protection sociale doivent répondre aux préoccupations majeures des populations cibles (différentes catégories d’enfants) et tenir compte des convictions, aspirations, pratiques, attitudes des questions touchant l’enfant. Il convient dans une vision prospective de définir ce qui est possible, réalisable et dans quelles conditions ou mesures les bénéficiaires et la communauté peuvent participer aux décisions et aux actions les concernant.  Il faut que les besoins des enfants soient pris en compte tout le long du processus car il existe des écarts, des contradictions entre les problèmes de protection exprimés et ce que l’on retrouve dans le système de protection élaboré.

Conclusion

À l’issu de l’analyse des données, nous avons retenu que c’est la floraison d’acteurs, de politiques, de projets, de programmes, l’absence de coordination et de synergie dans les interventions, attitudes et pratiques qui font que la vulnérabilité de l’enfant sénégalais persiste. Ce défaut de concertation et de coordination des actions se manifeste par des difficultés à initier une action unitaire comme le cas de l’éducation non formelle c’est-à-dire les daaras où le problème de la reconnaissance juridique fait toujours débat. Sur le plan institutionnel, les rapports mentionnent l’absence d’une définition claire des responsabilités au niveau des services étatiques intervenants. Les stratégies solitaires entraînent un climat de méfiance réciproque et de manque de confiance tel qu’il est difficile d’élaborer une vision commune et partagée. Dans les collaborations, les acteurs ne jouent pas le jeu mais plutôt sur l’enjeu tant les intérêts et préoccupations personnels priment sur l’intérêt collectif.

Les limites des politiques demeurent dans quatre points essentiels :

  • D’abord au niveau du cadre juridique, il y a une non effectivité des lois, un non-respect des textes et surtout le caractère ambigu de certains textes.
  • Ensuite dans le dynamisme des acteurs, on note un foisonnement d’investissement, une utilisation non rationnelle des ressources, un manque de concertation dans les décisions, une absence de mécanisme de suivi et évaluation et de synergie des acteurs (reproduction des mêmes activités, rivalités, conflit etc.), acteurs téléguidés dans leurs interventions par les bailleurs.
  • Puis le cadre fédérateur manque de dynamisme et il y a une faible maitrise de la situation de référence.
  • Enfin au niveau du cadre social, il y a une non-participation des bénéficiaires à l’élaboration des politiques, une non prise en compte des pesanteurs socio culturels.

Il conviendrait pour le bien-être de l’enfant au Sénégal d’ériger un cadre de référence plus dynamique pour les interventions et mettre en place un dispositif de suivi évaluation commune pour les différents acteurs et cela en adoptant un code d’éthique pour tous les acteurs pour éviter les dispersions dans les actions qui rendent le plus souvent l’enfant vulnérable. Il faut aussi l’implication des enfants (conception, mise en œuvre et suivi évaluation) et promouvoir le partenariat ministère, ONG, leaders communautaires, chercheurs des universités et des centres de recherche.

La protection sociale suppose une législation en phase avec les normes internationales, un environnement national adéquat et des plans et programmes compatibles avec la réalité du pays. La juridiction constitue aujourd’hui le domaine dans lequel nous dénombrons de nombreuses failles dans la protection des enfants. En y regardant de plus près, nous constatons de manière générale que l’environnement dans lequel sont définies les lois relatives à la protection de l’enfant permet de constater la nécessité d’une remise en question de l’ensemble de la juridiction sur l’enfant. L’acte majeur à promouvoir est la cohérence des politiques qui constituera la première protection de l’enfant pour tendre vers un développement.

 

Travaux cités

De Sardan, Jean Pierre Olivier. 2008, « A la recherche des normes pratiques de la gouvernance réelle en Afrique. » Discussion Paper 5, 23p.

———. 2009 « Les Huit modes de gouvernance locale en Afrique de l’Ouest. » Working Paper 4, 56p.

Eboko, Fred. 2015 « Vers une matrice de l’action publique en Afrique ? Approche trans-sectorielle de l’action publique en Afrique contemporaine. » Questions de recherche 45, 40p.

Favre, Pierre et  Schemeil, Yves, 2003, « Qui gouverne quand personne ne gouverne ? » in Être Gouverné. Etudes en l’honneur de Jean LECA, Paris : Presses de Sciences-po. 376p

Mead, George Herbert. 1963, L’esprit, le soi et la société. PUF Paris, 329p

Rapport : Paquet, programme d’amélioration de la qualité, de l’équité et de la transparence, secteur éducation 2013-2025.

Rapport : Stratégie Nationale de Développement Economique et Sociale 2013-2017, Sénégal.

Rapport : Stratégie Nationale pour la Protection de l’Enfant, 2012.

Tall, Rama Diallo. 2018, Gouvernance et politiques publiques de protection sociale de enfants au Sénégal, Thése de doctorat, Université Cheikh Anta DIOP de Dakar, 318 p.

 

Comment citer cet article :

MLA : Tall, Rama Diallo. « La gouvernance des politiques publiques de protection sociale des enfants au Sénégal ». Uirtus 2.1. (avril 2022): 51-69.

 

Résumé (La gouvernance des politiques publiques de protection sociale des enfants au Sénégal)

Au Sénégal, la gouvernance et la production de l’action
publique dans les politiques de protection sociale de l’enfant sont
exécutées par plusieurs acteurs. Cet article analyse les dynamiques qui
existent dans cette gouvernance polyarchique sur ces politiques. Cette
coproduction et cette gouvernance polyarchique est une arène où les
confrontations, les interactions, les luttes, les conflits, les compétitions
entre acteurs contribuent à la progression de la vulnérabilité de l’enfant.
Les résultats obtenus montrent que les multiples interactions entre les
acteurs fragilisent les interventions. Les pratiques et les attitudes dans la
prise en charge de l’enfant s’inscrivent dans des logiques différentes. La
gouvernance polyarchique constitue un frein dans les réalisations des
politiques publiques de protection sociale de l’enfant.
Mots-clés : Gouvernance polyarchique, action publique, protection
sociale, vulnérabilité, interaction.

Abstract (La gouvernance des politiques publiques de protection sociale des enfants au Sénégal)

In Senegal, the governance and production of public action in
child social protection policies are carried out by several actors. This article
analyzes the dynamics that exist in this polyarchic governance over these
policies. This polyarchic co-production and governance is an arena where
confrontations, interactions, struggles, conflicts, competitions among
actors contribute to the progression of the child’s vulnerability. The results
obtained show that the multiple interactions between the actors weaken
the interventions. Practices and attitudes in the care of the child are part
of different logics. Polyarchic governance constitutes a brake to the
achievement of such policies.
Keywords: Polyarchic governance, public action, social protection,
vulnerability, interaction.

