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Le prince Fama dans Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma : Des honneurs à l’horreur

Introduction             

Les ouvrages d’Ahmadou Kourouma, en de nombreux cas, créent un effet de mobilisation des regards et des sens. Ses héros sont asservis à une espèce de captation visuelle et sensitive sous laquelle ils incarnent, soit une image élogieuse, soit une figure abracadabrante, voire malsaine selon qu’ils sont présentés sous un angle positif ou négatif. L’analyste s’efforce ainsi de saisir l’aspect ou l’affect significatif de ces personnages, dont les apparitions ne font pas mystère d’une idéologie militante. Dans Les soleils des indépendances, en effet, le monde des indépendances apparaît comme la fin d’un univers authentique où les honneurs et la solennité des insignes semblent avoir fait place à l’horreur.

L’honneur présente ici une polysémie confligène. Néanmoins, le Dictionnaire de Furetière et le Dictionnaire de l’Académie française s’accordent sur le fait qu’il désigne toute reconnaissance sociale d’une attitude vertueuse[1]. Cette reconnaissance peut prendre la forme volatile de l’estime publique et de la réputation, ou bien celle de l’octroi d’honneurs, c’est-à-dire de l’attribution de charges d’autorité et de pouvoir, entraînant l’attribution de privilèges matériels et de droits accrus de préséance.  

Selon Le Grand Robert de la langue française, l’horreur est une « impression violente causée par la vue ou la pensée d’une chose qui fait peur ou qui répugne (souvent accompagnée par un frémissement, un frison, un mouvement de recul). (https ://www.lerobert.com)  

La présente contribution part du constat que les notions d’honneur et d’horreur affichent leur présence dans les textes romanesques africains à l’exemple de Les soleils des indépendances. Dès lors, des questions essentielles orientent et structurent la réflexion : L’honneur est-il un principe qui gouverne la vie du personnage-héros dans l’univers textuel romanesque ? Ce principe doit-il s’appréhender par son amarrage à la déviance ? L’honneur ne peut-il être pensé autrement que dans son rapport à l’horreur ? Si le rapport est établi, quels sont alors les mécanismes choisis dans le roman qui servent à créer l’effet d’horreur ?

Adossée à la sémiotique narrative et à la sociocritique, l’étude explorera quelques traits majeurs de l’honneur et l’horreur. Elle établira que le schème de l’honneur s’intègre dans la diégèse comme un principe qui régit la vie du personnage-héros. Ellemontrera deplus comment Fama prospère sur l’autel d’un devoir d’honneur que le romancier aliène dans la tragicisation de l’horrible.

  1. L’honneur : un principe qui gouverne le personnage-héros

L’honneur mobilise dans Les Soleils des indépendances les meilleurs suffrages du lecteur.S’il s’applique à des personnages satellites dans Les Soleils des indépendances, il reste un principe moral primordial pour Fama. Les relations du personnage-héros avec son époque « l’ère des Indépendances (les soleils des Indépendances, disent les Malinkés) » (Kourouma 7-8) tiennent des accointances solides avec la morale.Fama, qui ne comprend ni n’accepte son époque, ne se porte garant d’aucune analyse politique et historique, économique et sociologique. Il injurie, condamne ou s’enthousiasme. Il appréhende l’histoire en moraliste, selon les critères moraux qui procèdent des valeurs traditionnelles du peuple malinké.

  1. Fama et les honneurs : entre conservatismes et jactance

Barthes écrivait : « Le propre du récit n’est pas l’action, mais le personnage comme nom propre » (13), du moins peut-on reconnaître à la fois cette donnée de fait qu’il n’y a pas de roman sans nom propre, et, empiriquement, un fonctionnement de lecture, le rôle décisif des noms dans ce que Jouve a appelé « L’Effet-personnage ». Fama (ce nom signifie « roi », « chef ») a un besoin vital de considération et d’admiration. Quelques jours avant sa mort, il crie ce besoin aux hommes : « Regardez Doumbouya, le prince du Horodougou ! Admirez-moi…! ». (Kourouma 199). Il ne s’agit pas d’un défaut personnel d’orgueil : ce sentiment estle propre du chef, du héros, de se voir honoré, célébré. L’intrigue montrele héros saisi avec délectation les postures ou les scénarii de valorisation : « […] ; il avait le palabre, le droit et un parterre d’auditeurs […] » (Kourouma 13) et il apprécie avec volupté les salutations de ses vassaux : « Fama trônait, se rengorgeait, se bombait. Regardait-il les salueurs ? A peine ! » (Kourouma 113).

Les sentiments d’estime et de considération portés à Fama correspondentà un principe, celui de la dignité de la personne humaine et principalementde l’appartenance sociale. « Quelles que soient sa naissance et sa vacation, nul n’échappe au sentiment de la valeur de son propre être social ; nul n’échappe non plus au souci de la préserver […] aucune société traditionnelle ne saurait se concevoir sans des liens d’honneur entre ses membres. Le souci d’honneur partagé est consubstantiel à tout lien social viable et durable ». (Drevillon et Venturino,  www.pur-editions.fr ).

Or, dans la diégèse, celui-ci est remis en question par un métadiscourspeu élogieux : « Un prince presque mendiant, c’est grotesque » (Kourouma 11), « sous les soleils des Indépendances, les Malinkés honnissaient et même giflaient leur prince » (Kourouma 15) ou encore « Cette vie-là n’était-elle pas un soleil éteint et assombri dans le haut de sa course ? »  (Kourouma 29). En effet, la déconsidération, le mépris, l’humiliation, le déshonneur, la bassesse… bafouent l’honneur ou la respectabilité de Fama. Ce dernier fait des pieds et des mains pour protéger son intégrité, le respect qu’il a envers lui-même, « sa sphère idéale » des menaces extérieures. Or Fama ne peutgarantir l’inviolabilité de son honneursans s’en référer à l’altérité : « […] en bon Malinké, que pouvait-il chercher encore ? Il […] se déplaça […] se pavana de sorte que partout on le vit ». (Kourouma 13). L’inscripteur recourt aux verbes de mouvement « se déplacer », « se pavaner », à l’adverbe « partout » et au verbe de perception « voir », précédé de la locution conjonctive « de sorte que ». Ils mettent enévidence le désir d’élévation de Fama, surtout si l’on s’en tient à la sémantique qui entoure les mots guillemetés. Belorgey en déduit que« L’honneur est alors inséparable de l’espace public » (197) ; il correspond à la « face », à « La mise en scène de soi » (Goffman), « c’est nous faire croire tels que nous sommes [en vue d’être reconnus] ». (Billacois 79).

Par cette attache aux règles de l’être ensemble, Fama revendique l’attention ou la dévotiondes Malinkés et des non Malinkés. C’est pourquoi, selon Green, « l’honneur est étroitement lié à l’existence sociale ». (39) . L’opinion positive du groupe est une pièce importante du puzzle. Les honneurs de Fama, un authentique prince Doumbouya, équivalent alors à l’honneur ressenti, exigé et témoigné. Dilmaç souligne que « L’honneur apparaît alors comme un principe tourné vers le soi : il constitue un ensemble de valeurs, mais aussi une moralité choisie par les personnes en vue de donner un sens à leurs actions, mais surtout de protéger leur intégrité » (346). Fama, en effet, jubilait« quand […] les griots et les griottes chantaient la pérennité et la puissance des Doumbouya » (Kourouma 19). Animé de ces sentiments, Fama est en harmonie avec son personnage de chef, « car le héros se nourrit de poèmes et de musique qui l’exaltent, sinon il s’adoucit et se suicide ». (Kourouma acte I).

Pour mériter ces honneurs, Fama veille habituellement à la noblesse de son maintien. « Avec […] des gestes royaux et des saluts majestueux » (Kourouma 106), même s’il est parfois dérisoire, « dommage que le boubou ait été poussiéreux et froissé ! » (Idem). 

La narration donne de constater un autre fait : Fama ne perd jamais le sens aigu de la dignité de sa famille. À plusieurs reprises, on le voit marquer ce qui convient ou non à un Doumbouya : « un Doumbouya, un vrai, ne donne pas le dos au danger, se vanta-t-il » ; (Kourouma 164). C’est pourquoi, il est hors de lui quand « le petit douanier gros, rond, ventru, tout fagoté, de la poitrine aux orteils, avec son ceinturon et ses molletières », (Kourouma 104), ne lui témoigne pas la considération attendue :

Le dernier village de la Côte des Ebènes arriva, et après, le poste des douanes, séparant de la République socialiste de Nikinai. Là, Fama piqua le genre de colère qui bouche la gorge d’un serpent d’injures et de baves, et lui communique le frémissement des feuilles. Un bâtard, un vrai, déhonté de rejeton de la forêt et d’une maman qui n’a surement connu la moindre bande de tissu, ni de dignité du mariage, osa, debout sur ses deux testicules, sortir de sa bouche que Fama étranger ne pouvait pas traverser sans carte d’identité ! Avez-vous bien entendu ? Fama étranger sut cette terre de Horodougou ! (Kourouma 103-104).

Il se calme aussitôt quand on sait « distinguer l’or du cuivre » (Kourouma 104) et reconnaître en lui « le descendant des Doumbouya » (Idem). La reconnaissance vaut alors à Fama « les honneurs et les excuses convenables » (Idem).

Les honneurs de Fama peuvent se résumer selon Biard 2009 sous le vocable « d’honneur civique ». Il comprend toutes les civilités, mais aussi les éléments juridiques (tel le respect de l’Autre, celui de la dignité du personnage-héros). Loin d’être déraisonnable ou excessif, cet honneur pourrait alors être envisagé comme « promouvant la vertu » (Billacois 79). Cet honneur dit « civique », porté par les individus dits « Honorables » (Kourouma 100) dont Fama est le prototype, aurait son antithèse caractérisée par un autre type d’honneur, plutôt fondé sur la déviance.

  1. L’honneur du prince ou le paradoxe de la déviance

Sous la plume d’Ahmadou Kourouma, le monde des indépendances apparaît comme la fin d’un univers authentique. Il est une dégradation de l’univers traditionnel. Pour exemple, Fama, le prince d’hier, connu sous l’appellation de l’honorable, ne se retrouve plus ; non seulement, elles le dépossèdent, mais les indépendances suppriment les chefferies traditionnelles et réduisentles princes en « bande d’hyènes » (Kourouma 9), de mendiants en quête de pâture. « Fama Doumbouya, père Doumbouya, mère Doumbouya, dernier et légitime descendant des princes Doumbouya du Horodougou, totem panthère, était un vautour […] Ah ! les soleils des Indépendances ! » (Kourouma 9). Fama est réduit à sillonner les foules anonymes, de funérailles en funérailles, à la recherche de sa substance. « Il marchait au pas redoublé d’un diarrhéique » (Kourouma 9), bousculé par des badauds, « des badauds plantés comme dans la case de papa ». (Kourouma 9). Il transpire, menace, injurie, couvert d’un vacarme incroyable de « klaxons, pétarades des moteurs, battements des pneus, cris et appels des passants et des conducteurs ».  (Kourouma 10). L’honneur dit « civilisé » est rangé aux calandres grecques, la norme civique est désavouée : celle-ci prendrait forme dans la retenue des comportements. L’honneur désigné, en revanche, est « barbare », vil. Il renverrait à un comportement qualifié de déviant, un pur paradoxe. D’où ce parallèle entre la description qui en est faite et cette célèbre réplique chère à Kourouma : « lui, Fama né dans l’or, le manger, l’honneur et les femmes ! Eduqué pour préférer l’or à l’or, pour choisir le manger parmi d’autres, et coucher sa favorite parmi cent épouses ! Qu’était-il devenu ? Un charognard … ». (Kourouma 10). Ce terme de « charognard » engendre, par analogie, un registre lexical des attributs de Fama. Devenu pauvre, il vit des largesses des amis des défunts dont on célèbre les funérailles. La représentation ci-contre donnée à titre illustratif est appuyée par un commentaire métanarratif.

    
   

hyène    →  cimetière         

Fama                                                    charognescharognard Fama       vautourarrière des cases

L’hyène vit aux alentours des cimetières, les vautours planent à l’arrière des cases. Ici et là, sont des lieux de décomposition, des dépôts de « détritus ». Hyène, vautour et charognard connotent Fama, de même que cimetière, arrière des cases et charognes connotent à la fois des lieux de célébration de funérailles ou de naissance, lieux de prédilection de Fama. Les attributs ressortissent à la fois aux registres zoologique et minéral. Fama est donc condamné à la marginalité, il est un « bâtard » pour la société contemporaine. Personne n’estime lui devoir le respect. Le voilà arrivant en retard à une cérémonie funéraire : Fama essuie les sarcasmes d’un griot qui associe les Doumbouya, totem panthère, aux Keita, totem hippopotame. Proportionnellement à la réaction du griot, symbole du peuple malinké, Boadi apporte des explications édifiantes :

Cette déchéance, cette sorte de unfornunate end oude badly end entacheprofondément le tracé de l’itinéraire du héros romanesque […]. Il perd ses artifices glorieux. Sa fouge et ses limitations l’auto-détruisent, car il n’a pas cette science des grands hommes qui génère la mystique de la surhumanité. Entre le peuple et lui, il y a toujours cette coupure qui intervient brutalement, cette cassure intervenant à un moment crucial et produisant l’incommunicabilité qui accélère l’échec, crée le revers, alimente les déboires (87-88).

 « Ces diverses atteintes à l’intégrité physique (et même comportemental) font partie du grand courant moderne de caricaturisation des personnages, […] de leurs rêves impuissants, inarticulés ». (Vaïs 197). La trajectoire de ces personnages-héros, notamment Fama, montre en définitive une démarcation totale avec « le schème épique de l’héroïté » (Boadi 87) parce que l’honneur qui gouverne la vie du personnage est constamment sapé, souillé. L’honneur qui se met en place par la négativité va inexorablement à la catastrophe.

  • « L’honorable » Fama Doumbouya : au bout de la course, le folklore de l’horreur

Ohaegbu affirme cruellement : « Fama est fait pour être un raté » (260). Le héros de Les Soleils des Indépendances semble, en effet, par ses maladresses et ses inconséquences se complaire à faciliter la tâche d’un destin qui le persécute. Il se montre lucide, mais n’agit pas de manière conséquente. La seule volonté qu’il marque est celle de franchir la frontière et de mourir. Mais, la mort de Fama laisse un sentiment d’horreur.

  • La représentation de l’horreur : monomanie et hollywoodisme

          La narration proleptique de l’horreur campe avec éloquence et gravité la menace qui plane surlavie de Fama :« Fama s’avança vers le côté gauche du pont. Le parapet n’était pas haut et sous le pont, en cet endroit, c’était la berge. Les gros caïmans sacrés flottaient dans l’eau et étaient prêts à s’attaquer au dernier descendant des Doumbouya » (Kourouma 200).     

Selon Mellier, l’horreur met en scène des « figures de l’altérité surnaturelles, monstrueuses, excessives » (147) se trouvant à la source du phénomène. L’Autre se révèle être une menace physique et psychologique, comme en témoignent l’extrait susmentionné qui, toutefois, ne comporte pas la dimension surnaturelle dont fait mention Mellier. Dans ce récit préfigurant l’horreur, les agresseurs ne sont pas le produit de l’imagination de la victime : ils existent bel et bien. L’horreur se traduit alors par un inconscient paranoïaque, puisque Ahmadou Kourouma se mue en faiseurd’horreur et « développe une fiction où l’Autre n’apparaît que dans le cadre d’un antagonisme explicite » (147). Par conséquent, les menaces sont actualisées par la confrontation à une entité malfaisante réelle : « les gros caïmans sacrés ».

La narration use de la figuration par l’utilisation d’une poétique du descriptif. Le récit donne à voir, il ne suggère pas. Ici, surgit le folklorique, le spectaculaire ou le spectatoriel. Les représentations descriptives semblent se réaliser par photographie, comme le fait remarquer Mellier : « Cette visualisation par le texte doit suffire à donner [au lecteur] l’impression de [la] présence » (37) effective de la menace, dont les propriétés sont intensifiées dans l’esprit du lecteur. « C’est dans la terreur que produit la « monstration » (terme qui joue de l’action de montrer l’événement spectaculaire du monstre) que l’univers du personnage s’effondre et que le lecteur s’abandonne au plaisir du pathétique » (31). À partir de là, il est alors possible de comprendre l’art de l’horreur comme un dispositifde dévoilement : « Fama s’avança vers le côté gauche du pont. Le parapet n’était pas haut et sous le pont, en cet endroit, c’était la berge. Les gros caïmans sacrés flottaient dans l’eau ou se réchauffaient sur les bancs de sable […] » (Kourouma 200). 

Le dévoilement s’observe à travers certaines phrases caractéristiques : « Fama s’avança vers le côté gauche du pont » (1), « le parapet n’était pas haut » (2), « les gros caïmans flottaient dans l’eau ou se réchauffaient sur les bancs de sable » (3) et l’expression « en cet endroit » (4). Dans l’élément (1), le sens premier du verbe « s’avancer » est : « se porter en avant », son sens au second degré est : « se hasarder » qui, à son tour, signifie  » se rendre dans un endroit où l’on peut courir un danger ». « Le côté gauche du pont » (1) mentionné au détriment de « côté droit » indique que l’endroit précisé présenterait des risques. D’où l’évocation de l’élément (4) « en cet endroit ». Dans l’élément (2), un mot attire l’attention de l’analyste : « parapet ». Ce mot a pour contenusémantique : « mur à hauteur d’appui destiné à empêcher les chutes ». La négation montre qu’il n’est pas dans sa position la plus élevée, la probabilité de survenue du dommage, c’est-à-dire la mort, est donc énorme. L’élément (3) matérialisé par les termes clés, tels que « caïmans », « flottaient » et « se réchauffaient » sont aussi couverts de signification. Le caïman est un monstre antédiluvien, mangeur d’hommes ; flottaient, du verbe flotter, a pour sens dénoté « rester à la surface de ». Il s’oppose à l’expression « rester en profondeur ». Le verbe se réchauffaient a pour infinitif se réchauffer : il signifie « redonner de la chaleur à son corps ». Il convient d’entendre par le mot chaleur « vigueur » en vue de passer à un acte. Le champ lexical des mots ou expressions clés pris, sémiotiquement et sémantiquement, se recoupent et se complètent dans la description. Ils désignent la mort.

Force est d’admettre que le mystère n’a pas sa place dans une séquence de dévoilement. En effet, la tâche de Kourouma apparaît tout autre. En modifiant l’état d’attente du lecteur, l’écrivain s’assure que ce dernier n’appréhende plus le dénouement de la scène comme un événement inconnu, mais qu’il l’anticipe plutôt, imaginant l’horreur dont il sera témoin. Des procédés rhétoriques s’adjoignent en outre aux stratégies textuelles dans la description de l’horreur.

  • Raconter Fama : une rhétorique de l’horreur

La mort de Fama est volontaire. Il se jette toutefoisdans le fleuve en étant assuré que les caïmans « n’oseront s’attaquer au dernier représentant des Doumbouya » (Kourouma 200). Malheureusement, il eûtplus de mal que de peur : « Fama escalada le parapet et se laissa tomber sur un banc de sable. Il se releva, l’eau n’arrivait pas à la hauteur du genou. Il voulut faire un pas, mais aperçut un caïman sacré fonçant sur lui comme une flèche. Des berges on entendit un cri [horrible] » (Kourouma 200).

          Kourouma recourt notamment à la comparaison.

  • un caïman sacré est ce qui est comparé : le comparé,
  • une flèche le mot qui fait image : le comparant,
  • comme : l’outil de comparaison,
  • le point commun n’est pas exprimé, il est à déduire du comparant : montrer une direction, le long de la ligne, pour attaquer mortellement.

Grâce aux indices de dévoilement, l’auteur avait peu à peu préparé le lecteur à une scèned’horreur et de dégoût. En effet, les passages descriptifs insistent sur la visibilité des éléments représentés, amplifiant du coup la répugnance de la scène : « Un coup de fusil éclata : d’un mirador de la république des Ebènes une sentinelle avait tiré. Le crocodile atteint grogna d’une manière horrible à faire éclater la terre, à déchirer le ciel ; et d’un tourbillon d’eau et de sang il s’élança dans le bief où il continua à se débattre et à grogner ». Cette explosion de sang et cette excitation criminelle de reptiles géants saisis dans une scène de gourmandise macabre constitue un pic scénarique où horreur et fantastique informent une tragicisation.

Le dévoilement des choses a requis principalement l’emploi des termes excessifs : éclata, grogna d’une manière horrible, déchirer le ciel, tourbillon d’eau et de sang…. Ces amplifications traduisent le paroxysme de l’horreur et lelecteur devient le témoin impuissant d’une scène horrifiante. Le narrateur ne se prive pas de la décrire : « Fama inconscient gisait dans le sang sous le pont. Le crocodile râlait et se débattait dans l’eau tumultueuse […]. Fama gisait toujours sous le pont. Le caïman se débattait dans un tourbillon de sang et d’eau » (Kourouma 201). Ces phrases comportent des groupes de mots redondants inscrits dans une formalisation récurrente, anaphorique à la limite:  Fama gisait, sous le pont, le caïman se débattait, sang, non sans omettre la charge sémantique de l’adverbe toujours. Ces considérations s’adossent à ce que Mellier appelle « le fantastique de la représentation »[2] rattaché ici à l’horreur, où apparaît une esthétique de l’extériorisation et de l’excès. 

Pourtant la fusillade était arrêtée. Les gardes frontaliers de la république de Nikinai, drapeaux blancs dans les mains, vinrent relever Fama qui avait été atteint sous la partie du pont relevant de leur juridiction. Ils le transportèrent dans leur poste ; leur brigadier l’examina : il était grièvement atteint à mort par le saurien. […] . Une douleur massive, dure, clouait sa jambe, tout son corps était devenu un caillou, il ne se sentait vivre que dans la gorge où il devait pousser pour inspirer, dans le nez qui soufflait du brûlant, dans les oreilles abasourdies et dans les yeux vifs. Fama avait fini, était fini. On en avertit le chef du convoi sanitaire. (Kourouma 202-203-204).

Le narrateur informe du décès du prince Fama. Mais la brutalité de sa mort, causée par le saurien (caïman), est atténuée par l’usage du verbe finir. L’euphémisme emploie des termes adoucis pour désigner une réalité cruelle : « Un malinké était mort » (Kourouma 205). « Tout le Horodougou était inconsolable, parce que la dynastie Doumbouya finissait, les chiens qui les premiers avaient prédit que la journée serait maléfique hurlaient aux morts, toutes gorges déployées sans se préoccuper des cailloux que les gardes leur lançaient. Les fauves répondaient des forêts par des rugissements, les caïmans par des grognements, les femmes pleuraient » (Kourouma 202).   

