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Abstract (La hiérarchisation de l’information télévisuelle au Congo (Brazzaville)

This article focuses on the prioritization of television news in
Congoin a context marked by the liberation of the media field and on the
other hand, by the will of the Government to keep a stranglehold on the
media sector. It is based on a corpus made up of 6 summaries and 6
current affairs conductors from 2015 to 2017 from the Congo TV and
DRTV channels. Our investigations show that Congo TV favors
presidential and government events, while DRTV aligns itself with the
territory of proximity with a multi-thematic tendency. These results are
justified by the television environment under state influence in Congo.
Keywords : hierarchy, television news, Congo-Brazzaville, institutional,
proximity

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Résumé(la hiérarchisation de l’information télévisuelle au Congo Brazaville)

Jonas Charles Ndeke§

Résumé : Cet article porte sur la hiérarchisation de l’information télévisuelle au Congo dans un contexte marqué d’une part, par la libéralisation du champ médiatique et d’autre part, par la volonté de l’État de garder une main mise sur le secteur médiatique. Il s’appuie sur un corpus constitué de six sommaires et six conducteurs d’actualité de 2015 à 2017 des chaînes Télé-Congo et DRTV. Il ressort de nos investigations que Télé-Congo privilégie les événements présidentiels et gouvernementaux, alors que DRTV s’aligne sur le territoire de la proximité à tendance multithématique. Ces résultats se justifient par un environnement télévisuel sous influence étatique au Congo.

Mots-clés : hiérarchisation, information télévisuelle, Congo-Brazzaville, institutionnel, proximité

Abstract: This article focuses on the prioritization of television news in Congoin a context marked by the liberation of the media field and on the other hand, by the will of the Government to keep a stranglehold on the media sector. It is based on a corpus made up of 6 summaries and 6 current affairs conductors from 2015 to 2017 from the Congo TV and DRTV channels. Our investigations show that Congo TV favors presidential and government events, while DRTV aligns itself with the territory of proximity with a multi-thematic tendency. These results are justified by the television environment under state influence in Congo.

Keywords : hierarchy, television news, Congo-Brazzaville, institutional, proximity

Introduction

Le choix et l’ordre hiérarchique des thèmes dans un média en général et dans une chaîne de télévision en particulier ne s’opère pas de manière individuelle par les journalistes. Le script invisible ou la sélection des faits est l’un des éléments qui préside à l’élaboration d’une information dans un média, en général et à l’antenne de la télévision, en particulier. Il constitue le premier élément de ce processus. Comme le font remarquer François Poulle et Roger Bautier (108) « le J.T. est sélectif. Comme tout organe de presse, il trie et opère ses choix dans le flux des dépêches… ». Il convient de rappeler qu’une information est, à l’origine, un événement selon l’idéaltypique journalistique. Dans ce référencement implicitement positiviste, « l’événement est un fait réel – du moins, reconnu comme tel par l’observateur, pour tenir compte des débats qui animent régulièrement positivistes et constructivistes sur ce terrain de l’information médiatique » (Delforce, Cabedoche) – qui s’est produit dans une zone géographique donnée. L’information est le résultat du traitement médiatique de ce fait. Ce fait est porté à la connaissance d’une rédaction par l’intermédiaire d’une source d’information.

Le choix et la hiérarchisation de l’information relèvent de la compétence de la conférence de rédaction, si nous n’élargissons pas à « l’analyse détaillé de l’ensemble des acteurs intervenant dans le process de co-construction de l’information médiatique » (Charraudeau). La conférence de rédaction a lieu en général en deux temps pour chaque journal, à savoir la sélection des sujets que vont couvrir les journalistes et l’examen de ce qu’ils ont acquis par leur enquête et la décision de diffuser ce travail ou non à l’antenne. C’est donc permettre au directeur de l’information de la chaîne, au rédacteur en chef, au chef d’édition ainsi qu’aux responsables des différents services (politiques, social, étranger, etc.) de se livrer à l’examen de l’actualité.

De nos jours, le processus de production et de diffusion de l’information est bousculé par les télévisions transnationales et les dispositifs socio-numériques. Plusieurs chaînes de télévisions transnationales et les nombreux réseaux sociaux, à la faveur d’internet permettent aux téléspectateurs et aux usagers de ces dispositifs socio-numériques d’accéder à l’information en temps réel, en proposant des formats de diffusion de l’information en continu. Pendant ce temps, dans le contexte congolais, la plupart des chaînes, à l’exception de VOX TV, restent soumises au respect des heures de diffusion de l’information. Alors que les téléspectateurs veulent tout savoir en temps réel. Dans le jargon journalistique, si une nouvelle n’a pas de lien avec l’actualité immédiate, une information sera « mise au frigo », dans l’attente d’un évènement qui l’actualise. Parallèlement, les codes déontologiques que se donnent les instances dites représentatives du journalisme imposent un temps de latence à la diffusion : celui de la vérification de l’information et de la source, supposée subir au préalable la confrontation contradictoire. Enfin, c’est la ligne éditoriale qui donne à la chaîne son originalité, sa cohérence, et sa justification. Même si l’actualité est une « maitresse obligée » comme souvent entendu dans les rédactions, les chaînes de télévisions doivent décider de l’angle sous lequel elles aborderont les faits et les idées. Et l’actualité est tellement vaste, dans la plupart des domaines, qu’il faut constamment faire des choix, voire en préciser à l’avance les critères.

L’état de la recherche, en République du Congo révèle l’absence des travaux spécifiques sur la hiérarchisation de l’information télévisuelle. En outre, on dénombre des travaux consacrés aux médias en général (Miyouna, Gakosso, Ndeke) qui abordent la question de la hiérarchisation de l’information télévisuelle. Nous inscrivons également cet article dans ce contexte. L’environnement médiatique congolais est marqué par l’influence étatique, c’est-à-dire par l’État et ses institutions (présidence de la république et gouvernement). Cette influence étatique entraine une double médiatisation, partagée entre la prédominance des sujets institutionnels (chaîne publique) et des sujets dits « de proximité » à tendance multithématique (chaînes privées) (Ndeke 193-304).  

Cet article vise à mettre en exergue la hiérarchisation de l’information télévisuelle au Congo dans un contexte marqué d’une part, par la libéralisation du champ médiatique et d’autre part, par la volonté de l’État de maintenir une main mise sur le secteur médiatique. Pour ce faire, il tentera de répondre à deux questions : à quels impératifs contraignants obéissent la sélection et l’ordre hiérarchique des thèmes aux journaux télévisés de Télé-Congo (chaîne publique) et DRTV (chaîne privée) ? Quels sont les facteurs qui justifient la hiérarchisation de l’information télévisuelle en contexte congolais ?

Pour répondre à ces questions, deux hypothèses de recherche seront mobilisées. La première formule le présupposé selon lequel le choix et l’ordre hiérarchique des thèmes aux J.T. de Télé-Congo est dominé par les actualités présidentielles et gouvernementales et à DRTV par les sujets de proximité. La deuxième hypothèse justifie le choix et l’ordre hiérarchique de l’information à Télé-Congo et DRTV par un environnement télévisuel sous influence étatique.

1. Cadres théorique et méthodologique 

Cet article se structure autour du concept de médiatisation. La médiatisation renvoie « … en la mise en média d’individus, de groupes ou d’institutions par la construction de produits médiatiques formalisés, dans une visée stratégique, impliquant des pratiques collectives de consommation » (Lafon 163).  Le script invisible ou la sélection préétablie des faits est donc la traduction de pratiques reconnues par le champ, qui consiste à choisir les événements qui méritent d’être portés à la connaissance du public en fonction des habitus, consignes éditoriales, chartes déontologiques et rapport de forces entre acteurs, internes et externes. La ligne éditoriale de Télé-Congo subit particulièrement cette influence. Cette orientation éditorialiste de cette chaîne explique ainsi la logique d’exclusion de certains champs de l’information dans la couverture d’actualité, qui ne seraient pas, directement ou non, liés à ces intérêts institutionnels (Ndeke 193-304). C’est dans ce contexte que les travaux de Kaarle Nordenstreng et Tapio Varis sur la circulation à sens unique de l’information mondiale et de Patrick Charaudeau, Guy Lochard, Jean-Claude Soulages (31 – 46) sur le parallélisme dans les attitudes informative seront mobilisés afin de comprendre la hiérarchisation de l’actualité à Télé-Congo. Par contre à DRTV, la distanciation vis-à-vis de l’État explique le positionnement a priori consensuel, plus orienté vers les sujets dits « de proximité » et une tendance à la diversification des différents champs de l’information. Cet article s’appuie également sur l’approche conceptuelle de Hervé Bourges sur la décolonisation de l’information pour répondre à ce questionnement à propos de la hiérarchisation de l’actualité sur DRTV.

