Résumé (Le discours de la dénonciation et de la sublimation dans C’est le soleil qui m’a brûlée de Calixthe Beyala)

Régina Véronique Odjola§

Résumé : Dans la littérature africaine, la femme constitue un thème que bon nombre d’écrivains ont exploité depuis l’époque coloniale jusqu’à nos jours. La femme s’est toujours vue racontée par l’homme et non par la femme elle-même dans de nombreuses œuvres littéraires. La condition féminine est, depuis les origines, l’objet de nombreux questionnements. Le mythe du jardin d’Éden présente la femme tentatrice, dont les charmes irrésistibles conduisent l’homme à la désobéissance et à la perdition. Depuis lors, l’homme a bien su prendre sa revanche, étouffant la voix de la femme, l’écrasant même de sa force physique et de son arrogance. Calixthe Beyala s’emploie à casser les images infériorisantes sur la femme en dénonçant les violences que la tradition perpétue à son endroit, et l’appelle à prendre courageusement en main sa destinée et l’invite aussi à une sublimation de son corps, ses pensées et de ses actes.

Mots-clés : Hommes, femmes, analyse sémiologique, dénonciation, victimisation, sublimation, valorisation.

Abstract: In African literature, the woman is a theme that many writers have discussed from the colonial era to the present day. The woman has always been told by the man and not by the woman herself in many literary works. The status of women has been the subject of many questions since the beginning. The myth of the Garden of Eden presents the tempting woman, whose irresistible charms lead the man to disobedience and perdition. Since then, the man has known how to take his revenge, stifling the woman’s voice, even overwhelming it with his physical strength and arrogance. Calixthe Beyala strives to break down the inferiorizing images of women by denouncing the violence that tradition perpetuates against them and calls on women to courageously take their destiny into their own hands and to sublimate their bodies, their thoughts and actions.

Keywords: Men, women, relationships, denunciation, victimization, sublimation, valorization

Introduction

La littérature féminine écrite d’Afrique noire francophone est une littérature relativement jeune qui se fonde sur un certain nombre de thèmes et critères dont le choix est fonction des visées de l’auteur. L’absence des femmes sur la sphère littéraire et la présence imposante des hommes ainsi que la prédominance numérique masculine sont dues à deux facteurs : historique et sociologique.

– Sur le plan historique, la femme, dans la société traditionnelle africaine, a toujours été victime d’une discrimination dans le domaine de l’instruction scolaire, dans ce sens que la femme ne pouvait malheureusement pas avoir accès à l’éducation.

– Sur le plan sociologique, la femme, dans la société traditionnelle africaine, a toujours été considérée comme un être inférieur, un être qui est, souvent, redélégué au second plan : elle n’a pas droit à la parole dans le milieu des hommes et son rôle consiste essentiellement à cultiver les champs, à mettre au monde des enfants, et à nourrir sa famille.      

L’image de la femme dans la société constitue l’un des centres d’intérêt dans la trame narrative de beaucoup de romans africains comme L’Aventure ambigüe de C. Hamidou Kane (1961), Une si longue lettre de M. Bâ (1979), Les Bouts de bois de Dieu de S. Ousmane (1994) et C’est le soleil qui m’a brulée de la camerounaise C. Beyala (1987). Cette dernière décrit à travers Ateba, l’héroïne, les vicissitudes de la femme dans une société marquée par plusieurs forces et inégalités. Le regard de l’auteure est davantage orienté vers la combativité féminine, excluant toute résignation. Dans cette perspective, C. Klein-Lataud (12) relève :

L’action des féministes visait à réduire le dimorphisme sexuel exagéré par les modes du XIXe siècle et à atténuer les marques artificielles de la féminité. Par contre, sur le plan du langage, elle a consisté à inscrire le sujet féminin dans la langue, à en systématiser les marques. Cette stratégie fait partie de la lutte pour l’égalité. 

Dès lors, le féminisme s’enracine dans l’esprit de la gent féminine comme la nouvelle ère qui commence pour la femme et l’oblige à inventer des expressions s’adaptant à sa condition (Klein-Lataud 13).

S.-M. Iori (26), pour sa part, fait remarquer :

D’autres textes, d’hommes et de femmes nourrissent, consolent, aident à vivre. Malgré toutes les entraves, de plus en plus de voix féminines se font entendre. La brèche s’élargit au profit de la pluralité. Comme les écrivaines réinventent le langage, il faut se faire attentive à leur travail, apprendre à lire autrement.

C’est le cas de Calixte Beyala qui utilise des techniques d’écriture comme la dénonciation et la sublimation dans son discours pour donner une allure féministe à son texte. En effet, le recours à la dénonciation et à la sublimation sert respectivement à critiquer certaines croyances et pratiquent autour d’un personnage et à mettre en évidence la valorisation de cet actant.

L’objet de cet article est de montrer l’unité indissociable entre la lutte acharnée pour la condition de la femme à travers la dénonciation et la valorisation de celle-ci par la sublimation pour réhabiliter les droits de la femme. En un mot, il s’agit d’identifier les séquences susceptibles d’illustrer les situations dans lesquelles la représentation de la femme est victime du comportement des hommes d’une part et de sa révolte pour sa mise en valeur d’autre part.

La problématique de recherche nous permettra de présenter l’ensemble des concepts, des théories, des questions, des hypothèses, des méthodes et des références qui contribuent à clarifier et à développer notre question de recherche. Pour ce faire, notre problématique s’articule autour de deux questions à savoir :

– Quel genre de discours C. Beyala utilise-t-elle pour plaider la cause féminine dans C’est le soleil qui m’a brûlée ?

– Quelles sont, dans le roman, les situations dans lesquelles la victimisation et la valorisation de la femme sont -elles mises en exergue ?

Pour y répondre, nous formulons les hypothèses ci-après :

–  C. Beyala utilise les discours de la dénonciation et de la sublimation pour plaider la cause des femmes,

– plusieurs énoncés mettent en exergue les représentations où la femme est à la fois maltraitée et appréciée.