L’horreur dans Les soleils des indépendances se perçoit à travers la représentation des actions. Il ne suggère pas l’indicible. Il mise donc davantage sur le visible et le tangible. Par une description détaillée des événements, ici assimilable à une sorte d’hyperréalisme, l’auteur décrit Fama comme un point de mire, une bête de foire qu’il se donne le plaisir douloureux d’exposer à l’écran, précisément un écran de cinéma. Pour saisir mieux l’impact de cette mise en image grand-format chez Kourouma, le lecteur tiendra compte a priori des observations de Boadi : « La description n’est plus simple énonciation, mais devient langage, c’est-à-dire un code, un montage systémique. L’expressionnisme abstrait des mots laisse place à une discursivité théâtralisée, à une sorte de mise en cinéma, de spectacularisation du discours romanesque ». (83-84). Il renchérit :

Cette forme de mise en spectacle réfère plus encore à l’hypotypose en tant qu’elle fait vivre la scène par l’humour grinçant, le grotesque, le farféluesque, l’ironie déchéante, le comique noir, etc. L’assimilation à l’hypotypose procède en effet de l’énumération des détails concrets et frappants que l’on moule dans un folklore d’animation de mots vivaces et scénarisables qui donnent à voir l’objet décrit. (84).        

À la frontière séparant la Côte des Ebènes et la République socialiste de Nikinai, Fama subit l’affront de n’être pas reconnu comme prince du Horodougou. La monomanie de l’honneur a viré à un aveuglement sacrificiel dont la symbolique induit l’universalité sociale de l’horreur.  

  • Une tragédie universelle

La valeur symbolique de Les soleils des indépendances s’ouvre à desdimensions plus larges. L’œuvre de Kourouma infère une tragédie.     

  • Fama et la tragédie de la fin

Les personnages ont un destin dramatique ou sont directement responsables du dénouement tragique : dans Les soleils des indépendances, les initiativesdu protagoniste sont la cause indirecte, à première vue, de sa mort. Mais la compréhension au second degré de cette mort est facilitée par une verve prophétique faite de longue date :

Fama partait dans le Horodougou pour y mourir le plus tôt possible. Il était prédit depuis des siècles avant les soleils des Indépendances, que c’était près des tombes des aïeux que Fama devait mourir ; et c’était peut-être cette destinée qui expliquait pourquoi Fama avait survécu aux tortures des caves de la Présidence, à la vie du camp sans nom ; c’était encore cette destinée qui expliquait cette surprenante libération qui le relançait dans un monde auquel il avait cru avoir dit adieu. (Kourouma 193)

Fama sait qu’il est perdu, mais il va jusqu’au bout de son destin qui est de disparaître de ce monde qui le refuse. Ce monde dont il ne veut plus est sur lequel il ferme les yeux en quittant la capitale « Fama referma les yeux et sommeilla ». (Idem 194). Le jusqu’auboutisme de Fama opère dans l’œuvre comme un leitmotiv et une négation des valeurs bourgeoises dominantes sous l’ère des Indépendances.Dans la prison de Mayako, en priant profondément et très souvent, il s’était résigné, il avait fini par accepter sa fin, peu importe les circonstances. La mort est donc une solution pour être délivré de son angoisse existentielle. « Il était prêt pour le rendez-vous avec les mânes, prêt pour le jugement d’Allah. La mort était devenue son seul compagnon ; Fama avait déjà la mort dans son corps et la vie n’était pour lui qu’un mal ». (193).  

En clair, Fama se conduit, selon cette trajectoire, en véritable héros tragique. Sa fin, misérable et glorieuse à la fois, fait de lui un héros vaincu. Ce scénario qui campe un héros de la défaite n’est pas exclu de l’écriture romanesque africaine contemporaine. Le personnage-héros selon Boadi est « en déphasage total avec la lecture de l’héroïque rituelle » (87) telle que l’expose Martel pour qui « Le héros vient de la multitude, lui donne l’exemple du courage […]. En contrepartie, le héros reçoit de la multitude une puissance fantastique » (11) qui lui ouvre royalement « les vannes de l’épiphanie glorieuse ». (Boadi 87).

Dans le roman africain contemporain, le scenario des fins tristes ou tragiques, la récurrence des histoires qui finissent en pointillé ou qui finissent mal, édifient à contre-courant des trajectoires héroïques anti-épiphaniques : ici le Mal l’emporte sur le Bien.  Cette déchéance noircit considérablement la trajectoire des héros romanesques et constitue ainsi un choc pour le lectorat africain frustré par la contre-publicité de l’héroïque. Réécrire le héros sous une perspective de décanonisation semble ne pas aller dans le sens souhaité par Bourneuf et Ouellet : « Le roman peut surprendre, voire tromper l’attente du lecteur, mais il faut surtout que l’histoire se termine bien pour satisfaire et sauver la morale […] ». (47-48). Le romancier devrait écrire une bonne histoire qui tiendrait son lecteur en haleine, qui lui ferait connaître, à la fin, les plaisirs et les vertiges de l’immersion fictionnelle. L’épilogue inverse est plutôt servi au lecteur dans Les soleils des indépendances.

Fama s’est battu pour la justice et le respect de l’autre parce que l’avènement des temps nouveaux devait lui permettre de retrouver sa puissance de chef ou sinon d’accéder d’une manière quelconque au pouvoir. Il n’obtient rien de tout cela. Son histoire remet au goût du jour les difficultés d’ordre matériel, psychologique, et même religieux qui rendent sensible l’inadaptation du personnage aux réalités de l’époque nouvelle.

  • L’hypostasie de Fama vue comme inadaptation à un monde des contingences et de     l’improbable

Fama est un héros qui se heurte à un monde incompréhensible. Il ne se reconnaît pas dans la nouvelle Afrique. Ce sentiment est facteur de désarroi tragique : « Tant qu’il y aura le sentiment d’aliénation, l’écrivain rappellera le vieux temps, le temps mythique pour ainsi dire où l’homme se sentait dans un monde cohérent dépourvu d’antagonismes. » (sic) (Ohaegbu 116).

Face aux nouvelles réalités, Fama est un homme en fuite. Mais, telle une fatalité, le nouveau visage de l’Afrique hante sa conscience et son parcours narratif en souffre le martyr.Fama incarne l’image d’un personnage déconnecté du nouvel ordre politique,symboliquement en retard par rapport aux événements. « Aux funérailles du septième jour de feu Koné Ibrahima, Fama allait en retard. Il se dépêchait encore, marchait au pas redoublé d’un diarrhéique. Il était à l’autre bout du pont reliant la ville blanche au quartier nègre à l’heure de la deuxième prière; la cérémonie avait débuté ». (Kourouma). L’odyssée de Fama est un non-sens, une dystopie eschatologique :

À partir de là, s’amorce son odyssée à travers un monde qu’il ne comprend pas jusqu’à cette frontière imposée par la barrière qui se dresse absurdement devant lui, le prince du Horodougou, et dont il ne peut pas davantage comprendre la signification :

Un bâtard, un vrai, un déhonté de rejeton de la forêt et d’une maman qui n’a sûrement connu ni la moindre bande de tissu, ni la dignité du mariage osa, sortir de sa bouche que Fama étranger ne pouvait pas traverser sans carte d’identité ! Avez-vous bien entendu ? Fama étranger sur cette terre de Horodougou ! [Le monde est-il renversé?] (Kourouma 103-104).    

En dernier lieu, le tragique de l’inadaptation est collectif, celui de toute une population. Dans Les soleils des indépendances, Fama est la figure hypostasiée du mal de vivre et de l’impossible alchimie du changement, les difficultés de vivre les mutations de l’ère des indépendances. La tragédie subie par le prince Fama rappelle les contradictions sociales d’une époque que l’on retrouve au travers des vécus des populations de la Côte des Ebènes dont les représentants romanesques pourraient être, entre autres : Okonkwo, Mélédouman, etc.

À travers le destin d’Okonkwo, un notable de son clan, Chinua Achebe évoque le choc culturel qu’a représenté pour les autochtones l’arrivée des Britanniques. Presque coupés de l’extérieur, les habitants de la forêt équatoriale pouvaient imaginer un monde à leur image, fait de multiples dieux, de culte des ancêtres, de rites et de tabous. L’irruption des Européens et de leur religion, le christianisme, bouleverse toutes les croyances traditionnelles, d’où le titre du roman Le monde s’effondre.       

Mélédouman, dans La Carte d’identité de Jean-Marie Adiaffi, est un prince agni requis à se présenter au bureau du commandant de cercle, Kakatika, pour attester de son identité en raison d’un doute sur le document produit. Faute d’avoir pu, séance tenante, administrer la preuve de son identité, le prince est molesté et jeté en prison, fers aux poings. L’arrestation puis l’emprisonnement de ce prince qui incarne une autorité et un pouvoir évidents dans son milieu culturel, suscite l’émoi et la consternation de son peuple, car celui-ci voue une véritable vénération à la royauté. Finalement, le prince Mélédouman a été innocenté. Mais, au-delà du microcosme africain, le malaise s’étale au macrocosme, c’est-à-dire l’univers extérieur au petit monde, voire toutes les sociétés traditionnelles mises en présence des contraintes modernes et contemporaines et qui vivent un sort similaire.  

Conclusion

Ahmadou Kourouma assigne en définitive à l’héroïsme problématique de Fama un tracé narratif dont le crédit idéologique procède des boulimies matérielles, des tensions psychologiques et des radicalismes religieux d’une société africaine réfractaire aux innovations socio-politiques de l’après-indépendance. Dans Les Soleils des indépendances l’émotion du lecteur est assujettie à la tragédie des personnages « désarticulés », au fondamentalisme culturel des Anciens et à la désillusion collective. Kourouma réinvente principalement l’opposition entre la tradition et le modernisme en désavouant les monolithismes et les clichés du jeu des acteurs. Le récit porte, en particulier, ses enjeux et ses priorités sur les dividendes politiques (les nouveaux pouvoirs), sociologiques (les nouvelles classes sociales) et philosophiques (les nouvelles valeurs).

Le sens de l’honneur est désormais une vue de l’esprit et la dignité n’est plus d’école. Fama quitte sa posture élogieuse et aliène son existence dans une errance macabre. Le héros perd ses insignes d’essence et opte plutôt pour un nihilisme moral et une fronde irrévérencieuse. La figure héroïque dont Fama est l’incarnation prend sa force dans une scénographie de l’horreur où les descriptions sont vives, amplifiées et portées à un haut niveau de cruauté.  

Des stratégies textuelles et narratives et des procédés rhétoriques sont au service de la représentation. Ils ont été forgés par l’écrivain comme les instruments adéquats pour s’exprimer de manière sincère et sentie. De même, l’art visuel et réaliste des descriptions, l’expressivité du discours sont subordonnés à la volonté de décrire exactement et de témoigner d’une tragédie universelle : « Fama est un authentique héros tragique dans la mesure où toute une société riche de traditions meurt avec lui […] ». (Kourouma 185). Ainsi le roman de Kourouma rejoint « l’universelle condition humaine » d’André Malraux.[3]     

Travaux cités

Aloysius Umunnakwe, Ohaegbu. « Autour de l’évocation du passé dans la littérature africaine », Présence francophone, 23, (automne 1981) : 110-120. 

———- « Les Soleils des Indépendances ou le drame de l’homme écrasé par le destin », dans Présence africaine Nouvelle série, 90 (1974) : 253-260.

Ano Boadi, Désiré. « Roman africain postcolonial et nouvelles formes d’héroïté : entre hyperréalisme caricaturesque et contrecoups de l’anti-épique ». Revue de Littérature & d’Esthétique Négro-Africaines. 2. 16 (2016) : 76-90.

Barthes, Roland. L’analyse structurale du récit. Paris : Seuil, « Points », 1981. 

Belorgey, Jean-Michel. « Grandeurs et servitudes de la transgression », in Gautheron M. (dir), L’honneur. Image de soi ou don de soi : un idéal équivoque. Paris, Autrement (1991) : 190-199.

Biard, Michel. « Anne Simonin, Le déshonneur dans la République. Une histoire de l’indignité 1791-1958 », Annales historiques de la Révolution Française, 2009 [En ligne], 357 juillet-septembre, mis en ligne le 09 décembre 2009, URL:http://journals.openedition.org/ahrf/10665; DOI :https//doi.org/10.4000/ahrf.10665, consulté le 15 janvier 2021.

Billacois, François. « Flambée baroque et braises classiques ». Gautheron M (dir), L’honneur. Image de soi ou don de soi : un idéal équivoque. Paris, Autrement (1991) : 69-81.

Bourneuf, Roland et Ouellet, Réal. L’univers du roman. Paris : PUF, 1972.

Drevillon, Hervé et Venturino, Diego. « Penser et vivre l’honneur à l’époque moderne ». Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2011, www.pur-editions.fr, consulté le 3 février 2021.

Goffman, Erving. La mise en scène de la vie quotidienne. Paris : Les Editions de Minuit, Tomes 1 et 2, 1973. 

Green, André. « L’honneur et le narcissisme », in Gautheron M (dir), L’honneur. Image de soi ou don de soi : un idéal équivoque. Paris, Autrement (1991) : 37-52.

Jouve, Vincent. L’Effet-Personnage dans le roman. Paris : Presses Universitaires de France, Collection « Écriture », 1992.

Kourouma, Ahmadou. Le diseur de vérité, acte I. 1999

Kourouma, Ahmadou. Les soleils des indépendances. Paris : Seuil, 1970.

Littré, Emile. Dictionnaire de la langue française. Paris : Hachette, t. 2040-2043, 1874.

Martel, Rémy. La foule. Paris : Larousse, 1972.

Mellier, Denis. La littérature fantastique. Paris : Éd. du Seuil, 2000.

Mellier, Denis. L’écriture de l’excès : fiction fantastique et poétique de la terreur. Paris : H. Champion, 1999. 

Nicolas, Jean-Claude. Comprendre Les Soleils des Indépendances d’Ahmadou Kourouma. Paris : Seuil, 1985.

Roberge, Martine. L ‘art de faire peur : des récits légendaires aux films d’horreur. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2004.

Vaïs, Michel. L’écrivain scénique. Paris : PUQ, 1978.

Comment citer cet article :

MLA : Danho, Yayo Vincent. «Le prince Fama dans Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma : Des honneurs à l’horreur.» Uirtus 1.1 (août 2021): 34-50.


[1] Pour Furetière, le terme honneur signifie, entre autres, « témoignage d’estime ou de soumission qu’on rend à quelqu’un par ses paroles, ou par ses actions » ; « se dit en général de l’estime qui est due à la vertu & au mérite » ; « s’applique plus particulièrement à deux sortes de vertus, à la vaillance pour les hommes, & à la chasteté pour les femmes » ; « se dit aussi de la chose qui honore, qui donne de la gloire », etc. (Furetière A., Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots français tant vieux que modernes, La Haye-Rotterdam, 1690, article Honneur). Dans le Dictionnaire de l’Académie française : l’honneur est : « action, démonstration extérieure par laquelle on fait connaître la vénération, le respect, l’estime qu’on a pour la dignité, ou pour le mérite de quelqu’un » ; honneur « signifie encore, Vertu, probité » ; « se prend aussi pour la gloire qui suit la vertu, pour l’estime du monde, & pour la réputation » ; « se prend aussi pour Dignité, Charge ; mais en ce sens il n’a d’usage qu’au pluriel » (Le dictionnaire de l’Académie française, Paris, 1694, article Honneur).

[2]– Dans son ouvrage La littérature fantastique, Denis Mellier reprend cette catégorisation en remplaçant le fantastique de la représentation par le fantastique de la présence. Bien que l’analyse de ces catégories reste sensiblement la même, Mellier renomme quelques éléments étudiés en regard de chacune de ces tendances : la stratégie ou programme textuel dans le fantastique de la représentation devient l’enjeu dans le fantastique de la présence et l’écriture dans le premier type de fantastique a dorénavant pour nom la poétique dans le second.

[3]La Condition humaine est un roman d’André Malraux. Dans ce roman, Malraux définit ses personnages comme des types de héros en qui s’unissent la culture, la lucidité et l’aptitude à l’action. Mais ne sont-ils pas également plongés en permanence dans la boue de la condition humaine, alternance de grandeur et de déchéance ? Kyo se suicide dans l’espoir d’une fusion fraternelle. Mais cet espoir est illusoire. Tout le tragique de la condition humaine est là. L’angoisse eschatologique se double dans l’impossible dépassement de soi, de l’appréhension face à sa propre conscience. La vie est absurde, et l’homme incapable de savoir qui il est. N’y a-t-il pas corrélation entre les faits décrits et l’histoire de Fama ? (Nous soulignons).

Le prince Fama dans Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma : Des honneurs à l’horreur

Yayo Vincent Danho§

Résumé : La présente réflexion interroge Les Soleils des indépendances sous l’angle de l’honneur et de l’horreur. Articulée autour du prince Fama, la scénographie de l’honneur constitue d’essence un principe qui gouverne la vie du héros. L’honneur dont il porte d’autorité les atours et le prestige débouche sur des errances, des incohérences et du déviationnisme viral du nouveau monde, incarné par les indépendances et ses apparats d’escortes. La déliquescence individuelle et collective ruine en effet les vanités et les vacuités de l’honneur pour donner voix à une spectacularisation de l’horreur. La description fonde en effet sa pertinence et sa force sur une rhétorique textuelle et narrative à laquelle il associe une intelligence esthétique qui informe une sorte de mise en image grand-format. L’expressionnisme concret des mots ne peut absoudre en définitive la tragédie du héros.

Mots-clés : Fama, prince, honneur, déviance, horreur, tragédie  

 

Abstract : The present reflection examines Les Soleils des indépendances from the perspective of honour and horror. Centred around Prince Fama, the scenography of honour is essentially a principle that governs the life of the hero. The honour which he authoritatively wears in his finery and prestige leads to the wanderings, inconsistencies and viral deviation of the new world, embodied by the independence and its escorting trappings. Individual and collective decay ruins the vanities and vacuums of honour to give voice to a spectacularisation of horror. The description bases its relevance and strength on a textual and narrative rhetoric to which it associates an aesthetic intelligence that informs a kind of large-format image setting. The concrete expressionism of words cannot ultimately absolve the tragedy of the hero.

Keywords: Fama, Prince, Honour, Deviance, Horror, Tragedy

 

 

 

Introduction             

Les ouvrages d’Ahmadou Kourouma, en de nombreux cas, créent un effet de mobilisation des regards et des sens. Ses héros sont asservis à une espèce de captation visuelle et sensitive sous laquelle ils incarnent, soit une image élogieuse, soit une figure abracadabrante, voire malsaine selon qu’ils sont présentés sous un angle positif ou négatif. L’analyste s’efforce ainsi de saisir l’aspect ou l’affect significatif de ces personnages, dont les apparitions ne font pas mystère d’une idéologie militante. Dans Les soleils des indépendances, en effet, le monde des indépendances apparaît comme la fin d’un univers authentique où les honneurs et la solennité des insignes semblent avoir fait place à l’horreur.

L’honneur présente ici une polysémie confligène. Néanmoins, le Dictionnaire de Furetière et le Dictionnaire de l’Académie française s’accordent sur le fait qu’il désigne toute reconnaissance sociale d’une attitude vertueuse[1]. Cette reconnaissance peut prendre la forme volatile de l’estime publique et de la réputation, ou bien celle de l’octroi d’honneurs, c’est-à-dire de l’attribution de charges d’autorité et de pouvoir, entraînant l’attribution de privilèges matériels et de droits accrus de préséance.  

Selon Le Grand Robert de la langue française, l’horreur est une « impression violente causée par la vue ou la pensée d’une chose qui fait peur ou qui répugne (souvent accompagnée par un frémissement, un frison, un mouvement de recul). (https ://www.lerobert.com)  

La présente contribution part du constat que les notions d’honneur et d’horreur affichent leur présence dans les textes romanesques africains à l’exemple de Les soleils des indépendances. Dès lors, des questions essentielles orientent et structurent la réflexion : L’honneur est-il un principe qui gouverne la vie du personnage-héros dans l’univers textuel romanesque ? Ce principe doit-il s’appréhender par son amarrage à la déviance ? L’honneur ne peut-il être pensé autrement que dans son rapport à l’horreur ? Si le rapport est établi, quels sont alors les mécanismes choisis dans le roman qui servent à créer l’effet d’horreur ?

Adossée à la sémiotique narrative et à la sociocritique, l’étude explorera quelques traits majeurs de l’honneur et l’horreur. Elle établira que le schème de l’honneur s’intègre dans la diégèse comme un principe qui régit la vie du personnage-héros. Elle montrera de plus comment Fama prospère sur l’autel d’un devoir d’honneur que le romancier aliène dans la tragicisation de l’horrible.

 

  1. L’honneur : un principe qui gouverne le personnage-héros

L’honneur mobilise dans Les Soleils des indépendances les meilleurs suffrages du lecteur. S’il s’applique à des personnages satellites dans Les Soleils des indépendances, il reste un principe moral primordial pour Fama. Les relations du personnage-héros avec son époque « l’ère des Indépendances (les soleils des Indépendances, disent les Malinkés) » (Kourouma 7-8) tiennent des accointances solides avec la morale. Fama, qui ne comprend ni n’accepte son époque, ne se porte garant d’aucune analyse politique et historique, économique et sociologique. Il injurie, condamne ou s’enthousiasme. Il appréhende l’histoire en moraliste, selon les critères moraux qui procèdent des valeurs traditionnelles du peuple malinké.

 

  • Fama et les honneurs : entre conservatismes et jactance

Barthes écrivait : « Le propre du récit n’est pas l’action, mais le personnage comme nom propre » (13), du moins peut-on reconnaître à la fois cette donnée de fait qu’il n’y a pas de roman sans nom propre, et, empiriquement, un fonctionnement de lecture, le rôle décisif des noms dans ce que Jouve a appelé « L’Effet-personnage ». Fama (ce nom signifie « roi », « chef ») a un besoin vital de considération et d’admiration. Quelques jours avant sa mort, il crie ce besoin aux hommes : « Regardez Doumbouya, le prince du Horodougou ! Admirez-moi…! ». (Kourouma 199). Il ne s’agit pas d’un défaut personnel d’orgueil : ce sentiment est le propre du chef, du héros, de se voir honoré, célébré. L’intrigue montre le héros saisi avec délectation les postures ou les scénarii de valorisation : « […] ; il avait le palabre, le droit et un parterre d’auditeurs […] » (Kourouma 13) et il apprécie avec volupté les salutations de ses vassaux : « Fama trônait, se rengorgeait, se bombait. Regardait-il les salueurs ? A peine ! » (Kourouma 113).

Les sentiments d’estime et de considération portés à Fama correspondent à un principe, celui de la dignité de la personne humaine et principalement de l’appartenance sociale. « Quelles que soient sa naissance et sa vacation, nul n’échappe au sentiment de la valeur de son propre être social ; nul n’échappe non plus au souci de la préserver […] aucune société traditionnelle ne saurait se concevoir sans des liens d’honneur entre ses membres. Le souci d’honneur partagé est consubstantiel à tout lien social viable et durable ». (Drevillon et Venturino,  www.pur-editions.fr ).