Notre corpus est constitué de deux types de données. Il s’agit de six sommaires des journaux télévisés de Télé-Congo (3 sommaires) et DRTV (3 sommaires) du 26 mai 2015, du 17 décembre 2016 et du 6 septembre 2017, soit 10 titres des J.T. Cette première catégorie de données est complétée par six conducteurs des journaux télévisés de Télé-Congo (3 conducteurs) et DRTV (3 conducteurs) du 26 mai 2015, du 14 décembre 2016 et du 10 août 2017, soit 80 sujets d’actualité. Partant du principe et de la logique d’observer la hiérarchisation de l’information des chaînes Télé – Congo et DRTV sur un temps long comme nous l’a recommandé Jocelyne Arquembourg-Moreau et fidèle au « désir d’histoire qui caractérise les dispositions des chercheurs en SIC » (Mattelart, Cabedoche), notre corpus est inscrit dans la durée (2015 à 2017). C’est à la suite d’une veille communicationnelle réalisée de juin à août 2018 à Télé-Congo et à DRTV que nous avons puisé, après une approche exploratoire de plusieurs journaux télévisés ces données. Ces données ont été enregistré directement à DRTV. Pour Télé-Congo, certaines ont été directement enregistrées à Télé-Congo et d’autres[1] sur les sites internet[2]. Le choix porté sur Télé-Congo et DRTV se fonde sur le fait qu’ils sont des chaînes généralistes des secteurs respectivement public et privé qui émettent sur satellite et mobilisent plus d’audience, soit 39% pour Télé-Congo et 37% pour DRTV (Ndeke 425). Elles présentent une équivalence suffisamment cohérente pour autoriser une analyse comparative de la hiérarchisation de l’information représentative des chaînes congolaises. En attendant d’étendre le nombre de chaînes de notre corpus, ces deux chaînes assez représentatives des pratiques professionnelles dans le secteur des médias congolais nous permettront d’en dégager les constantes en termes de hiérarchisation de l’actualité. Ces données ont été traitées manuellement. Elles permettent selon nous de dégager une tendance de la hiérarchisation de l’information dans ces deux chaînes de télévision. Pour ce faire, l’analyse de contenu (De Bonville, Bardin) comme outil d’analyse est convoquée à cet effet. L’analyse de contenu est une technique de recherche fondée sur la pré-catégorisation thématique des données textuelles. Ce corpus a été également soumis à l’analyse comparative (Vigour 5). La comparaison multivariée qui laisse un libre usage à toute configuration comparative possible a été convoquée. Ces démarches méthodologiques permettront de mettre en lumière la hiérarchisation de l’actualité à Télé-Congo et à DRTV. Cet article se subdivise en trois parties. La première partie se consacre à l’examen de l’environnement télévisuel congolais. La deuxième partie se focalise sur la hiérarchisation de l’information à Télé-Congo. Enfin, la dernière partie porte sur la hiérarchisation de l’information à DRTV. Toutes ces analyses seront croisées à des fins comparatives.

2. Résultats et discussions

2.1. Environnement télévisuel sous influence étatique

Pour appréhender le choix et l’ordre hiérarchique des thèmes aux journaux télévisés de Télé–Congo et DRTV, il nous a paru nécessaire de convoquer un premier indicateur à savoir le contexte de développement des télévisions au Congo. La remise en cause brutale de la situation de monopole d’État sur la télévision au Congo enclenchée en 1990 a provoqué la redéfinition du rôle de l’État, avec la transition de la télévision d’État vers une télévision dite de « service public » et le développement d’un secteur privé télévisuel à partir de 2002. Le secteur public télévisuel est animé par l’unique chaîne publique Télé-Congo. Télé-Congo est une chaîne publique sous tutelle du ministère de la Communication. Le décret n°2003-224 du 21 août 2003 portant attributions et organisation de la direction générale de la télévision nationale stipule dans son article 1 que « la direction générale de la télévision nationale est l’organe technique qui assiste le ministre, dans l’exercice de ses attributions en matière de télévision ». Par ailleurs, les agents de la télévision nationale congolaise ont le statut de fonctionnaire et souffrent d’un manque de formation adéquat du fait, notamment, des difficultés budgétaires et de l’absence d’un bon plan de formation. En même temps, il existe un Conseil Supérieur de la Liberté de Communication (CSLC) chargé entre autres de réguler la communication dans le pays et de répartir le temps d’antenne en période électorale.

Dans le secteur privé, bien qu’on assiste aux lancements de plusieurs chaînes privées (TOP TV, VOX TV, DRTV, ESTV, …), elles appartiennent pour la plupart aux personnalités proches du pouvoir en place. C’est le cas de La Digital Radio Télévision (DRTV-International). DRTV est la doyenne des chaînes privées congolaises. Elle est lancée en 2002 et fait partie d’un groupe de presse audiovisuelle, constitué de deux chaînes de télévisions (Digital Radio Télévision en sigle DRTV-International et Digital Radio Télévision Force One en sigle DRTV F1) et une station de radio. Ce groupe de presse audiovisuelle est la propriété d’un opérateur privé, Monsieur Norbert Dabira, général des forces armées congolaises. À ses débuts, DRTV a consacré une grande part de son budget à la formation de ses agents, mais ces dernières années, suite aux difficultés financières, ce budget consacré à la formation s’est retrouvé largement en baisse.

Ainsi, même si la loi n°8 – 2001 du 12 novembre 2001 consacre en théorie la libéralisation du secteur médiatique, l’État tente de maintenir une main mise sur les médias. Elle se traduit par la mise en œuvre des reformes inachevées et l’autorisation sélective et restrictive des médias privés.

2.2. Hiérarchisation de l’information à Télé – Congo aux ordres des actualités présidentielles et gouvernementales

Après cet éclairage, le tableau ci-dessous présente les résultats de l’analyse des sommaires retenus par période à Télé-Congo :

Tableau N° 1 : Ordre hiérarchique des thèmes abordés aux sommaires des J.T de Télé-Congo en 2015, 2016 et 2017
CatégoriePourcentage
actualités présidentielles30
actualités gouvernementales30
thèmes de société20
Thèmes culturels10
thèmes internationaux10
Total100

Il ressort de ce tableau n°1 que l’ordre hiérarchique des thèmes abordés aux sommaires des journaux télévisés de Télé-Congo accorde une priorité aux actualités présidentielles. Les actualités du président de la République constituent les premiers sujets abordés aux sommaires des journaux télévisés de Télé-Congo. Les actualités gouvernementales se place en deuxième position. On enregistre en troisième position les thèmes de société. Enfin, les thèmes culturels et les thèmes internationaux occupent respectivement la quatrième et la cinquième place. Par ailleurs, les taux de représentativité des thèmes dans les sommaires des journaux télévisés de Télé-Congo s’inscrivent plus ou moins dans la même orientation. Les sommaires des journaux télévisés de Télé-Congo sont dominés par les actualités présidentielles (30%) et les actualités gouvernementales (30%). Ces deux premières catégories cumulent à elles seules 60% du taux de représentativité des actualités abordées aux sommaires des J.T. de Télé-Congo. On note 20% pour les thèmes de société. Enfin, les catégories thèmes culturels et thèmes internationaux enregistrent respectivement 10%.