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Abstract (Opinions et attitudes des populations abidjanaises face à la vaccination contre la Covid-19)

The Covid-19 pandemic has claimed many lives around the
world. The discovery of different vaccines has sparked hope in the battle
against this disease. However, despite the availability of vaccines, the
Ivorian populations did not strongly mobilize to be vaccinated. Why such
a reaction from them? The objective of this study is to analyze and explain
the opinions and attitudes of the Abidjan populations with regard to
vaccination against COVID-19. The documentary study associated with a
questionnaire and semi-structured interviews constituted the data
collection techniques for this study. A mixed approach (quantitative and
qualitative) was favored for the analysis of these data. The results indicate
an influence of social networks and interpersonal communications on the
opinions and attitudes of populations in the non-adoption of vaccines
against Covid-19.

Keywords: Opinions and Attitudes, Vaccination, Abidjan Populations,
COVID-19, Resistance.

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Abstract(Une vie de bonne ou les employées de maison maliennes à Niamey)

This paper analyzes the conditions of domestic workers of
Malian origin in Niamey (the capital of Niger). It examines the motives for
the migrants’ adventure, their itineraries, the multiple strategies for
adapting to the socio-professional realities of the host environment, and
their mode of organization. The study is based on a qualitative method
using semi-structured interviews, life stories and direct observation. Other

sources of information were supplemented by written, audio and audio-
visual documents. The sample consisted of female employees and

employers. The scientific interest of the work lies in highlighting the
capacity of a foreign community, female and young at that, to enter a
competitive professional field, and then to occupy a quasi-hegemonic

position in it, in well-defined households. The paper found that the
primary motivation for the maids is the search for income to support
themselves and their village relatives. Employment is acquired through
intermediation, conducted informally and often at great sacrifice.
Keywords: Migrant Women, Domestic Workers, Work, Profession,
Employer

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Résumé (Une vie de bonne ou les employées de maison maliennes à Niamey)

Abdoulaye Seidou§

Résumé : Cette contribution analyse les conditions des travailleuses domestiques, d’origine malienne, à Niamey (la capitale du Niger). Il examine les mobiles de l’aventure des migrantes, leurs itinéraires, les multiples stratégies d’adaptation aux réalités socioprofessionnelles du milieu d’accueil et leur mode d’organisation. L’étude est fondée sur la méthode qualitative avec comme techniques les entretiens semi directifs, les récits de vie et l’observation directe. Des documents écrits, sonores et audio-visuels ont complété les autres sources d’informations. L’échantillon exemplaire est constitué d’employées et d’employeurs.  L’intérêt scientifique du travail réside dans la mise en évidence de la capacité d’une communauté étrangère, féminine et jeune de surcroît, à investir dans un domaine professionnel concurrentiel, puis à y occuper une position quasi-hégémonique, dans des ménages bien déterminés. L’article a découvert que la motivation essentielle des bonnes est la recherche de revenu pour subvenir à leurs besoins et à ceux de la parentèle villageoise. L’emploi est acquis par intermédiation, mené dans l’informel et souvent au prix de maints sacrifices.

Mots-clés : migrantes, domestiques, travail, profession, employeurs.

 

Abstract: This paper analyzes the conditions of domestic workers of Malian origin in Niamey (the capital of Niger). It examines the motives for the migrants’ adventure, their itineraries, the multiple strategies for adapting to the socio-professional realities of the host environment, and their mode of organization. The study is based on a qualitative method using semi-structured interviews, life stories and direct observation. Other sources of information were supplemented by written, audio and audio-visual documents. The sample consisted of female employees and employers. The scientific interest of the work lies in highlighting the capacity of a foreign community, female and young at that, to enter a competitive professional field, and then to occupy a quasi-hegemonic position in it, in well-defined households. The paper found that the primary motivation for the maids is the search for income to support themselves and their village relatives. Employment is acquired through intermediation, conducted informally and often at great sacrifice.

Keywords: Migrant Women, Domestic Workers, Work, Profession, Employers

 

Introduction

La Communauté urbaine de Niamey est la huitième région du Niger. Elle est également la capitale du pays. Les diverses activités économiques qui y sont pratiquées en font un pôle d’attraction par excellence. Elle est constituée de cinq arrondissements communaux, divisés en quartiers. Certains ménages, en raison de leur statut relativement privilégié, recourent aux services de travailleurs domestiques dont la situation intéresse aujourd’hui toutes les sciences sociales (Destremau B. et Lautier B., 2002). En plus, la domesticité, qui est un phénomène mondial, est intimement liée aux migrations nationales et internationales (Moya J., 2007).

Ainsi, au Niger, outre les domestiques d’origine locale, se trouvent, sur le marché du travail, des employées de maison provenant des pays étrangers, notamment le Mali. Aussi est-il loisible de savoir les raisons de l’aventure des travailleuses migrantes. La principale motivation, qui constitue le postulat de cette étude, est la recherche d’un revenu en vue de la satisfaction de leurs besoins et de ceux des parents du pays de départ. Pour atteindre cet objectif, elles suivent des trajectoires variées.

À Niamey, elles sont recrutées dans l’informel selon plusieurs canaux. Elles s’acquittent de tâches multiples et multiformes, parfois cumulativement, devenant, de ce fait, des « servantes globales », global servants (Parreñas R. S., 2001). Ces travaux sont exercés dans des conditions souvent difficiles. Pour s’adapter aux réalités du milieu d’accueil (faites de concurrence parfois interne et avec les bonnes autochtones), les employées de maison, originaires du Mali, développent de nombreuses stratégies qui les rendent incontournables pour certains foyers à la structuration et au mode de vie requérant leurs prestations.

Cette étude a pour ambition d’examiner leurs conditions matérielles et morales, à travers leurs rapports avec les employeur-e-s ainsi que les autres acteurs (les intermédiaires, par exemple). Elle est axée autour de deux rubriques : 1) la méthodologie ; 2) les résultats et la discussion, déclinés en trois chapitres : a) les mobiles de la migration et les itinéraires des bonnes maliennes ; b) leurs conditions de travail et de vie ; c) le décryptage de leurs stratégies adaptatives.

  1. Méthodologie

Le présent travail privilégie la méthode qualitative, autrement dit, il met l’accent sur le sens, la signification des discours et des réalités observées.