Or, dans la diégèse, celui-ci est remis en question par un métadiscours peu élogieux : « Un prince presque mendiant, c’est grotesque » (Kourouma 11), « sous les soleils des Indépendances, les Malinkés honnissaient et même giflaient leur prince » (Kourouma 15) ou encore « Cette vie-là n’était-elle pas un soleil éteint et assombri dans le haut de sa course ? »  (Kourouma 29). En effet, la déconsidération, le mépris, l’humiliation, le déshonneur, la bassesse… bafouent l’honneur ou la respectabilité de Fama. Ce dernier fait des pieds et des mains pour protéger son intégrité, le respect qu’il a envers lui-même, « sa sphère idéale » des menaces extérieures. Or Fama ne peut garantir l’inviolabilité de son honneur sans s’en référer à l’altérité : « […] en bon Malinké, que pouvait-il chercher encore ? Il […] se déplaça […] se pavana de sorte que partout on le vit ». (Kourouma 13). L’inscripteur recourt aux verbes de mouvement « se déplacer », « se pavaner », à l’adverbe « partout » et au verbe de perception « voir », précédé de la locution conjonctive « de sorte que ». Ils mettent en évidence le désir d’élévation de Fama, surtout si l’on s’en tient à la sémantique qui entoure les mots guillemetés. Belorgey en déduit que « L’honneur est alors inséparable de l’espace public » (197) ; il correspond à la « face », à « La mise en scène de soi » (Goffman), « c’est nous faire croire tels que nous sommes [en vue d’être reconnus] ». (Billacois 79).

Par cette attache aux règles de l’être ensemble, Fama revendique l’attention ou la dévotion des Malinkés et des non Malinkés. C’est pourquoi, selon Green, « l’honneur est étroitement lié à l’existence sociale ». (39) . L’opinion positive du groupe est une pièce importante du puzzle. Les honneurs de Fama, un authentique prince Doumbouya, équivalent alors à l’honneur ressenti, exigé et témoigné. Dilmaç souligne que « L’honneur apparaît alors comme un principe tourné vers le soi : il constitue un ensemble de valeurs, mais aussi une moralité choisie par les personnes en vue de donner un sens à leurs actions, mais surtout de protéger leur intégrité » (346). Fama, en effet, jubilait « quand […] les griots et les griottes chantaient la pérennité et la puissance des Doumbouya » (Kourouma 19). Animé de ces sentiments, Fama est en harmonie avec son personnage de chef, « car le héros se nourrit de poèmes et de musique qui l’exaltent, sinon il s’adoucit et se suicide ». (Kourouma acte I).

Pour mériter ces honneurs, Fama veille habituellement à la noblesse de son maintien. « Avec […] des gestes royaux et des saluts majestueux » (Kourouma 106), même s’il est parfois dérisoire, « dommage que le boubou ait été poussiéreux et froissé ! » (Idem). 

La narration donne de constater un autre fait : Fama ne perd jamais le sens aigu de la dignité de sa famille. À plusieurs reprises, on le voit marquer ce qui convient ou non à un Doumbouya : « un Doumbouya, un vrai, ne donne pas le dos au danger, se vanta-t-il » ; (Kourouma 164). C’est pourquoi, il est hors de lui quand « le petit douanier gros, rond, ventru, tout fagoté, de la poitrine aux orteils, avec son ceinturon et ses molletières », (Kourouma 104), ne lui témoigne pas la considération attendue :

Le dernier village de la Côte des Ebènes arriva, et après, le poste des douanes, séparant de la République socialiste de Nikinai. Là, Fama piqua le genre de colère qui bouche la gorge d’un serpent d’injures et de baves, et lui communique le frémissement des feuilles. Un bâtard, un vrai, déhonté de rejeton de la forêt et d’une maman qui n’a surement connu la moindre bande de tissu, ni de dignité du mariage, osa, debout sur ses deux testicules, sortir de sa bouche que Fama étranger ne pouvait pas traverser sans carte d’identité ! Avez-vous bien entendu ? Fama étranger sut cette terre de Horodougou ! (Kourouma 103-104).

Il se calme aussitôt quand on sait « distinguer l’or du cuivre » (Kourouma 104) et reconnaître en lui « le descendant des Doumbouya » (Idem). La reconnaissance vaut alors à Fama « les honneurs et les excuses convenables » (Idem).

Les honneurs de Fama peuvent se résumer selon Biard 2009 sous le vocable « d’honneur civique ». Il comprend toutes les civilités, mais aussi les éléments juridiques (tel le respect de l’Autre, celui de la dignité du personnage-héros). Loin d’être déraisonnable ou excessif, cet honneur pourrait alors être envisagé comme « promouvant la vertu » (Billacois 79). Cet honneur dit « civique », porté par les individus dits « Honorables » (Kourouma 100) dont Fama est le prototype, aurait son antithèse caractérisée par un autre type d’honneur, plutôt fondé sur la déviance.

 

  • L’honneur du prince ou le paradoxe de la déviance

Sous la plume d’Ahmadou Kourouma, le monde des indépendances apparaît comme la fin d’un univers authentique. Il est une dégradation de l’univers traditionnel. Pour exemple, Fama, le prince d’hier, connu sous l’appellation de l’honorable, ne se retrouve plus ; non seulement, elles le dépossèdent, mais les indépendances suppriment les chefferies traditionnelles et réduisent les princes en « bande d’hyènes » (Kourouma 9), de mendiants en quête de pâture. « Fama Doumbouya, père Doumbouya, mère Doumbouya, dernier et légitime descendant des princes Doumbouya du Horodougou, totem panthère, était un vautour […] Ah ! les soleils des Indépendances ! » (Kourouma 9). Fama est réduit à sillonner les foules anonymes, de funérailles en funérailles, à la recherche de sa substance. « Il marchait au pas redoublé d’un diarrhéique » (Kourouma 9), bousculé par des badauds, « des badauds plantés comme dans la case de papa ». (Kourouma 9). Il transpire, menace, injurie, couvert d’un vacarme incroyable de « klaxons, pétarades des moteurs, battements des pneus, cris et appels des passants et des conducteurs ».  (Kourouma 10). L’honneur dit « civilisé » est rangé aux calandres grecques, la norme civique est désavouée : celle-ci prendrait forme dans la retenue des comportements. L’honneur désigné, en revanche, est « barbare », vil. Il renverrait à un comportement qualifié de déviant, un pur paradoxe. D’où ce parallèle entre la description qui en est faite et cette célèbre réplique chère à Kourouma : « lui, Fama né dans l’or, le manger, l’honneur et les femmes ! Eduqué pour préférer l’or à l’or, pour choisir le manger parmi d’autres, et coucher sa favorite parmi cent épouses ! Qu’était-il devenu ? Un charognard … ». (Kourouma 10). Ce terme de « charognard » engendre, par analogie, un registre lexical des attributs de Fama. Devenu pauvre, il vit des largesses des amis des défunts dont on célèbre les funérailles. La représentation ci-contre donnée à titre illustratif est appuyée par un commentaire métanarratif.

 

  

 

 

 

                 hyène    →  cimetière         

Fama                                                    charognescharognard Fama       vautourarrière des cases

 

L’hyène vit aux alentours des cimetières, les vautours planent à l’arrière des cases. Ici et là, sont des lieux de décomposition, des dépôts de « détritus ». Hyène, vautour et charognard connotent Fama, de même que cimetière, arrière des cases et charognes connotent à la fois des lieux de célébration de funérailles ou de naissance, lieux de prédilection de Fama. Les attributs ressortissent à la fois aux registres zoologique et minéral. Fama est donc condamné à la marginalité, il est un « bâtard » pour la société contemporaine. Personne n’estime lui devoir le respect. Le voilà arrivant en retard à une cérémonie funéraire : Fama essuie les sarcasmes d’un griot qui associe les Doumbouya, totem panthère, aux Keita, totem hippopotame. Proportionnellement à la réaction du griot, symbole du peuple malinké, Boadi apporte des explications édifiantes :

Cette déchéance, cette sorte de unfornunate end ou de badly end entache profondément le tracé de l’itinéraire du héros romanesque […]. Il perd ses artifices glorieux. Sa fouge et ses limitations l’auto-détruisent, car il n’a pas cette science des grands hommes qui génère la mystique de la surhumanité. Entre le peuple et lui, il y a toujours cette coupure qui intervient brutalement, cette cassure intervenant à un moment crucial et produisant l’incommunicabilité qui accélère l’échec, crée le revers, alimente les déboires (87-88).

 « Ces diverses atteintes à l’intégrité physique (et même comportemental) font partie du grand courant moderne de caricaturisation des personnages, […] de leurs rêves impuissants, inarticulés ». (Vaïs 197). La trajectoire de ces personnages-héros, notamment Fama, montre en définitive une démarcation totale avec « le schème épique de l’héroïté » (Boadi 87) parce que l’honneur qui gouverne la vie du personnage est constamment sapé, souillé. L’honneur qui se met en place par la négativité va inexorablement à la catastrophe.

  

  1. « L’honorable » Fama Doumbouya : au bout de la course, le folklore de l’horreur

Ohaegbu affirme cruellement : « Fama est fait pour être un raté » (260). Le héros de Les Soleils des Indépendances semble, en effet, par ses maladresses et ses inconséquences se complaire à faciliter la tâche d’un destin qui le persécute. Il se montre lucide, mais n’agit pas de manière conséquente. La seule volonté qu’il marque est celle de franchir la frontière et de mourir. Mais, la mort de Fama laisse un sentiment d’horreur.

 

  • La représentation de l’horreur : monomanie et hollywoodisme

          La narration proleptique de l’horreur campe avec éloquence et gravité la menace qui plane sur la vie de Fama : « Fama s’avança vers le côté gauche du pont. Le parapet n’était pas haut et sous le pont, en cet endroit, c’était la berge. Les gros caïmans sacrés flottaient dans l’eau et étaient prêts à s’attaquer au dernier descendant des Doumbouya » (Kourouma 200).     

Selon Mellier, l’horreur met en scène des « figures de l’altérité surnaturelles, monstrueuses, excessives » (147) se trouvant à la source du phénomène. L’Autre se révèle être une menace physique et psychologique, comme en témoignent l’extrait susmentionné qui, toutefois, ne comporte pas la dimension surnaturelle dont fait mention Mellier. Dans ce récit préfigurant l’horreur, les agresseurs ne sont pas le produit de l’imagination de la victime : ils existent bel et bien. L’horreur se traduit alors par un inconscient paranoïaque, puisque Ahmadou Kourouma se mue en faiseur d’horreur et « développe une fiction où l’Autre n’apparaît que dans le cadre d’un antagonisme explicite » (147). Par conséquent, les menaces sont actualisées par la confrontation à une entité malfaisante réelle : « les gros caïmans sacrés ».

La narration use de la figuration par l’utilisation d’une poétique du descriptif. Le récit donne à voir, il ne suggère pas. Ici, surgit le folklorique, le spectaculaire ou le spectatoriel. Les représentations descriptives semblent se réaliser par photographie, comme le fait remarquer Mellier : « Cette visualisation par le texte doit suffire à donner [au lecteur] l’impression de [la] présence » (37) effective de la menace, dont les propriétés sont intensifiées dans l’esprit du lecteur. « C’est dans la terreur que produit la « monstration » (terme qui joue de l’action de montrer l’événement spectaculaire du monstre) que l’univers du personnage s’effondre et que le lecteur s’abandonne au plaisir du pathétique » (31). À partir de là, il est alors possible de comprendre l’art de l’horreur comme un dispositif de dévoilement : « Fama s’avança vers le côté gauche du pont. Le parapet n’était pas haut et sous le pont, en cet endroit, c’était la berge. Les gros caïmans sacrés flottaient dans l’eau ou se réchauffaient sur les bancs de sable […] » (Kourouma 200). 

Le dévoilement s’observe à travers certaines phrases caractéristiques : « Fama s’avança vers le côté gauche du pont » (1), « le parapet n’était pas haut » (2), « les gros caïmans flottaient dans l’eau ou se réchauffaient sur les bancs de sable » (3) et l’expression « en cet endroit » (4). Dans l’élément (1), le sens premier du verbe « s’avancer » est : « se porter en avant », son sens au second degré est : « se hasarder » qui, à son tour, signifie  » se rendre dans un endroit où l’on peut courir un danger ». « Le côté gauche du pont » (1) mentionné au détriment de « côté droit » indique que l’endroit précisé présenterait des risques. D’où l’évocation de l’élément (4) « en cet endroit ». Dans l’élément (2), un mot attire l’attention de l’analyste : « parapet ». Ce mot a pour contenu sémantique : « mur à hauteur d’appui destiné à empêcher les chutes ». La négation montre qu’il n’est pas dans sa position la plus élevée, la probabilité de survenue du dommage, c’est-à-dire la mort, est donc énorme. L’élément (3) matérialisé par les termes clés, tels que « caïmans », « flottaient » et « se réchauffaient » sont aussi couverts de signification. Le caïman est un monstre antédiluvien, mangeur d’hommes ; flottaient, du verbe flotter, a pour sens dénoté « rester à la surface de ». Il s’oppose à l’expression « rester en profondeur ». Le verbe se réchauffaient a pour infinitif se réchauffer : il signifie « redonner de la chaleur à son corps ». Il convient d’entendre par le mot chaleur « vigueur » en vue de passer à un acte. Le champ lexical des mots ou expressions clés pris, sémiotiquement et sémantiquement, se recoupent et se complètent dans la description. Ils désignent la mort.

Force est d’admettre que le mystère n’a pas sa place dans une séquence de dévoilement. En effet, la tâche de Kourouma apparaît tout autre. En modifiant l’état d’attente du lecteur, l’écrivain s’assure que ce dernier n’appréhende plus le dénouement de la scène comme un événement inconnu, mais qu’il l’anticipe plutôt, imaginant l’horreur dont il sera témoin. Des procédés rhétoriques s’adjoignent en outre aux stratégies textuelles dans la description de l’horreur.

 

  • Raconter Fama : une rhétorique de l’horreur

La mort de Fama est volontaire. Il se jette toutefois dans le fleuve en étant assuré que les caïmans « n’oseront s’attaquer au dernier représentant des Doumbouya » (Kourouma 200). Malheureusement, il eût plus de mal que de peur : « Fama escalada le parapet et se laissa tomber sur un banc de sable. Il se releva, l’eau n’arrivait pas à la hauteur du genou. Il voulut faire un pas, mais aperçut un caïman sacré fonçant sur lui comme une flèche. Des berges on entendit un cri [horrible] » (Kourouma 200).

          Kourouma recourt notamment à la comparaison.

  • un caïman sacré est ce qui est comparé : le comparé,
  • une flèche le mot qui fait image : le comparant,
  • comme : l’outil de comparaison,
  • le point commun n’est pas exprimé, il est à déduire du comparant : montrer une direction, le long de la ligne, pour attaquer mortellement.

Grâce aux indices de dévoilement, l’auteur avait peu à peu préparé le lecteur à une scène d’horreur et de dégoût. En effet, les passages descriptifs insistent sur la visibilité des éléments représentés, amplifiant du coup la répugnance de la scène : « Un coup de fusil éclata : d’un mirador de la république des Ebènes une sentinelle avait tiré. Le crocodile atteint grogna d’une manière horrible à faire éclater la terre, à déchirer le ciel ; et d’un tourbillon d’eau et de sang il s’élança dans le bief où il continua à se débattre et à grogner ». Cette explosion de sang et cette excitation criminelle de reptiles géants saisis dans une scène de gourmandise macabre constitue un pic scénarique où horreur et fantastique informent une tragicisation.

Le dévoilement des choses a requis principalement l’emploi des termes excessifs : éclata, grogna d’une manière horrible, déchirer le ciel, tourbillon d’eau et de sang…. Ces amplifications traduisent le paroxysme de l’horreur et le lecteur devient le témoin impuissant d’une scène horrifiante. Le narrateur ne se prive pas de la décrire : « Fama inconscient gisait dans le sang sous le pont. Le crocodile râlait et se débattait dans l’eau tumultueuse […]. Fama gisait toujours sous le pont. Le caïman se débattait dans un tourbillon de sang et d’eau » (Kourouma 201). Ces phrases comportent des groupes de mots redondants inscrits dans une formalisation récurrente, anaphorique à la limite Fama gisait, sous le pont, le caïman se débattait, sang, non sans omettre la charge sémantique de l’adverbe toujours. Ces considérations s’adossent à ce que Mellier appelle « le fantastique de la représentation »[2] rattaché ici à l’horreur, où apparaît une esthétique de l’extériorisation et de l’excès. 

Pourtant la fusillade était arrêtée. Les gardes frontaliers de la république de Nikinai, drapeaux blancs dans les mains, vinrent relever Fama qui avait été atteint sous la partie du pont relevant de leur juridiction. Ils le transportèrent dans leur poste ; leur brigadier l’examina : il était grièvement atteint à mort par le saurien. […] . Une douleur massive, dure, clouait sa jambe, tout son corps était devenu un caillou, il ne se sentait vivre que dans la gorge où il devait pousser pour inspirer, dans le nez qui soufflait du brûlant, dans les oreilles abasourdies et dans les yeux vifs. Fama avait fini, était fini. On en avertit le chef du convoi sanitaire. (Kourouma 202-203-204).

Le narrateur informe du décès du prince Fama. Mais la brutalité de sa mort, causée par le saurien (caïman), est atténuée par l’usage du verbe finir. L’euphémisme emploie des termes adoucis pour désigner une réalité cruelle : « Un malinké était mort » (Kourouma 205). « Tout le Horodougou était inconsolable, parce que la dynastie Doumbouya finissait, les chiens qui les premiers avaient prédit que la journée serait maléfique hurlaient aux morts, toutes gorges déployées sans se préoccuper des cailloux que les gardes leur lançaient. Les fauves répondaient des forêts par des rugissements, les caïmans par des grognements, les femmes pleuraient » (Kourouma 202).   

L’horreur dans Les soleils des indépendances se perçoit à travers la représentation des actions. Il ne suggère pas l’indicible. Il mise donc davantage sur le visible et le tangible. Par une description détaillée des événements, ici assimilable à une sorte d’hyperréalisme, l’auteur décrit Fama comme un point de mire, une bête de foire qu’il se donne le plaisir douloureux d’exposer à l’écran, précisément un écran de cinéma. Pour saisir mieux l’impact de cette mise en image grand-format chez Kourouma, le lecteur tiendra compte a priori des observations de Boadi : « La description n’est plus simple énonciation, mais devient langage, c’est-à-dire un code, un montage systémique. L’expressionnisme abstrait des mots laisse place à une discursivité théâtralisée, à une sorte de mise en cinéma, de spectacularisation du discours romanesque ». (83-84). Il renchérit :

Cette forme de mise en spectacle réfère plus encore à l’hypotypose en tant qu’elle fait vivre la scène par l’humour grinçant, le grotesque, le farféluesque, l’ironie déchéante, le comique noir, etc. L’assimilation à l’hypotypose procède en effet de l’énumération des détails concrets et frappants que l’on moule dans un folklore d’animation de mots vivaces et scénarisables qui donnent à voir l’objet décrit. (84).       

À la frontière séparant la Côte des Ebènes et la République socialiste de Nikinai, Fama subit l’affront de n’être pas reconnu comme prince du Horodougou. La monomanie de l’honneur a viré à un aveuglement sacrificiel dont la symbolique induit l’universalité sociale de l’horreur.  

  1. Une tragédie universelle

La valeur symbolique de Les soleils des indépendances s’ouvre à des dimensions plus larges. L’œuvre de Kourouma infère une tragédie.     

 

  • Fama et la tragédie de la fin

Les personnages ont un destin dramatique ou sont directement responsables du dénouement tragique : dans Les soleils des indépendances, les initiatives du protagoniste sont la cause indirecte, à première vue, de sa mort. Mais la compréhension au second degré de cette mort est facilitée par une verve prophétique faite de longue date :

Fama partait dans le Horodougou pour y mourir le plus tôt possible. Il était prédit depuis des siècles avant les soleils des Indépendances, que c’était près des tombes des aïeux que Fama devait mourir ; et c’était peut-être cette destinée qui expliquait pourquoi Fama avait survécu aux tortures des caves de la Présidence, à la vie du camp sans nom ; c’était encore cette destinée qui expliquait cette surprenante libération qui le relançait dans un monde auquel il avait cru avoir dit adieu. (Kourouma 193)

Fama sait qu’il est perdu, mais il va jusqu’au bout de son destin qui est de disparaître de ce monde qui le refuse. Ce monde dont il ne veut plus est sur lequel il ferme les yeux en quittant la capitale « Fama referma les yeux et sommeilla ». (Idem 194). Le jusqu’auboutisme de Fama opère dans l’œuvre comme un leitmotiv et une négation des valeurs bourgeoises dominantes sous l’ère des Indépendances. Dans la prison de Mayako, en priant profondément et très souvent, il s’était résigné, il avait fini par accepter sa fin, peu importe les circonstances. La mort est donc une solution pour être délivré de son angoisse existentielle. « Il était prêt pour le rendez-vous avec les mânes, prêt pour le jugement d’Allah. La mort était devenue son seul compagnon ; Fama avait déjà la mort dans son corps et la vie n’était pour lui qu’un mal ». (193).   

En clair, Fama se conduit, selon cette trajectoire, en véritable héros tragique. Sa fin, misérable et glorieuse à la fois, fait de lui un héros vaincu. Ce scénario qui campe un héros de la défaite n’est pas exclu de l’écriture romanesque africaine contemporaine. Le personnage-héros selon Boadi est « en déphasage total avec la lecture de l’héroïque rituelle » (87) telle que l’expose Martel pour qui « Le héros vient de la multitude, lui donne l’exemple du courage […]. En contrepartie, le héros reçoit de la multitude une puissance fantastique » (11) qui lui ouvre royalement « les vannes de l’épiphanie glorieuse ». (Boadi 87).

Dans le roman africain contemporain, le scenario des fins tristes ou tragiques, la récurrence des histoires qui finissent en pointillé ou qui finissent mal, édifient à contre-courant des trajectoires héroïques anti-épiphaniques : ici le Mal l’emporte sur le Bien.  Cette déchéance noircit considérablement la trajectoire des héros romanesques et constitue ainsi un choc pour le lectorat africain frustré par la contre-publicité de l’héroïque. Réécrire le héros sous une perspective de décanonisation semble ne pas aller dans le sens souhaité par Bourneuf et Ouellet : « Le roman peut surprendre, voire tromper l’attente du lecteur, mais il faut surtout que l’histoire se termine bien pour satisfaire et sauver la morale […] ». (47-48). Le romancier devrait écrire une bonne histoire qui tiendrait son lecteur en haleine, qui lui ferait connaître, à la fin, les plaisirs et les vertiges de l’immersion fictionnelle. L’épilogue inverse est plutôt servi au lecteur dans Les soleils des indépendances.

Fama s’est battu pour la justice et le respect de l’autre parce que l’avènement des temps nouveaux devait lui permettre de retrouver sa puissance de chef ou sinon d’accéder d’une manière quelconque au pouvoir. Il n’obtient rien de tout cela. Son histoire remet au goût du jour les difficultés d’ordre matériel, psychologique, et même religieux qui rendent sensible l’inadaptation du personnage aux réalités de l’époque nouvelle.

 

  • L’hypostasie de Fama vue comme inadaptation à un monde des contingences et de l’improbable

Fama est un héros qui se heurte à un monde incompréhensible. Il ne se reconnaît pas dans la nouvelle Afrique. Ce sentiment est facteur de désarroi tragique : « Tant qu’il y aura le sentiment d’aliénation, l’écrivain rappellera le vieux temps, le temps mythique pour ainsi dire où l’homme se sentait dans un monde cohérent dépourvu d’antagonismes. » (sic) (Ohaegbu 116).