Pendant la période 2015, les résultats des sommaires des journaux télévisés de Télé-Congo montrent un équilibre entre les différentes catégories. On enregistre 33% pour la catégorie actualités présidentielles, 33% pour la catégorie actualités gouvernementales et 33% pour la catégorie thèmes internationaux. Le premier thème rend compte de la poursuite des consultations initiées par le président de la République sur la vie de la nation et le fonctionnement de l’État. Le deuxième thème se focalise sur les conclusions de la seizième conférence de la Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale (CEEAC) tenue à N’Djamena au Tchad. La République du Congo a été représentée par le président de la République Denis Sassou N’guesso. Ce sommet a statué entre autres points sur la prolongation technique de la transition en République Centrafricaine. Bien qu’il porte sur la dixième université du notariat africain, cette activité (troisième thème du sommaire) a été supervisée par le ministre de la Réforme foncière de l’époque, représentant son collègue de la justice empêché.

Aussi, en 2016, on enregistre un taux de représentativité de 50% pour la catégorie  actualités présidentielles, 25% pour les actualités gouvernementales et 25% pour la catégorie thèmes culturels. La première activité est consacrée à l’audience accordée par le président de la République aux dirigeants de la compagnie italienne ENI, avec à la clé la signature des accords portant sur le renforcement de l’offre énergétique au Congo. La deuxième activité quant à elle s’est focalisée sur des échanges entre le président de la République Denis Sassou N’guesso et Marck Gentilini, un expert en santé, sur la lutte contre les faux médicaments. Le troisième thème du sommaire est consacré à l’actualité du gouvernement, notamment l’ouverture à Ewo dans le département de la Cuvette Ouest des Assises nationales de la santé sous la supervision du premier Ministre. Enfin, le dernier point abordé dans le sommaire relève d’un thème politico-culturel, à savoir l’organisation d’une conférence-débat autour d’un ouvrage sur la nécessité de management politique dans la gestion du pouvoir : Mr Serge Ikiemi, l’organisateur de cet événement, a été l’invité du journal télévisé. 

En 2017, même si la première actualité abordée au sommaire relève des actualités gouvernementales, cette catégorie n’occupe que 33% des thèmes abordés au sommaire des J.T. de Télé-Congo contre 67% des thèmes de société. Le premier titre du journal est consacré à l’actualité gouvernementale, notamment à une réunion du comité de pilotage du Programme National de Développement 2017-2021 qui s’est tenue sous l’autorité du chef du gouvernement Clément Mouamba. Le deuxième et troisième titres du journal portent sur des sujets de société, respectivement d’une part, l’ouverture du guichet unique des passeports rwandais mise en place à Brazzaville afin de permettre aux réfugiés rwandais désireux de rentrer chez eux d’obtenir facilement ce document et d’autre part, le départ du Directeur Général de la Société des Transports Publics Urbain (STPU), condition posée par les travailleurs de cette société pour lever la grève qu’ils observent depuis un mois.

Ces résultats de l’ordre hiérarchique des thèmes abordés aux sommaires des journaux télévisés de Télé-Congo de 2015 à 2017 montrent un déséquilibre entre les différentes catégories. Ce déséquilibre s’explique par un écart important de 20% entre les premières catégories (actualités présidentielles 30% et actualités gouvernementales 30%) et les dernières catégories (thèmes culturels 10% et thèmes internationaux 10%).

À la lumière de l’analyse des sommaires de la chaîne nationale Télé-Congo, nous observons donc bien le déploiement d’une logique institutionnelle. Ce constat interpelle le statut de chaîne de service public tant revendiqué par Télé-Congo. Dans cette logique institutionnelle, la priorité des sommaires est accordée aux actualités présidentielles et aux actualités gouvernementales. Cette tendance s’inscrit dans la conception de la « télévision comme un instrument essentiel de domination idéologique des masses » (Latorre et al. 6) » et « d’appareil idéologique d’État » (Foucault).

Tableau N° 2 : Ordre hiérarchique des sujets abordés aux journaux télévisés de Télé-Congo de  2015, 2016 et 2017
Catégorie201520162017Total
1actualités présidentielles358
2actualités gouvernementales37414
3thèmes de société2338
4thèmes économiques1438
5thèmes politiques314
6Thèmes culturels22
7Thèmes internationaux22
Total14141446

Ce tableau met en lumière les résultats de l’ordre hiérarchique des sujets abordés aux journaux télévisés de Télé-Congo des périodes 2015, 2016 et 2017. Ces résultats montrent clairement des effets d’agenda médiatique qui se déploient sur Télé-Congo. L’ordre hiérarchique des sujets aux journaux télévisés de Télé-Congo s’inscrit dans la même orientation que celui des sommaires. Télé-Congo accorde une priorité aux actualités du président de la république. Les actualités du président de la République constituent les premiers sujets abordés aux journaux télévisés. En 2015 et en 2017, les conducteurs d’actualité lui consacrent ainsi 8 unités d’enregistrement en tant que premier sujet ouvrant le J.T., soit 3 premiers sujets pour la période 2015 et 5 premiers sujets pour la période 2017. Le taux de représentativité des actualités du président de la République sur l’ensemble des périodes est évalué à 17%. Par ailleurs, si la première place est occupée par l’actualité directement liée au président de la République, la seconde est consacrée à l’actualité du gouvernement. Ces trois exemples indiquent que sur les 46 sujets diffusés, 14 sujets ont été consacrés à l’actualité du gouvernement et diffusés immédiatement après l’actualité du président de la République pour le premier et troisième conducteur, et en premier lieu pour le deuxième conducteur d’actualité, en l’absence de l’actualité liée au président de la République. L’actualité du gouvernement enregistre le taux de représentativité le plus élevé de notre échantillon avec 30%, soit 3 sujets diffusés en 2015, 7 sujets diffusés en 2016 et 4 sujets diffusés en 2017. Aussi, on note en troisième position de l’ordre hiérarchique des sujets abordés aux journaux télévisés de Télé-Congo, les catégories thèmes de société et thèmes économiques 17% chacune. Les thèmes politiques se positionnent en quatrième position de l’ordre hiérarchique des sujets abordés aux J.T de Télé-Congo avec 9%. Enfin, on enregistre un taux de représentativité de 4% pour les deux dernières catégories thèmes culturels et thèmes internationaux.

Par ailleurs, ces résultats confirment le déséquilibre observé entre les différentes catégories au niveau des sommaires à propos des thèmes abordés. Ce déséquilibre se traduit par un écart important de 26% entre la catégorie actualités gouvernementales (30%) et les catégories thèmes culturels et thèmes internationaux (4%). Ils montrent clairement le positionnement institutionnel de Télé – Congo.

Au regard des indices collectés, Télé – Congo accorde une priorité à l’actualité du président de la République et du gouvernement, rejoignant ainsi le constat que Kaarle Nordenstreng et Tapio Varis avait établi quant à la réduction à l’institutionnel à côté de l’anecdotique des sujets traités par les grandes agences mondiales s’agissant de la transmission des dépêches concernant les pays du sud (Nordenstreng, Varis).

Si la chaîne s’inscrit dans un processus de mutation d’une chaîne d’État vers une chaîne de service public, dans la pratique, l’empreinte de l’État à travers ses institutions reste assez présente. Comme le témoigne Marie Soleil Frère (144), « le média télévisuel a toujours constitué une préoccupation essentielle pour l’élite dirigeante. Soucieux de leur image, les chefs d’État et les mandataires politiques se montrent extrêmement sensibles aux contenus diffusés ». Les journaux télévisés en contexte congolais demeurent « pensés » par les gouvernants, ainsi que Jérôme Bourdon l’a observé, comme « un moyen de concrétiser les liens entre le cœur du pouvoir et la périphérie en permettant une communication directe à sens unique » (Bourdon 63). Ce constat établi par l’auteur ne fait pas non plus l’unanimité, au sens où nous assistons depuis la décennie 1990 à la libéralisation de l’espace médiatique en contexte congolais, à l’instar de ce qu’a démontré Tourya Guaaybess dans le cadre d’une analyse sur les télévisions arabes-« l’État n’est plus maître dans son royaume » (Guaaybess 154).

2.3Choix et l’ordre hiérarchique des thèmes aux J.T. de DRTV dictés par les sujets de « proximité » à tendance multithématique

Le décryptage des sommaires et des conducteurs des journaux télévisés de DRTV nous permettra de mettre en exergue la hiérarchisation de l’information à DRTV.