1. Approche théorique

C’est le soleil qui m’a brûlée est le premier roman de Calixthe Beyala, publié en 1987. C’est l’histoire d’Ateba, une jeune fille camerounaise abandonnée par une mère prostituée disparue et d’un père inconnu.

Ateba essaie de chercher son rôle dans la société et aussi celui des autres. Sa sexualité l’a gène et elle veut se libérer de la domination des hommes. Angoissée par la crise de l’affection maternelle, blessée dans son amour-propre, Ateba s’attaque au joug de l’homme. Dans le récit, cette révolte se traduit plus par une violence verbale : termes grossiers et injurieux, d’intrigue claire qu’on pourrait suivre. Il est plutôt formé de plusieurs passages séparés. Une grande importance est attachée à la description et aux sentiments. De plus, le narrateur est caché, il est difficile de savoir qui est le narrateur et quel est son point de vue.

1.1. Définition des concepts

Par « concepts », nous entendons les thèmes phares, récurrents, utilisés par l’auteure pour mettre en exergues certaines situations.

1.1.1. Les techniques d’écriture

Elles renvoient à priori à l’ensemble des façons d’écrire le texte déployé par un écrivain pour combiner l’imaginaire et l’esthétique.  A cet effet, F. Bendjelid (9-10) pense que c’est une façon de créer les formes de son propre discours littéraire qu’il subordonne à une logique interne et qui génère, élabore ou structure ses écrits et, grâce aux « procédés d’écriture » de la fiction. Il nous semble que l’écrivain puise très librement, avec le génie et l’imaginaire qui lui sont personnels, en fonction surtout de ses projets d’écriture, dans la tradition littéraire du roman réaliste.

1.1.2. La dénonciation

On parle de dénonciation lorsque l’action vise à dénoncer, c’est-à- dire accuser, signaler comme coupable quelque chose, quelqu’un ou une situation. La dénonciation, ici, fait allusion aux différents moyens mis en place dans l’écriture du roman C’est le soleil qui m’a brulée pour exprimer le féminisme de C. Beyala et mettre en lumière la véritable posture de la romancière face au statut de la femme africaine. La dénonciation en littérature est le fait de critiquer une situation individuelle ou sociale, une théorie ou un système d’idées, à travers des personnages romanesques symboliques érigés ainsi en « porte-parole » de l’auteur : ils illustrent son point de vue sur la question traitée, montrant clairement (sur les modes humoristique ou tragique) les déficiences ou l’absurdité de ce qu’il cherche à attaquer  

1.1.3. La sublimation

On entend par sublimation, la transformation des pulsions internes en des sentiments élevés, en de hautes valeurs morales ou esthétiques. C’est le processus par lequel la pulsion sexuelle échange le but sexuel originaire par un autre, non-sexuel, qui lui est apparenté et change d’objets en faveur d’autres objets socialement plus valorisés. La sublimation, pour être effective, tient compte du côté négatif afin de le transformer en un point positif et le hisser au sommet de toute considération. C’est le cas d’Ateba qui ne veut plus être un objet sexuel des hommes car elle aspire à être une femme digne pleinement accomplie.

1.1.4. La victimisation

Il s’agit d’une maltraitance infligée à une personne, à la suite de laquelle elle se transforme en victime effective de l’acte délibéré, en d’autres termes, d’un acte de violence morale ou physique. En effet, la définition peut se prêter à l’ambiguïté : maltraiter quelqu’un ou transformer quelqu’un en victime. La victimisation est un type d’argument d’accusation qui se traduit par la construction d’un énoncé discursif.

2. Approche méthodologique

Le cadre méthodologique nous permet de présenter la démarche scientifique que nous avons adoptée pour réaliser notre recherche et atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés.  Dans le cadre de notre travail, nous adoptons l’approche sémiologique de l’œuvre de C. Beyala. Pour cela, nous allons observer les mécanismes des formes d’écriture à partir du texte et analyser les conditions de production du sens à l’intérieur du texte. Notre analyse cherche ce que le roman de C. Beyala signifie et comment il le signifie.

Loin de nous la prétention de paraître comme les premières personnes à mener une étude sur le féminisme, encore moins sur l’œuvre romanesque de Calixthe Beyala. Bien des travaux y ont déjà été produits, comme ceux de :

– Augustine H. Asaah en 2006 avec son œuvre intituléeCalixthe Beyala ou le discours blasphématoire au propre,  dans la mesure où la peinture de la société postcoloniale passe immanquablement par la dénonciation satirique.

–  A. Ndongo Kamdem dans son article « Stratégies de libération de la femme chez Lynn Mbuko, Unimna Angrey et Ihechi Obesike : une étude comparée » en 2014, l’auteur dénonce les espoirs perdus de la femme et le destin précaire de celle-ci dans une société où le pouvoir de décision est entre les mains de l’homme.

– A. Ndongo Kamdem en 2013 avec son article « La représentation de la femme chez Mariama Ba et Calyxthe Beyala: entre religion et  sécularité ». Chez l’une comme chez l’autre, la femme enjambe la marge pour retrouver l‟homme au centre et lui arracher ses droits dans une démarche libérale et accommodationniste.  La femme évolue de la périphérie au centre, non pour quémander sa dignité, mais pour lui assigner une place définitive, l’obliger à coucher à ses pieds (Beyala 118) ou, au mieux, l’abandonner “aux incuries humaines” (Beyala 118).

3. Approche analytique

Notre analyse thématique aborde l’écriture de la dénonciation et de la revendication sous une approche sémiologique. En plaçant la femme au centre de sa fiction, Calixthe Beyala la libère des contraintes entretenues généralement par l’homme.

3.1. La dénonciation à travers la victimisation

Il serait opportun de préciser qu’à travers C’est le soleil qui m’a brulée, Beyala part en guerre contre un certain nombre de préjugés phallocratiques et discriminatoires, ainsi que les pratiques traditionnelles « néfastes » à l’encontre de la femme. Elle dénonce ces pratiques et préjugés à travers les techniques de la victimisation de la femme.