Face aux nouvelles réalités, Fama est un homme en fuite. Mais, telle une fatalité, le nouveau visage de l’Afrique hante sa conscience et son parcours narratif en souffre le martyr. Fama incarne l’image d’un personnage déconnecté du nouvel ordre politique, symboliquement en retard par rapport aux événements. « Aux funérailles du septième jour de feu Koné Ibrahima, Fama allait en retard. Il se dépêchait encore, marchait au pas redoublé d’un diarrhéique. Il était à l’autre bout du pont reliant la ville blanche au quartier nègre à l’heure de la deuxième prière; la cérémonie avait débuté ». (Kourouma). L’odyssée de Fama est un non-sens, une dystopie eschatologique :

À partir de là, s’amorce son odyssée à travers un monde qu’il ne comprend pas jusqu’à cette frontière imposée par la barrière qui se dresse absurdement devant lui, le prince du Horodougou, et dont il ne peut pas davantage comprendre la signification :

Un bâtard, un vrai, un déhonté de rejeton de la forêt et d’une maman qui n’a sûrement connu ni la moindre bande de tissu, ni la dignité du mariage osa, sortir de sa bouche que Fama étranger ne pouvait pas traverser sans carte d’identité ! Avez-vous bien entendu ? Fama étranger sur cette terre de Horodougou ! [Le monde est-il renversé?] (Kourouma 103-104).    

En dernier lieu, le tragique de l’inadaptation est collectif, celui de toute une population. Dans Les soleils des indépendances, Fama est la figure hypostasiée du mal de vivre et de l’impossible alchimie du changement, les difficultés de vivre les mutations de l’ère des indépendances. La tragédie subie par le prince Fama rappelle les contradictions sociales d’une époque que l’on retrouve au travers des vécus des populations de la Côte des Ebènes dont les représentants romanesques pourraient être, entre autres : Okonkwo, Mélédouman, etc.

À travers le destin d’Okonkwo, un notable de son clan, Chinua Achebe évoque le choc culturel qu’a représenté pour les autochtones l’arrivée des Britanniques. Presque coupés de l’extérieur, les habitants de la forêt équatoriale pouvaient imaginer un monde à leur image, fait de multiples dieux, de culte des ancêtres, de rites et de tabous. L’irruption des Européens et de leur religion, le christianisme, bouleverse toutes les croyances traditionnelles, d’où le titre du roman Le monde s’effondre.       

Mélédouman, dans La Carte d’identité de Jean-Marie Adiaffi, est un prince agni requis à se présenter au bureau du commandant de cercle, Kakatika, pour attester de son identité en raison d’un doute sur le document produit. Faute d’avoir pu, séance tenante, administrer la preuve de son identité, le prince est molesté et jeté en prison, fers aux poings. L’arrestation puis l’emprisonnement de ce prince qui incarne une autorité et un pouvoir évidents dans son milieu culturel, suscite l’émoi et la consternation de son peuple, car celui-ci voue une véritable vénération à la royauté. Finalement, le prince Mélédouman a été innocenté. Mais, au-delà du microcosme africain, le malaise s’étale au macrocosme, c’est-à-dire l’univers extérieur au petit monde, voire toutes les sociétés traditionnelles mises en présence des contraintes modernes et contemporaines et qui vivent un sort similaire.  

        

Conclusion

Ahmadou Kourouma assigne en définitive à l’héroïsme problématique de Fama un tracé narratif dont le crédit idéologique procède des boulimies matérielles, des tensions psychologiques et des radicalismes religieux d’une société africaine réfractaire aux innovations socio-politiques de l’après-indépendance. Dans Les Soleils des indépendances l’émotion du lecteur est assujettie à la tragédie des personnages « désarticulés », au fondamentalisme culturel des Anciens et à la désillusion collective. Kourouma réinvente principalement l’opposition entre la tradition et le modernisme en désavouant les monolithismes et les clichés du jeu des acteurs. Le récit porte, en particulier, ses enjeux et ses priorités sur les dividendes politiques (les nouveaux pouvoirs), sociologiques (les nouvelles classes sociales) et philosophiques (les nouvelles valeurs).

Le sens de l’honneur est désormais une vue de l’esprit et la dignité n’est plus d’école. Fama quitte sa posture élogieuse et aliène son existence dans une errance macabre. Le héros perd ses insignes d’essence et opte plutôt pour un nihilisme moral et une fronde irrévérencieuse. La figure héroïque dont Fama est l’incarnation prend sa force dans une scénographie de l’horreur où les descriptions sont vives, amplifiées et portées à un haut niveau de cruauté.  

Des stratégies textuelles et narratives et des procédés rhétoriques sont au service de la représentation. Ils ont été forgés par l’écrivain comme les instruments adéquats pour s’exprimer de manière sincère et sentie. De même, l’art visuel et réaliste des descriptions, l’expressivité du discours sont subordonnés à la volonté de décrire exactement et de témoigner d’une tragédie universelle : « Fama est un authentique héros tragique dans la mesure où toute une société riche de traditions meurt avec lui […] ». (Kourouma 185). Ainsi le roman de Kourouma rejoint « l’universelle condition humaine » d’André Malraux.[3]     

 

Travaux cités

Aloysius Umunnakwe, Ohaegbu. « Autour de l’évocation du passé dans la littérature africaine », Présence francophone, 23, (automne 1981) : 110-120. 

———- « Les Soleils des Indépendances ou le drame de l’homme écrasé par le destin », dans Présence africaine Nouvelle série, 90 (1974) : 253-260.

Ano Boadi, Désiré. « Roman africain postcolonial et nouvelles formes d’héroïté : entre hyperréalisme caricaturesque et contrecoups de l’anti-épique ». Revue de Littérature & d’Esthétique Négro-Africaines. 2. 16 (2016) : 76-90.

Barthes, Roland. L’analyse structurale du récit. Paris : Seuil, « Points », 1981. 

Belorgey, Jean-Michel. « Grandeurs et servitudes de la transgression », in Gautheron M. (dir), L’honneur. Image de soi ou don de soi : un idéal équivoque. Paris, Autrement (1991) : 190-199.

Biard, Michel. « Anne Simonin, Le déshonneur dans la République. Une histoire de l’indignité 1791-1958 », Annales historiques de la Révolution Française, 2009 [En ligne], 357 juillet-septembre, mis en ligne le 09 décembre 2009, URL:http://journals.openedition.org/ahrf/10665; DOI :https//doi.org/10.4000/ahrf.10665, consulté le 15 janvier 2021.

Billacois, François. « Flambée baroque et braises classiques ». Gautheron M (dir), L’honneur. Image de soi ou don de soi : un idéal équivoque. Paris, Autrement (1991) : 69-81.

Bourneuf, Roland et Ouellet, Réal. L’univers du roman. Paris : PUF, 1972.

Drevillon, Hervé et Venturino, Diego. « Penser et vivre l’honneur à l’époque moderne ». Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2011, www.pur-editions.fr, consulté le 3 février 2021.

Goffman, Erving. La mise en scène de la vie quotidienne. Paris : Les Editions de Minuit, Tomes 1 et 2, 1973. 

Green, André. « L’honneur et le narcissisme », in Gautheron M (dir), L’honneur. Image de soi ou don de soi : un idéal équivoque. Paris, Autrement (1991) : 37-52.

Jouve, Vincent. L’Effet-Personnage dans le roman. Paris : Presses Universitaires de France, Collection « Écriture », 1992.

Kourouma, Ahmadou. Le diseur de vérité, acte I. 1999

Kourouma, Ahmadou. Les soleils des indépendances. Paris : Seuil, 1970.

Littré, Emile. Dictionnaire de la langue française. Paris : Hachette, t. 2040-2043, 1874.

Martel, Rémy. La foule. Paris : Larousse, 1972.

Mellier, Denis. La littérature fantastique. Paris : Éd. du Seuil, 2000.

Mellier, Denis. L’écriture de l’excès : fiction fantastique et poétique de la terreur. Paris : H. Champion, 1999. 

Nicolas, Jean-Claude. Comprendre Les Soleils des Indépendances d’Ahmadou Kourouma. Paris : Seuil, 1985.

Roberge, Martine. L ‘art de faire peur : des récits légendaires aux films d’horreur. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2004.

Vaïs, Michel. L’écrivain scénique. Paris : PUQ, 1978.

 

 

 

Comment citer cet article :

MLA : Danho, Yayo Vincent. «Le prince Fama dans Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma : Des honneurs à l’horreur.» Uirtus 1.1 (août 2021): 34-50.

 

 

 

[1] Pour Furetière, le terme honneur signifie, entre autres, « témoignage d’estime ou de soumission qu’on rend à quelqu’un par ses paroles, ou par ses actions » ; « se dit en général de l’estime qui est due à la vertu & au mérite » ; « s’applique plus particulièrement à deux sortes de vertus, à la vaillance pour les hommes, & à la chasteté pour les femmes » ; « se dit aussi de la chose qui honore, qui donne de la gloire », etc. (Furetière A., Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots français tant vieux que modernes, La Haye-Rotterdam, 1690, article Honneur). Dans le Dictionnaire de l’Académie française : l’honneur est : « action, démonstration extérieure par laquelle on fait connaître la vénération, le respect, l’estime qu’on a pour la dignité, ou pour le mérite de quelqu’un » ; honneur « signifie encore, Vertu, probité » ; « se prend aussi pour la gloire qui suit la vertu, pour l’estime du monde, & pour la réputation » ; « se prend aussi pour Dignité, Charge ; mais en ce sens il n’a d’usage qu’au pluriel » (Le dictionnaire de l’Académie française, Paris, 1694, article Honneur).

[2]– Dans son ouvrage La littérature fantastique, Denis Mellier reprend cette catégorisation en remplaçant le fantastique de la représentation par le fantastique de la présence. Bien que l’analyse de ces catégories reste sensiblement la même, Mellier renomme quelques éléments étudiés en regard de chacune de ces tendances : la stratégie ou programme textuel dans le fantastique de la représentation devient l’enjeu dans le fantastique de la présence et l’écriture dans le premier type de fantastique a dorénavant pour nom la poétique dans le second.

[3]La Condition humaine est un roman d’André Malraux. Dans ce roman, Malraux définit ses personnages comme des types de héros en qui s’unissent la culture, la lucidité et l’aptitude à l’action. Mais ne sont-ils pas également plongés en permanence dans la boue de la condition humaine, alternance de grandeur et de déchéance ? Kyo se suicide dans l’espoir d’une fusion fraternelle. Mais cet espoir est illusoire. Tout le tragique de la condition humaine est là. L’angoisse eschatologique se double dans l’impossible dépassement de soi, de l’appréhension face à sa propre conscience. La vie est absurde, et l’homme incapable de savoir qui il est. N’y a-t-il pas corrélation entre les faits décrits et l’histoire de Fama ? (Nous soulignons).

Le prince Fama dans Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma : Des honneurs à l’horreur

Abstract : The present reflection examines Les Soleils des indépendances from the perspective of honour and horror. Centred around Prince Fama, the scenography of honour is essentially a principle that governs the life of the hero. The honour which he authoritatively wears in his finery and prestige leads to the wanderings, inconsistencies and viral deviation of the new world, embodied by the independence and its escorting trappings. Individual and collective decay ruins the vanities and vacuums of honour to give voice to a spectacularisation of horror. The description bases its relevance and strength on a textual and narrative rhetoric to which it associates an aesthetic intelligence that informs a kind of large-format image setting. The concrete expressionism of words cannot ultimately absolve the tragedy of the hero.

Keywords: Fama, Prince, Honour, Deviance, Horror, Tragedy

Full Text                      

Le prince Fama dans Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma : Des honneurs à l’horreur

Introduction

Par « noms de règne », nous entendons l’ensemble des désignateurs que s’attribuent les personnages des présidents, des chefs d’État ou des souverains au cours de leur exercice du pouvoir (N’Da 151-171). Dans l’œuvre littéraire de Sony Labou Tansi, La Vie et demie est le texte qui traite avec verve de la thématique des « noms de règne ». Dans les monarchies occidentales comme dans bon nombre de chefferies africaines, tout successeur au trône prend un nom de règne. Ces « noms de règne » sont souvent la traduction des projets de société, des programmes d’action ou des ambitions des nouveaux gouvernants. Mais la Katamanalasie, dans La Vie et demie, n’est ni une monarchie ni une chefferie. Selon la constitution qui la régit, elle a le statut de république. Il s’agit d’une « république communautaire » (VD 60) ainsi que la définit la loi fondamentale, et « son président fondateur (…), président à vie… » (VD 60). Or dans une république, la pratique de s’attribuer un « nom de règne » n’a pas sa raison d’être : le président élu conserve son patronyme, ou alors continue à faire valoir le pseudonyme qu’il s’était choisi et sous lequel il s’était fait connaître avant son accession au pouvoir. Dans l’histoire de l’Afrique contemporaine, le cas du premier président kenyan Jomo Kenyatta (le javelot flamboyant) est exemplaire. Autrement dit, l’accession à la magistrature suprême ne justifie aucunement le changement de nom. Aussi du fait que les guides dans La Vie et demie, en viennent, à chaque prise de pouvoir, à s’attribuer des noms de règne, indique clairement qu’il y a changement de système de gouvernement. Dès lors, la « république communautaire » de la Katamalanasie est assimilable à une royauté. En effet, bien qu’elle soit officiellement déclarée république, il n’en demeure pas moins qu’elle fonctionne comme une monarchie : les guides sont des présidents à vie et maîtres absolus des sanctions coercitives, et les trois pouvoirs que distingue le Droit public occidental, à savoir le législatif, le judiciaire et l’exécutif, sont concentrés entre leurs mains.

L’objet de cette étude est de montrer, exemples à l’appui, que les « noms de règne » dans La Vie et demie et L’État honteux ne sont pas gratuits ; ils ne sont pas non plus le fait d’attribution fantaisiste à visée ludique. Ils sont plutôt consubstantiels à l’exercice du pouvoir. Ils ne sont pas arbitraires, mais motivés au sens où l’entendent les poéticiens.

Pour mieux cerner cette problématique, nous recourons à la poétique comme à la fois théorie et approche méthodologique. L’option de la poétique se justifie du fait que le nom propre est une des propriétés intrinsèques du personnage fictionnel, sinon la plus importante. Bachir Adjil écrit sans détour que le nom d’un personnage romanesque « contribue pour beaucoup à son parcours sémiotique, et quelquefois il est même plus important que l’action du récit » (72). En somme, B. Adjil emboite le pas à Roland Barthes qui, dès la fin des années cinquante, met en exergue l’idée selon laquelle de toutes les caractéristiques qu’un auteur attribue à ses personnages, le nom se présente comme l’élément le plus significatif. De cette idée, Barthes conclut que « le propre du récit n’est pas l’action, mais le personnage comme Nom propre » (Barthes 197).

La présente contribution se propose d’analyser une catégorie de noms propres, – « les noms de règne », – dans La Vie et demie et L’État honteux. Aussi va-t-elle s’articuler autour de trois principaux axes :

  1. Présentation des deux romans du corpus ;
  2. Origines et morphologie des « noms de règne » ;
  3. Portée sémantique des « noms de règne ».

Si cette étude s’est limitée à l’analyse de La Vie et demie et de L’État honteux, c’est que ces romans sont les seuls dans la production narrative de Sony Labou Tansi, qui accordent une attention toute particulière aux « noms de règne ». Pour plus de clarté et de précision dans nos analyses, il nous paraît opportun d’en présenter les arguments.

  1. Présentation de La Vie et demie et de L’État honteux

Le premier roman de Sony Labou Tansi à être publié est La Vie et demie. L’histoire qu’il racontese déroule dans un pays imaginaire, la Katalamanasie, qui a pour capitale Yourma. Au lendemain de l’indépendance de ce pays, un « voleur de bétail » du nom d’Obramoussando Mbi s’empare du pouvoir et se fait appeler « Guide Providentiel ». Il va régner en maître absolu sur ce pays et y instaurer un régime politique tyrannique. Seul Martial, un personnage à la fois charismatique et mystique, lui oppose une résistance des plus farouches. Le « Guide Providentiel » décide alors de le réduire de ses propres mains en pâté. Malgré l’usage qu’il fait du couteau, du revolver, du sabre, du poison, il ne réussit pas à l’anéantir. « Je ne veux pas mourir cette mort », ne cesse de répéter Martial. Et le Guide Providentiel de s’écrier : « Alors, quelle mort veux-tu mourir, Martial ? » Martial continuera de vivre sous une forme spectrale et de tourmenter le « Guide Providentiel » et ses successeurs, et ce, durant plusieurs générations.

Chaïdana, à peine âgée de quinze ans, poursuit la lutte de son père, mais d’une manière que ce dernier désapprouve : elle se prostitue aux dignitaires du régime du « Guide Providentiel », tuant les uns après les autres, ministres et officiers qu’elle invite dans sa chambre n° 38 de l’hôtel « La vie et demie ». Elle s’emploie à falsifier les pièces d’identité qu’elle porte sur elle et échappe ainsi à la vigilance des sbires du « Guide Providentiel ».

Chaïdana met au monde des triplés, deux garçons et une fille, qui sont la conséquence de la « gifle intérieure » (viol) qu’elle reçoit de son père. Les deux garçons, Martial et Amendadio Layisho, meurent l’un à sa naissance, et l’autre des suites d’un empoisonnement. Seule la fille, Chaïdana Layisho, reste en vie. Grâce à sa beauté incomparable, elle ne tarde pas à séduire des hauts dignitaires de la Katalamanasie. De son union avec Jean-Oscar-Cœur-de-Père sera issu un fils du nom de Kamachou Patatra. Celui-ci succèdera à son père et prendra comme nom de règne Jean-Cœur-de-Pierre. Il donne naissance à deux mille enfants qu’il prénomme tous « Jean ». Trente d’entre eux rejoignent leur grand-mère Chaïdana Layisho surnommée Chaïdana-aux-gros-cheveux. Ils vont consacrer toutes leurs énergies à développer leur pays. Cette descendance, que le narrateur désigne par le terme « chaïdanisés », livrera une guerre sans merci aux maîtres de la Katalamanasie et finira par les éliminer.

Le deuxième roman de Sony Labou Tansi s’intitule L’État honteux. A l’instar de la Vie et demie qui conte par le menu l’histoire d’une dynastie mégalomane et ubuesque, L’État honteux reproduit le discours du pouvoir, incarné par l’abominable colonel Martillimi Lopez. Ce personnage a comme principale caractéristique son énorme « hernie ». Sa toute-puissance, sa folie de grandeur et la tyrannie qu’il exerce sans désemparer sur son peuple, sont par conséquent symbolisées par elle. Dès sa prise de pouvoir, Martillimi Lopez décide, contre toute attente et en dépit des règles en vigueur dans les relations internationales, de retracer les frontières de son pays : « La patrie sera carrée », déclare-t-il. Des tentatives répétées de coups d’Etat créent un climat de peur dans le pays. Lopez est tenté d’abdiquer mais ses conseillers l’en dissuadent. Exaspérés par le comportement de Martillimi Lopez et les décisions souvent irrationnelles qu’il est amené à prendre, les ministres, imités en cela par les officiers de l’armée et les hauts fonctionnaires, lui présentent chacun leurs démissions, car, confessent-ils, « ce pays nous devons le laisser aux enfants des enfants de nos enfants mais pas dans cet état honteux… ». Le dictateur sanguinaire reprend le dessus et remanie son gouvernement. Mais vivant toujours dans un climat de peur et de violence, il décide de connaître son avenir et fait venir le voyant Merline. Celui-ci lui fait avaler une pièce de monnaie qui l’étouffe. Lopez tombe dans un coma profond qui dure plusieurs semaines. Pendant ce temps, le colonel Jescani le déclare mort, fixe la date de son enterrement et s’empare du pouvoir. La « Maman Nationale », la mère de Martillimi Lopez, et une des femmes du dictateur sont enlevées et tuées. Mais Lopez n’est pas mort. Revenu à lui, il reprend le pouvoir.

Lors d’un voyage de Martillimi Lopez à Paris, le colonel portugais Vauban, son homme de main, s’empare à son tour du pouvoir. Il ne l’exercera pas pour longtemps, car, dès son retour au pays, Lopez le met en fuite et rétablit l’ordre. Fatigué de tout, Martillimi Lopez, après un festin offert aux diplomates et aux dignitaires de son régime, annonce sa démission.

Telle est la présentation succincte des deux romans de notre corpus. Le premier, La Vie et demie, s’illustre par un foisonnement exceptionnel des « noms de règne », témoignant de la créativité onomastique de l’écrivain congolais. Le second, L’État honteux, offre peu de cas de changement de nom au sommet de l’Etat. N’empêche que l’Etat lui-même, le pouvoir qu’il incarne ainsi que le corps de Martillimi Lopez y sont représentés par la hernie. Le terme hernie finit par désigner, au-delà de la pathologie, le personnage de Martillimi Lopez lui-même. Reste à étudier les origines et la morphologie de ces « noms de règne ».

  • Origines et morphologie des « noms de règne »

La première observation que l’on puisse exprimer dans cette étude concerne exclusivement La Vie et demie. Dans ce roman n’apparaissent à aucun moment les désignations des présidents, chefs d’État, souverains et autres empereurs, etc. En revanche tous les personnages exerçant le pouvoir suprême sont désignés par les termes de « guide » et « d’Excellence ». Mais le titre de guide que portent tous les souverains de la Katamalanasie provient, dans le roman, de celui qui, le premier, se l’attribue : le « Guide Providentiel ». Il s’agit du voleur de bétail Cypriano Ramoussa devenu Obramoussando Mbi, puis Marc-François Matéla-Péné Loanga, puis Yambo, puis, enfin, le Guide Providentiel une fois qu’il prend le pouvoir. Le narrateur rend bien compte de cette double aventure onomastique et politique lorsqu’il déclare :

Il [Le Guide Providentiel] pensait à Obramoussando Mbi, comment il avait quitté cette identité pour celle de Loanga ; Loanga devient Yambo. Il pensait comment Yambo devint le premier secrétaire du Parti pour l’égalité et la paix ou PPEP, comment le PPEP devint le PPUD (Parti pour l’unité et la démocratie) puis le PPUDT (Parti pour l’unité, la démocratie et le travail) et lui, son président fondateur donc, suivant le fin piège constitutionnel, président à vie de la république communautariste de la Katamalanasie. Yambo devint alors le Guide Providentiel Marc-François Matéla-Péné…  (VD 59-60).

Bien qu’il porte aussi d’autres noms et d’autres titres notamment Cézama 1er, celui sous lequel il va exercer ses prérogatives de chef d’État n’est autre que celui de Guide Providentiel avec des majuscules aux initiales comme pour souligner la nature extraordinaire, voire surhumaine de son pouvoir.

Pour plus de clarté, nous schématisons, dans le tableau ci-après, le cheminement social et politique ainsi que l’aventure anthroponymique du Guide Providentiel :

Nom à l’état civil 1er changement de nom 2e changement de nom 3e changement de nom Nom(s) de règne
Cypriano Ramoussa (caractéristique : voleur de bétail, etc.) Obramoussando Mbi (caractéristique : voleur de bétail, etc.) Loanga (Caractéristique : idem) Yambo (caractéristique : Premier secrétaire du Parti) – Le Guide Providentiel Marc-François Matéla-Péné – Cézama 1er

Cypriano Ramoussa s’illustre donc dans le vol du bétail. Il a maille à partir avec la justice. Le changement d’identité lui permet, dans un premier temps, de vivre dans la clandestinité ; il échappe ainsi aux rigueurs de la loi. Le changement d’identité lui permet, dans un second temps, d’accéder à la sphère du pouvoir politique : il devient, en effet, sous un nom nouveau Premier secrétaire du Parti. En accédant à la magistrature suprême, Yambo devient simultanément le Guide Providentiel, Marc-François Matéla-Péné et Cézama 1er. Du début à la fin du récit Cypriano Ramoussa change d’identité. Il s’attribue des noms d’emprunt ou des identités fictives comme pour échapper à l’attention de tous. En fait, il passe son temps à se camoufler pour ne pas être reconnu ni de la police ni de ceux à qui il avait volé du bétail ni de ses créanciers ni de la population. Cependant il se contente de changer de nom, mais pas d’apparence. On peut, ici, parler de ce que Frank Wagner appelle « les fluctuations diachroniques de l’étiquette du personnage » (38).