En l’absence d’une base de sondage, la technique de l’échantillonnage non probabiliste a été utilisée pour les deux principaux groupes. Ainsi, un échantillon exemplaire de vingt travailleuses domestiques, d’origine malienne, a été retenu. Autrement dit, ce qui est important au niveau de la sélection n’est pas la quantité des individus mais plutôt leur exemplarité en raison de la méthode qualitative adoptée. Elles proviennent majoritairement de la région de Mopti. Leur âge est compris entre 13 et 35 ans. Elles sont réparties sur les cinq arrondissements communaux de la ville de Niamey où elles exercent leurs activités. Le choix des cellules familiales d’accueil a mis l’accent sur des variables comme la catégorie professionnelle et la taille des ménages. Les enquêtées ont été rencontrées soit sur leurs lieux de travail, soit dans des concessions, servant d’espaces de rassemblement.

Dix employeur-e-s (deux par arrondissement communal) ont été interviewé-e-s à leurs domiciles, à l’issue de rendez-vous. Les patrons-nes sont essentiellement des hauts et moyens cadres de l’administration ainsi que des fonctionnaires d’organismes internationaux basés à Niamey. Des épouses de grands commerçants ont été également recensées : les maliennes ne travaillent pas dans des foyers pauvres.

Les guides d’entretien individuel, destinés à chaque groupe, ont été administrés pour recenser les diverses réactions. Quelques personnes ressources (logeurs, observateurs) et d’autres acteurs (intermédiaires) ont été aussi interrogés, souvent de manière informelle.

Des documents écrits (ouvrages, thèses, mémoires, articles), audio-visuels, relatifs au sujet, ont été consultés afin de comprendre le phénomène étudié à travers ses multiples dimensions. En effet, au-delà de leur similitude, les situations de travail, les profils des domestiques sont divers et les formes de domesticité plurielles.

Des séances d’observation directe (parfois participante, du fait de la sélection de notre ménage) des conditions de travail de certaines bonnes, à leurs postes, ont été réalisées durant le mois de septembre 2021. Elles visent à compléter les données issues des entretiens. Une grille d’observation a été prévue à cet effet en vue de relever divers aspects de la domesticité.

Pour mieux appréhender les réalités du séjour des employées maliennes à Niamey, il convient de présenter et de discuter les résultats obtenus à l’issue des investigations.

  1. Résultats et discussion

Dans cette partie, sont analysés successivement : a) les motivations des migrantes et leurs itinéraires ; b) la condition domestique sous toutes ses facettes ; c) les stratégies adaptatives mises en œuvre par les bonnes maliennes.

2.1. Les mobiles de la migration de travail et les itinéraires

La mobilité des employé-e-s domestiques et leurs trajectoires ont intéressé de nombreux auteurs (Comoé E. F., 2005 ; Dahdah A., 2010 ; Freitas A. et Godin M., 2013). En Afrique de l’Ouest, il est établi, aujourd’hui, que la migration de travail n’est plus l’apanage des hommes. C’est le cas, actuellement, de la cinquième région du Mali : Mopti. Selon un leader de la communauté malienne à Niamey (Entretien réalisé le 09/09/2021 avec B. G. à Niamey), les filles et femmes rurales de cette zone se déplacent à intérieur de leur pays et vers d’autres destinations internationales dont le Niger (particulièrement Niamey, la capitale) pour des raisons diverses.

2.1.1. Une ambition unique mais des logiques plurielles 

La mobilité spatiale des femmes est sous tendue par une aspiration. Pour Oumarou (2015 : 321), la recherche d’un travail salarié en est la « motivation globale ». Cependant, selon lui, cette ambition cache en réalité des « logiques plus individualisées, liées pour l’essentiel au statut matrimonial de la migrante ou à son âge, à son groupe socio-culturel ou à la nature de son réseau social » (2015 : 321). Ce constat, relatif à une zone du Niger, est également observable chez les travailleuses migrantes du Mali.

En effet, pour toutes les enquêtées, le motif de l’aventure est la pauvreté ambiante qui sévit dans le milieu rural où se vêtir décemment, voire payer du savon pour la toilette devient parfois un luxe. Cette réalité incite même les hommes (la plupart agriculteurs) à quitter les villages pour les centres urbains du Mali ou d’autres contrées proches (Burkina, Côte d’Ivoire, Niger, Algérie, Libye, par exemple) voire lointaines (Europe, Asie, notamment). Les chefs de ménages, incapables de prendre en charge leurs épouses, même au village, les négligent quelquefois durant leur séjour à l’extérieur. Ceci contraint les femmes mariées à choisir la migration comme issue. Le récit de cette répondante illustre la situation :

J’ai 25 ans. On m’a mariée à l’âge de 15 ans à un parent âgé de plus de 3 ans que moi. Mon père est cultivateur. Il a une femme et une seule enfant, moi-même. Mon mari est cultivateur, marié déjà à une femme. Il a une expérience de migration avant le mariage à Bamako et à Sikasso. Au cours de notre vie commune, qui a duré 5 ans, j’ai eu un garçon avec lui. Après, il est parti en Italie, puis en France en passant par le Niger et la Libye qu’il a quittée avec son patron pendant la guerre. Mais, pendant tout son séjour   en Europe, il ne m’envoie rien. J’ai quitté sa famille pour aller chez mon père. Puis, j’ai décidé, sans son accord, de partir à l’étranger chercher du travail. (Entretien réalisé le 12/09/2021 avec M. K. à Niamey)

Les jeunes filles, elles, migrent généralement en vue de la constitution du trousseau de mariage. Son acquisition requiert de multiples sacrifices surtout lorsqu’elles sont orphelines ou issues de familles modestes. En plus, selon une enquêtée, « ce ne sont pas tous les fiancés qui aident leurs futures épouses » (Entretien réalisé le 13/09/2021 avec A. A. à Niamey), d’autant plus qu’elles ne connaissent pas souvent les hommes auxquels elles sont ‘’réservées’’ dès le bas âge. 

D’autres raisons sont avancées par les deux catégories de travailleuses. Il s’agit d’abord du mimétisme car les migrantes de retour font étalage des biens rapportés du séjour dans les pays d’accueil. Cela pousse alors celles restées au village, qui arrivent difficilement à joindre les deux bouts, à entreprendre l’aventure migratoire. Ensuite, sont mentionnés les mariages arrangés. Des filles, mariées à des hommes dont elles ne sont pas amoureuses parfois, fuient le village avant ou après la célébration des noces. Cette situation est appuyée par ce récit : « J’ai quitté clandestinement le village après ma première semaine de mariage parce que je n’aime pas l’homme à qui on m’a donnée. J’ai peur de retourner chez lui » (Entretien réalisé le 13/09/2021 avec H. Y. à Niamey). 