Tableau N° 3 : Ordre hiérarchique des thèmes abordés aux sommaires des J.T de DRTV en 2015, 2016 et 2017
CatégoriePourcentage
Thèmes de société100
Total100

La lecture des résultats des sommaires de DRTV montre bien une volonté de « désinstitutionalisation » de l’information traitée par cette chaîne. Aucun thème institutionnel n’a été abordé dans ces trois exemples de sommaires. Les thèmes de société monopolisent les sommaires de l’ensemble des périodes étudiées avec un taux de représentativité de 100%. Plusieurs autres enseignements peuvent être dégagés de cette lecture des sommaires des J.T. de DRTV.

Premièrement, l’exemple sélectionné pour la période 2015, notamment le journal télévisé du 26 mai 2015, consacre son sommaire à deux thèmes. Le premier titre du journal télévisé s’arrête au lancement des épreuves du concours d’entrée en sixième et le dernier titre porte sur le bilan de la coopération entre les villes de Brazzaville et de Kinshasa en République Démocratique du Congo.

Deuxièmement, cette logique de « proximité » est également perceptible à travers l’exemple du sommaire du journal télévisé du 17 décembre 2016, constitué de deux titres également. Le premier titre aborde le désarroi des populations après des pluies à Brazzaville, notamment dans le 6è arrondissement Talangaï aux quartiers 66 et 68. Ce désarroi s’explique par l’énormité des dégâts avec les toitures des maisons emportées ici et là. Le dernier titre se consacre aux préparatifs de la rentrée académique à l’Université Marien Ngouabi où une organisation étudiante, le MEEC, prépare les nouveaux bacheliers à la rentrée académique.

Troisièmement, ce positionnement de proximité est également assumé à travers l’exemple du sommaire du journal télévisé du 6 septembre 2017. Ce sommaire aborde trois titres liés au quotidien des Congolais. Le premier titre porte sur une interrogation relative à la rentrée scolaire dans le système éducatif congolais où l’ouverture des portes des écoles au privé et au public ne sera plus fixée à la même date. Le deuxième titre aborde le phénomène de l’automédication dans la société congolaise et le dernier titre est consacré à la persistance de la grève à la Société de transport public urbain (STPU) à Brazzaville.

En attendant de poursuivre et approfondir nos analyses, nous observons donc déjà à travers les résultats des sommaires sélectionnés pour la chaîne DRTV une tendance à un positionnement de proximité de cette chaîne, selon les critères professionnels-discutables-de la notion.

Tableau N° 4 : Ordre hiérarchique des sujets abordés aux journaux télévisés de DRTV de  2015, 2016 et 2017
Catégorie201520162017Total
1thèmes de société52512
2actualités présidentielles112
3actualités gouvernementales224
4thèmes économiques224
5thèmes politiques11
6Autres (religion, culture)3126
7Thèmes de port22
8Thèmes internationaux3 3
Total1481234

Les résultats de l’examen des conducteurs de l’actualité des journaux télévisés de DRTV montrent que la hiérarchisation de l’information dans cette chaîne est dominée par des thèmes de société. Les thèmes de société constituent les premiers sujets abordés aux journaux télévisés de DRTV. Ils enregistrent le taux de représentativité le plus important de notre échantillon avec 35%, soit 5 sujets diffusés en 2015, 2 sujets diffusés en 2016 et 5 sujets diffusés en 2017. Par ailleurs, on enregistre en deuxième position de l’ordre hiérarchique des sujets abordés aux journaux télévisés de DRTV, les actualités du président de la République avec 6%, soit 1 sujet diffusé en 2015 et 1 sujet diffusé en 2017. On enregistre en troisième position de l’ordre hiérarchique des sujets abordés aux J.T.  de DRTV les actualités gouvernementales. Elles occupent 12% du taux de représentativité de notre échantillon. On note en quatrième position de l’ordre hiérarchique des sujets abordés aux J.T. de DRTV la catégorie thèmes économiques avec 12%. On enregistre en cinquième position de l’ordre hiérarchique la catégorie thèmes politiques avec 3%. La catégorie « autres » (religion et sport) se place en sixième position avec 18%. La septième place de l’ordre hiérarchique est occupée par les thèmes de sport avec 2%. Enfin, la catégorie thèmes internationaux se termine en dernières position avec 8%.

Au regard de ces résultats, on observe que DRTV se positionne sur le territoire de la proximité en accordant sa priorité aux sujets de société. L’ordre hiérarchique des sujets aux journaux télévisés de DRTV met en avant des sujets considérés comme « proches » des préoccupations locales du quotidien, s’il faut se contenter de cette définition floue et pourtant corporativement consacrée de la proximité en tant qu’ « imaginaire communicationnel » (Restier-Melleray 251-270). 

Au-delà de l’importance qu’accorde la chaîne aux sujets de proximité, ces résultats mettent également en lumière une tendance de diversité thématique qui se justifie par des écarts moins importants entre les différentes catégories. DRTV s’aligne dans une logique de diversité thématique, s’inscrivant dans la thèse de Hervé Bourges sur la « décolonisation de l’information », quand l’auteur s’insurgeait contre cette hégémonie des contenus des J.T. imposés par les agences du Nord pour le traitement de l’information internationale, y compris depuis le Sud via les abonnements aux agences mondiales, situées au Nord et proposant d’ouvrir ce traitement à l’information de proximité, supposée intéresser prioritairement les populations locales (Bourges).

Conclusion

Il ressort de l’examen de six sommaires et six conducteurs des journaux télévisés, soit 10 titres et 80 sujets d’actualité des J.T. de Télé- Congo et DRTV, un schéma de l’ordre hiérarchique de l’information télévisuelle en contexte congolais diamétralement opposé. Télé-Congo accorde une priorité aux actualités du président de la république et du gouvernement. Les actualités du président de la République et du gouvernement constituent respectivement les premiers et deuxièmes sujets abordés aux sommaires et aux journaux télévisés de Télé – Congo. Par contre, DRTV s’aligne sur le territoire de la proximité. Les thèmes de société constituent les premiers sujets abordés aux journaux télévisés de DRTV.

Ces résultats confirment notre première hypothèse qui forme le présupposé selon lequel le choix et l’ordre hiérarchique des thèmes aux J.T. de Télé-Congo est dominé par les actualités présidentielles et gouvernementales et à DRTV par les sujets de proximité.

De ce fait, au-delà du processus de libéralisation des médias engagé au Congo, l’État tente de garder un regard attentif sur les contenus médiatiques. Ce constat permet de confirmer notre deuxième hypothèse qui justifie le choix et l’ordre hiérarchique de l’information à Télé-Congo et DRTV par un environnement télévisuel sous influence étatique.

Ces résultats ouvrent la voie à d’autres pistes de recherche notamment à étendre le nombre de chaînes de notre corpus et élargir le corpus d’étude.

Travaux cités

Bardin, Laurence, L’analyse de contenu. Paris : Presse Universitaires de France, (2è Édition ”Quadrige”), 2016.

Bourdon, Jerôme, Frondon, Jean-Michel (dirs), L’œil critique. Le journaliste critique de télévision. Bruxelles : Édition De Boeck Université, coll. Médias recherches, 2003.

Bourges, Hervé, Décoloniser l’information. Paris : Cana (Coll. « Des idées et des hommes »), 1976.

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Comment citer cet article :

MLA : Ndeke, Jonas Charles. « La hiérarchisation de l’information télévisuelle au Congo (Brazzaville). » Uirtus 1.2. (décembre 2021): 601-617.


§Université Marien Ngouabi, Congo (Brazzaville), [email protected]

[1] www.congo-site.org

[2] www.telecongo.cg

Résumé (L’Histoire de la chefferie de Vogan, de Assigblé Adra (1890) à Jacob Kalipé (1982))

Azontowou Senou§

Résumé : La chefferie de Vogan a été dirigée au début de la colonisation allemande à partir de  1890, par Assigblé Adra. Celui-ci a désigné des notables dans chaque quartier de son ressort, parmi lesquels Paul Kalipé qui a fini par devenir le chef investi par les Allemands en 1898. Il est mort le 5 juin 1951, après 53 ans de règne. Sa succession a posé un véritable problème entre ses fils. L’administration française s’y est mêlée, cherchant à imposer le candidat de son choix, en la personne de Jacob Akpasso Kalipé, fils cadet du défunt chef et militant du Parti togolais du progrès.  Elle a refusé d’entériner la désignation de Ferdinand Kalipé, le fils aîné et partisan du Comité de l’unité togolaise. La population, surtout la jeunesse, qui supporte massivement le candidat rejeté, s’est opposée au choix du conseil de famille influencé par le pouvoir colonial. Les affrontements ont été violents entre les deux camps, entraînant des morts, des blessés et des arrestations.