La combinaison de ces deux mots « guide » et « providentiel » donne lieu à un « nom de règne » construit sur la base de mots abstraits. Le guide est concrètement une personne qui a la mission de montrer le chemin aux autres, mais abstraitement il est aussi celui sur qui les autres doivent régler leurs conduites. Il est donc un modèle. Quant à l’adjectif « providentiel » accolé à « guide », il détermine la nature du pouvoir de Son Excellence Matéla-Péné Loanga : ce pouvoir se veut d’essence divine. En d’autres termes, l’ancien voleur de bétail n’aura pas reçu son pouvoir de son peuple, mais de Dieu.

Le recours au sacré a pour objectif de légitimer le pouvoir quelles que soient les circonstances dans lesquelles il s’acquiert ou s’exerce. En Occident, par exemple, le pouvoir a souvent eu recours à la religion pour sa légitimation. Il n’est que de se rappeler le sacre des rois ou les serments constitutionnels pour comprendre la place du sacré dans l’organisation et le fonctionnement des sociétés humaines.

En Afrique, le pouvoir traditionnel s’est toujours enveloppé d’un mystère qui lui imprime un caractère sacré. C’est que tout pouvoir pour être efficace, a besoin de légitimation ; et la légitimation pour bon nombre de chefs politiques, passe par la voie du sacré. Dès lors, le pouvoir qu’ils exercent n’est plus perçu comme émanant du peuple, mais plutôt d’un foyer à distance des hommes et, par conséquent, offrant, comme le fait observer Claude Lefort (67), « la garantie d’un accord substantiel entre l’ordre de la société et l’ordre de la nature. »

La recherche de la légitimité dans le cas du Guide Providentiel s’opère principalement par la voie du sacré en faisant du pouvoir qu’il détient une émanation divine, il ne faudra cependant pas perdre de vue qu’elle s’opère également par la voie des traditions : le guide se donne une généalogie avec des ancêtres hors du commun. Le narrateur est on ne peut plus explicite à ce sujet :

Tout le monde savait par cœur où était né le Guide Providentiel, quand, de qui, comment et pourquoi  ̶,   mais le commentateur refit les éloges de Samafou Ndolo Petar qui leur avait donné (aux Katamalanasiens, bien sûr) un fils que la providence avait rempli des meilleurs dons du monde (VD 52).

Le Guide Providentiel apparaît comme un élu des dieux. Choisi parmi mille, il est par la force des choses porté à la magistrature suprême. Son père, Samafou Ndolo Petar, un citoyen ordinaire, se voit du jour au lendemain placé sous les feux de la rampe du simple fait qu’il est son géniteur.

L’image que le narrateur veut donner de Samafou Ndolo Petar est celle de bâtisseur de dynasties. Il est le géniteur d’un grand chef. Son prénom, Petar, est significatif à cet égard. Il s’agit d’un prénom d’origine croate, voire slave. Il est l’équivalent de Pierre.

Dans les Evangiles, celui que Jésus surnomme Pierre s’appelait en réalité Simon. Il est le principal de ses douze Apôtres. En le surnommant Pierre, Jésus fait de lui le fondement de l’édifice ecclésiastique (Matthieu 16, 18). Samafou Ndolo Petar est dès lors assimilable à Pierre. Si ce dernier est bâtisseur d’église, Ndolo Petar est bâtisseur de dynastie, celle des Guides Providentiels.

En plus, on n’est pas loin de ce qui arriva à Joseph, le charpentier de Nazareth, qui se vit projeté au-devant de la scène non pas pour ses performances d’artisan et la qualité de son travail, mais pour le simple fait qu’il était l’époux de la Vierge Marie et père nourricier de l’Enfant Jésus. Une fois de plus, on reconnaît par ces allusions la dette de Sony Labou Tansi vis-à-vis des Saintes Ecritures.

Mais ce qui nous paraît particulièrement significatif à ce stade d’analyse, c’est le processus d’autocélébration et de mythisation dans lequel s’engagent sans ménagement le pouvoir et celui qui l’exerce au sommet.

Le Guide Providentiel met en effet tout en œuvre pour se construire un mythe autour de sa personne et de son pouvoir à partir de ses origines et de son parcours social et politique. Et ce mythe qui fait de lui un être exceptionnel, ses thuriféraires (les partisans, les médias, les artistes) participent à son élaboration et à son amplification.

Il en est de même de Martillimi Lopez dans L’État honteux. Personnage sans envergure, il se fait passer pour un homme exceptionnel, qui aura tiré son peuple du marasme économique et du chaos politique dans lesquels ses prédécesseurs l’avaient plongé. Il justifie ainsi sa prise de pouvoir :

 … je n’aurais pas pris votre pouvoir de merde si mon prédécesseur ne s’était pas mis à pisser sur les affaires de la patrie, s’il vous avait laissés mourir de faim au lieu de vous tuer comme des rats, s’il n’avait pas jeté septante pour cent du budget à l’achat des ferrailles russes (EH 23).

L’image que Martillimi Lopez donne de son prédécesseur est celle d’un homme sans charisme, dénué du sens de l’Etat, dépourvu de l’amour de son peuple et porté sur la gabegie et la cruauté. Ce que Martillimi Lopez dit de son prédécesseur immédiat, il le pense au sujet de tous ceux qui ont exercé le pouvoir avant lui. Il déclare en effet en se comparant à eux :

Je ne suis pas Haracho national qui touchait l’argent du pétrole en cachette et qui le jetait dans ses comptes en Suisse, ce qui ne vous a pas empêchés de le foutre père de la nation quelle honte ! Et vous avez vu comment Dascano national a dormi toutes vos femmes, vous avez vu comment il passait ses nuits au collège de Lahossia, comment il est devenu le père de seize cent onze bordels, mais vous l’avez foutu père de la nation, et maintenant dites à ma hernie combien vous allez donner de pères à cette pauvre terre ? (EH 156-157)

Il ressort de ce discours que le titre de « père de la nation » aura été galvaudé du fait qu’il a été porté par des personnes sans moralité. En posant la question de savoir combien de « pères de la nation » le peuple va donner à la république, Martillimi Lopez dénonce sans détours les coups d’Etat et autres pratiques anticonstitutionnelles de prise de pouvoir. Il décide de remettre le pays sur les rails, de réhabiliter la constitution et les institutions qui en découlent et de mettre un terme à l’anarchie qui a élu domicile dans la « patrie ».

 … non non et non, moi, Lopez national fils de maman, je dis : terminée la connerie d’inventer la merde, terminés vos jeux de hernies : plus de père de la nation, plus de marchands de mirages : vive la patrie ! à bas les cons, à bas la connerie ! (EH 157)

La première étape vers la restauration d’un État de droit est la remise en question de son propre pouvoir. La décision qu’il prend est sans appel : Je rends le pouvoir aux civils ! (EH, 157). Martillimi Lopez quitte le pouvoir et s’en retourne à Moumvouka, le village de sa mère, la « Maman-Folle-Nationale » (EH,157), d’où il était parti quelques années plus tôt. Mais avant de céder le pouvoir aux civils, il ordonne que les militaires regagnent leur caserne. Que les tirailleurs rentrent à la caserne avec ma hernie pour attendre la guerre (EH, 157).

Le vocable « tirailleurs » employé par Lopez n’a, objectivement parlant, rien de péjoratif. Le Robert explique ce mot en ces termes : « 1. Soldat détaché pour tirer à volonté et harceler l’ennemi ; 2. Soldat de certaines troupes d’infanterie coloniale, encadrées par des Français ». Cette dénomination était réservée aux fantassins de l’armée coloniale recrutés hors de la France métropolitaine. Tel n’est pas le cas ici. Quand Lopez parle de « tirailleurs », il ne s’agit pas des étrangers, mais « des enfants du pays ». Pourquoi les désigne-t-il ainsi ? L’une des particularités des tirailleurs, c’était de tirer à volonté et dans toutes les directions pour harceler l’ennemi comme l’exigeait le commandement militaire. Ce comportement donnait l’impression d’un manque de discipline alors qu’il était la résultante d’une stratégie opérationnelle rompue. Le désordre et les exactions que les soldats provoquent à la Cité sont comparables à ceux des « tirailleurs ». C’est pourquoi Lopez emploie pour les désigner la métaphore de « tirailleurs ». Et cette métaphore est chargée de connotations négatives.

Le retour des militaires dans les casernes constitue la seconde étape vers la restauration d’un État de droit. Bien que tout au long de ses quarante années de règne, il n’ait su diriger son pays conformément aux principes de gouvernance qu’il énonce, Martillimi Lopez pose néanmoins les jalons d’une véritable démocratie : le pouvoir au peuple et par le peuple ; le respect de la constitution et des institutions qui en émanent ; la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ; le cantonnement de l’armée à ses missions de défense du territoire national.

En ne relevant que les aspects négatifs de la personnalité de ses prédécesseurs, il se met lui-même en vedette et marque la différence : il sous-entend que lui est bon, juste, magnanime, démocrate, et soucieux du bon fonctionnement de la « patrie ».

Le narrateur de L’État honteux comme celui de La Vie et demie met en exergue la participation du peuple au processus de mythisation de la personne de Martillimi Lopez et de son pouvoir. Il fait remarquer, en effet, que

 … dans toutes les maisons où vous allez le soir, on raconte l’histoire de feu mon-colonel Martillimi Lopez, commandant en chef de l’amour et de la fraternité, et chacun y met son ton, sa salive, ses dates, ses lieux, chacun la fait briller à sa guise au ciel de notre imagination… (EH 23).

Le pronom indéfini neutre « on » du syntagme verbal « on raconte » réfère à une ou plusieurs personnes. Il est par ailleurs inclusif dans la mesure où il couvre, comme l’indiquent les grammairiens et autres spécialistes de la langue française, l’ensemble des pronoms personnels, du « je » aux il(s) et elle(s). Le pronom indéfini « on » renvoie certes à des êtres humains, à des sujets indéterminés, mais peut aussi évoquer des généralités, ou être employé en cas de souhait d’anonymat. Dans cet extrait de L’État honteux, il indique que le propos tenu relève du registre de la rumeur. L’émetteur n’est pas déterminé. Il n’est pas non plus identifiable. Les faits relatés ne sont guère attestés historiquement. Ils relèvent de l’affabulation. Ils sont comme toute rumeur, des déclarations destinées à être crues, se rapportant à l’actualité et répandues sans vérification officielle (Kapferer 11-12). Cela laisse toute latitude à ceux qui participent à la fabrication et la diffusion du mythe de Martillimi Lopez d’inventer les dates et les lieux en fonction des messages qu’ils entendent propager. En définitive, le narrateur met l’accent sur la créativité populaire avec ce qu’elle comporte de pouvoir d’amplification des faits constatés ou supposés.

Prenant le contrepied de la rumeur, le narrateur s’engage à donner une version supposée véridique des faits et événements entourant la vie et la mort de Martillimi Lopez.

 … mais voici la vraie histoire de Martillimi Lopez fils de Maman Nationale, telle que la racontent ceux de ma tribu, avec leur goût du mythe, au milieu des éclats de rire…  (EH 23).

La version proposée par le narrateur et qualifiée de « vraie histoire » est considérée comme véridique pour trois raisons.

La première : le narrateur est de la même tribu que Martillimi Lopez ; il est donc censé parler de ce dernier de l’intérieur et en connaissance de cause.

La deuxième raison : la version qualifiée de « vraie » est celle de la tribu de Martillimi Lopez.

La troisième raison : bien qu’elle n’échappe pas au « goût du mythe », la tribu de Lopez continue d’espérer que même mort, ce dernier ne manquera pas de la protéger contre les tyrans. Par « tyrans » il faudra entendre les prédécesseurs de Martillimi Lopez, en l’occurrence Haracho et Dascano, mais aussi ceux à venir d’autant plus qu’il quitte le pouvoir en ayant fait le vide autour de lui et sans avoir préparé de successeur.

La reconnaissance infinie que les médias et les populations katamalanasiennes vouent au géniteur du Guide Providentiel, dans La Vie et demie, s’étend aux habitants du village où ce dernier a vu le jour. Le narrateur observe en effet que le village aussi avait été loué d’avoir laissé grandir dans la joie et la simplicité le guide multidimensionnel… (VD 52).

Le Guide Providentiel François-Marc Matéla-Péné Loanga, alias Sa Majesté Cézama 1er, nous apparaît en définitive comme un fondateur de dynastie. Sa descendance jouera un rôle de premier plan en Katamanalasie en dépit des soubresauts sociaux et autres crises politiques qui vont marquer l’histoire de ce pays.

À la mort du Guide Providentiel, le colonel Mouhahantso lui succède. Il prend le nom de règne de guide Henri-au-Cœur-Tendre. On peut se poser la question de savoir si ce nom de règne correspond bel et bien à son tempérament, à son projet de société, à sa manière de gouverner. D’ores et déjà l’on sait qu’il aime « les vierges, la viande et les vins » (VD 83), c’est-à-dire une vie dissolue. Le narrateur comme par dérision met à nu une sorte de duplicité qui le caractérise. Par le nom qu’il s’attribue, il cherche à se faire passer pour ce qu’il n’est pas.

 … ici, dit le narrateur, les mots ne disaient plus ce que disent les mots, juste ce que voulaient les hommes qui les prononçaient (VD 83).

Henri-au-Cœur-Tendre meurt assassiné par « son quart de frère » [sic] Katarana-Mouchata. Celui-ci prend le nom de règne de guide Jean-Oscar-Cœur-de-Père. Il meurt sur le bûcher en ayant choisi le nom de mort de Jean-Brise-Cœurs. À sa disparition, son fils Kamachou Patatra prend le pouvoir sous le nom de Jean-Cœur-de-Pierre.

Jean-Cœur-de-Pierre est assassiné par son fils Jean-sans-Cœur, « dans un coup orchestré avec la bénédiction de la puissance étrangère qui fournissait les guides » (VD 157).

À la mort du guide Jean-sans-Cœur, le maréchal Kenka Moussa prend les laisses de la nation sous le nom de règne de Félix-le-Tropical. La « puissance étrangère qui fournissait les guides » finit par se débarrasser de lui parce que, estime-t-elle, « le goût tropical y [en lui] était encore, mais plus frappant, plus aigre que naguère » (VD 169).

À la mort de Félix-le-Tropical, la « puissance étrangère qui fournissait les guides » porte sur le trône, au dire du narrateur, « un inconnu cousin du Maréchal, appelé Souprouta » (VD 170) sous le nom de règne de Mallot-l’Enfant-du-Tigre. Ce dernier meurt en se tirant une balle dans la tête. À Mallot-l’Enfant-du-Tigre va succéder le général Mariane-de-la-Croix.

Les univers fictionnels de La Vie et demie et L’État honteux sont en fin de compte marqués par un foisonnement de « noms de règne ». On peut cependant relever que ces « noms de règne » ne sont pas dépourvus de signification et qu’ils s’ancrent dans l’histoire, la sociologie, l’imaginaire, le monde animal, le monde végétal. D’où l’intérêt, à ce stade d’analyse, d’en cerner la portée sémantique.

  • Portée sémantique des « noms de règne »

À bien examiner les « noms de règne » dans ces deux romans de Sony Labou Tansi, une première remarque s’impose. En dehors de Martillimi Lopez, dans L’État honteux, qui ne change pas de nom, tous les autres, notamment dans La Vie et demie, n’ont pas gardé leurs noms inscrits dans les registres de l’état civil en montant sur le trône.

Une deuxième remarque concerne la morphologie de ces « noms de règne ». Ils sont tous construits comme des noms composés : les éléments dont ils sont constitués, à l’exception de Guide Providentiel, sont reliés par des traits d’union et de ce fait forment chacun un tout indissociable. Les groupes nominaux (Cœur-Tendre, Cœur-de-Père, Cœur-de-Pierre, Brise-Cœur, sans-Cœur, le-Tropical, l’Enfant-du-Tigre, de-la-Croix) sont tout compte fait en fonction d’apposition, et placés à côté d’un nom (Henri, Jean, Félix, Mallot, Mariane) ils en précisent l’identité, la qualité et éventuellement le métier.

Une troisième remarque porte sur l’origine de ces « noms de règne ». Ces noms sont tous d’origine européenne. Ils s’apparentent tant par leur structure que par leurs sonorités à ceux de quelques personnages historiques qui ont marqué l’imaginaire collectif des peuples d’Europe : Louis Ier le Pieux (IXe siècle), Charles II le Mauvais (XIVe siècle), Louis VI le Gros (XIIe siècle), Louis VII le Jeune (XIIe siècle) ou Philippe IV le Bel (XIVe siècle) pour ne citer que ces quelques exemples. On remarque cependant que les emprunts que font les souverains de la Katamalanasie à l’onomastique européenne les coupent de leur propre histoire et les projettent dans l’histoire des autres. Il en résulte que leur légitimité n’a plus sa source dans leur propre histoire, mais dans l’histoire des autres.

Nous sommes bien consciente de l’importance des noms propres dans les cultures des peuples : ils situent l’individu dans sa généalogie et l’identifient à sa communauté. Anne Retel-Laurentin et Suzanne Howath montrent dans leur ouvrage sur Les Noms de naissance, que

les noms apparaissent, selon les sociétés et les interprètes, comme une partie vitale de la personnalité, comme une sorte de double (Retel-Laurentin, Howath 18).

L’importance du nom est telle que quiconque cherche à s’en défaire au profit d’un nom étranger se dépouille de son identité au bénéfice d’une identité d’emprunt. C’est l’une des expressions les plus achevées du phénomène d’aliénation culturelle à la description duquel bon nombre de penseurs ont consacré des pages significatives, notamment le Martiniquais Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs (1952).[1] Or, les guides changent d’identité en prenant des noms étrangers comme « noms de règne », ils sont par conséquent des personnages profondément aliénés, c’est-à-dire étrangers à eux-mêmes.

Une quatrième remarque porte sur le contenu sémantique de ces « noms de règne ». À l’exception de Cœur-de-Pierre, Brise-Cœur, le-Tropical, l’Enfant-du-Tigre, sans-Cœur, qui expriment d’emblée la dureté, la cruauté, l’animalité, les autres « noms de règne » (Guide Providentiel, Cœur-Tendre, Cœur-de-Père, de-la-Croix) dénotent en principe l’humanisme, la magnanimité, la grandeur d’âme. Mais ceux qui portent ces noms reflètent-ils dans leur langage et dans leurs comportements les vertus annoncées ? La réponse est négative. Les personnages qui s’attribuent « ces noms de règne » à valeur positive ne sont guère différents des autres : ils sont eux aussi caractérisés par la violence, la cruauté, la sauvagerie, l’animalité.

De ces remarques, il ressort que l’auteur use de l’antiphrase pour nommer ceux qui exercent le pouvoir au sommet. L’antiphrase, proche de l’ironie, est une figure de sens qui consiste à dire le contraire de ce que l’on pense derrière une formule faussement plaisante. Elle correspond donc, dans sa forme canonique, à la formule : « dire A pour signifier le contraire de A » (Fromilhague 105). Ni le Guide Providentiel, ni Henri-au-Cœur-Tendre, ni Jean-Oscar-Cœur-de-Père, ni Mariane-de-la-Croix n’incarnent les valeurs qu’énoncent les noms de règne qu’ils se sont attribués.

Dans son étude sur « La tradition burlesque dans ‘’La Vie et demie’’ de Sony Labou Tansi », Elo Dacy (80-81) est plus explicite encore sur le caractère ambigu de ces « noms de règne » :

Sony Labou Tansi, note-t-il, use de l’ironie burlesque pour montrer le divorce entre leur comportement criminel et l’espoir suscité par leurs noms de règne. Ces derniers se révèlent n’être en dernière analyse que des masques. La charge positive qu’ils recèlent relève d’une volonté de mystification.

C’est en fin de compte cette volonté de mystification qui transparaît dans chaque « nom de règne » et fait des personnages qui les portent des individus « en flagrante contradiction avec leur pratique sociale, faite de folie meurtrière, de cruauté, de déficit social » (Dacy 80).

Conclusion

Cette étude a eu pour objectif l’analyse de ce que nous avons appelé les « noms de règne » qui constituent un des aspects non négligeables de l’anthroponymie romanesque de Sony Labou Tansi. Nos analyses ont abouti aux conclusions suivantes : les « noms de règne », ensemble des désignateurs que s’attribuent les personnages des présidents, des chefs d’État ou des souverains dès leur prise de pouvoir, disent souvent sinon toujours le contraire de ce qu’ils sont. Ils apparaissent ainsi comme l’expression la plus achevée de leur volonté de mystification. 

Cette volonté de mystification du pouvoir qu’ils exercent, beaucoup de personnages des « chefs politiques » dans les textes de littérature africaine francophone l’incarnent.

Baré Koulé, président de la République des Marigots du Sud, dans Le Cercle des Tropiques du Guinéen Alioum Fantouré, par exemple, est désigné tantôt par « Le Sauveur », tantôt par « Le Vénérable Maître », tantôt par « Le Messie-Koï ».

Les deux premiers termes relèvent du registre religieux, ils sont ordinairement employés pour désigner Jésus-Christ venu sur terre pour sauver l’humanité du péché originel et, en même temps, apporter la Bonne Nouvelle aux hommes. En s’attribuant les titres de « Sauveur » et de « Vénérable Maître », Baré Koulé prend une figure christique, et la mission qu’il s’assigne revêt un caractère sacré.

Quant à « Messie-Koï », il procède, comme le fait remarquer Jacques Chevrier (37-38), par amalgame syncrétique de deux termes parfaitement redondants : Le Messie, d’une part, emprunté à la culture chrétienne, et le mot Koï qui, en songhay, signifie le chef. 

Dans Le Pleurer-Rire du Congolais Henri Lopes, le narrateur présente Tonton Hannibal Ideloy Bwakamabé Na Sakkadé, le personnage principal du roman, comme un individu qui a partie liée avec les dieux. Le cantique « Quand Tonton descend du ciel », exécuté à l’harmonium par le curé de la paroisse Saint-Dominique du Plateau, insiste sur son essence divine.

En définitive, les « noms de règne » dans leur diversité n’en constituent pas moins un véritable enjeu de pouvoir et le lieu par lequel celui-ci manifeste sans détours sa mainmise.

Travaux cités

Adjil, Bachir. Espace et écriture chez Mohammed Dib : la trilogie nordique. Paris : l’Harmattan/Awal, 1995.

Barthes, Roland. « Proust et les noms », in Le Degré zéro de l’écriture suivi de Nouveaux essais critiques. Paris : Le Seuil, coll. Points, (1953 et 1972) : 121-134.