À travers cet acte, les fugueuses espèrent jouir d’une certaine liberté et s’assurer d’une autonomie financière, gage de respect dans le milieu d’origine à l’image de celles qui ont séjourné à l’extérieur. Pour une enquêtée, beaucoup de migrantes, au retour, n’acceptent plus les conditions d’avant, en raison de leur indépendance économique et d’esprit, acquise à l’étranger. La migration féminine joue ainsi une fonction de promotion socioéconomique pour les concernées. Mais l’itinéraire des filles et femmes, qui choisissent Niamey comme ville d’accueil, n’est pas souvent linéaire.

2.1.2. Des trajectoires parfois sinueuses ou le parcours du combattant

Des travaux (Granotier B., 1980 ; Jacquemin M., 2012) ont montré que le chemin du travailleur migrant n’évolue pas toujours en ligne droite. Avant d’arrivée à la destination finale, il s’arrête souvent dans des villes escales. Cette migration par étapes, avec quelquefois des « bifurcations », dépend des opportunités de travail qu’offrent les différentes villes. Quelques maliennes ont suivi des chemins tortueux avant de ‘’débarquer’’ à Niamey. Le parcours de cette bonne est révélateur de cet état de fait.

Je suis née en 1991. J’ai appris le travail domestique à la maison, à l’âge de 12 ans, au cours de la maladie de ma mère qui a duré 2 ans. Ma première expérience migratoire a concerné Gao où j’ai passé 6 mois puis je suis revenue au village pendant la saison hivernale. Je suis partie ensuite à Kidal où j’ai travaillé 2 ans. A mon retour au village et après la mort de mon père, mon tonton m’a marié à un homme que je n’aimais pas. Après 7 ans de mariage dans lequel j’ai eu deux enfants (décédés par la suite) et la mort de ma mère, j’ai quitté pour Ouaga au Burkina. Ensuite, je suis arrivée à Niamey où j’ai changé plusieurs fois de patronnes. (Entretien réalisé le 10/09/2021 avec F.M. à Niamey)

D’autres migrantes sont venues directement à Niamey soit en traversant le Burkina, soit en franchissant la frontière nigéro-malienne. Leur transport est parfois assuré par l’argent envoyé par un parent travaillant déjà sur place. Ces frais sont consentis à titre gratuit ou sont remboursés à l’expéditeur, selon la proximité du lien ou d’autres considérations.  

Les candidates à la migration ou les parents du village de départ reçoivent l’argent soit par le canal de personnes qui retournent au pays, soit à travers les agences modernes. Concernant la deuxième option, certains employeurs sont souvent sollicités pour les opérations d’envoi. Une patronne, qui aide son employée lors des transactions, témoigne :

Comme ma domestique n’a pas de compte électronique et pour qu’elle n’aille pas perdre du temps dans les agences de téléphonie mobile ou auprès de leurs correspondants installés dans les quartiers, elle me donne le montant qu’elle souhaite envoyer et j’effectue le transfert avec mon portable. (Entretien réalisé le 14/09/2021 avec S.A. à Niamey)

Il convient de noter aussi que les travailleuses domestiques sont mobiles à l’échelle de la ville de Niamey, entre les quartiers ou les ménages, au gré des changements d’employeurs (même si quelques bonnes sont relativement stables). Ainsi, certaines maliennes deviennent de véritables nomades. Le cas d’une enquêtée, qui a sillonné les cinq arrondissements communaux de la capitale, confirme cette situation (Entretien réalisé le 13/09/2021 avec K.S. à Niamey).

Cette extrême mobilité géographique renseigne, de manière implicite, sur les conditions de vie et de travail des bonnes.

2.2. La condition domestique : entre précarité et velléités de défense

Les conditions de vie et de travail des domestiques sont parfois précaires et recouvrent diverses réalités : pénibilité des activités, difficiles relations avec les employeurs, modes de rémunération aléatoires. Ces facteurs induisent des réactions caractérisées par l’entente ou le conflit.

2.2.1. Les rapports au travail et aux employeurs 

Les situations de domesticité sont diversifiées. Elles dépendent des deux principaux acteurs : l’employeur et l’employée. Elles sont aussi conditionnées par le mode de recrutement, le type de relations hiérarchiques (styles de commandement), la nature des tâches et leur rétribution.

Le marché du travail domestique à Niamey est essentiellement informel. Autrement dit, il est basé sur des « portes » ou « modalités d’entrée » (Freitas A., Godin M., 2013) généralement relationnelles, c’est-à-dire reposant sur des réseaux sociaux. Ainsi, le placement des anciennes ou nouvelles migrantes maliennes chez leurs employeurs est assuré principalement par des amies, parentes ou les patronnes de celles-ci. Une enquêtée apporte ce témoignage, assimilable à la formule dite de « cooptation », observée par Freitas et Godin (2013) chez les migrantes latino-américaines dans le secteur de la domesticité à Bruxelles : 

Je suis arrivée à Niamey, par mes propres moyens, via le Burkina. Je suis descendue chez une tante commune où une femme est venue me prendre. J’ai travaillé pour elle pendant quelques jours. Elle m’a congédiée juste après la fête de la Tabaski.  Je suis partie chez une autre femme. Quand sa fille s’est mariée, elle m’a alors confiée à la jeune mariée qui a divorcé quelques temps après. La petite sœur de sa mère m’a alors prise mais nous ne nous sommes pas entendues.  Ensuite, j’ai trouvé du travail chez la mère de deux jumelles où j’ai séjourné juste un mois. Après cela, j’ai été embauchée dans un ménage que connaît une de mes amies qui a souvent placé là-bas d’autres amies. J’ai quitté après plus d’un an d’exercice. Maintenant, je suis chez une autre patronne. (Entretien réalisé le 10/09/2021 à Niamey) 

Cet extrait d’entretien, confirmé par la quasi-totalité des employées et des employeurs, montre le placement informel des bonnes maliennes dans les ménages. Ce circuit repose, surtout sur la confiance, elle-même découlant généralement de la connaissance mutuelle de l’intermédiaire et du nouvel employeur.