3.1.1. La femme victime de son personnage

La victimisation est la tendance, pour un personnage, de subir des injustices ou des atrocités de part des autres, de toujours être privé de ses droits fondamentaux et légitimes. C’est aussi la manie de toujours attribuer aux victimes la responsabilité de la situation qui leur arrive ; ce qui correspond au phénomène de « double victimisation ».

La notion de victimisation vient du concept victime dont Y. Grinshpun (1) rappelle quelques dispositions de sens, en ces mots :

« Victime » et ses dérivés (victimaire, victimolâtre, victimiser) renvoient à des réalités socio-psycho-discursives très variées dont on trouve les manifestations dans un grand nombre de discours allant du discours ordinaire aux discours scientifiques ou juridiques. La dénomination de « victime » couvre un large spectre de réalité sociales : des victimes du terrorisme aux victimes du photovoltaïque, en passant par les victimes des violences verbales, du racisme, du sexisme, de catastrophes naturelles, des maladies […].         

Selon Y. Grinshpun (10), « La victimisation est un mot récent » qui « […] semble renvoyer soit à un rapport problématique entre un groupe humain et la société ou entre deux ou plusieurs groupes ».  Néanmoins, pour Y. Grinshpun, « La victimisation devient ainsi un phénomène social, psychologique et discursif caractéristique du fonctionnement de la société démocratique occidentale » (10). 

En précisant les contextes entraînant la situation de victime, Y. Grinshpun (2) écrit :

La figure victime s’inscrit dans l’histoire qui remonte, pour la culture occidentale, aux discussions théologiques du début du christianisme. Sa place et sa perception varient en fonction des contextes socio-historiques, des valeurs collectives et surtout des émotions que « la victime » provoque. La victime, dans cette perspective, apparaît comme une construction sociale, élaborée par l’ensemble des discours, des représentations, des croyances et des émotions d’une époque donnée. 

La victimisation est assez palpable chez Beyala dans la manière dont la femme est traitée par les hommes et autour d’elle et, dans C’est le soleil qui m’a brulée, l’héroïne Ateba est, tout au long du roman, victime de la phallocratie. L’auteure victimise son héroïne en catégorisant cette victimisation depuis, le titre de son roman.

3.1.2. La femme victime sentimentale

Dans le roman à l’étude de Beyala, la victimisation sentimentale est inspirée de « cantique des cantiques » de Salomon : 

Le malheur, l’égarement et les tares du sujet Ateba sont dus à une force impérieuse et aveugle, en l’occurrence le soleil (…) De plus, le registre de la chaleur perceptible dans le titre traduit l’acuité de l’oppression verticale et rigide, cosmique et sidérale, ce qui conduit à une remise en question de la justice paternaliste divine » :

Je suis noire et pourtant belle, fille de Jérusalem (…)

(…) Ne prenez pas garde à mon teint basané ».

  C’est le soleil qui m’a brulée[1]

Le soleil ici représente l’entité ultime symbole de force et de merveille. La beauté et l’élégance de la femme africaine proviennent des rayons lumineux du soleil. Celui-ci donc assimilé à l’espoir ultime de la femme.      

3.1.3. La femme victime de la nature

La victimisation naturelle n’est ni l’œuvre d’un homme ni d’un parent. Dans son article, Augustine Asaah (163) fait remarquer :

Le malheur, l’égarement et les tares du sujet Ateba sont dus à une force impérieuse et aveugle, en l’occurrence le soleil (…) De plus, le registre de la chaleur perceptible dans le titre traduit l’acuité de l’oppression verticale et rigide, cosmique et sidérale, ce qui conduit à une remise en question de la justice paternaliste divine.

Cette victimisation de la femme que Beyala montre, à travers le titre de son roman, est d’autant plus prégnante dans le déroulement des évènements Celle-ci décrit les femmes en proie à des violences naturelles (le soleil) 

3.1.4. La femme victime corporelle 

Une telle violence est manifeste entre femmes elles-mêmes. Celle-ci est avant tout domestique car elle met aux prises Ada et Ateba. De retour d’un rendez-vous avec Jean Zepp, Ateba fait face à la colère et au mécontentement d’Ada, sa tante, suite à sa sortie. L’extrait suivant l’illustre :

Elle franchit le seuil. Hypnotisée par l’éclat blanc du ciel, elle ne voit pas la main qui s’abat sur elle et la projette contre le mur. D’où tu viens maquillée comme ça ? Ada ne lui laisse pas le temps de répondre. Elle la cravate (…) Ateba saigne du nez et de la bouche. (…) Je veux la tuer. (Beyala 64)

Des coups, des gifles, encore et en encore car à chaque manquement, à chaque égarement, le corps d’Ateba est soumis à l’épreuve de la la punition corporelle.

Nous lisons dans le comportement d’Ada son refus d’accorder une certaine liberté à sa fille Ateba. Bien qu’elle soit déjà majeure, Ateba ne peut en aucun cas décider de sa propre destinée. Ada l’éduque pour qu’elle ne se détourne pas de la tradition et soit comme elle qui a suivi l’exemple de celles qui l’ont précédée. Cela fera en sorte que « la chaine de transmission comportementale ne soit jamais rompue ».  La tante s’érige en gardienne de la tradition.

3.1.5. La femme victime familiale

La victimisation familiale est représentée ici par la condition dans laquelle se trouve Ateba et qui témoigne du cadre familial africain, surtout quand on est orphelin. Généralement, en Afrique, les enfants orphelins vivant sous le toit d’autres membres de la famille subissant des maltraitances domestiques en accomplissant des corvées. Ateba n’échappe pas à cette réalité sous le toit d’Ada. Elle est réduite à une fille accomplissant les tâches ménagères sous la contrainte de sa tante Ada. C’est seulement au prix de ce dur labeur qu’elle recouvre le repos. Pour preuve, la narratrice (C. Beyala 80-81) souligne :

Toute la journée elle prend soin d’eux [Ada et Yossep]. Elle lave. Elle masse, elle rapièce (…) Elle a dit « Mâ, puis-je aller me coucher ? » Tu as versé mon bain ? Elle a dit oui. Et celui de ton père ? Elle a encore dit oui (…) « Bien tu peux bien y aller n’oublie pas de te réveiller très tôt demain.