———–. « Analyse textuelle d’un conte d’Edgar Poe », in S. Alexandresku, R. Barthes, Cl. Bremond et al. (dir.), Sémiotique narrative et textuelle. Paris, Larousse, (1974) : 34-44.

Bourneuf, Roland et Ouellet, Réal. L’Univers du roman. Paris : Presses Universitaires de France, collection SUP, 1975.

Chevrier, Jacques. « Visages de la tyrannie dans le roman africain contemporain », La Deriva delle francofonia (Atti dei seminari annuali di Letteratura Francophone dirreti da Franca Marcato Falzoni « Figures et fantasmes de la violence dans les littératures francophones de l’Afrique sub-saharienne et des Antilles »), 1 « L’Afrique sub-saharienne », Istituto Universitario Orientale, Naples, 29-30 novembre-1er décembre 1990. Bologne Editrice CLUEB. (1991) : 33-53.

Dacy, Elo. « La Tradition burlesque dans ‘’La Vie et demie’’ de Sony Labou Tansi », in Mukala Kadima-Nzuji, Abel Kouvouama et Paul Kibangou (dir.), Sony Labou Tansi ou la quête permanente du sens. Paris : l’Harmattan (1997) : 75-86.

Fanon, Frantz. Peau noire, masques blancs, Paris : Le Seuil, 1952.

Fantoure, Alioum. Le Cercle des Tropiques. Paris : Présence Africaine, 1972.

Fromilhague, Catherine. Les Figures de style. Paris : Armand Colin, 2014

Kapferer, J.-N. Rumeurs, le plus vieux média du monde, Paris : Le Seuil, 2009, (1ère édition en 1987).

Retel-Laurentin, Anne et Howath, Suzanne. Les Noms de naissance indicateurs de la situation familiale et sociale en Afrique noire. Paris, SELAF, 1972.

Lefort, Claude. Un homme en trop. Réflexions sur ‘’L’Archipel du Goulag’’. Paris : Le Seuil, coll. Combats, 1976.

Lopes, Henri. Le Pleurer-Rire. Paris : Présence Africaine, 1982.

N’da, Pierre. « Onomastique et création littéraire. Les noms et les titres des chefs d’Etat dans le roman négro-africain ». Présence francophone. Sherbrooke (Québec), 45, (1994) : 151-171.

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———. L’État honteux. Paris : Le Seuil, 1979.

Wagner, Frank. « Perturbations onomastiques : l’onomastique romanesque contre la mimèsis » in Yves Baudelle (Textes réunis par), Narratologie n0 9 « Onomastique romanesque », (2008) : 17-42.

Comment citer cet article :

MLA : Kadima-Nzuji, Gashella Princia Wynith. «Poétique des « noms de règne » dans La vie et demie et L’état honteux de Sony Labou Tansi.» Uirtus 1.1 (août 2021): 17-33.

Poétique des « noms de règne » dans La vie et demie et L’état honteux de Sony Labou Tansi

Gashella Princia Wynith Kadima-Nzuji§

Résumé : L’œuvre littéraire de l’écrivain congolais Sony Labou Tansi présente une galerie de personnages dotés de statuts variables. Ils se singularisent par les noms qu’ils portent. La présente contribution analyse les « noms de règne » que les personnages des chefs d’État ou des souverains reçoivent ou s’attribuent dès leur prise de pouvoir, dans La Vie et demie et L’État honteux de Sony Labou Tansi. Elle montre que sous la plume de l’écrivain congolais, les noms sont consubstantiels à l’exercice du pouvoir. Pour mieux circonscrire cette problématique, nous recourons à la poétique comme à la fois théorie et approche de l’œuvre littéraire. La poétique s’intéresse, en effet, aux propriétés du texte littéraire, et le personnage en est une. Parmi les attributs du personnage, le nom est sans aucun doute celui qui en détermine le mieux le parcours sémiotique.

Mots-clés :  Noms, personnages, consubstantiels, poétique, souverains, pouvoir,

 

Abstract: The literary work of the Congolese writer Sony Labou Tansi presents a large number of characters with varying statuses. They are distinguished by the names they bear. This contribution analyzes « the names of reigns » that heads of states or sovereigns receive or attribute to themselves as soon as they take power. It shows that in the work of Sony Labou Tansi, the names are consubstantial with the exercise of power. To better circumscribe this problematic, we resort to poetics as both a theory and an approach to the literary text. Poetics is, in fact, interested in the properties of the literary text, and the character is one of them. Among the attributes of the latter, the name is undoubtedly the one which best determines its semiotic course.

Keywords: Names, Characters, Consubstantial, Poetic, Sovereigns, Power.

 

Introduction

Par « noms de règne », nous entendons l’ensemble des désignateurs que s’attribuent les personnages des présidents, des chefs d’État ou des souverains au cours de leur exercice du pouvoir (N’Da 151-171). Dans l’œuvre littéraire de Sony Labou Tansi, La Vie et demie est le texte qui traite avec verve de la thématique des « noms de règne ». Dans les monarchies occidentales comme dans bon nombre de chefferies africaines, tout successeur au trône prend un nom de règne. Ces « noms de règne » sont souvent la traduction des projets de société, des programmes d’action ou des ambitions des nouveaux gouvernants. Mais la Katamanalasie, dans La Vie et demie, n’est ni une monarchie ni une chefferie. Selon la constitution qui la régit, elle a le statut de république. Il s’agit d’une « république communautaire » (VD 60) ainsi que la définit la loi fondamentale, et « son président fondateur (…), président à vie… » (VD 60). Or dans une république, la pratique de s’attribuer un « nom de règne » n’a pas sa raison d’être : le président élu conserve son patronyme, ou alors continue à faire valoir le pseudonyme qu’il s’était choisi et sous lequel il s’était fait connaître avant son accession au pouvoir. Dans l’histoire de l’Afrique contemporaine, le cas du premier président kenyan Jomo Kenyatta (le javelot flamboyant) est exemplaire. Autrement dit, l’accession à la magistrature suprême ne justifie aucunement le changement de nom. Aussi du fait que les guides dans La Vie et demie, en viennent, à chaque prise de pouvoir, à s’attribuer des noms de règne, indique clairement qu’il y a changement de système de gouvernement. Dès lors, la « république communautaire » de la Katamalanasie est assimilable à une royauté. En effet, bien qu’elle soit officiellement déclarée république, il n’en demeure pas moins qu’elle fonctionne comme une monarchie : les guides sont des présidents à vie et maîtres absolus des sanctions coercitives, et les trois pouvoirs que distingue le Droit public occidental, à savoir le législatif, le judiciaire et l’exécutif, sont concentrés entre leurs mains.

L’objet de cette étude est de montrer, exemples à l’appui, que les « noms de règne » dans La Vie et demie et L’État honteux ne sont pas gratuits ; ils ne sont pas non plus le fait d’attribution fantaisiste à visée ludique. Ils sont plutôt consubstantiels à l’exercice du pouvoir. Ils ne sont pas arbitraires, mais motivés au sens où l’entendent les poéticiens.

Pour mieux cerner cette problématique, nous recourons à la poétique comme à la fois théorie et approche méthodologique. L’option de la poétique se justifie du fait que le nom propre est une des propriétés intrinsèques du personnage fictionnel, sinon la plus importante. Bachir Adjil écrit sans détour que le nom d’un personnage romanesque « contribue pour beaucoup à son parcours sémiotique, et quelquefois il est même plus important que l’action du récit » (72). En somme, B. Adjil emboite le pas à Roland Barthes qui, dès la fin des années cinquante, met en exergue l’idée selon laquelle de toutes les caractéristiques qu’un auteur attribue à ses personnages, le nom se présente comme l’élément le plus significatif. De cette idée, Barthes conclut que « le propre du récit n’est pas l’action, mais le personnage comme Nom propre » (Barthes 197).

La présente contribution se propose d’analyser une catégorie de noms propres, – « les noms de règne », – dans La Vie et demie et L’État honteux. Aussi va-t-elle s’articuler autour de trois principaux axes :

  1. Présentation des deux romans du corpus ;
  2. Origines et morphologie des « noms de règne » ;
  3. Portée sémantique des « noms de règne ».

Si cette étude s’est limitée à l’analyse de La Vie et demie et de L’État honteux, c’est que ces romans sont les seuls dans la production narrative de Sony Labou Tansi, qui accordent une attention toute particulière aux « noms de règne ». Pour plus de clarté et de précision dans nos analyses, il nous paraît opportun d’en présenter les arguments.

 

  1. Présentation de La Vie et demie et de L’État honteux

Le premier roman de Sony Labou Tansi à être publié est La Vie et demie. L’histoire qu’il raconte se déroule dans un pays imaginaire, la Katalamanasie, qui a pour capitale Yourma. Au lendemain de l’indépendance de ce pays, un « voleur de bétail » du nom d’Obramoussando Mbi s’empare du pouvoir et se fait appeler « Guide Providentiel ». Il va régner en maître absolu sur ce pays et y instaurer un régime politique tyrannique. Seul Martial, un personnage à la fois charismatique et mystique, lui oppose une résistance des plus farouches. Le « Guide Providentiel » décide alors de le réduire de ses propres mains en pâté. Malgré l’usage qu’il fait du couteau, du revolver, du sabre, du poison, il ne réussit pas à l’anéantir. « Je ne veux pas mourir cette mort », ne cesse de répéter Martial. Et le Guide Providentiel de s’écrier : « Alors, quelle mort veux-tu mourir, Martial ? » Martial continuera de vivre sous une forme spectrale et de tourmenter le « Guide Providentiel » et ses successeurs, et ce, durant plusieurs générations.

Chaïdana, à peine âgée de quinze ans, poursuit la lutte de son père, mais d’une manière que ce dernier désapprouve : elle se prostitue aux dignitaires du régime du « Guide Providentiel », tuant les uns après les autres, ministres et officiers qu’elle invite dans sa chambre n° 38 de l’hôtel « La vie et demie ». Elle s’emploie à falsifier les pièces d’identité qu’elle porte sur elle et échappe ainsi à la vigilance des sbires du « Guide Providentiel ».

Chaïdana met au monde des triplés, deux garçons et une fille, qui sont la conséquence de la « gifle intérieure » (viol) qu’elle reçoit de son père. Les deux garçons, Martial et Amendadio Layisho, meurent l’un à sa naissance, et l’autre des suites d’un empoisonnement. Seule la fille, Chaïdana Layisho, reste en vie. Grâce à sa beauté incomparable, elle ne tarde pas à séduire des hauts dignitaires de la Katalamanasie. De son union avec Jean-Oscar-Cœur-de-Père sera issu un fils du nom de Kamachou Patatra. Celui-ci succèdera à son père et prendra comme nom de règne Jean-Cœur-de-Pierre. Il donne naissance à deux mille enfants qu’il prénomme tous « Jean ». Trente d’entre eux rejoignent leur grand-mère Chaïdana Layisho surnommée Chaïdana-aux-gros-cheveux. Ils vont consacrer toutes leurs énergies à développer leur pays. Cette descendance, que le narrateur désigne par le terme « chaïdanisés », livrera une guerre sans merci aux maîtres de la Katalamanasie et finira par les éliminer.

Le deuxième roman de Sony Labou Tansi s’intitule L’État honteux. A l’instar de la Vie et demie qui conte par le menu l’histoire d’une dynastie mégalomane et ubuesque, L’État honteux reproduit le discours du pouvoir, incarné par l’abominable colonel Martillimi Lopez. Ce personnage a comme principale caractéristique son énorme « hernie ». Sa toute-puissance, sa folie de grandeur et la tyrannie qu’il exerce sans désemparer sur son peuple, sont par conséquent symbolisées par elle. Dès sa prise de pouvoir, Martillimi Lopez décide, contre toute attente et en dépit des règles en vigueur dans les relations internationales, de retracer les frontières de son pays : « La patrie sera carrée », déclare-t-il. Des tentatives répétées de coups d’Etat créent un climat de peur dans le pays. Lopez est tenté d’abdiquer mais ses conseillers l’en dissuadent. Exaspérés par le comportement de Martillimi Lopez et les décisions souvent irrationnelles qu’il est amené à prendre, les ministres, imités en cela par les officiers de l’armée et les hauts fonctionnaires, lui présentent chacun leurs démissions, car, confessent-ils, « ce pays nous devons le laisser aux enfants des enfants de nos enfants mais pas dans cet état honteux… ». Le dictateur sanguinaire reprend le dessus et remanie son gouvernement. Mais vivant toujours dans un climat de peur et de violence, il décide de connaître son avenir et fait venir le voyant Merline. Celui-ci lui fait avaler une pièce de monnaie qui l’étouffe. Lopez tombe dans un coma profond qui dure plusieurs semaines. Pendant ce temps, le colonel Jescani le déclare mort, fixe la date de son enterrement et s’empare du pouvoir. La « Maman Nationale », la mère de Martillimi Lopez, et une des femmes du dictateur sont enlevées et tuées. Mais Lopez n’est pas mort. Revenu à lui, il reprend le pouvoir.

Lors d’un voyage de Martillimi Lopez à Paris, le colonel portugais Vauban, son homme de main, s’empare à son tour du pouvoir. Il ne l’exercera pas pour longtemps, car, dès son retour au pays, Lopez le met en fuite et rétablit l’ordre. Fatigué de tout, Martillimi Lopez, après un festin offert aux diplomates et aux dignitaires de son régime, annonce sa démission.

Telle est la présentation succincte des deux romans de notre corpus. Le premier, La Vie et demie, s’illustre par un foisonnement exceptionnel des « noms de règne », témoignant de la créativité onomastique de l’écrivain congolais. Le second, L’État honteux, offre peu de cas de changement de nom au sommet de l’Etat. N’empêche que l’Etat lui-même, le pouvoir qu’il incarne ainsi que le corps de Martillimi Lopez y sont représentés par la hernie. Le terme hernie finit par désigner, au-delà de la pathologie, le personnage de Martillimi Lopez lui-même. Reste à étudier les origines et la morphologie de ces « noms de règne ».

 

  1. Origines et morphologie des « noms de règne »

La première observation que l’on puisse exprimer dans cette étude concerne exclusivement La Vie et demie. Dans ce roman n’apparaissent à aucun moment les désignations des présidents, chefs d’État, souverains et autres empereurs, etc. En revanche tous les personnages exerçant le pouvoir suprême sont désignés par les termes de « guide » et « d’Excellence ». Mais le titre de guide que portent tous les souverains de la Katamalanasie provient, dans le roman, de celui qui, le premier, se l’attribue : le « Guide Providentiel ». Il s’agit du voleur de bétail Cypriano Ramoussa devenu Obramoussando Mbi, puis Marc-François Matéla-Péné Loanga, puis Yambo, puis, enfin, le Guide Providentiel une fois qu’il prend le pouvoir. Le narrateur rend bien compte de cette double aventure onomastique et politique lorsqu’il déclare :

Il [Le Guide Providentiel] pensait à Obramoussando Mbi, comment il avait quitté cette identité pour celle de Loanga ; Loanga devient Yambo. Il pensait comment Yambo devint le premier secrétaire du Parti pour l’égalité et la paix ou PPEP, comment le PPEP devint le PPUD (Parti pour l’unité et la démocratie) puis le PPUDT (Parti pour l’unité, la démocratie et le travail) et lui, son président fondateur donc, suivant le fin piège constitutionnel, président à vie de la république communautariste de la Katamalanasie. Yambo devint alors le Guide Providentiel Marc-François Matéla-Péné…  (VD 59-60).

Bien qu’il porte aussi d’autres noms et d’autres titres notamment Cézama 1er, celui sous lequel il va exercer ses prérogatives de chef d’État n’est autre que celui de Guide Providentiel avec des majuscules aux initiales comme pour souligner la nature extraordinaire, voire surhumaine de son pouvoir.

Pour plus de clarté, nous schématisons, dans le tableau ci-après, le cheminement social et politique ainsi que l’aventure anthroponymique du Guide Providentiel :

 

Nom à l’état civil

1er changement de nom

2e changement de nom

3e changement de nom

Nom(s) de règne

Cypriano Ramoussa (caractéristique : voleur de bétail, etc.)

Obramoussando Mbi (caractéristique : voleur de bétail, etc.)

Loanga (Caractéristique : idem)

Yambo

(caractéristique : Premier secrétaire du Parti)

– Le Guide Providentiel Marc-François Matéla-Péné

– Cézama 1er

 

Cypriano Ramoussa s’illustre donc dans le vol du bétail. Il a maille à partir avec la justice. Le changement d’identité lui permet, dans un premier temps, de vivre dans la clandestinité ; il échappe ainsi aux rigueurs de la loi. Le changement d’identité lui permet, dans un second temps, d’accéder à la sphère du pouvoir politique : il devient, en effet, sous un nom nouveau Premier secrétaire du Parti. En accédant à la magistrature suprême, Yambo devient simultanément le Guide Providentiel, Marc-François Matéla-Péné et Cézama 1er. Du début à la fin du récit Cypriano Ramoussa change d’identité. Il s’attribue des noms d’emprunt ou des identités fictives comme pour échapper à l’attention de tous. En fait, il passe son temps à se camoufler pour ne pas être reconnu ni de la police ni de ceux à qui il avait volé du bétail ni de ses créanciers ni de la population. Cependant il se contente de changer de nom, mais pas d’apparence. On peut, ici, parler de ce que Frank Wagner appelle « les fluctuations diachroniques de l’étiquette du personnage » (38).

La combinaison de ces deux mots « guide » et « providentiel » donne lieu à un « nom de règne » construit sur la base de mots abstraits. Le guide est concrètement une personne qui a la mission de montrer le chemin aux autres, mais abstraitement il est aussi celui sur qui les autres doivent régler leurs conduites. Il est donc un modèle. Quant à l’adjectif « providentiel » accolé à « guide », il détermine la nature du pouvoir de Son Excellence Matéla-Péné Loanga : ce pouvoir se veut d’essence divine. En d’autres termes, l’ancien voleur de bétail n’aura pas reçu son pouvoir de son peuple, mais de Dieu.

Le recours au sacré a pour objectif de légitimer le pouvoir quelles que soient les circonstances dans lesquelles il s’acquiert ou s’exerce. En Occident, par exemple, le pouvoir a souvent eu recours à la religion pour sa légitimation. Il n’est que de se rappeler le sacre des rois ou les serments constitutionnels pour comprendre la place du sacré dans l’organisation et le fonctionnement des sociétés humaines.

En Afrique, le pouvoir traditionnel s’est toujours enveloppé d’un mystère qui lui imprime un caractère sacré. C’est que tout pouvoir pour être efficace, a besoin de légitimation ; et la légitimation pour bon nombre de chefs politiques, passe par la voie du sacré. Dès lors, le pouvoir qu’ils exercent n’est plus perçu comme émanant du peuple, mais plutôt d’un foyer à distance des hommes et, par conséquent, offrant, comme le fait observer Claude Lefort (67), « la garantie d’un accord substantiel entre l’ordre de la société et l’ordre de la nature. »

La recherche de la légitimité dans le cas du Guide Providentiel s’opère principalement par la voie du sacré en faisant du pouvoir qu’il détient une émanation divine, il ne faudra cependant pas perdre de vue qu’elle s’opère également par la voie des traditions : le guide se donne une généalogie avec des ancêtres hors du commun. Le narrateur est on ne peut plus explicite à ce sujet :

Tout le monde savait par cœur où était né le Guide Providentiel, quand, de qui, comment et pourquoi  ̶,   mais le commentateur refit les éloges de Samafou Ndolo Petar qui leur avait donné (aux Katamalanasiens, bien sûr) un fils que la providence avait rempli des meilleurs dons du monde (VD 52).

Le Guide Providentiel apparaît comme un élu des dieux. Choisi parmi mille, il est par la force des choses porté à la magistrature suprême. Son père, Samafou Ndolo Petar, un citoyen ordinaire, se voit du jour au lendemain placé sous les feux de la rampe du simple fait qu’il est son géniteur.

L’image que le narrateur veut donner de Samafou Ndolo Petar est celle de bâtisseur de dynasties. Il est le géniteur d’un grand chef. Son prénom, Petar, est significatif à cet égard. Il s’agit d’un prénom d’origine croate, voire slave. Il est l’équivalent de Pierre.

Dans les Evangiles, celui que Jésus surnomme Pierre s’appelait en réalité Simon. Il est le principal de ses douze Apôtres. En le surnommant Pierre, Jésus fait de lui le fondement de l’édifice ecclésiastique (Matthieu 16, 18). Samafou Ndolo Petar est dès lors assimilable à Pierre. Si ce dernier est bâtisseur d’église, Ndolo Petar est bâtisseur de dynastie, celle des Guides Providentiels.

En plus, on n’est pas loin de ce qui arriva à Joseph, le charpentier de Nazareth, qui se vit projeté au-devant de la scène non pas pour ses performances d’artisan et la qualité de son travail, mais pour le simple fait qu’il était l’époux de la Vierge Marie et père nourricier de l’Enfant Jésus. Une fois de plus, on reconnaît par ces allusions la dette de Sony Labou Tansi vis-à-vis des Saintes Ecritures.

Mais ce qui nous paraît particulièrement significatif à ce stade d’analyse, c’est le processus d’autocélébration et de mythisation dans lequel s’engagent sans ménagement le pouvoir et celui qui l’exerce au sommet.

Le Guide Providentiel met en effet tout en œuvre pour se construire un mythe autour de sa personne et de son pouvoir à partir de ses origines et de son parcours social et politique. Et ce mythe qui fait de lui un être exceptionnel, ses thuriféraires (les partisans, les médias, les artistes) participent à son élaboration et à son amplification.

Il en est de même de Martillimi Lopez dans L’État honteux. Personnage sans envergure, il se fait passer pour un homme exceptionnel, qui aura tiré son peuple du marasme économique et du chaos politique dans lesquels ses prédécesseurs l’avaient plongé. Il justifie ainsi sa prise de pouvoir :

 … je n’aurais pas pris votre pouvoir de merde si mon prédécesseur ne s’était pas mis à pisser sur les affaires de la patrie, s’il vous avait laissés mourir de faim au lieu de vous tuer comme des rats, s’il n’avait pas jeté septante pour cent du budget à l’achat des ferrailles russes (EH 23).

L’image que Martillimi Lopez donne de son prédécesseur est celle d’un homme sans charisme, dénué du sens de l’Etat, dépourvu de l’amour de son peuple et porté sur la gabegie et la cruauté. Ce que Martillimi Lopez dit de son prédécesseur immédiat, il le pense au sujet de tous ceux qui ont exercé le pouvoir avant lui. Il déclare en effet en se comparant à eux :

Je ne suis pas Haracho national qui touchait l’argent du pétrole en cachette et qui le jetait dans ses comptes en Suisse, ce qui ne vous a pas empêchés de le foutre père de la nation quelle honte ! Et vous avez vu comment Dascano national a dormi toutes vos femmes, vous avez vu comment il passait ses nuits au collège de Lahossia, comment il est devenu le père de seize cent onze bordels, mais vous l’avez foutu père de la nation, et maintenant dites à ma hernie combien vous allez donner de pères à cette pauvre terre ? (EH 156-157)

Il ressort de ce discours que le titre de « père de la nation » aura été galvaudé du fait qu’il a été porté par des personnes sans moralité. En posant la question de savoir combien de « pères de la nation » le peuple va donner à la république, Martillimi Lopez dénonce sans détours les coups d’Etat et autres pratiques anticonstitutionnelles de prise de pouvoir. Il décide de remettre le pays sur les rails, de réhabiliter la constitution et les institutions qui en découlent et de mettre un terme à l’anarchie qui a élu domicile dans la « patrie ».