Ce recrutement par intermédiation ne présente aucune garantie pour les deux parties (la patronne et la domestique) parce qu’il n’est fondé sur aucun engagement écrit. La simple foi de l’intermédiaire est parfois trahie par l’employée pour divers motifs (paresse, vol, indiscipline…), d’où parfois les multiples plaintes des employeurs auprès des placeurs. Une employeuse qui n’est pas satisfaite de la prestation d’une travailleuse, venue fraîchement du Mali, exprime ainsi sa déception :  

Depuis qu’on m’a amené cette fille, c’est moi qui la réveille chaque matin pour qu’elle démarre son travail. Ensuite, à mon retour du service, je la trouve souvent, allongée sur le canapé, entrain de dormir alors que son travail n’est pas terminé. Elle mange toujours la même chose que moi. Je fais tout ce que je peux pour créer les conditions d’une bonne coexistence mais elle ne change pas. J’ai été obligée de la ramener chez sa grande sœur qui m’a donné raison. (Entretien réalisé le 11/09/2021 à Niamey)

Souvent, c’est le patron qui viole le « pacte » en licenciant la domestique sans raison valable. Cette situation interroge les stratégies de formalisation et les recours possibles pour l’un ou l’autre. Dari Mossi M. (2015) note d’ailleurs qu’au Niger le travail domestique « n’est pas pris en compte explicitement dans les législations en matière de protection des travailleurs de manière générale », d’où l’urgence de mesures adéquates.

Ces comportements altèrent les rapports entre ces partenaires. Ils pénalisent quelquefois l’employeur qui ne peut plus faire recours aux services de l’intermédiaire déçu. En plus, l’employée, qui évolue dans un cercle d’amies et de parents, se transforme en détracteur de l’ancienne patronne, asséchant ainsi sa source d’approvisionnement en main-d’œuvre. Et, comme les employeurs appartiennent aux classes moyennes et supérieures (constituées généralement de fonctionnaires), ils sont relativement dépendants des prestations des domestiques. Ainsi, ils sont souvent obligés de supporter certains caprices des employées pour ne pas les perdre.  Conscientes de cette vulnérabilité des patrons, les bonnes l’utilisent comme une arme de protection, voire de chantage.

Une ancienne bonne (« pionnière »), qui sert de « pont », selon les expressions de Freitas et Godin (2013), entre les candidates à la domesticité et les futurs employeurs, relate ce genre de situations.

Une femme de mon quartier m’a demandé de lui chercher une domestique. Elle a dit qu’elle a confiance en moi parce que j’ai duré chez ma patronne. J’ai donc encouragé une de mes amies à quitter sa patronne qui la maltraitait pour la confier à celle qui m’a sollicitée. Elle a expliqué à mon amie les différentes tâches à accomplir et fixé la rémunération correspondante. Quelques jours après, mon amie a abandonné le travail parce que la dame n’a pas respecté ses engagements. Vous voyez ce que cette dame m’a fait. Est-ce que demain je vais lui chercher une autre fille ? (Entretien réalisé le 11/09/2021 avec T.Z. à Niamey)

Ces passages illustrent les relations dissymétriques conflictuelles entre employeurs et employées. Toutefois, quelques bonnes sont logées décemment, perçoivent régulièrement leurs rémunérations. Des patronnes leur offrent même des habits usagés ou leur confectionnent des vêtements lors de certaines cérémonies (baptêmes, mariages). Lorsque les travailleuses retournent au village, elles reçoivent des cadeaux en espèces ou en nature. En guise de reconnaissance à ces marques de considération, les employées se font remplacer par des amies ou parents de confiance afin de ne pas perdre leur place, une fois revenues du pays de départ.

Cette politique de fidélisation réciproque est une stratégie des deux parties pour pérenniser la relation de travail que nous pouvons qualifier de « gagnant-gagnant ». Cette pratique, très courante dans le milieu des maliennes et des travailleuses provenant des zones côtières, ajoutée à leur hygiène corporelle, à la maîtrise du travail ainsi qu’à leur conduite respectueuse, est une qualité appréciée par les patronnes. En plus, ces bonnes sont toujours disponibles. Elles acceptent de vivre dans les ménages (contrairement aux employées nigériennes qui quittent le soir pour dormir dans les espaces de regroupement). Les domestiques hébergées sont souvent considérées comme des membres à part entière de la famille et bénéficient de beaucoup de faveurs.

À l’inverse, les employées autochtones sont jugées indisciplinées et sales surtout par les patronnes lettrées, vivant généralement dans des villas où les règles d’hygiène sont respectées scrupuleusement. Les maliennes et les côtières occupent ainsi une place de choix, pour ne pas dire hégémonique, sur le marché du travail domestique à Niamey. Un observateur (agent de sécurité chez une personnalité) témoigne : « Ici Madame n’emploie que des Kotokoli [originaires des pays côtiers] et des Kado [Maliennes]. Elle m’a dit de refouler systématiquement toute Nigérienne qui frappe à la porte pour des raisons de travail ». (Entretien réalisé le 14/09/2021 à Niamey)

Les séances d’observation des conditions de quelques bonnes ont permis de découvrir des détails qui ne ressortent pas des entretiens. Certaines travailleuses, qui résident en permanence chez leurs patronnes, sont sollicitées à tout moment pour des tâches diverses. Elles deviennent ainsi des bonnes à tout faire. Cette domesticité intérieure (live-in) a souvent une contrepartie relativement favorable : commodité du cadre de vie et de travail (chambre annexe avec lit et/ou matelas, parfois ventilée, nourriture convenable, repas préparés sur des cuisinières à gaz, prise en charge en cas de maladie).

D’autres domestiques, en revanche, dorment dans des cuisines ou dans les chambres des enfants lorsqu’il n’y a pas suffisamment de pièces dans le logement. Elles font la cuisine avec du bois de chauffe, se contentent des restes du repas de la veille comme petit déjeuner, se débrouillent pour se soigner, etc. Les situations varient donc selon les statuts sociaux des employeurs.

Les activités dévolues aux bonnes sont la cuisine, le balayage, la vaisselle, la lessive, les courses (aller au moulin, acheter des condiments…), la garde des enfants. Ces tâches sont effectuées cumulativement ou spécifiquement. Le baby-sitting ainsi que les courses dans l’environnement géographique immédiat du domicile sont confiées, en général, aux plus jeunes domestiques. La cuisine, elle, est réservée aux bonnes expérimentées. L’attribution des activités, tout comme la rémunération, est négociée au moment de l’engagement. Mais, que gagnent les employées maliennes ? Quelle est leur perception de leurs salaires et quel usage en font-elles ?

2.2.2. Le prix du travail domestique : quelle appréciation et quelle destination ?

Au Niger, le Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) est fixé à 30 047 FCFA pour 40 heures de travail hebdomadaire, soit 8 heures par jour et 2 jours de repos. Les employées de maison, toutes nationalités confondues, travaillent largement au-delà de ces horaires officiels. Les entretiens et les observations montrent que les bonnes maliennes ne font pas exception à la règle. Plusieurs études, réalisées au Niger et ailleurs (Dari Mossi M., 2012 ; Oumarou Aouade H., 2007 ; Jacquemin M., 2012), relèvent que les domestiques sont les premières à se lever et les dernières à se coucher. Elles sont non seulement mal employées, mais subissent, dans l’exercice de leurs tâches, divers abus.  Elles ne bénéficient ni de congé annuel, ni de jour de repos, ni de jour de fête. Leur salaire mensuel est dérisoire. En plus, l’écrasante majorité des filles domestiques est analphabète, ce qui les expose à la surexploitation par leurs employeuses du fait de la méconnaissance de leurs droits.