Nous comprenons par-là que le soir, ce n’est qu’une fois après avoir pris soin de sa tante Ada et de son amant Yossep qu’Ateba est autorisée à aller se coucher. Ainsi, le corps d’Ateba ne lui appartient nullement. Chez Beyala, écrit O. Cazenave (181) « le corps reste à la périphérie du roman en tant qu’élément de la souffrance du personnage ». Le test de l’œuf qu’elle subit au retour d’une sortie avec Jean Zepp apparait telle une vraie humiliation et une souffrance : « Elle [une vieille] demande à Ateba de s’accroupir et d’enlever sa culotte (…). La voix chevrotante de la vieille clamant qu’elle est intacte la sort de l’engourdissement torpide ». (Beyala 69)

A l’instar d’Ateba, nombre de personnages féminins sont victimes de ce rite dans plusieurs romans africains. A titre d’exemple, nous évoquons a Brise du jour de L. Dooh-Bunya qui raconte l’histoire de Zinnia, grandit dans un milieu social semblable à celui d’Ateba où l’on considère la virginité comme la clé du bonheur conjugal.

C’est ainsi qu’elle est obligée de subir chez une matrone un contrôle humiliant. Elle en fait un reproche à sa mère :

Je n’oublierai jamais cette humiliation. Jamais je n’oublierai que tu m’as trainée chez une matrone pour me faire examiner, afin de t’assurer que j’étais vierge. (Dooh-Bunya 192).

De même, dans L’homme qui m’offrait le ciel, Calixthe Beyala nous dit que son héroïne en était aussi victime à l’âge de quatorze ans (Beyala 42). Dans la culture camerounaise, la pratique de l’œuf est une manière de s’assurer de la virginité de la jeune fille. Elle voit dans cette pratique une véritable atteinte à son épanouissement.

Dans C’est le soleil qui m’a brulée, la victimisation est plus patente dans la description des faits violents. En raison de sa présence accablante dans notre texte, la violence et son impact sur le corps de la femme fonctionne comme une ligne directrice de notre analyse. La violence dont il s’agit est celle que la nature, l’homme et la famille font subir à la femme. Représentée par l’élément cosmique « étoile », la femme est décrite comme cet être qui, par amour, refléte   la « lumière » sur l’homme qui en avait besoin. Le mythe utilisé par Beyala met en évidence le côté brutal et agressif de l’homme. A propos, B. Rangira Gallimore (65) fait remarquer ce qui suit :

C’est par la malice et l’égoïsme masculins que l’étoile féminine fut emprisonnée sur terre. Cette étoile éteinte, symbole féminin, est privée de sa propre lumière pour n’être que le reflet du soleil. L’étoile-femme, qui auparavant illuminait les cieux, n’est plus source de lumière et de vie. La légende nous est sans doute racontée pour retracer l’origine de la dépendance féminine et de la supériorité masculine. 

De ce mythe, se dégage la logique relationnelle de l’homme et la femme : l’homme est celui qui commande, et la femme n’est que celle qui exécute et suit à la lettre les ordres, venant de l’homme. D’ailleurs, cet acte de soumission est l’émanation de Dieu (Beyala 51) : « Dieu a sculpté la femme aux pieds de l’homme ».  Cette « croyance » est reprise dans Maman a un amant (Beyala 47) :

La femme est née à genoux aux pieds de l’homme. Une évidence inscrite autant qu’une liberté. Sentiment confortable donné par l’habitude qui valle par la foi (…) Là-bas, dans mon pays [c’est la narratrice qui parle] j’ai baissé les yeux devant mon père, comme ma mère avant moi, comme avant elle ma grand-mère. Les hommes ont ordonné ‘’Prends, donne, fait’’. Les femmes obéissaient. Ainsi allait la vie.

Nous voyons par-là que la soumission de la femme est un principe divin. Dans ce premier roman de Beyala qui constitue en même temps son cri d’alarme, nous découvrons que le pouvoir qu’a l’homme de dominer sur la femme est consacré par le rite de la circoncision. En effet, l’homme, dès son bas âge, reçoit lors de la cérémonie de la circoncision, le bâton du commandement qui l’érige en un être supérieur par rapport à la femme ; et, fort de cette position, l’homme se donne le droit de violenter la femme. 

Dans cette optique, la femme est chosifiée, prise bien de fois comme un simple objet de plaisir. Nous le voyons à travers ce qui arrive à Ateba lors d’une descente policière au QG, celle-ci est victime d’un viol commis par un agent des forces de l’ordre. L’extrait ci-après (Beyala 93) le décrit :

Suis-moi ! La peur dans l’âme, elle l’a suivie. Il l’a conduite dans un hangar désaffecté. (…) Ateba coule dans ses bras, le divorce du corps et du corps doit être consommé. (…) Elle s’est jetée dans le soleil après avoir donné au « sergent » son minimum de respect.

Le passage ci-dessus met en évidence la perversité sans retenu de celui qui est censé établir l’ordre et maintenir un climat de paix dans la société. Cette situation trahit le climat d’insécurité dans lequel évolue la femme. 

Dans ce contexte, la romancière Beyala choisit et peint le viol comme moyen de victimisation, parce que cet acte touche à l’intimité, à la dignité et à la liberté de la femme. Pour Beyala, un pénis en érection est dans ce cas, une arme de destruction impitoyable. Cet aspect tragique est davantage dénoncé dans une autre séquence d’une crudité dégoutante (Beyala 151):   

Il lui plie le bras dans le dos et l’oblige à s’agenouiller devant lui. (…) Il l’empoigne par les cheveux, il la force, elle résiste la bouche pleine de sa chair. (…) Il va tout au fond avec des petits coups secs, rapides. Il souffle, il râle, elle le reçoit, la nausée dans le ventre.