 … non non et non, moi, Lopez national fils de maman, je dis : terminée la connerie d’inventer la merde, terminés vos jeux de hernies : plus de père de la nation, plus de marchands de mirages : vive la patrie ! à bas les cons, à bas la connerie ! (EH 157)

La première étape vers la restauration d’un État de droit est la remise en question de son propre pouvoir. La décision qu’il prend est sans appel : Je rends le pouvoir aux civils ! (EH, 157). Martillimi Lopez quitte le pouvoir et s’en retourne à Moumvouka, le village de sa mère, la « Maman-Folle-Nationale » (EH,157), d’où il était parti quelques années plus tôt. Mais avant de céder le pouvoir aux civils, il ordonne que les militaires regagnent leur caserne. Que les tirailleurs rentrent à la caserne avec ma hernie pour attendre la guerre (EH, 157).

Le vocable « tirailleurs » employé par Lopez n’a, objectivement parlant, rien de péjoratif. Le Robert explique ce mot en ces termes : « 1. Soldat détaché pour tirer à volonté et harceler l’ennemi ; 2. Soldat de certaines troupes d’infanterie coloniale, encadrées par des Français ». Cette dénomination était réservée aux fantassins de l’armée coloniale recrutés hors de la France métropolitaine. Tel n’est pas le cas ici. Quand Lopez parle de « tirailleurs », il ne s’agit pas des étrangers, mais « des enfants du pays ». Pourquoi les désigne-t-il ainsi ? L’une des particularités des tirailleurs, c’était de tirer à volonté et dans toutes les directions pour harceler l’ennemi comme l’exigeait le commandement militaire. Ce comportement donnait l’impression d’un manque de discipline alors qu’il était la résultante d’une stratégie opérationnelle rompue. Le désordre et les exactions que les soldats provoquent à la Cité sont comparables à ceux des « tirailleurs ». C’est pourquoi Lopez emploie pour les désigner la métaphore de « tirailleurs ». Et cette métaphore est chargée de connotations négatives.

Le retour des militaires dans les casernes constitue la seconde étape vers la restauration d’un État de droit. Bien que tout au long de ses quarante années de règne, il n’ait su diriger son pays conformément aux principes de gouvernance qu’il énonce, Martillimi Lopez pose néanmoins les jalons d’une véritable démocratie : le pouvoir au peuple et par le peuple ; le respect de la constitution et des institutions qui en émanent ; la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ; le cantonnement de l’armée à ses missions de défense du territoire national.

En ne relevant que les aspects négatifs de la personnalité de ses prédécesseurs, il se met lui-même en vedette et marque la différence : il sous-entend que lui est bon, juste, magnanime, démocrate, et soucieux du bon fonctionnement de la « patrie ».

Le narrateur de L’État honteux comme celui de La Vie et demie met en exergue la participation du peuple au processus de mythisation de la personne de Martillimi Lopez et de son pouvoir. Il fait remarquer, en effet, que

 … dans toutes les maisons où vous allez le soir, on raconte l’histoire de feu mon-colonel Martillimi Lopez, commandant en chef de l’amour et de la fraternité, et chacun y met son ton, sa salive, ses dates, ses lieux, chacun la fait briller à sa guise au ciel de notre imagination… (EH 23).

Le pronom indéfini neutre « on » du syntagme verbal « on raconte » réfère à une ou plusieurs personnes. Il est par ailleurs inclusif dans la mesure où il couvre, comme l’indiquent les grammairiens et autres spécialistes de la langue française, l’ensemble des pronoms personnels, du « je » aux il(s) et elle(s). Le pronom indéfini « on » renvoie certes à des êtres humains, à des sujets indéterminés, mais peut aussi évoquer des généralités, ou être employé en cas de souhait d’anonymat. Dans cet extrait de L’État honteux, il indique que le propos tenu relève du registre de la rumeur. L’émetteur n’est pas déterminé. Il n’est pas non plus identifiable. Les faits relatés ne sont guère attestés historiquement. Ils relèvent de l’affabulation. Ils sont comme toute rumeur, des déclarations destinées à être crues, se rapportant à l’actualité et répandues sans vérification officielle (Kapferer 11-12). Cela laisse toute latitude à ceux qui participent à la fabrication et la diffusion du mythe de Martillimi Lopez d’inventer les dates et les lieux en fonction des messages qu’ils entendent propager. En définitive, le narrateur met l’accent sur la créativité populaire avec ce qu’elle comporte de pouvoir d’amplification des faits constatés ou supposés.

Prenant le contrepied de la rumeur, le narrateur s’engage à donner une version supposée véridique des faits et événements entourant la vie et la mort de Martillimi Lopez.

 … mais voici la vraie histoire de Martillimi Lopez fils de Maman Nationale, telle que la racontent ceux de ma tribu, avec leur goût du mythe, au milieu des éclats de rire…  (EH 23).

La version proposée par le narrateur et qualifiée de « vraie histoire » est considérée comme véridique pour trois raisons.

La première : le narrateur est de la même tribu que Martillimi Lopez ; il est donc censé parler de ce dernier de l’intérieur et en connaissance de cause.

La deuxième raison : la version qualifiée de « vraie » est celle de la tribu de Martillimi Lopez.

La troisième raison : bien qu’elle n’échappe pas au « goût du mythe », la tribu de Lopez continue d’espérer que même mort, ce dernier ne manquera pas de la protéger contre les tyrans. Par « tyrans » il faudra entendre les prédécesseurs de Martillimi Lopez, en l’occurrence Haracho et Dascano, mais aussi ceux à venir d’autant plus qu’il quitte le pouvoir en ayant fait le vide autour de lui et sans avoir préparé de successeur.

La reconnaissance infinie que les médias et les populations katamalanasiennes vouent au géniteur du Guide Providentiel, dans La Vie et demie, s’étend aux habitants du village où ce dernier a vu le jour. Le narrateur observe en effet que le village aussi avait été loué d’avoir laissé grandir dans la joie et la simplicité le guide multidimensionnel… (VD 52).

Le Guide Providentiel François-Marc Matéla-Péné Loanga, alias Sa Majesté Cézama 1er, nous apparaît en définitive comme un fondateur de dynastie. Sa descendance jouera un rôle de premier plan en Katamanalasie en dépit des soubresauts sociaux et autres crises politiques qui vont marquer l’histoire de ce pays.

À la mort du Guide Providentiel, le colonel Mouhahantso lui succède. Il prend le nom de règne de guide Henri-au-Cœur-Tendre. On peut se poser la question de savoir si ce nom de règne correspond bel et bien à son tempérament, à son projet de société, à sa manière de gouverner. D’ores et déjà l’on sait qu’il aime « les vierges, la viande et les vins » (VD 83), c’est-à-dire une vie dissolue. Le narrateur comme par dérision met à nu une sorte de duplicité qui le caractérise. Par le nom qu’il s’attribue, il cherche à se faire passer pour ce qu’il n’est pas.

 … ici, dit le narrateur, les mots ne disaient plus ce que disent les mots, juste ce que voulaient les hommes qui les prononçaient (VD 83).

Henri-au-Cœur-Tendre meurt assassiné par « son quart de frère » [sic] Katarana-Mouchata. Celui-ci prend le nom de règne de guide Jean-Oscar-Cœur-de-Père. Il meurt sur le bûcher en ayant choisi le nom de mort de Jean-Brise-Cœurs. À sa disparition, son fils Kamachou Patatra prend le pouvoir sous le nom de Jean-Cœur-de-Pierre.

Jean-Cœur-de-Pierre est assassiné par son fils Jean-sans-Cœur, « dans un coup orchestré avec la bénédiction de la puissance étrangère qui fournissait les guides » (VD 157).

À la mort du guide Jean-sans-Cœur, le maréchal Kenka Moussa prend les laisses de la nation sous le nom de règne de Félix-le-Tropical. La « puissance étrangère qui fournissait les guides » finit par se débarrasser de lui parce que, estime-t-elle, « le goût tropical y [en lui] était encore, mais plus frappant, plus aigre que naguère » (VD 169).

À la mort de Félix-le-Tropical, la « puissance étrangère qui fournissait les guides » porte sur le trône, au dire du narrateur, « un inconnu cousin du Maréchal, appelé Souprouta » (VD 170) sous le nom de règne de Mallot-l’Enfant-du-Tigre. Ce dernier meurt en se tirant une balle dans la tête. À Mallot-l’Enfant-du-Tigre va succéder le général Mariane-de-la-Croix.

Les univers fictionnels de La Vie et demie et L’État honteux sont en fin de compte marqués par un foisonnement de « noms de règne ». On peut cependant relever que ces « noms de règne » ne sont pas dépourvus de signification et qu’ils s’ancrent dans l’histoire, la sociologie, l’imaginaire, le monde animal, le monde végétal. D’où l’intérêt, à ce stade d’analyse, d’en cerner la portée sémantique.

 

  1. Portée sémantique des « noms de règne »

À bien examiner les « noms de règne » dans ces deux romans de Sony Labou Tansi, une première remarque s’impose. En dehors de Martillimi Lopez, dans L’État honteux, qui ne change pas de nom, tous les autres, notamment dans La Vie et demie, n’ont pas gardé leurs noms inscrits dans les registres de l’état civil en montant sur le trône.

Une deuxième remarque concerne la morphologie de ces « noms de règne ». Ils sont tous construits comme des noms composés : les éléments dont ils sont constitués, à l’exception de Guide Providentiel, sont reliés par des traits d’union et de ce fait forment chacun un tout indissociable. Les groupes nominaux (Cœur-Tendre, Cœur-de-Père, Cœur-de-Pierre, Brise-Cœur, sans-Cœur, le-Tropical, l’Enfant-du-Tigre, de-la-Croix) sont tout compte fait en fonction d’apposition, et placés à côté d’un nom (Henri, Jean, Félix, Mallot, Mariane) ils en précisent l’identité, la qualité et éventuellement le métier.

Une troisième remarque porte sur l’origine de ces « noms de règne ». Ces noms sont tous d’origine européenne. Ils s’apparentent tant par leur structure que par leurs sonorités à ceux de quelques personnages historiques qui ont marqué l’imaginaire collectif des peuples d’Europe : Louis Ier le Pieux (IXe siècle), Charles II le Mauvais (XIVe siècle), Louis VI le Gros (XIIe siècle), Louis VII le Jeune (XIIe siècle) ou Philippe IV le Bel (XIVe siècle) pour ne citer que ces quelques exemples. On remarque cependant que les emprunts que font les souverains de la Katamalanasie à l’onomastique européenne les coupent de leur propre histoire et les projettent dans l’histoire des autres. Il en résulte que leur légitimité n’a plus sa source dans leur propre histoire, mais dans l’histoire des autres.

Nous sommes bien consciente de l’importance des noms propres dans les cultures des peuples : ils situent l’individu dans sa généalogie et l’identifient à sa communauté. Anne Retel-Laurentin et Suzanne Howath montrent dans leur ouvrage sur Les Noms de naissance, que

les noms apparaissent, selon les sociétés et les interprètes, comme une partie vitale de la personnalité, comme une sorte de double (Retel-Laurentin, Howath 18).

L’importance du nom est telle que quiconque cherche à s’en défaire au profit d’un nom étranger se dépouille de son identité au bénéfice d’une identité d’emprunt. C’est l’une des expressions les plus achevées du phénomène d’aliénation culturelle à la description duquel bon nombre de penseurs ont consacré des pages significatives, notamment le Martiniquais Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs (1952).[1] Or, les guides changent d’identité en prenant des noms étrangers comme « noms de règne », ils sont par conséquent des personnages profondément aliénés, c’est-à-dire étrangers à eux-mêmes.

Une quatrième remarque porte sur le contenu sémantique de ces « noms de règne ». À l’exception de Cœur-de-Pierre, Brise-Cœur, le-Tropical, l’Enfant-du-Tigre, sans-Cœur, qui expriment d’emblée la dureté, la cruauté, l’animalité, les autres « noms de règne » (Guide Providentiel, Cœur-Tendre, Cœur-de-Père, de-la-Croix) dénotent en principe l’humanisme, la magnanimité, la grandeur d’âme. Mais ceux qui portent ces noms reflètent-ils dans leur langage et dans leurs comportements les vertus annoncées ? La réponse est négative. Les personnages qui s’attribuent « ces noms de règne » à valeur positive ne sont guère différents des autres : ils sont eux aussi caractérisés par la violence, la cruauté, la sauvagerie, l’animalité.

De ces remarques, il ressort que l’auteur use de l’antiphrase pour nommer ceux qui exercent le pouvoir au sommet. L’antiphrase, proche de l’ironie, est une figure de sens qui consiste à dire le contraire de ce que l’on pense derrière une formule faussement plaisante. Elle correspond donc, dans sa forme canonique, à la formule : « dire A pour signifier le contraire de A » (Fromilhague 105). Ni le Guide Providentiel, ni Henri-au-Cœur-Tendre, ni Jean-Oscar-Cœur-de-Père, ni Mariane-de-la-Croix n’incarnent les valeurs qu’énoncent les noms de règne qu’ils se sont attribués.

Dans son étude sur « La tradition burlesque dans ‘’La Vie et demie’’ de Sony Labou Tansi », Elo Dacy (80-81) est plus explicite encore sur le caractère ambigu de ces « noms de règne » :

Sony Labou Tansi, note-t-il, use de l’ironie burlesque pour montrer le divorce entre leur comportement criminel et l’espoir suscité par leurs noms de règne. Ces derniers se révèlent n’être en dernière analyse que des masques. La charge positive qu’ils recèlent relève d’une volonté de mystification.

C’est en fin de compte cette volonté de mystification qui transparaît dans chaque « nom de règne » et fait des personnages qui les portent des individus « en flagrante contradiction avec leur pratique sociale, faite de folie meurtrière, de cruauté, de déficit social » (Dacy 80).

 

Conclusion

Cette étude a eu pour objectif l’analyse de ce que nous avons appelé les « noms de règne » qui constituent un des aspects non négligeables de l’anthroponymie romanesque de Sony Labou Tansi. Nos analyses ont abouti aux conclusions suivantes : les « noms de règne », ensemble des désignateurs que s’attribuent les personnages des présidents, des chefs d’État ou des souverains dès leur prise de pouvoir, disent souvent sinon toujours le contraire de ce qu’ils sont. Ils apparaissent ainsi comme l’expression la plus achevée de leur volonté de mystification. 

Cette volonté de mystification du pouvoir qu’ils exercent, beaucoup de personnages des « chefs politiques » dans les textes de littérature africaine francophone l’incarnent.

Baré Koulé, président de la République des Marigots du Sud, dans Le Cercle des Tropiques du Guinéen Alioum Fantouré, par exemple, est désigné tantôt par « Le Sauveur », tantôt par « Le Vénérable Maître », tantôt par « Le Messie-Koï ».

Les deux premiers termes relèvent du registre religieux, ils sont ordinairement employés pour désigner Jésus-Christ venu sur terre pour sauver l’humanité du péché originel et, en même temps, apporter la Bonne Nouvelle aux hommes. En s’attribuant les titres de « Sauveur » et de « Vénérable Maître », Baré Koulé prend une figure christique, et la mission qu’il s’assigne revêt un caractère sacré.

Quant à « Messie-Koï », il procède, comme le fait remarquer Jacques Chevrier (37-38), par amalgame syncrétique de deux termes parfaitement redondants : Le Messie, d’une part, emprunté à la culture chrétienne, et le mot Koï qui, en songhay, signifie le chef. 

Dans Le Pleurer-Rire du Congolais Henri Lopes, le narrateur présente Tonton Hannibal Ideloy Bwakamabé Na Sakkadé, le personnage principal du roman, comme un individu qui a partie liée avec les dieux. Le cantique « Quand Tonton descend du ciel », exécuté à l’harmonium par le curé de la paroisse Saint-Dominique du Plateau, insiste sur son essence divine.

En définitive, les « noms de règne » dans leur diversité n’en constituent pas moins un véritable enjeu de pouvoir et le lieu par lequel celui-ci manifeste sans détours sa mainmise.

 

Travaux cités

Adjil, Bachir. Espace et écriture chez Mohammed Dib : la trilogie nordique. Paris : l’Harmattan/Awal, 1995.

Barthes, Roland. « Proust et les noms », in Le Degré zéro de l’écriture suivi de Nouveaux essais critiques. Paris : Le Seuil, coll. Points, (1953 et 1972) : 121-134.

———–. « Analyse textuelle d’un conte d’Edgar Poe », in S. Alexandresku, R. Barthes, Cl. Bremond et al. (dir.), Sémiotique narrative et textuelle. Paris, Larousse, (1974) : 34-44.

Bourneuf, Roland et Ouellet, Réal. L’Univers du roman. Paris : Presses Universitaires de France, collection SUP, 1975.

Chevrier, Jacques. « Visages de la tyrannie dans le roman africain contemporain », La Deriva delle francofonia (Atti dei seminari annuali di Letteratura Francophone dirreti da Franca Marcato Falzoni « Figures et fantasmes de la violence dans les littératures francophones de l’Afrique sub-saharienne et des Antilles »), 1 « L’Afrique sub-saharienne », Istituto Universitario Orientale, Naples, 29-30 novembre-1er décembre 1990. Bologne Editrice CLUEB. (1991) : 33-53.

Dacy, Elo. « La Tradition burlesque dans ‘’La Vie et demie’’ de Sony Labou Tansi », in Mukala Kadima-Nzuji, Abel Kouvouama et Paul Kibangou (dir.), Sony Labou Tansi ou la quête permanente du sens. Paris : l’Harmattan (1997) : 75-86.

Fanon, Frantz. Peau noire, masques blancs, Paris : Le Seuil, 1952.

Fantoure, Alioum. Le Cercle des Tropiques. Paris : Présence Africaine, 1972.

Fromilhague, Catherine. Les Figures de style. Paris : Armand Colin, 2014

Kapferer, J.-N. Rumeurs, le plus vieux média du monde, Paris : Le Seuil, 2009, (1ère édition en 1987).

Retel-Laurentin, Anne et Howath, Suzanne. Les Noms de naissance indicateurs de la situation familiale et sociale en Afrique noire. Paris, SELAF, 1972.

Lefort, Claude. Un homme en trop. Réflexions sur ‘’L’Archipel du Goulag’’. Paris : Le Seuil, coll. Combats, 1976.

Lopes, Henri. Le Pleurer-Rire. Paris : Présence Africaine, 1982.

N’da, Pierre. « Onomastique et création littéraire. Les noms et les titres des chefs d’Etat dans le roman négro-africain ». Présence francophone. Sherbrooke (Québec), 45, (1994) : 151-171.

Sony Labou Tansi. La Vie et demie. Paris : Le Seuil, 1972.

———. L’État honteux. Paris : Le Seuil, 1979.

Wagner, Frank. « Perturbations onomastiques : l’onomastique romanesque contre la mimèsis » in Yves Baudelle (Textes réunis par), Narratologie n0 9 « Onomastique romanesque », (2008) : 17-42.

 

Comment citer cet article :

MLA : Kadima-Nzuji, Gashella Princia Wynith. «Poétique des « noms de règne » dans La vie et demie et L’état honteux de Sony Labou Tansi.» Uirtus 1.1 (août 2021): 17-33.

 

[1] Dans cet essai, Fanon traite de l’aliénation de l’homme noir sous le colonialisme.

Poétique des « noms de règne » dans La vie et demie et L’état honteux de Sony Labou Tansi

Abstract: The literary work of the Congolese writer Sony Labou Tansi presents a large number of characters with varying statuses. They are distinguished by the names they bear. This contribution analyzes « the names of reigns » that heads of states or sovereigns receive or attribute to themselves as soon as they take power. It shows that in the work of Sony Labou Tansi, the names are consubstantial with the exercise of power. To better circumscribe this problematic, we resort to poetics as both a theory and an approach to the literary text. Poetics is, in fact, interested in the properties of the literary text, and the character is one of them. Among the attributes of the latter, the name is undoubtedly the one which best determines its semiotic course.

Keywords: Names, Characters, Consubstantial, Poetic, Sovereigns, Power.

Deficient Motherhood and its Impacts on the Male Child Development: An Approach to “Basil” in Gloria Naylor’s

The Men of Brewster Place

Contrairement aux animaux et à la végétation dont le comportement et la maturité sont censés être innés, les êtres humains mettent du temps à mûrir car ils doivent être éduqués et entraînés. Toute lacune dans le processus de formation peut être fatale à la progéniture. Basil, le protagoniste de l’un des épisodes de The Men of Brewster Place de Gloria Naylor (1998), fait face à des défis de démantèlement de la vie dans son jeune âge adulte en raison de l’éducation déficiente de sa mère. Cet article examine comment une parentalité maternelle clémente et négligente peut affecter le développement psychique, émotionnel, mental et social d’un enfant de sexe masculin. En utilisant l’approche psychanalytique, cette étude a découvert que la responsabilité de la mère dans l’éducation est vitale pour la réussite de la maturation de l’enfant de sexe masculin.

Mots-clés : Archétype, inconscient collectif, maturation, culpabilité, maternité déficiente.

Introduction

To a large extent, the place of the male figure in patriarchal societies is preponderant in many aspects of life. In the West, especially in the U.S., this concept seems to be rampant at social, economic, and political levels though women are gaining grounds in terms of gender balance at these various stages. Surprisingly enough, in the African American community, the female figure tends to be more valued. This is particularly true when it comes to child rearing. The crucial absence of the black male from black households is expressly more evident today than ever before. As a consequence, the situation cripples today many a black male child who has to mostly count on only its mother. Judith Cummings indicates that “virtually half of black families are headed by single women, and 55 percent of black babies are born to unmarried mothers” (1). Many complex and serious issues have stemmed from this one, which has made complex family life in the black community.

Observably, the complexity of African American lives prompted many black writers into the field of literature. In an interview, Gloria Naylor interestingly reveals that “I decided that, if I had one book in me, I wanted it to be all about me, and the me in this case was a multifaceted me. So that’s how Brewster Place began” (Vinson 1). The Women of Brewster Place (1983) and The Men of Brewster Place (1998), a duology by Naylor, respectively tell the stories of seven female and seven male characters living in Brewster Place. The Women of Brewster Place highlights the hardships imposed on black women by their men, whereas in The Men of Brewster Place, “Naylor herself would have, indeed, thought of doing some justice to the men folk, and would have given a voice of these varied profiles that complement her women folk” (Kannan 789). This study focuses on Basil, one of the male characters in The Men of Brewster Place.

Naylor observes that “With a poem you step into a moment. With a short story you’ll step into the day in the life of, or the year in the life of. But with a novel you’ve got whole universes swirling. And you’re attempting to make sense out of that” (Rowell & Naylor 181). This paper steps into Basil’s life. Basil is an overprotected male child by his mother, Mattie Michael. Her overindulgence has spoiled her only son to a point that Basil has no sense of responsibility in his young adult years. His irresponsibility caused his mother to lose her house and to live in the ghetto.