Les bonnes maliennes interviewées confirment certains faits communs à la domesticité informelle, notamment les longues heures de travail sans repos et mal rétribuées. Il faut préciser que cette communauté est relativement mieux rétribuée que les domestiques nigériennes, payées entre 10.000 et 15.000 FCFA par mois et travaillant généralement chez de petits fonctionnaires ou commerçants.

Les employées maliennes, qui ont séjourné longtemps au Niger, elles, fixent, un seuil de 30.000 à 40.000 FCFA le mois. Ce montant est cependant susceptible de révision à la hausse en cas d’ajout d’activités imprévues. Pour ce faire, elles mettent en œuvre leurs capacités d’empowerment ou d’agency dans la négociation de leurs conditions de travail d’une part, et dans leurs façons de valoriser leur travail, d’autre part (Constable N., 1997).

Quelques très jeunes migrantes, nouvellement arrivées et sans expérience, sont recrutées entre 20.000 et 25.000 FCFA le mois, le temps de s’acclimater (apprendre les langues locales et le métier, généralement sous la supervision de la patronne). Elles sont souvent utilisées, dans les foyers aisés, comme secondes bonnes, destinées aux petites tâches ménagères, avec la domestique principale (qui s’occupe en général de la cuisine) comme initiatrice. D’ailleurs, les jeunes maliennes, nouvellement arrivées à Niamey et qui vivent chez leurs tutrices employées, apprennent auprès d’elles, bénévolement, le métier en attendant un éventuel recrutement. 

Ce processus de socialisation à la domesticité est courant dans le milieu malien. En réalité, bien que le travail domestique soit souvent perçu comme une activité sans compétences, il exige un apprentissage voire une véritable initiation aux pratiques et normes relatives aux rapports qui s’instaurent entre employeurs et employées. Le service s’acquiert dans la maison ou dans d’autres espaces. Blanchard S. (2014), étudiant les trajectoires de travailleuses domestiques andines à Santa Cruz, parle de passage « de l’apprentissage à la professionnalisation » pour montrer la conversion que requiert le métier. À Niamey, la maîtrise de l’activité est acquise sur le tas, autrement dit en dehors de tout circuit scolaire.

Et, la force de travail domestique, rémunérée selon certaines modalités, est diversement appréciée par les bonnes maliennes. Une unanimité se dégage pour noter qu’elle est insuffisamment rétribuée au regard des efforts déployés par les employées. Toutefois, les enquêtées reconnaissent que le salaire leur permet de faire face à certains besoins personnels et d’aider les parents restés au village. Une « pionnière », qui a 7 ans de présence à Niamey, exprime ainsi l’opinion générale de ses compatriotes :

Vous savez, le salaire à Niamey est insuffisant. C’est dans le salaire que nous payons nos habits et satisfaisons quelques petits besoins. C’est dans le salaire que nous envoyons quelque chose aux gens du village. Nous payons la location des maisons communes [où sont stockés les bagages d’un groupe de bonnes] souvent à 30.000 F ainsi que l’électricité à 4000 F. Le salaire n’est pas suffisant car nous travaillons jour et nuit. Il y a cependant des patrons qui ont pitié des bonnes et qui leur offrent des choses en dehors du salaire alors qu’il y en a qui ne font rien. Parfois, c’est nous-mêmes qui nous débrouillons pour le petit déjeuner, pour le savon de la lessive. (Entretien réalisé le 13/09/2021 avec F.D. à Niamey)

Une partie de la rémunération est consacrée au trousseau, pour les filles, fiancées ou non. Les mariées, elles, paient des objets indispensables à l’équipement du domicile conjugal. Toutes ces dépenses sont réalisées pour acquérir une certaine autonomie économique et soulager les parents.

Souvent, face à l’insuffisance du salaire par rapport aux multiples besoins et aux contraintes liées à la domesticité, des bonnes l’abandonnent momentanément ou définitivement pour embrasser d’autres activités, jugées plus rentables. Ainsi, quelques-unes optent pour la restauration populaire (vente de repas ou de dégué, bouillie de mil mélangé au lait en poudre). D’autres s’adonnent au commerce d’habits et produits féminins divers qu’elles se procurent en voyageant vers des pays comme le Burkina Faso ou le Mali. Leur clientèle est constituée, pour l’essentiel, des travailleuses maliennes. D’autres aussi se livrent à la prostitution, pratiquée exclusivement ou parallèlement aux autres activités, avec souvent un client (« bailleur de fonds ») principal qui prend en charge certains besoins.

Et, dès que les migrantes (quelle que soit leur situation matrimoniale) estiment que leur objectif est atteint, c’est-à-dire que les biens (financiers, matériels) escomptés sont réunis, elles prennent la décision de rentrer au village. Cette attitude, courante chez les bonnes maliennes, confirme la théorie de la nouvelle économie de la migration de travail (Flahaux M.-L., 2011). Toutefois, le « projet initial » peut évoluer au gré des circonstances (Van Meeteren et al., 2009). Ainsi, quelques migrantes se marient soit à des Nigériens, soit à des hommes d’autres nationalités et s’installent définitivement au Niger. Elles ne retournent au Mali que pour rendre visite périodiquement aux parents. Ceci montre la fluctuation des « carrières migratoires [qui] ne sont pas déterminées, mais elles se construisent aussi en réaction à des événements ‘’imprévisibles’’ » (Freitas A. et Godin M., 2013) : 42).

Parfois, ce sont les parents (père, mère, oncle, frère ou mari) du village, après moult ultimatum, qui prennent l’initiative de venir à Niamey en vue de ramener à la maison une fille promise ou une mariée (fugueuse ou exerçant des activités immorales). Quelquefois, les parents ou les époux, qui débarquent à l’improviste, retournent bredouilles car certaines migrantes (qui ne craignent pas les menaces de malédiction des parents) se débrouillent pour se cacher durant tout le séjour des visiteurs. 

Pour s’adapter aux diverses réalités socioprofessionnelles, parfois difficiles, les travailleuses migrantes du Mali, adoptent des stratégies multiples et multiformes.