            Ce viol se produit dans un contexte difficile pour Ateba. Marquée par la disparition d’Irène, elle sombre dans la prostitution. Devenue prostituée dans le lieu de débauche nommé la « Sainte », Ateba rencontre un « client » qui lui propose de passer la nuit chez lui. Une fois là-bas, elle change d’avis et manifeste l’envie de rentrer chez elle. L’homme guidé par ses appétits sexuels la retient et accomplit l’acte sexuel contre son gré. Humiliée dans son for intérieur, Ateba se venge en tuant son agresseur.

C’est dans cette perspective que répondant à un journaliste lors d’une interview à propos de son style, C. Beyala (1988) affirme :

J’aurais pu connaître mes personnages sont le produit de mon imagination. Il s’agit d’une jeune fille de 19 ans, abandonnée par sa mère prostituée, et qui vit dans un bidonville d’Afrique. Elle regarde cette société où les femmes n’ont que la prostitution pour se défendre. Avec un œil critique, j’essaie de leur redonner confiance. Je ne suis pas loin de cette héroïne qui regarde. J’ai beaucoup observé et le fait de ne pas avoir de poids familial derrière moi, m’a donné plus de liberté vis-à-vis de la société. Personne n’étant responsable de moi, mes rapports se limitaient aux services que je rendais. En retour, on me donnait à manger. Donc j’avais le privilège de pénétrer dans tous les foyers et d’écouter les conversations… 

Cette écriture met en exergue la femme dans tout ce qui caractérise son univers social et personnel, son rapport avec elle-même, sa conception du combat. M. Ondo (2009, p.13), pour dessiner les contours de cette écriture souligne :

Penser l’action féminine pour elle-même, vivre et assumer la féminité sans complexe d’assimilation égalitaire aux attributions spécifiquement masculine, est l’orientation qu’elle tente de donner à sa création.

Dans les romans écrits par les femmes africaines comme La parole aux Négresses d’Awa Thiam (1978), Chant écarlate de Mariama Ba (1979) et La nièce de l’imam de Mandé Alpha Diarra, le personnage féminin, figure centrale de ces écrits, est souvent décrit comme un personnage-victime des us et coutumes du milieu traditionnel dans lequel il vit.

 3.1.6. La femme victime environnementale

La description de l’environnement où évolue le héros est beaucoup employé dans le roman réaliste, qu’il soit occidental ou africain. Elle s’applique surtout à des lieux et à des personnages. Représentation méticuleuse d’un être animé, d’un espace, d’un objet, etc., qui d’après la description, rend vivant et presque réel le contenu d’une œuvre.

Dans le roman de Beyala, la narratrice nous fait comprendre que cette périphérie croupit dans l’insalubrité. Ici, la dimension réaliste et naturaliste de l’écriture « beyalien » est palpable par sa propension à mettre en évidence le pathologique incrusté dans toute scène. Ainsi, la laideur, la sordité des lieux (…) sont rapportés avec crudité ».  L’extrait ci-après le confirme davantage (Beyala 137) :

Chaleur étouffante. Soleil accablant, un escadron des grosses mouches patrouillent au-dessus d’une montagne d’ordures. Des rats jouent à cache-cache. Des chiens et des chats pelés se disputent quelques détritus. Plus loin, assis sur la chaussée, un vieillard le visage creux, un régime de bananes entre les jambes guette l’arrivée d’un éventuel pousse-pousse en mâchant de la noix de cola.

Cette description, qui met l’accent sur les grossesses, les hurlements, la crasse, le sang et l’ivresse, témoigne du « paradigme de la ruine d’une population exclusivement masculine ».  Cela dit, l’environnement décrit participe à la destruction de la femme puisqu’il existe une sorte de parallélisme entre cet environnement et le personnage. A titre illustratif, la romancière (Beyala 11) écrit :

Chaleur humide. Ciel hypnotique. Les façades de maison ressemblent à des vieilles ridées et les vieilles dames ressemblant à de vieux bidons rouillés, les uns comme les autres rangés par la vie, momifiés par la tente de la vie.

Ces comparaisons confirment la situation précaire de la femme dans une société rangée par la misère. Outre la description des lieux, Beyala se donne également pour tâche, la description des personnages. Le personnage féminin est le plus décrit en raison de la visée de l’écrivaine : le combat féministe. Ainsi, l’auteure souligne la beauté corporelle de la femme, une de ses caractéristiques essentielles. Dans cette optique, l’héroïne du roman nous est décrite par la narratrice en ces termes : « J’ai connu Ateba lorsqu’elle entrait dans sa dix-neuvième année. Tous s’accordaient à la trouver belle (…), j’étais d’accord pour dire qu’elle était belle » (5).

La beauté d’Ateba rappelle celle de la jeune fille noire décrite dans « Cantique des cantiques » cité dans le paratexte de C’est le soleil qui m’a brulé.  Elle est une vraie femme africaine, agissait tel qu’il était recommandé dans la société traditionnelle car, toute l’année, dès que se levait son rideau gris, elle s’asseyait sur un banc, accomplissait le geste du réveil de la femme et donnait l’oreille à Combi la voisine.

En plus de cela, l’œuvre beyalienne » fait la description de nombreuses scènes érotiques de l’héroïne :

La porte à peine franchie, il la prend dans ses bras et lui impose un lourd baiser (…) J’ai envie de me fondre en elle… Dépêche-toi. Elle obéit (…) Que tu es bonne ! dit-il en amorçant un va- et vient savant. Tu as du rythme dans les reins. (150)

Cette scène érotique dévoile le comportement de l’homme dans l’acte sexuel. Celui-ci étant agressif et violent, la femme subit sa perversité. La description participe ainsi à l’engagement et de la sorte, Beyala dénonce les violences faites aux femmes. Cette description nous pousse à découvrir la caricature (une autre forme de la description violente) qu’elle fait de l’homme.