Mots-clés : chefferie, Vogan, administration coloniale, conflits, conséquences.

Abstract: At the beginning of German colonization, the chieftaincy of Vogan was assured by Assigblé Adra. The latter appointed notables in each district under his jurisdiction, including Paul Kalipé. Kalipé eventually became the chief and was invested by Germans in 1898. He died on June 5, 1951 after leading his community for 53 years.His succession caused a real problem among his sons. The French colonizers got involved, seeking to impose a contender of their choice. The eldest son of the deceased chief, Ferdinand Kalipé, was an advocate of the Comité de l’unité togolaise (a political party that advocated immediate independence for Togo). The French rejected him and chose Jacob Akpasso Kalipé, the youngest son of Paul Kalipé and a staunch supporter of the pro-French Parti Togolais pour le Progrès (PTP). The population, especially the youth, who massively supported Ferdinand’s candidacy, opposed the French choice. There were violent clashes between the two camps, with deaths, injuries and arrests.

Keywords: chieftaincy, Vogan, settlers, conflicts, damage.

Introduction

La chefferie telle qu’on la conçoit pendant la colonisation avec toutes les difficultés qui l’entourent,  n’était pas le cas pendant la période précoloniale où le chef (agnigbafio) est choisi parmi les descendants mâles du premier occupant du sol et ne sortaient pas de sa chambre d’où son nom de Homefio (roi ou chef de chambre). Les données ont changé pendant la période coloniale : le chef n’est pas, nécessairement, issu du premier occupant du sol, mais parmi ceux qui sont entièrement acquis à la cause du colonisateur. Tel est le cas de la chefferie de Vogan où Assigblé Adra qui était le premier chef de cette localité intronisé dans les années 1890 à partir du moment où il n’est pas qualifié de précieux auxiliaire par l’administration coloniale allemande, il faut l’accuser de rage pour pouvoir l’abattre. Ainsi, il fut détrôné au profit de Paul Kalipé. Après la mort de ce dernier, sa succession n’a pas été facile. Le jeu politique rentra ainsi dans l’affaire de chefferie. L’aîné, Ferdinand Nouwomkpo Kodjo Kalipé, agent de la United african company (UAC), dont le résident général est Sylvanus Olympio et membre du Comité de l’unité togolaise (CUT), est soutenu par ce parti politique. Le cadet, Jacob Akpasso Kalipé, son demi-frère, du Parti togolais du progrès (PTP), bénéficie de l’appui de la France. Sous l’administration coloniale française, Jacob Kalipé a pu succéder à leur père, Paul Kalipé, et est devenu chef de Vogan, sous le nom de Jacob Akpasso Kalipé II. C’est ce que nous étudierons à travers l’Histoire de la chefferie de Vogan, de Assigblé Adra (1890) à Jacob Kalipé (1982).

Pour parvenir à nos résultats, nous avons mis à contribution les sources orales, les sources écrites, les documents d’archives dont leurs analyses nous ont permis de faire  ressortir un plan à deux volets : La chefferie de Vogan  de Assigblé Adra à Paul Kalipé et la succession de Paul Kalipé et ses conséquences sur Vogan et ses environs.

1. La chefferie de Vogan : de Assigblé Adra (1890) à Paul Kalipé (1898)

A l’arrivée du colonisateur allemand, il faut des autorités traditionnelles pour véhiculer leurs idéaux au détriment des rois de terre qui ne sortaient de leurs chambres. A Vogan, le choix fut au début porté sur Assigblé Adra. Mais qui est ce personnage ?

1.1. Qui est Assigblè Adra ?

Au début de la colonisation allemande, dans les années 1880, les Allemands ont commencé à intervenir dans les affaires de chefferie dans la partie méridionale du pays en mettant en place leurs auxiliaires. Le cas de la chefferie de Kouvé en 1885, de Togoville en 1890 où Plakou fut imposé comme chef (Sossou, 2001, p. 351). C’est dans cet ordre que la population de Vogan a aussi intronisé Assigblé Adra comme chef en 1890. Ce dernier a choisi, dans chaque quartier, ses collaborateurs ou notables parmi lesquels figurait De Saba Kalipé Aziafon, baptisé plus tard Paul. Selon les propos  de Kalipé Kowou, la population aurait contesté peu après le pouvoir d’Assigblé Adra pour la simple raison qu’il les tenait d’un bras de fer (Ce qui est porté à la connaissance des autorités allemandes). Pour d’autres, ce chef n’aurait pas été très dégourdi à la cause du colon allemand, raison de sa révocation et les Allemands ont mandaté les notables de faire un autre choix et de le porter à leur connaissance. Un choix qui fut porté sur la personne de Kalipé qui est investi par les Allemands en 1898. Nous n’avons pas eu accès à l’acte et surtout les archives allemandes. Après ce briefing sur Assigblé Adra, ce chef déchu, qui est Paul Kalipé ?

1.2. Paul Kalipe : l’homme et ses œuvres

1.2.1. L’homme

Paul Kalipé a accédé au trône en 1898 et a fait de Vogan une grande agglomération. Originaire de Fina-Monou, un petit village distant de sept kilomètres de Vogan et qui est devenu, plus tard, Gaohonou (maison des rois), Paul Kalipé  a connu la colonisation allemande, l’intermède anglais et la colonisation française jusqu’à sa mort le 5 juin 1951, après 53 ans de règne.

 Ce dernier ne s’est pas seulement contenté de son trône, mais il a aussi développé l’agriculture, et surtout l’horticulture qui lui ont fait obtenir de nombreuses distinctions honorifiques comme notamment le prix d’honneur de l’Exposition d’horticulture du Prince de Mecklembourg et  la médaille de chevalier du Mérite agricole, organisée à Lomé, avant la guerre, par les Allemands[1]. Paul Kalipé est catholique. Il a obtenu le diplôme de chevalier de l’Etoile noire du Bénin (Martet 74).

Photo n°1 : Paul Kalipé, chef traditionnel de Vogan

Source : Archives privées de la famille Kalipé[2]

1.2.2. Ses œuvres

Paul Kalipé a fait de Vogan une localité importante du pays ouatchi, réputée pour son marché hebdomadaire qui s’y tient le vendredi et que fréquentent de nombreuses revendeuses à la recherche de certains produits du terroir, comme l’huile de palme, le haricot rouge et surtout le gari ( Le Bris, 1984). La plus grande œuvre qu’on peut retenir de Kalipé est le canal qu’il a fait creuser en 1927  sur instruction de l’administrateur français, sur une distance de 2 km, reliant Vogan à la lagune, de sorte que les pirogues de la lagune puissent arriver jusqu’à Vogan. En cette année de 1927, le Gouverneur de Guise lui a rendu  visite et lui a adressé des compliments en ces termes : « Tu as fait là quelque chose que bien des rois n’ont pas fait »[3].Le chef Kalipé a un trésor qu’il ne montre qu’aux visiteurs de marque comme De Guise. Il porte dans son regard le respect et l’admiration qu’il a de lui-même. Le chef Paul Kalipé est très fier de ses diplômes et de ses médailles aussi (Chroniques anciennes du Togo, No 5, 74).

Disons que les chefs traditionnels qui sont en fait des auxiliaires du  colon, disposaient très peu de marges de manœuvre dans la gestion de leur communauté. Ils tenaient à rendrecompte des faits et gestes des populations à l’administrateur du cercle. Le fait de moindre incident n’échappe guère au contrôle de ce dernier. C’est  ainsi qu’à Vogan le 3 avril 1939, le Chef Paul Kalipé, dans une note adressée au chef de circonscription (Cf. annexe n°1), demanda autorisation de transfert des nommés Ségbon, Aménou et Kagbé qui se sont battus entre eux à la veille.  Le fait qu’il dirigeait la plus  forte population dans le cercle d’Aného en 1947 (46000 hbts[4]), il est qualifié de bon chef dans le compte-rendu de mission de l’inspecteur  des Affaires administratives au commissaire Bourgine[5].