2.3. Décryptage des stratégies adaptatives

Les actes d’adaptation aux contraintes du milieu d’accueil se manifestent à travers l’adhésion à diverses organisations. Au sein de ces structures (avec leur mode de fonctionnement propre) se cultivent des habitudes de protection ou de défense.  Des initiatives personnelles sont également prises par les bonnes pour faire face à la condition domestique.

Les migrantes maliennes se regroupent sur la base de certaines considérations sentimentales, professionnelles et spatiales : le village, la région, le pays. En effet, la principale « porte d’entrée » dans la domesticité à Niamey étant la « cooptation », essentiellement parentale, le premier refuge ou repère des employées maliennes est la sphère hébergeant le parent ou tuteur qui a organisé le voyage et l’accueil. Ce cercle de transition peut être le domicile du patron ou de la patronne du parent ou tuteur. Il peut aussi correspondre à une maison commune, louée par un groupe de ressortissantes, leur servant à la fois de dépôt de bagages, de point de rassemblement et de case de passage pour les visiteurs venant du Mali pour des motifs divers.

Le second milieu que découvre la migrante malienne est le foyer de son nouvel employeur. Elle y tisse, selon ses capacités d’adaptation, des liens durables ou éphémères avec les différents membres. Cette famille d’accueil peut, selon ses connexions avec d’autres cercles, constituer une passerelle entre la domestique et ces groupes. Ceci élargit son capital social mobilisable pour trouver du travail pour elle-même ou pour d’autres. Ces groupes deviennent à ce titre des « structures intermédiaires » (Freitas A. et Godin M., 2013) auxquelles elle peut se référer en vue d’exploiter certaines opportunités. Une malienne confirme cette situation en ces termes :

Ma patronne a une sœur qui fait de la restauration. Cette dernière connaît plusieurs personnes à travers ses clients. Ma patronne m’envoie souvent l’aider quand elle a beaucoup de commandes. Et, comme sa sœur apprécie mon travail, elle me délègue certaines tâches de distribution. Ainsi, j’ai connu des gens qui me demandent souvent de leur trouver des amies pour travailler chez eux. Parfois, il y en a qui me proposent même d’aller travailler pour eux contre un salaire plus intéressant. Mais comme ma patronne est très gentille avec moi et me considère comme sa petite sœur, je n’accepte pas les offres. (Entretien réalisé le 10/09/2021 avec S.I. à Niamey)   

Les autres « points de référence » sont les groupes constitués par les membres du même village ou de la même région. Ils se réunissent dans les espaces de rassemblement, généralement les weekends correspondant à leurs jours de repos. Ces rencontres sont des occasions d’échange d’expériences et de consolidation de la solidarité en vue de la défense de leurs intérêts face aux contraintes de la domesticité. Les actions menées revêtent différentes formes. Il peut s’agir de tontines ou d’entraide se manifestant lors d’événements heureux (baptêmes, mariages…) ou malheureux (décès, maladies…). Il existe également des canaux de rapatriement de biens et de personnes.

Toutefois, cette complicité est altérée quelquefois par des contradictions internes. Les sources sont, par exemple, la rivalité entre deux membres ou la jalousie à cause du succès professionnel d’une autre. Ces différends se traduisent parfois par la rétention d’informations relatives à une offre d’emploi pouvant intéresser l’adversaire, malgré la « déontologie » liant officieusement les membres de la communauté.

A Niamey, les maliennes se réfèrent souvent à l’ambassade de leur pays pour des raisons diverses (établissement de papiers, problèmes professionnels …). Ceux qui servent de passerelles entre cette institution diplomatique et les autres composantes de la communauté sont des Maliens anciennement installés au Niger. Ces leaders facilitent aussi les recours devant les institutions judiciaires ou policières en cas de litiges opposant leurs concitoyens à d’autres personnes physiques ou morales. Certains exercent des activités permanentes et sont même propriétaires de leurs maisons qui servent quelquefois de lieux d’accueil des compatriotes de passage ou de rencontres importantes.

Ces différentes sphères d’appartenance, souvent concentriques, représentent, pour les bonnes maliennes, des réseaux jouant un rôle de socialisation, de protection, de défense et de placement dont elles dépendent parfois. Parallèlement, elles exploitent individuellement leur expérience et leur savoir-faire dans le cadre des négociations des conditions de leurs contrats.

 

Conclusion

Le présent travail éclaire les logiques multiples qui président à la mobilité de travail des filles et femmes maliennes aux échelles locales, régionales, nationales et internationales. La principale aspiration est la recherche d’un emploi en vue d’une autonomisation socioéconomique, singulièrement l’acquisition du trousseau pour les filles (fiancées ou non), de l’équipement destiné au domicile conjugal pour les mariées et l’aide aux parents pour toutes. 

Cette motivation découle de l’incapacité des maris et des parents à prendre en charge les filles et femmes. Elle est surdéterminée par l’ostentation des migrantes revenues au village et leur esprit d’indépendance. Le voyage (dont l’itinéraire n’est pas toujours linéaire) et l’accueil sont souvent organisés par des parents, ami-e-s ou connaissances travaillant à Niamey. Ceux-ci servent d’intermédiaires entre la candidate et le futur employeur.

La condition domestique, qui est le lot de la plupart des migrantes maliennes à Niamey, est caractérisée généralement par de nombreuses contraintes (tâches pénibles et mal rémunérées, rapports difficiles avec les patronnes). Aussi, certaines employées de maison, en vue d’échapper à cette situation, optent-elles pour des activités plus rentables. Et, dès que l’objectif fixé est atteint, la quasi-totalité des migrantes retourne au village, parfois définitivement. Toutefois, il a été noté des changements de projets initiaux chez quelques travailleuses migrantes qui s’installent définitivement au Niger pour des raisons de mariage avec des Nigériens ou d’autres nationalités.

Et, pour s’adapter aux dures conditions socioprofessionnelles de la domesticité, les migrantes d’origine malienne, développent de multiples stratégies collectives et individuelles. Ainsi, elles évoluent dans divers milieux de socialisation et de défense de leurs intérêts.

En définitive, les migrations des femmes et jeunes filles du Mali sont-elles, comme s’interroge Lesclingand M. (2011), une « exploitation ou [une] émancipation » ? Au regard des énormes sacrifices consentis par les bonnes pour leur autonomisation socioéconomique, elles subissent une double exploitation : celle des employeurs (qui abusent de leur labeur) et celle des parents (qui ponctionnent leurs revenus). Cette situation est aggravée par le désengagement des maris face à leurs responsabilités. Il serait intéressant d’examiner, ultérieurement, la vie des bonnes de retour dans le milieu de départ en vue de savoir si la migration de travail féminine n’est pas un cercle vicieux.