3.1.7. L’homme victime de la caricature

Pour une fois, l’homme devient la cible de la femme. Dans l’œuvre romanesque de Calixthe Beyala, les hommes sont peints comme des phallocrates, des désarticulés, des obsédés, des masochistes, des « diabolisés ». Une telle peinture témoigne du sarcasme qui, dans C’est le soleil qui m’a brulée, atteint des proportions considérables. D’ailleurs, à ce propos, A. Teko-Agbo (42) souligne que « l’élan passionnel qui transporte [le discours de Beyala] fabrique une autre idéologie de l’excès ». Cet excès est présent dans la caricature que la romancière fait de ses personnages masculins dans son roman. C’est le cas de Jean Zepp qui a « des lèvres épaisses, l’œil rieur, les mains poilues » (Beyala 14).  Il en est de même du soldat qui s’apprête à violer l’héroïne lors d’une descente des agents de l’ordre au QG. L’auteure (93) le caricature en ces termes : « Grand avec des biceps comme des buches et des jambes comme des poutres. Il suinte la violence, le crime […] Aux épaulettes rouges elle a compris que le Kaki était caporal-chef. » 

Etant celui qui tient le bâton du commandement, l’homme est dans l’œuvre romanesque de Beyala celui qui soumet la femme aux brimades et aux injustices. Il est l’agent d’aliénation par excellence. C’est la raison pour laquelle la romancière le réduit à son sexe, ses obsessions, sa corruption et sa volonté constante de n’entrevoir en la femme qu’un instrument de plaisir. Surtout que l’homme est décrit comme un idiot avec une idiotie entre les jambes.A. Kom (1996) constate que chez Calixthe Beyala l’homme est un être désaxé, dégradé et animalisé du fait de sa lubricité et de ses fourberies.

Avec Beyala le recours à la caricature semble être un acharnement contre la gent masculine, un acharnement qui ressemblerait à l’appel à une prise de conscience pour une « redéfinition de la masculinité ». Au-delà de la caricature, Calixthe Beyala se veut aussi satirique.

3.1.8. La femme victime de la satire

L’œuvre de Beyala est fortement marquée par la satire. Cette satire entend dénoncer ou condamner le comportement des jeunes filles qui éprouvent un certain « complexe racial » en se faisant blanchir la peau au moyen des produits cosmétiques. L’auteur tourne en dérision cet acte en écrivant (67) : « Et qui va défendre nos valeurs ? interroge, railleuse, une petite grosse, peau teintée à l’ambi[2] et mains décapées à l’asepso ».[3]

Ici, la raillerie de cette femme représente celle de l’auteure. Pourquoi se « maquiller », c’est-à-dire se dépigmenter (c’est ce que cela signifie dans le français congolais), alors que cette peau est aussi belle, c’est d’abord par ignorance, ensuite par complexe. La femme noire oublie que la vraie beauté est de l’ordre du naturel, que la peau noire est la plus belle de toutes les peaux qui existent ainsi que le soulignent W. E. Burghardt Du Bois (1915) et L. S. Senghor (1945) respectivement dans The Negro  pour l’un et Chants d’ombre pour l’autre, d’autant plus que le noir est « la somme de toutes les couleurs ». Cette nouvelle tendance des jeunes filles est également dénoncée par D. Biyaoula (84) dans L’Impasse, où la sœur de Joseph Gâkatuka, personnage principal, la justifie en ces termes :

C’est trop bizarre ce que tu me demandes là ! … Ça se passe comme ça ici, toutes les femmes font (la dépigmentation et le défrisage des cheveux) ! … C’est la mode !… Ça embellit !… Si je ne le faisais pas, je n’aurais aucun succès !.

En outre, la satire participe à la démystification de l’homme avec la facette de bourreau de la femme. C’est ce que nous relevons par exemple lorsqu’Ateba appréciant son premier client au bar « La Sainte » le juge dérisoire.Ayant elle-même choisit de se prostituer, la narratrice (Beyala 131) raconte que son client : «.. est ridicule avec ses chaussettes à mi- mollet, sa chemise qui coupe ses fesses en deux comme deux demi-cocos, et cette flèche qui pointe de son bas-ventre ».Une telle satirecontribue à descendre ledit client, aux airs si supérieurs, au niveau de la femme vendeuse de sexe.

Comme toute écrivaine, Calixthe Beyala recourt à l’écriture satirique pour dénoncer la condition de la femme en Afrique et le complot de l’homme dans cette marginalisation. Ainsi, dans l’analyse des techniques de dénonciation, nous avons pu mettre en évidence la tendance à la victimisation, la description, la caricature et la satire qui témoignent de cette dénonciation.

Cette analyse des techniques de dénonciation nous mène tout droit vers celles de sublimation qui, par contre, réhaussent l’image de la femme.

3.2. Les techniques de sublimation

Dans le champ de l’écriture, les techniques de sublimation sont un ensemble de formes d’énoncés qui annoncent le dénouement heureux d’un événement ou d’un personnage. La sublimation est la transformation des pulsions internes en des sentiments élevés, en de hautes valeurs morales ou esthétiques.

Un manifeste paru en 1970, l’Alliance des Femmes du Tiers-Monde justifie notamment la revendication de la femme africaine en ces termes :

La femme noire demande une nouvelle gamme de définitions de la femme, elle demande à être reconnue comme une citoyenne, une compagne, une confidente et non comme une vilaine matriarche ou une auxiliaire pour fabriquer des bébés » (Alliance des femmes du Tiers-monde, Manifeste des femmes noires. USA, 1970, CD Rom Kiwix).    

Dans le cas de Calixthe Beyala, les techniques de sublimation interviennent pour sublimer la femme et traduire le rêve d’un avenir meilleur pour celle-ci. Mais elles s’inscrivent dans une logique dichotomique. L’auteure sublime la femme, pour opposer, de manière générale, ses qualités aux défauts de l’homme. Ainsi, il s’agit de l’analogie et du rêve ascensionnel.