Photo n° 2 : Paul Kalipé et le Commandant de Cercle d’Aného

                          Source : Archives privées de la famille Kalipé[6]

2. La succession de Paul Kalipé et ses conséquences sur Vogan et ses environs

Le 5 juin 1951, le canton de Vogan perd son chef, Paul Kalipé. Après la mort de ce vieux chef, la succession au trône met aux prises ses deux fils : l’aîné, Ferdinand Nouwomkpo, et le cadet, Jacob Akpasso.

2.1 La succession au trône de Paul Kalipé

Il faut signaler que Kalipé 1er est un grand défenseur de Comité de l’unité togolaise (CUT), une association créée par le Gouverneur Montagné en 1941, pour soutenir la France en détresse au cours de la seconde Guerre Mondiale, de même que son fils aîné Ferdinand, l’héritier présomptif du trône. En 1946, au moment où le CUT est transformé en parti politique, défendu par Sylvanus Olympio, Paul Kalipé a observé une stricte neutralité et s’est mis en retrait de tous les partis politiques[7]. Par contre, son fils aîné Ferdinand a continué à être le grand défenseur de ce parti nationaliste.

Par contre, le fils cadet du chef défunt, Jacob Akpasso, est le chef de file du Parti togolais du progrès (PTP)  à Vogan. C’est un parti pro-français qui lutte aux côtés des Français pour une indépendance progressive et non immédiate comme le revendiquent les membres du CUT.  Ce dernier bénéficiant de l’appui de la France veut accéder au trône entrainant ainsi le clivage du clan royal  entre partisans du CUT et ceux du PTP.

C’est le fils cadet, membre du PTP, qui a le dessus et succède à son père sous le nom de Kalipé II.

Photo n° 3 : Jacob Akpasso ou Togbui Kalipé II

            Sources : Archives privées de la famille Kalipé[8]

Cette succession se déroule dans un climat délétère.

En effet, deux versions s’opposent sur le mode de dévolution du pouvoir : l’une veut que la succession soit patrilinéaire avec principe de primogéniture ; tandis que l’autre, expliquant qu’il n’existe, en fait, aucune règle précise, veut que la liberté de choix soit laissée au chef, qui, de son vivant, désigne son successeur parmi ses enfants.

Dans l’une ou l’autre des hypothèses, le successeur ne doit être frappé d’aucune incapacité (physique et morale), et sa désignation doit résulter d’un consensus du conseil de famille. Le problème est donc assez préoccupant pour nécessiter, de la part des autorités administratives locales françaises, une réunion des chefs ouatchi pour rendre un avis sur la question. Ce qui est fait le 1er septembre 1951, dans les bureaux du cercle d’Aného, en présence du commandant de cercle A. André. L’avis rendu est le suivant :

La coutume ouatchi prévoit en cas de décès du chef, la nomination immédiate de son successeur. Si le chef, de son vivant, a désigné son successeur, c’est celui-ci qui est nommé, car le chef défunt prend, avant cette désignation, l’avis du conseil de famille. Si le chef défunt n’a désigné personne pour lui succéder, la désignation est faite par le conseil de famille qui choisit le fils ou à défaut un membre de la famille. (Kponton 183)

Cet avis unanime a été rendu par des chefs ouatchi en majorité d’obédience PTP dont  Michel Ayassou de Kouvé, Jean Sepenou d’Akoumapé, Noudoukou  de Dagbati, Capitaine Koffi de Tchekpo, Akakpo Akoeté de Vokoutimé, Messanvi Agbezouhlon d’Attitogon, Amoussou Assignon d’Ahépé, Akakpo Kou d’Amégnran. En revanche, d’autres chefs ouatchi, tels que Francis Chardey d’Afagnan, Kuégan Tognon d’Agomé-Glozou, Viagbo de Tabligbo, n’ont pas assisté à cette réunion pour des motifs non élucidés (Kponton 185).L’opposition de la population de Vogan à l’accession au trône de Jacob Kalipé provoqua des troubles dont le plus grave est celui du jeudi 23 août 1951.

2.2. Le refus d’un chef imposé

En cette journée du jeudi 23 août 1951, Jacob Kalipé doit rendre la justice, pour la première fois, en tant que nouveau chef de Vogan. La population de Vogan s’oppose à la tenue de la séance pour les raisons suivantes :

  • si, à une certaine période de sa vie, Paul Kalipé a pensé faire de son fils Jacob son successeur, il est revenu sur sa décision, de façon publique, en raison du comportement de ce dernier, et il aurait d’ailleurs fait parvenir aux autorités françaises une lettre dans ce sens ;
  • toujours pour les adversaires de Jacob Akpasso Kalipé, cette collaboration du fils et du père serait consécutive à une supercherie du fils qui aurait fait, en 1938, une traduction fallacieuse des propos d’un administrateur, laissant entendre au vieux chef Paul que la France souhaite que Jacob, le fils, gère la ville de Vogan, tandis que le père, dirige le canton.

Aussi, cette session du tribunal, sous la présidence de Jacob Kalipé, ne fait-elle pas l’unanimité au sein de la population, dont l’opposition est portée à la connaissance du nouveau chef. Ce dernier en fait, d’ailleurs, part au commandant de Cercle, qui minimise l’affaire.

Le 23 août, la colère gronde. La population, du moins une bonne partie, n’entend pas que Jacob Kalipé préside le tribunal coutumier qui doit juger plusieurs affaires. Très tôt le matin, les manifestants envahissent les rues, scandant des slogans hostiles au chef : « Jacob ne présidera pas son tribunal : il n’y a plus de chef ». (Kponton 185).

Selon Kokoe Koffi[9], Jacob Kalipé est contraint de quitter le tribunal et de se réfugier chez lui, où il se fait protéger par ses proches. L’autorité administrative à laquelle il fait appel achemine d’Anfoin, village situé à mi-chemin entre Vogan et Aného, 10 gardes de cercle, sous les ordres d’un gradé, pour tenter de rétablir la situation.

Cependant, loin de se calmer, la révolte continue de gronder. Le tam-tam de guerre retentit dans la ville. Les cloches de la mission catholique sonnent à toute volée. En outre, depuis le début de cette journée, il a été signalé que les lignes téléphoniques, reliant Vogan à Aného, ont été coupées.

 Très vite, manifestants et forces de l’ordre envoyées dans les quartiers se retrouvent face à face entrainant ainsi des  altercations ont lieu. Au cours de l’une d’elles, non loin de la boutique de Ferdinand Kalipé, un garde-cercle, nommé Tchinda Elda, est pris à partie par les manifestants, qui le terrassent et lui arrachent fusil et baïonnette. Le chef de brigade Jolly, chef de poste de la gendarmerie d’Aného, organise alors le repli de ses forces vers le poste administratif.

Devant la pression toujours grandissante des manifestants, évalués entre 300 et 500 personnes, une nouvelle demande de renfort est adressée au commandant de cercle d’Aného, qui y satisfait aux environs de 11 heures. Ce qui porte à 25 le nombre des gardes, encadrés par l’adjoint au commandant de cercle et un gendarme français.

A 11h 30, 13 gardes de cercle viennent en appui à leurs collègues. Arrive, ensuite, à Vogan l’administrateur André, commandant de cercle d’Aného.

12 heures : le commandant de cercle André repart sur Aného avec le chef de Brigade Jolly, pour n’en revenir qu’à 17h 30, bien après la fin de l’émeute.

La direction des opérations est alors confiée au gendarme Flouzat, avec pour mission de contenir les manifestants et de protéger les infrastructures administratives (bâtiments et véhicules).

12h 30 : les événements se précipitent. La foule marche sur la place administrative. Parmi les insurgés, de nombreuses femmes et de nombreux habitants du quartier Bamè, dont le jeune Amouzou Magnigbo. Munis de machettes, de gourdins et d’armes à feu (fusils de traite), pour les hommes, et de bouteilles pleines d’un cocktail d’eau et de piment pour les femmes, les manifestants parcourent les rues.