 

Travaux cités

Blanchard, Sophie. « Migration féminine et « condition domestique » : de l’apprentissage à la professionnalisation. Trajectoires de travailleuses domestiques andines à Santa Cruz ». Revue Tiers Monde, 1(217), 2014, pp. 147-162.

Comoe, Elise Fiédin. « Femmes et migration en Côte d’Ivoire : Le mythe de l’autonomie ». Etude de la population africaine, 20 (1), 2005, pp. 89-117.

Constable, Nicole. Maid to order in Hong Kong: Stories of Filipina workers. Cornell University Press, 1997.

Dahdah, Assaf. « Mobilités domestiques internationales et nouvelles territorialités à Beyrouth. Le cosmopolitisme beyrouthin en question ». Espace populations sociétés, 2-3, 2010, pp. 267-279.

Dari mossi, Massaoudou. La protection des filles domestiques dans le premier Arrondissement communal de Niamey. Mémoire de Master de Sociologie, Université Abdou Moumouni de Niamey, 2015, 88 p.

———-. Situation des femmes ou filles travailleuses communément appelées « bonnes » dans l’Arrondissement communal N° 1 : Cas du quartier Koira Kano. Mémoire de Maîtrise de Sociologie, Université Abdou Moumouni de Niamey, 2012, 76 p.

Destremau, Blandine et Lautier, Bruno. « Femmes en domesticité. Les domestiques du Sud, au Nord et au Sud ». Tiers-Monde, 43(170), 2002, pp. 249-264.

Flahaux, Marie-Laurence. Rôle de la situation des familles dans l’intention et la décision du retour. Analyse comparative Sénégal-RD Congo. Texte présenté à la 6e Conférence africaine organisée à Ouagadougou en décembre 2011 par l’UEPA, 2011.

Freitas, Any et Godin, Marie. « Carrières migratoires des femmes latino-américaines dans le secteur de la domesticité à Bruxelles ». Revue Européenne des Migrations Internationales, vol. 29, no 2, 2013, pp.37-55. 

Granotier, Bernard. La planète des bidonvilles. Perspectives de l’explosion urbaine dans le tiers-monde. Paris, Seuil, 1980, 383 p.

Jacquemin, Mélanie. « Petites bonnes » d’Abidjan. Paris, L’Harmattan, 2012.

Lesclingand, Marie. « Migrations des jeunes filles au Mali : exploitation ou émancipation ». Travail, genre et sociétés, 1(25), 2011, pp. 23-40

Moya, José. « Domestic Service in a Global Perspective : Gender, Migration, and Ethnic Niches ». Journal of Ethnic and Migration Studies, 2007, 33(4), pp. 559-579.

Oumarou, Amadou. « La migration féminine, une stratégie extra-agricole d’adaptation aux changements climatiques et environnementaux dans l’Imanan (Niger) ». Les sociétés rurales face aux changements climatiques et environnementaux en Afrique de l’Ouest, dirigé par Sultan, Binjamin et al. Paris, IRD Editions, 2015, pp. 315-334.

Oumarou Aouade, Housseini. La problématique du phénomène de l’emploi des enfants comme domestiques au Niger : cas de la Commune III de Niamey. Mémoire de Maîtrise de sociologie, Université Abdou Moumouni de Niamey, Département de sociologie, 2007, 76 p.

Parreñas, Rhacel Salazar. Servants of Globalization: Women, Migration, and Domestic Work. Stanford, Stanford University Press, 2001, 309 p.

Van Meeteren, Masja et al. « Straving for a better position: Aspirations and the role of Cultural, Economic, and Social capital for Irregular Migrants in Belgium ». International Migration Review, 43(4), 2009, pp. 881-907.

 

Comment citer cet article :

MLA : Seidou, Abdoulaye. « Une vie de bonne ou les employées de maison maliennes à Niamey ». Uirtus 2.1. (avril 2022): 15-32.

 

mployeurs.

Abstract (La communication selon Jürgen Habermas)

This paper contributes to elucidate Jürgen Habermas’ concept of communication. From Habermas’ distinction between “expected” and “emanating” effects, the study shows that, although the aim of any speech is to have an effect, Habermas stands out for his apprehension of the effect of communication. Thus, contrary to the expected effect which consists in achieving an intentional goal, Habermas sees rather the effect emanating which is a coupling or reciprocal effect of the interlocutors.

Keywords: communication, effect emanating, expected effect, intercomprehension.

     Full text            

 

 
Résumé (La communication selon Jürgen Habermas)

Abdourahim Tchassanti§

Résumé : Ce travail contribue à la clarification du concept de communication chez Jürgen Habermas. À partir de la distinction entre l’« effet escompté » et l’« effet émanant », l’étude a permis de montrer que, bien que le but de toute communication est de susciter un effet, dans la Théorie de l’agir communicationnel, Habermas s’en démarque par son appréhension de l’effet communicationnel. Ainsi, au rebours de l’effet escompté qui consiste à atteindre un but intentionnel et stratégique au moyen du discours, Habermas y voit plutôt l’effet résultant ou émanant qui est un effet de couplage ou de réciprocité des interlocuteurs.

Mots-clés : communication, effet émanant, effet escompté, intercompréhension.

(plus…)
Vol. 1 N°3, Avril 2022

La communication selon Jürgen Habermas

Abdourahim Tchassanti ♣

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À César ce qui n’est pas à César ? Retour sur un communiqué des Évêques de Centrafrique incitant clairement à la désobéissance civile

 Alexis N’Dui-Yabe

Abstract:À César ce qui n’est pas à César ? Retour sur un communiqué des Évêques de Centrafrique incitant clairement à la désobéissance civile

At the outcome of an extra ordinary central african republic episcopal conference (CAREC), an episcopal announcement was delivered on November 2018. In subtance, the central african bishops

demanded ‘’the church family people of God” and “faithfull men and women to boycott the celebration of the ceremony of the national day of the independance of the 1st December’’, considered as a non religious feast. This is a solidarity in memory of people dead during the assasination of people on november 15th, 2018 in Alindao,a town located at the East. This assassination has caused the death of many people including two central african priests.           

The next day following the publication of this episcopal announcement, two contradictory tendencies were confronted on press as well as social networks. From one side, we can have those who pretend to knwo everyrhings and those who are Cartesian skeptical about the episcopal announcement on the other side.

Now that the tensions are over, this given study tend to analyse the episcopal announcement on the legal ground emphasing on the two folded preocupations of: an attempt to the central african positive law on one side and the judicial consequences learnt by the central african politicians on the other side.

Keywords: Canon law, Central African republic, episcopal announcement, Code, Constitution, positive law, procedure.