This paper scrutinizes how lenient and negligent maternal parenting seriously jeopardizes the psychic, emotional, mental, and social development of the male child in the context of Basil’s story. This study is conducted within the theoretical framework of psychoanalytic criticism. Specifically, the Freudian unconscious drive that guides an individual’s behavior, and Jungian notion of consciousness, personal unconscious, collective unconscious, and the archetypes will be utilized.

Discussing the Freudian approach to psychoanalysis, Tyson observes that “… human beings are motivated, even driven, by desires, fears, needs, and conflicts of which they are unaware…” (14-15). And she further explains that reading a story psychoanalytically is “…to see which concepts are operating in the text in such a way as to enrich our understanding of the work and, if we plan to write a paper about it, to yield a meaningful, coherent psychoanalytic interpretation” (Tyson 29). And the Jungian approach which relies on “the “collective unconscious” of the human race: “…racial memory, through which the spirit of the whole human species manifests itself” (Richter 504) will serve examine the collective unconscious of the Black American community and the Black mother in particular.

This essay is divided into three sections, the first of which deals with the exploration of the Freudian and Jungian views of psychoanalysis. The second section highlights the respective places of the father and the mother in the life of a male child, and section three examines the experience of Basil, as an overprotected child.

  1. Freudian and Jungian Scanning of the Black Experience in the U.S.

Celine Surprenant observes that “Psychoanalytic literary criticism does not constitute a unified field. However, all variants endorse, at least to a certain degree, the idea that literature … is fundamentally entwined with the psyche” (200). It is precisely the structure of the psyche that caused Freud and Jung to break apart. While Freud excessively focused on the individual, Jung argued that the individual psyche belongs to a bigger entity, the collective consciousness. To assess the story of Basil, a combination of both views to better conduct the analysis.

Matties feels guilty of betraying her father when she disobeys him by sleeping with Butch Fuller. This guilt is what Freud refers to as an unconscious drive that directs one’s life. Mattie’s guilt will later lead her to be lenient mother to her male child Basil. Freud’s unconscious drive matches with what Jung refers to as personal unconscious. But the personal unconscious belongs to the collective unconscious. This collective unconscious which is like a reservoir of human memories is made of archetypes.

Because the various races in the U.S. have not got the same histories, the archetypes function accordingly. Thus, the painful experience of Blacks in American from slavery to present times have impacted their collective unconscious. Mattie running away from home because her father is beating her to reveal the name of the man who impregnated her, and Basil running away from home to avoid going to jail highlight the archetype of a runaway slave. Mattie being alone to raise her son Basil brings the memories of strong Black women who do not need any man in their lives. By doing so, she unwillingly activates the archetype of the absent Black father from home. These attitudes have strongly impacted the psychic development Basil from childhood to adulthood.

  • The Dialog of Risk Taking and Life Preservation

In the Basil episode in The Men of Brewster Place, Basil’s life story would have been positively different if Mattie Michael had taught him right. Because they have been living in a racist society, Black women should not only love their son but properly raise them too, so they grow up into men. If well-bred, these “… men have to explore the external world, establish their masculinity in all positive as well as constructive way by performing tasks not suitable for the so-called tender women folk” (Kannan 791).

As the irreversible wheels of time turn on, life quality in Black neighborhood deteriorates. Tomeiko R. Ashford bitterly complains that “The different tenets that we used to have, which were the family, and the community, and the church-those things are playing less and less a part in the raising of young black children” (76). In Brewster Place, due to the absence of these tenets, it takes only the Black woman to hold the ground. The outcome is a vicious circle that fuels all kinds of social disasters. Vicious cycle of “… babies having babies; … people living in the same poor area, living and dying within sometimes fifty miles of where they were born, never really seeing the outside world and never understanding the opportunities that are there and how to access them” (76). And this is a perfect depiction of life in Brewster Place.

The vicious circle whereby emotionally “crippled” parent will cripple their children, who in turn will do the same to their offspring is what Basil wants to break in the context of two black boys, Eddie and Jason. He grumbles about Black people: “… keep talking and talking about the situation with young black men. They’re an endangered species; they’re a lost generation; on and on… I can’t solve the problem of a whole generation; but there are two little kids right here who I can help.  So, why not? Why couldn’t I stay in their lives forever? (Naylor 56-57). The remark is noble but how prepared is he to face such a huge challenge. Basil needs to understand that “… there are laws determining the behavior of natural things, then there must be social laws determining the behavior of people, and these laws, rather than individual choice, determine one’s destiny” (Debo 494). This will particularly be true in Basil’s case.

  •  Mattie Michael: Basil’s Mother

Most people living in Brewster Place hold some types of job which do not allow them to leave this ghetto. Katherine McKittrick noted that black workers are stuck in “an economized and enforced placelessness,” (qtd by QI 104) due to their not owning land nor homes. If this is true for the other characters, Mattie Michael is an exception: “A slightly different case is Mattie, who is there because of her own failure in mothering, which lost her the home she worked so hard over her lifetime to buy” (Debo 498). Buying and owning a house for black working class is hard to achieve that it can be repeated. Mattie stayed in that poor neighborhood till her death.

Analyzing Mattie Michael in The Women of Brewster Place Annie Gottlieb states that “Pregnant and disowned, she made the instinctive matriarchal decision to live without a man and invest all her love back into her child. Left in the lurch by the grown, spoiled son, who results, she becomes the anchor for the other women of Brewster Place” (11). Mattie, in overprotecting her son, Basil, has spoiled him. Yu Yang vehemently argues that “Because parents want for their children to enjoy a life better than the one, they have endured in the face of racism and economic oppression, they often overindulge their children or overprotect them” (145). And though people keep raising her awareness on the issue, Mattie disagrees with them. “We can draw a conclusion that over protection and overindulgence are extremely bad for children’s development” (145). Mattie is simply adding to the handicap of her son.

Eva who took Mattie as her daughter argued with her on how she is mothering Basil. “Sometimes, Eva would lead up to a suggestion for Mattie of how to take care of her son. For example, Mattie could not keep Basil running away from things that hurt him and should teach him how to go through the bad and good of whatever comes” (147). Eva being much older than both Basil and her mother, tries in vain to teach them a life lesson. “However, every time Mattie would get snippy, just because Eva minded her business” (147). At school, Basil is no better. “The counselors said Basil was an irresponsible young man, however, Mattie did not think so” (146). And this does not worry her at all. Yet, when it comes to initiating children to maturity there should be no room for complacency.

The upshot is that “After Basil grew up, he ran school to school and job to job, and Mattie was his eternal refuge. When people around him reflected Basil being an indifferent person, Mattie was still proud of her son, because he always sought help to her in the face of difficulties.” (146). In fact, her misconduct “… gave rise to irresponsible Basil, unable to bear the consequences for his own mistakes and face the difficulties in his life. Mattie’s selfless dedication and overindulgence led to Basil as an immature and irresponsible adult man” (146). A child should be raised as if the parent may die at any time for the child to grow quickly fully aware of the harsh reality of life.  

Yu Yang opines that “Overprotection and overindulgence are extremely bad for children’s development” (148). Overprotection and overindulgence cripple the psychic, mental, emotional, and social development of the child, especially the male child. Yang recommends that “Instead of doing everything for them, parents should encourage their children to overcome difficulties and inspire them to develop by themselves. Only in this way can they grow up to be independent and become truly successful” (148).

  •  Butch Fuller: Basil’s Father

Butch Fuller lured Mattie Michael, then a teenager, into rape. Although Sam Michael keeps warning her against Fuller, a fooler, Mattie got pregnant by him. Alfonso W. Hawkins declares that “The child was conceived as a result of Mattie’s liaison with a man her father warned her against. Basil was born in her new home, away from Rock Vale, Tennessee” (469).  As Basil grows in the shadow of his mother, he lacks male figure role model. ““Your father wasn’t a marrying type,” she said, “and so I never bothered to tell him about you.” And that was it. It’s how she answered every question I had about him”  (Naylor 46). Matties makes a serious mistake by not properly responding to her son’s legitimate claims. She thinks a woman alone can raise her son.

By concealing the information about Fuller, Matties has unwillingly created loopholes in Basil’s full manhood development. Basil said with a considerable pain, “And if I pressed, she’d get angry. “Ain’t I been taking good care of you? If you gotta worry, worry about what you got, not about what you could never be.” (46). Knowing that his father lives somewhere and seeing his mates’ father put serious limitations on the boy.

Such loopholes and limitations resulting from the absence of black fathers in the life of their sons foreshadows their doomed future of the progeny. Kannan keenly observes that “It is observed that the men maintain a fugitive tendency when life poses problems of reality.  This would have been the case of them with regard to their existence and circumstances in The Women of Brewster Place”(791). The fugitive father tendency underlies their sons’ development. It is crucial to remind the reader that the fugitive slave archetype is activated in Fuller as well. When this happens, only the mother bears the burden of the childrearing.

  •  Basil’s Self-SchoolingThe Vicious Circle

The absence and the fugitive tendency of black fathers due to the runaway slave archetype, and the unconscious guilt-drive leading to the overprotection of black mothers put black children, especially black boys in a vicious circle. Hawkins states that, “When proper nurturing does not occur, the parents, the black community, and America at large are ultimately the victims” (473). The African American community pays the biggest price in terms of damage. 

“The characters of Basil, Mattie’s son, and C. C. Baker and his crew represent the possible consequences of failing to properly nurture our young. Basil’s social behavior, for example, was nourished, unknowingly, by a mother whose smothering love neglected discipline” (472). An irresponsible young black man like Basil runs away in front judiciary issues linked to his unwillingly killing a man in a fight. And since his mother puts her house in bail, she lost her house. “The only thing she had was her home—free and clear—after thirty years. So, her hundred percent went into their ten percent” (Naylor, 46). And she lost the house and trapped into Brewster Place, where she eventually died.  Basil fails to stand his ground like the African hunter and face the consequences of his misconduct.

  • Transition to Role Model

After realizing that his mother lost her house for his sake, Basil grasped the reality of being an irresponsible child. And he decided to change. He takes two full time and one part time jobs to save money and buy his mother a new house. He wants to become a real man. That type of man Ben, the main narrator of the book, defends. Adishree Vats explained that “The notion, that Black men are lazy and unreliable, is vehemently opposed by Ben, the janitor of Brewster Place, who argues that these men do their utmost in most hostile situations for the survival of their families and communities” (272). Basil seems to be in this category of black men.

In the same thought line, according to Jiamin Ql, Ben “… believes that black men need to be brave and face their own pains directly so that they can rise for a better future together. Even in a ghetto, one can still be a real man by building the community” (104). Basil, from the depth of his irresponsibility, through the transition he experienced having realized his recklessness, wants to change his own life and that of his community. To achieve this newly goal, he needs money.

Basil’s apparent maturity has stemmed from the 16-year gap between the publication of The Women of Brewster Place and The Men of Brewster Place. Basil, the irresponsible young man in the first book has been totally transformed in the second one. Kannan observes that “Take the case of Basil, he doesn’t escape, instead willingly takes up the responsibility of being the loving custodian of those two fatherless boys Jason and Eddie.  It is an act of benevolence with a sense of commitment which even a woman may be hesitant to take up” (791). As he could not buy Mattie a new house before her death, Basil wants to do good to some other women, including Keisha. But again, the loopholes and the flaws in his maturing process catch up with him quickly as he is not prepared enough to face such challenges. It is also important to note that by accepting to take up the challenge of fathering the two boys, Basil is unconsciously trying to destroy the runaway slave archetype.

  • Basil’s Misadventures
    •  Getting to Know the Truth about his Father

When Basil realized the death and burial of his mother, he went for his father for the first and the only time in life. And this is the first time he has a man to man, crude, harsh, straight forward talk. He went there to know his father and confront him with accusations of not trying to look for them. Fuller was sorry about Mattie’s death but was quite indifferent toward the pains of his only son. ““I went to see Mattie after I heard she was pregnant. I was so glad about you proving the doctors wrong that I was foolish enough to start thinking I could ask her in marriage. But her old man wouldn’t let me see her. And he even lied about where she had gone. Your grandfather was a hard, hard man” (Naylor 48).

As Basil wanted to charge his father with all kinds of accusations, Fuller told him, “If you came here thinking I was gonna help with the pain, you’re wrong, stop it. I’m sorry Mattie’s passed away, but I got no regret about the way I treated her. Then again, maybe you do” (48). This meeting with his father, another man, has revealed Basil’s deficiencies and weakness in terms of manhood.

Basil also went to see the house where his mother grew when he saw a woman with children bothering her. On seeing this scene, Basil told himself “This is what happens without a man in the house (50). And he made another vow. “I swore, once again, that I would not be that kind of man. I was going to be there for my children, that is, if I could have one” (50). Here is exactly where Basil realizes the fugitive slave archetype which has been unconsciously directing the life of most Black men.

  •  Dating Helene

As Basil has shown loopholes in his maturation in the presence of his father, he will demonstrate complete immaturity in front of women. If Basil was well initiated by Mattie into life preservation and professional secrecy, he would know a lot of things about women before venturing into their world. Basil confessed, “I learned quickly that women thought something was wrong with a man who talked about wanting a commitment before they brought up the subject. And even if they did bring it up, for you to agree quickly makes you a loser” (51).

But the first and the only time that Basil thinks about his mother, he finds relief. “I thought about what advice my mother might give me if she was still alive. “Hang in there, son. There’s light at the end of the tunnel.” And what I found at the end of the tunnel was Helen” (51). Helen is a young woman can make something positive out of Basil, and he knows that too.  “After she took me to dinner wither parents, I knew it was time to tell her the whole story about my past” (52). Because Basil has seen in her a woman to marry that he is ready to reveal his life. The very day he plans to do this the day he and Helen met her cousin Keisha and her sons Eddie and Jason.

After church, Keisha’s threats on her sons seriously embarrassed Basil who asked Helen about her. ““Unfortunately, I do. It’s my cousin, Keisha, and she is bad news. I hate the way she treats her kids” (53). Beyond Keisha’s behavior, Basil is interested in the two boys. Alfonso W. Hawkins observes that “The clarion call in the African American community is a traditional one: “Must I be my brother’s keeper?” Black youth are nurtured and raised by the internals of family, community, and the educational system, which extends the inherent community” (474). This is the sacred call that directly link Basil to these boys. Yet, without realizing it, Basil was too immature and ill-equipped to answer that call.

In the same line, Basil was also too stubborn to listen to Helen’s numerous warnings about Keisha’s trap. ““I see where you are heading, Basil, and there is nothing waiting for you but trouble. Maybe you aren’t interested in Keisha but the closer you get to those children, the more difficult it’s going to be to leave” (56). Unfortunately, Basil was too idealistic to quit Helen, the woman he could marry for the sake of the two black boys, and Keisha. This is absolute stupidity. You cannot leave a woman and marry her cousin. That is insanity.

While Basil is trying to transcend the runaway slave archetype, it is essential to note that he is unconsciously guided by the strong guilt of betraying his mother. This unconscious guilt drive sheds light on his insane decision to marry the devilish Keisha so he could father the two boy in the life of whom the fugitive slave archetype has been rampant since they do not even know who is their father.

  •  Basil’s Downfall: Consecutive Life-Changing Mistakes     

Analyzing the female characters in The Men of Brewster Place, C. Muralidara Kannan declares that “Negative forces have their say in a few women characters too. No reader of the novel will be forgetful of Evil Elvira and Keisha” (790). As Helen told Basil, Keisha is bad news. And to worsen his case, Mattie failed to deliver an appropriate initiation to Basil, and Gloria Naylor herself makes a sterile man out of Basil. And him knowing that he cannot impregnant a woman is trapped with the two fatherless black boys that he adopted via marrying their mother, Keisha. A pure holy insanity.

Beside Helen’s warnings, Basil clearly sees that Keisha is not a sound woman, and less, a mother. She goes to church half naked and goes there only for her mother to keep her boys when goes out to enjoy life. ““If I didn’t my mama would kill me. And who’s gonna baby-sit when I need to go out?” (55). And when Basil volunteers to take the boys out, “Keisha was too happy to find that someone was going to take them off her hands for a day. It was alarming how easily she agreed. She and Helen weren’t that close, what if I were a pervert that she’d just hand her kids off to? (55). Mattie’s poor parenting and her overprotecting Basil put him at the mercy of evil Keisha.

It took Basil less than a month to talk Keisha into marriage. “The thing that concerned her was my age. At twenty, like she was, someone close to thirty-five seems ancient. But once she found out about my bank account, she had no more problem with my age than she did with the fact that a bench warrant was hanging over my head in another state” (59). Basil’s stupidity is simply legendary. How can a man, a sound man, show his bank account information and reveal his court problem to an immoral and immature twenty years old girl whose cousin (Helen) he was supposed to marry?

Mattie has been absent in the life of Basil due to her own negligence which kills her.  If Basil were well bred, he would keep social distance with Keisha, just like her cousin Helen did. Rescuing people should not be done at the expense of one’s life nor one’s happiness. This lesson Basil will learn through bitterness.

As Mattie’s complacent parenting paved Basil’s and her own way to destruction, Keisha’s negligence toward her sons leads them to disaster. “A high school dropout, her dream for them ended with them finishing high school and going out on their own. My dream for them ended on the other side of the universe. They could be anything they wanted to, I kept telling them” (60).

Another insanity and stupidity of Basil was to believe that “It was very clear to both of us that I wasn’t marrying Keisha, I was marrying the boys” (59). And “In six months, she had almost run through the forty-seven thousand dollars” (59). Basil confessed that “Maybe some of this was my fault. Maybe if I’d concentrated on being as good husband as I did a father, I could have saved the marriage” (60). How can a man, a full man, have for wife a woman he consciously knows is sleeping with other men? And when Keisha wants to beat Eddie for reporting to Basil that Keisha brought her boyfriend in the house, Basil discouraged her. “You aren’t doing anything to him. You’ll keep your damn hand off my kids” (61). And a whole fight follows. ““Your kids? They ain’t your kids. Since when you are man enough to have any kids? You hardly ever touch me. They told me not to marry an old ass like you” (61).

 But this time was the last fight of their two years of marriage. “And then her eyes narrowed as she went for the jugular. “For all you know, Penny might be their real father. And even if he ain’t, he’s sure as hell better in bed than you are”” (Ibid.). When Basil asker what exactly she expects from him, she replied, “I want you to get the hell out of my life.” Then the ill-trained Basil made the irreparable and the unforgivable mistake. “Ok, I’ll take the kids and go” (62). Keisha was surprise Basil’s incongruity. ““Man, are you outta your mind? You ain’t taking my kids nowhere” (Ibid.). But the foolish man continued. ““Legally, they’re mine as well as yours”” (Ibid.).

“We’ll see about that. We’ll just see” (Ibid.). If Basil only learned from his mother like he should, and if Mattie had properly trained and taught her son as a mother should, he would surely understand and realize that any mother, however bad she may be, would never let any person separate her from her children. Mattie and Keisha have this attitude is common. It is maternal instinct of protecting their progeny and that profound sense of belonging that prompts Mattie to put her house at bail to defend Basil; Keisha to report Basil to the police to prevent him from separating her from her sons. And this was Basil’s fatal mistake. After Keisha went to report to the police about Basil’s judicial situation, they came to arrest him. Now, Basil is ready to go to jail by accepting responsibility. If he did this earlier on, Mattie would keep her house and maybe still alive, and his life would be much better.

By the time Basil came out of jail after six years for good conduct on a seven-to-fifteen-year count for involuntary manslaughter, with total absence of communication with the two black boys for whom he married evil Keisha, “Jason had already done time himself in juvenile detention for car theft and aggravated assault. Eddie had built a shell around himself, hard and permanent: He said he didn’t me. And that he didn’t want to” (64). And the ball keeps rolling for these black boys. Basil took extremely unmeasured risk to rescue them, but their mother prevented him. Like Mattie, Keisha has demonstrated a complacent and negligent parenting for her sons. Basil has later and bitterly realized the wrong his mother did to him by loving, pampering, and overprotecting him, but he could never mention since his misbehavior triggered her death. Eventually Keisha is far much worse than Mattie and the life of her two sons speaks volume. Both Mattie and Keisha failed in their parenting roles.

The only question left for Basil is to know if he could have made any difference by deciding to rescue the two boys. “But the question that will haunt me for the rest of my life is whether or not I could have made any difference. Would these things have happened to them anyway just in the flow of life?” (Ibid.).

Conclusion

This paper has examined how lenient, negligent, and poor maternal parenting seriously jeopardizes the psychic, emotional, mental, and social development of the male child. The paper has shown that Basil is psychically deficient, emotionally unstable, mentally immature, and socially unequipped to life challenges due to a failed parenting. Mattie Michael, Basil’s mother, and Keisha, Jason, and Eddie’s mother, have failed to properly deliver their parental mission. Mattie’s over protection of Basil makes her son an irresponsible child and an incredibly immature young fellow. As an irresponsible child he made his mother lose her house by running away from the court. As an immature man, he married an extremely irresponsible and negligent twenty-year old Keisha because he wanted to properly father Jason and Eddie.

Keisha is the worst mother the story has represented. Her harsh attitude toward her sons, her negligence, her always-looking-for money, comfort and sexual pleasure make her an unfit mother. This poor parenting has already shaped the critical part in the fate of her sons. And when providence brings her Basil, she literally destroys his life altogether with her sons.

Freudian and Jungian’s psychoanalytic approaches have been used as theoretical tools to examine Basil, Mattie, Keisha and her sons, and other characters. These characters are unconsciously led by their fear, desire or guilt drives which direct their lives. These unconscious drives are grounded in a collective unconscious which manifests through archetypes.

The consequences of poor and lenient parenting are numerous. The jeopardy of the psychic, the emotional, the mental and social development of the male child. This male child cannot meet the harsh demands of society. He constitutes a latent danger for himself and society. Just consider the rate of manslaughter, car theft, armed robbery, rapes just to mention but a few in the black community. All these problems have a genesis, the family. The quality of family life determines the quality of social life.

Though this article focuses on the relation between mother and son, Keisha’s misconduct is the result of poor maternal parenting. This introduces the issue of mother and daughter relationship in the black community and how important and vital the role of the mother is in the life of the female child as the offspring spends more time with their mother. 

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Comment citer cet article :

MLA : Ahondo, Kodzo Kuma and Ebony Kpalambo Agboh. “Deficient Motherhood and its Impacts on the Male Child Development: An Approach to “Basil” in Gloria Naylor’s The Men of Brewster Place.” Uirtus 1.1 (août 2021): 1-15.

Abstract

Abstract: Unlike animals and the vegetation whose behavior and maturity are believed to be innate, human beings take time to mature as they must be educated and trained. Any gap in the training process may be fatal to the progeny. Basil, the protagonist of one of the episodes of Gloria Naylor’s The Men of Brewster Place (1998), faces life-dismantling challenges in his young adulthood due to his mother’s deficient upbringing. This paper examines how lenient and negligent maternal parenting can affect the psychic, emotional, mental, and social development of a male child. Using the psychoanalytic approach, this study has found out that the mother’s responsibility in education is vital to male child’s successful maturing.

Keywords: Archetype, Collective Unconscious, Maturing, Guilt, Deficient Motherhood.

Uirtus Vol. 1, N°. 1; Août 2021

Deficient Motherhood and its Impacts on the Male Child Development: An Approach to “Basil” in Gloria Naylor’s The Men of Brewster Place

Poétique des « noms de règne » dans La vie et demie et L’état honteux de Sony Labou Tansi

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