Plusieurs tentatives sont faites pour parvenir à la place administrative. C’est au cours de l’une d’elles que le nommé Ben Agboto, dit Tomgbla, est arrêté. La foule se déchaîne alors pour le délivrer.

13h : les forces de l’ordre, se sentant acculées, font usage de leurs armes (fusils et grenades), sur l’ordre du gendarme Flouzat, en présence de l’adjoint au commandant de cercle d’Aného, M. Richard.

Au commandement, le tir partit, très bref. Il ne dura que quelques minutes… ‘’

… Six individus furent atteints mortellement

… Un blessé laissé sur l’esplanade mourut peu après, ce qui porte à sept le nombre de morts, dont deux femmes. (Kponton 186)

Tel est le bilan officiel de cette journée du 23 août 1951 à Vogan. Aussi bien sur le nombre des morts que sur celui des blessés, il semble que le décompte n’ait pu être effectué de façon exacte.

Le gouverneur Digo reconnaît lui-même, dans son compte rendu sur les incidents de Vogan réclamé par le ministre des Colonies, M. Pignon : « Il est difficile d’évaluer le nombre de blessés ».

En effet, par crainte de représailles, tous les blessés ne se présentent pas dans une formation sanitaire. Les estimations officielles de 10 à 14 blessés peuvent donc être revues à la hausse. Cette remarque est tout aussi valable pour le nombre de morts. D’une part, on reconnaît à Vogan que beaucoup de blessés ont préféré se faire soigner chez eux, afin d’échapper à toute investigation de l’autorité administrative, et que, du fait de la gravité de leurs blessures, certains ont succombé à domicile, sans être déclarés. Mais alors, quelles sont les conséquences de ces événements de Vogan ?

2.3. Les conséquences des événements du 23 août 1951 à Vogan et ses environs

Outre les morts et les blessés que l’on déplore, les incidents de Vogan ont comme conséquences : l’arrestation et l’emprisonnement de certaines personnes.

2.3.1. Les arrestations et le procès de Lomé

Une chasse aux sorcières est entreprise à la suite des événements du 23 août. Dès le 24, le gouverneur Digo fait part d’une vingtaine d’arrestations lors de sa visite, ce jour même, à Vogan. Les membres du CUT, que l’administration française juge responsables de l’agitation politique ayant conduit aux événements à Vogan, sont activement recherchés.

Les arrestations se sont étalées sur trois années : 1951, 1952 et 1953. Elles dépassent les limites du canton de Vogan et leur aboutissement est le procès en cour d’assises, d’octobre 1953, à Lomé.

Doivent se présenter, devant cette cour, une soixantaine d’accusés dont l’âge varie, en général, entre la trentaine et la quarantaine. Toutefois, il est à noter la présence, sur le banc des accusés, de certains prévenus âgés de plus de 60 ans. C’est l’exemple d’Amouzou Zebada, un des principaux accusés de Vogan, qui a plus de 70 ans.

A l’ouverture du procès, sur les 60 personnes :

-34 sont détenues ;

-19, arrêtées dès 1951, bénéficient d’une liberté provisoire qui leur a été accordée à partir de 1952 ;

-7, en fuite, sont recherchées depuis 1951 ou 1952 selon le cas, dates du lancement d’un mandat d’arrêt contre elles ;

Les prévenus comparaissent sous différents chefs d’accusation :

– participation à des réunions au cours desquelles la rébellion a été soit décidée, soit organisée ;

– instigation et (ou) participation à la révolte ;

– participation à des marches ayant précédé les événements du 23 août ;

– propos injurieux ou provocateurs à l’égard de l’autorité coloniale française ;

– port d’armes blanches ou contondantes (machettes, gourdins) ou d’armes à feu (fusils de traite) ;

– volonté supposée d’aller rejoindre les rangs de la rébellion ;

– insultes aux forces de l’ordre durant les incidents ;

– pratiques occultes…(Kponton 187-188)

De plus, l’appartenance au CUT semble être un fait aggravant. Parmi les accusés, figurent Ferdinand Kalipé, Augustin Tossou Agboh, Emmanuel Koumaglo, Amouzou Zebada, Messan Alfred Zidol, Kpodonou Zidol, Kponton Emmanuel, Ben Agboto dit Tomgbla, etc.

Outre les dépositions des représentants de l’ordre colonial comme Paul Jolly, chef de poste de la gendarmerie d’Aného, l’autorité a eu recours à plusieurs témoins à charge à Vogan. Ce sont, entre autres, Jacob Kalipé lui-même, Albert Kalipé (son secrétaire), Anani Alognon, Mamavi Ayissou, Emile de Saba, Kpeto de Saba, Aziagble Kpongbaya, etc.

Bien qu’aucun des accusés ne possède d’antécédents judiciaires, on aboutit, aux termes des assises de Lomé qui ont été mouvementées, à plusieurs condamnations à des peines d’emprisonnement, qui ont été purgées à Lomé, Kpalimé et Mango. Toutefois, même après leur libération quelques années plus tard, ils ont été mis sous surveillance. Le rapport adressé le 2 mai 1956 au Chef Collin, Commandant de la Brigade de la gendarmerie, en témoigne (Cf. annexe n°2).

Photo no 4 : Les prisonniers politiques de Vogan

Sources : Archives privées de la famille Kalipé[10]

2.3.2 Les retombées positives du règne de Jacob Kalipé

Les débuts du règne de Jacob Kalipé ont été tumultueux. Mais, après avoir maîtrisé les poches de résistance avec l’appui de la France et pacifié Vogan et ses environs,  Kalipé II a renforcé son pouvoir par les grandes œuvres qu’il a mises en place.En effet, en 1956, le Chef Kalipé II de concert avec le Gouverneur et ses pairs du pays ouatchi ont mis en place un cours complémentaire pour former les premiers cadres (Cf. annexe n°3).

Jacob Kalipé a fait partie des négociations avec les responsables de la compagnie togolaise des mines du bénin (CTMB) en 1962 et dont certains avantages sont revenus  à ses sujets du point de vue recrutement et de mise en place de certaines infrastructures scolaires et sanitaires dans des grandes agglomérations de Vogan dont entre autres : Akoumapé, Hahotoe, Amégnrakondji. Par ailleurs, il fît creuser par endroit des puits dans sa communauté. Il a été longtemps à la tête de la chefferie de Vogan : 1951-1982, soit 31 ans de règne. Il a été l’un des grands collaborateurs du président Eyadéma qui vient passer quelques week-ends avec lui[11].

Conclusion

Les ancêtres avaient préétabli des règles de la chefferie destinées aux premiers occupants du sol. A l’arrivée du colonisateur, en occurrence allemand, cette règle a été bafouée et la chefferie est plutôt destinée aux plus dégourdis à la cause de l’impérialiste. Cela s’est confirmé, à l’époque française, à Vogan où après le décès de Paul Kalipé, son fils aîné Ferdinand qui devrait lui succéder a perdu le trône au profit de son demi-frère Jacob, à cause de son appartenance au CUT, un parti nationaliste. Il a même fini en prison.

Il faut reconnaître que le jeu politique est encore très mal compris en pays ouatchi. L’appartenance à différents partis politiques est normalement une richesse pour les membres d’une même famille, mais quelquefois, c’est le contraire qu’on constate. L’un des exemples est celui qu’on avait vécu à Vogan où les princes sont devenus des rivaux en raison de leur appartenance à différents partis politiques. Les conséquences qui en sont découlées peuvent servir d’exemples à la chefferie traditionnelle au Togo en général et en milieu ouatchi en particulier. Le chef peut certes avoir sa tendance politique, mais l’exprimer publiquement, conduit toujours à des dérives. On suggère que le chef, garant des us et coutumes soit au-dessus de la mêlée et ne s’ingère dans aucun parti politique. Alors sa communauté sera à jamais préservée.

Les annexes 

Annexe N°1    

Paul Kalipé                                                              Vogan, le 3 Avril 1939

Chef du Canton de Vogan                                                                                                     

                     Monsieur l’Administrateur des Colonies  Commandant

Le Cercle d’Anécho

Monsieur 

           Je vous fais conduire par escorte de ma Police Djama les nommés Ségbon, Aménou, Kagbé, etc., ces derniers qui se sont battus  le Samedi dernier sont dans mon village.   