3.2.1. La femme sublimée par l’analogie.

Dans C’est le soleil qui m’a brûlée, Beyala recourt à l’analogie, pour sublimer la femme, en marquant sa supériorité naturelle sur l’homme. Dans ce sens, elle cherche à détruire le stéréotype relatif à l’infériorité divinement consacrée de la gent féminine sur tous les plans de la vie. Aussi présente-t-elle la femme comme un astre céleste, en référence à un mythe. A propos, elle écrit : « La femme était une étoile et scintillait nuit et jour dans le ciel » (146). La romancière compare la femme ici à une étoile. L’étoile est connue pour sa luminosité, sa limpidité, sa splendeur et sa beauté raffinée dont tout le monde s’émerveille. Cela dit, chez Beyala, l’être féminin devient une « femme-étoile » qui est venue sur terre pour délivrer l’homme de la souffrance qu’il portait, l’inspirer et le diriger tant soit peu. Ce sont donc ses instincts magnanimes qui l’ont poussé à venir en aide à l’homme en lui apportant « des containers de lumière », en lui donnant « la lumière et l’amour en abondance », car il en avait vraiment besoin pour sa survie. Ainsi, cette étoile-femme apparait pour lui telle une véritable force salvatrice. 

Mais, comme l’homme est de nature égoïste et agressif, il a longtemps retenu cette étoile captive sur terre, au point qu’elle perd de sa luminosité. D’où le souci, chez Beyala, de retrouver cette lumière.  La recherche de la lumière devient donc une démarche tout à fait logique et normale visant à faire en sorte que cette étoile ascensionne jusqu’aux cieux pour retrouver sa vraie place et son vrai statut, une fois sortie de la boue dans laquelle elle s’est trouvée plongée. La boue symbolise ici le frein, un élément qui empêche la femme d’entreprendre son ascension. Ainsi, l’homme en est la source même de la vomissure et de toute matière gluante à l’origine de l’immobilité. L’assimilation du corps de l’homme à de la boue, par Ateba, en est vraiment la symbolique, d’où l’expression « collant comme de la boue après l’orage ».

La sublimation chez l’auteure consiste à placer la femme sur un piédestal où son indépendance et sa reconnaissance semblent être acceptées. Et l’homme, de ce fait, est rabaissé, diminué au rang de ses incuries et de ses appétits sexuels. Ainsi, l’analogie fait partie des procédés que Calixthe Beyala emploie, pour sublimer son discours au même titre que le rêve ascensionnel. 

3.2.2. La femme sublimée par le rêve ascensionnel

Parlant du rêve de la femme être l’égale de l’homme devenu une lutte acharnée, C. Klein-Lataud (13) souligne :

Lorsque la femme laissait ignorer son existence, il était encore compréhensible qu’on l’annulât, mais aujourd’hui qu’une force ascensionnelle la pousse à rejoindre son devancier l’homme, il n’est plus permis au dictionnaire de l’oublier. La nouvelle ère qui commence pour la femme oblige à inventer des expressions s’adaptant à sa condition.

Dans C’est le soleil qui m’a brulée, Calixthe Beyala décrit des femmes fortes de caractère qui, malgré leur exclusion dans la vie active de la société, espèrent en des lendemains meilleurs. C’est le cas d’Ateba qui lutte contre la domination masculine. Symboliquement, son combat qui, certainement, est aussi celui de l’auteure revêt une dimension universelle, car il s’agit de sauver la femme sans distinction de race ni de culture. Ainsi, Ateba (Beyala 21) décrète trois règles essentielles pour ne plus « coudre sa présence autour de l’homme » :

« Règle n°1 : Retrouver la femme

Règle n°2 : Retrouver la femme

Règle n°3 : Retrouver la femme et anéantir le chaos ». (88)

Ces trois règles illustrent l’envie de la femme de se libérer de l’oppression de l’homme afin d’établir avec celui-ci une relation où il n’y aurait ni dominant, ni dominé. Ces trois règles deviennent des « certitudes » pour cet affranchissement. C’est la raison pour laquelle la narratrice (Beyala 10) précise que « Ateba dit que la femme doit cesser de faire l’idiote, qu’elle devrait oublier, et évoluer désormais selon trois vérités, trois certitudes, trois résolutions. Je les connaissais »

Dans son ouvrage consacré à l’écrivaine, B. Rangira Gallimore (130) interprète ces trois certitudes comme suit : « revendiquer la lumière, retrouver la femme et abandonner l’homme aux incuries humaines ».  L’adoption de cette trajectoire par Ateba et son invitation faite à ses congénères femmes de faire ainsi sont logiques, au regard du fait qu’elle-même et d’autres subissent pathétiquement l’autorité des hommes qui les manipulent sur le plan sexuel. Ainsi, parlant d’Ekassi et de Betty, la narratrice dit (Beyala 122) : « Toute leur vie (…) [elles] ont dansé pour les hommes, des milliers d’hommes qui ont écartelé leurs chairs ».

De toute évidence, l’héroïne développe le discours susmentionné pour faire en sorte que la femme ne se retrouve plus aux fourneaux « préparant des petits plats idiots pour un idiot avec une idiotie entre les jambes » (122). En abolissant la marge où l’avait maintenue l’homme, Ateba cherche à occuper le centre pour officier et légiférer au même titre que l’homme. De ce point de vue, l’écriture de Beyala se veut un coup de force qui vise à propulser la femme au-devant de la scène et faire d’elle l’actrice principale de son destin. Ainsi, pour A. Ndongo Kamdem (26), l’homme cesse d’être une nécessité, l’essentiel pour correspondre juste à une :

… simple contingence, un simple élément paradigmatique. L’indignation d’Ateba en est révélatrice quand Irène lui dit « rêver » d’une vraie maison à elle, avec un homme et des enfants : « – tu supporteras toi, le poids d’un homme à longueur de journée, à longueur de l’année » lui rétorque Ateba. Malgré l’oppression dont elle est victime, la femme se tourne vers l’avenir et rêve d’un « Jour faste ! Jour prospère ! (…) Jour prodigieux (…) Jour lumineux, crépuscule sans homme » jour où la femme va « apprendre à se passer de l’homme ».

Conclusion

L’analyse sémiologique de l’œuvre de C. Beyala nous a permis de mettre en évidence la manière dont la femme subit le poids des évènements et de l’oppression de l’homme au moyen des techniques de dénonciation. Celles qui sont relatives à la sublimation ont eu l’avantage de nous aider à saisir le combat de la femme en mettant l’accent sur des canons d’une probable libération de celle-ci, comme en ont rendu compte quelques éléments du discours engagé de l’auteure mis au service du combat féministe. C’est à travers certains aspects un style argumentatif transgressif et carnavalesque que l’auteure s’engage à dé-construire l’hégémonie du patriarcat, dans un contexte où la femme est consacrée « reine des fourneaux, pour préparer des petits plats idiots à un idiot qui porte une idiotie entre les jambes » : l’homme ! (Beyala 122)

Travaux cités

Asaah, Augustine H. « Calixthe Beyala ou le discours blasphématoire au propre » in Cahiers d’Etudes africaines, n°181, vol.1, Paris, Éditions de l’EHESS, 2006, p. 157-168.

——— « Calixthe Beyala ou le discours blasphématoire au propre », Cahiers d’études africaines, 2006, [En ligne], 181 |, mis en ligne le 01 janvier 2008, consulté le 07 mai 2022.  URL : http://journals.open edition.org/études africaines/15166 ; DOI : https://doi.org/10.4000/etudes africaines.15166

Ba, Mariama. Une si longue lettre. Dakar, Nouvelles éditions africaines.

Barthes, Roland. « Analyse structurale du récit », Communications 8, 1979, Paris, Armand Colin, 1966, p. 7-57.

Beyala, Calixthe. C’est le soleil qui m’a brulée, 1987, Paris, J’ai lu.

Biyaoula, Daniel. L’Impasse, 1996, Paris, Présence Africaine.

Bendjelid, Faouzia.« Le discours de la dénonciation dans le roman « Tombéza » de Rachid Mimouni », in Insaniyat, 14-15, 2001, p. 175 – 187

——— « L’écriture de la rupture dans l’œuvre romanesque de Rachid Mimouni », in  Insaniyat, N° 37, septembre, 2007.

Cazenave, Odile. Femmes rebelles. Naissance d’un nouveau roman au féminin, Paris, L’Harmattan, 1996.

Diarra, Alpha Mandé. La Nièce de l’imam, Paris, Présence africaine, 1981.

Dooh-Bunya, Lydie. La Brise du jour, Yaoundé, CLE, 1977.

Du Bois, William Edward Burghardt, The Negro,   New York, Henry Holt, 1915.

Iori Saint-Martin. « Critique littéraire et féminisme : par où commencer ? », Québec français, (56), 26-27, Décembre, 1984.       

Klein-Lataud, Christine. « Personne du sexe et sexe de la personne au XIXe », Théories et pratiques sémiotiques, volumes 20 numéro 3 automne 1982, Québec, Protée, 1992, p. 9-16.

Kane, Cheikh Hamidou. L’Aventure ambigüe. Paris, Editions Julliard, 1961.

Kom, Ambroise. « L’univers zombifié de Calixthe Beyala » in Notre Librairie, n°125, Paris, 1996, p. 64-71.

Ndongo, Kamdem Alphonse. « La représentation de la femme chez Mariama Bâ et Calixthe Beyala : Entre religion et sécularité » in International Journal of Humaties and Social Invention, Volume 2/Issue 10, Nigeria, Université de Uyo, 2013, p. 24-30. 

Ndongo, Kadem Alphonse. « C’est le soleil qui m’a brulée de Calixthe Beyala : un titre à la recherche d’un récit » in International Journal of Humaties and Social Invention, Volume 1, Issue.3, Décembre 2014, Nigeria, Université de Uyo, p. 1-12.

Odjola, Régina Véronique. « Analyse sociocritique de l’écriture féministe dans C’est le soleil qui m’a brûlée de Calixthe Beyala», Sous la direction de Daouda Pare et Elisabeth Yaoudam. Préface de Nadia Setti (dir.), in : Métamorphoses féminines. Émergence et évolutions dans les littératures francophones contemporaines, Paris, Editions des Archives Contemporaines, 2019,  p. 161-171.

Odjola, Régina Véronique et Mfoutou Prisca Aubain. « Niveaux de langue et idiolecte dans C’est le soleil qui m’a brûlé de Calixthe Beyala », in : Les Incunables, Revue congolaise des sciences de l’information et de la communication, N°3, ISSN 2414-4290, décembre 2018, Congo, 2018, p. 373-390.

Rangira, Gallimore Béatrice. L’œuvre romanesque de Calixthe Beyala : le renouveau de l’écriture féminine en Afrique francophone sub-saharienne, Paris, L’Harmattan, 1997.

Sembene, Ousmane. Les Bouts de bois de Dieu. Paris, Presses Pocket, 1994.

Teko-Agbo, Ambroise. «Werewere Liking et Calixthe Beyala. Le discours féministe et la fiction », Cahiers d’études africaines, vol. 37, n°145, 1997, p.39-58.

Thiam, Awa. La Parole aux Négresses, Paris, Denoel-Gontier, 1978.

Comment citer cet article :

MLA : Odjola, Régina Véronique. « Le discours de la dénonciation et de la sublimation dans C’est le soleil qui m’a brûlée de Calixthe Beyala ». Uirtus 2.1. (avril 2022): 316-336.


§ Université Marien Ngouabi / [email protected]

[1] Passage tiré de la Bible dans le livre Cantiques de cantique au chapitre 1, verset 5 et 6.

[2] C’est la marque d’une pommade que les femmes africaines s’oignent pour se décaper la peau pour qu’elle soit claire comme celle des femmes blanches ou métisses.

[3] Marque de savon pour se décaper la peau.