              Je vous demanderais de punir très sévèrement le jeune Ségbon un voleur infini, qu’il y’a trois ans a ramassé les plaques d’impôts des autres pour aller les vendre.

           D’autre part, quand moi-même je dirigeais le village, punissais des gens pareils, les infligeais des fortes amendes, des faits pareils ne se produisent jamais.

            Je vous prie Monsieur l’Administrateur de me relâcher  un peu le frein pour que  je continue mon travail comme autrefois, et comme ça  les gens seront un peu calmes.        Veuillez agréer Monsieur l’Administrateur ; l’hommage de mon profond respect.

                           Votre  bien dévoué  serviteur

Annexe N°2 :

CHEMANT DE L’A. O. F.                        ANECHO, le 2 Mai 1956

ET   DU   TOGO                                        RAPPORT

TERRITOIRE DU TOGO             du Maréchal-des-logis Chef COLLIN

SECTION DE LOME                 Commandant la Brigade de Gendarmerie

BRIGADE  D’ANECHO         sur les agissements des émeutiers Vogan,

N° 8/4                                       récemment amnistiés

                  REFERENCE : Art.21 du service intérieur du détachement et 22 et suivants du     service de la Gendarmerie au TOGO.

              Depuis quelques jours, d’après des renseignements recueillis auprès de diverses personnes dignes de foi, il résulte que les émeutiers de Vogan, récemment amnistiés organisent des petites réunions privées soit à leur domicile ou domicile des Chefs C.U.T.

             Les meneurs libérés, tels que Ferdinand KALIPE, Emmaunuel KPONTO,  dit COCO, ont commencé à parcourir les villages Badougbé, Togoville, etc., et se livrent à leur propagande néfaste.

            D’autres émeutiers qui avaient fui aussitôt l’incident, donc non jugés, arrivent à Vogan en vainqueurs. C’est ainsi que le dimanche  23 avril dernier, d’entre eux accompagnés des membres de leur famille , se sont présentés devant le domicile du Chef du Chef du Village Jacob KALIPE et où, portés en triomphe par leurs partisans qui leur manifestaient leur sympathie , ont nargué ouvertement ledit Chef , tout en proclamant leur force .

          Le lundi 30 Avril, le principal meneur  ABEN AGBOTO, qui était en fuite, sur indication du Chef du Village, est arrêté par les militaires de la brigade en vertu d’un mandat d’arrêt de Monsieur le Juge d’Instruction de LOME.

              Devant l’état actuel des choses et pour limiter toutes propagandes néfastes  de la part de ces pertubateurs, des fréquentes patrouilles seront effectuées, principalement dans les villages de Vogan, Togoville  et Badougbé et ceci selon les possibilités de la brigade.

          Les conditions d’amnistie des émeutiers de Vogan (jugés ou non jugés), seront inconnues du Commandant  et du Commandant de Brigade.

Annexe N°3                                                                                          Vogan, ce 23 mai 1956

                                   Nous soussignés

1 Noudoukou Djokoto, Chef traditionnel de Dagbati , Chevalier de Légion d’Honneur 

2 Akakpo Akoété     Chef traditionnel  Vokoutimé,  Croix de guerre, Chevalier de la Légion                                       d’honneur,

3 Logossou Gati    Chef traditionnel de Klologo,

4 Dénis Allognon   Chef traditionnel de Kponou, Chevalier de l’Etoile  du Bénin

5 Felix Misso  Chef traditionnel de Tokpli

6 Akakpo Abah Messan Chef traditionnel de Vo Afowuimé, Chevalier de l’Etoile du Bénin

7 Agbonou              Chef traditionnel de Vo Assoh

8 Abraham Assagbavi Chef traditionnel de Vo Adabou

9 Tengueh Sogbo  Chef traditionnel  de Sévagan

10 Michel Agbossoumondé Chef traditionnel de Akoumapé Assiko

11 Jean Adandohoin Chef traditionnel  Chef traditionnel de Akoumapé Doulassamé

12 Félicien Afidégno  Chef traditionnel de Akoumapé Atchanvé

13 Anani Kpokassou Chef traditionnel de Hahotoè

14 Kahoho Ayao  Chef traditionnel de  Animabio

15 Attisso Komlan Chef traditionnel de Kovéto

16 Akakpo Avoudjisso  Régent de Wogba

17 Houkpati Guénoukpati Chef traditionnel de Vo Momé

                       A    Monsieur le  Gouverneur,

                                  Commissaire de la République au Togo

                                  Sous Couvert de Monsieur l’Administrateur en Chef                 de la F.O.M. Commandant le Cercle d’Anécho

                          Monsieur le Gouverneur,

                           Nous avons l’honneur de porter à votre connaissance ce qui suit :

Nous, interprètes des populations que nous représentons venons en leur nom et en notre nom personnel vous témoigner notre reconnaissance pour ce qui touche tous les biens faits dont vous avez nourri le peuple  Ouatchi durant vos deux séjours parmi nous dans le Cercle d’Aného.

            En d’autres termes, nous ne saurions comment vous signifier notre reconnaissance au sujet de la construction dans le Cercle d’Anécho d’un cours complémentaire  dont la situation définitive a été projetée sur Vogan.

         Monsieur le Gouverneur, vous voudriez bien nous permettre de vous faire entendre que ce fut pour nous, 18 mai 1956 écoulé, une très grande honte que de communiquer  à nos peuples la prolongation de la date de la pose de la première pierre du Cours Complémentaire que vous vous aviez vaillamment promise.

       Nous ne sortons de ce grand embarras qu’au retour du Chef KALIPE II de Lomé, celui-ci qui nous faisait voir que dans ses entretiens avec Monsieur le Gouverneur il en résulte qu’il manque de fonds pour faire démarrer le travail.

   Cependant, comptant toujours sur la générosité de la fraternelle bonté que vous avez toujours eue pour nous satisfaire dans le Cercle d’Anécho, et notamment nous le peuple Ouatchi, nous venons très sérieusement et avec la vive joie vous soumettre  notre point de vue qui est le suivant :

  Hormis le terrain et les briques procurés par le Chef Kalipé II,  nous susnommés, y compris ce dernier nous promettons une aide de un million (1000 000) de francs dont voici la moitié et dont le reste vous parviendra dès le commencement du travail dont nous sommes impatiemment à l’espère.

                                   Monsieur le Gouverneur,

Nous faisons toujours appel à la générosité que vous avez toujours eue pour faciliter la fréquentation scolaire à nos enfants  dans le Cercle.

   Nous sommes très heureux de vous confier la charge parce qu’elle touche l’édification du Cours Complémentaire dans le Cercle, édifice proposé pour Vogan, ce qui nous fait porter l’idée sur la naissance de notre Sauveur Jésus Christ dans une bergerie.

          D’ores et déjà, le peuple Ouatchi se glorifie de cette lumière qui lui arrive par le secours de votre charitable bienveillance.

       Avec le vif espoir qu’une suite satisfaisante sera réservée  à notre  demande, veuillez agréer Monsieur  le Commissaire de la République l’assurance de nos sentiments distingués.

                                                NOUS

  1. Noudoukou Djokoto                                     9  Tengueh Soglo
  2. Akakpo Akoété                                         10  Michel Agbossoumondé
  3. Logossou Laté                                                11 Jean Adandohoin
  4. Denis Allognon                                               12 Félicien Affidégno
  5. Felix Misso                                                     13  Anani kpokanou
  6. Akakpo  Aba Messan                                         14 Kahoho Yao
  7.  Agbonou Kpomégbé                                          15 Attisso Komlan
  8. Abraham Assagbavi                                             16 Akakpo Avoudjisso

                                                                         17 Houkpati guénoukpati

                  Copie conforme

Sources et bibliographie

Sources orales : liste des principaux informateurs

Nom et PrénomsAge approximatifStatut socialDate et lieu de l’entretien
Togbui Odzima Kalipé60 ansChef canton de Vogan21 septembre 2015 à Vogan  
Kokoe Koffi69 ansNotable21 septembre 2015 à Vogan  
Kalipé Kowou59 ansSecrétaire21 septembre2015 à Vogan

Les sources d’Archives Nationales du Togo

Canton de Vogan, Administration Générale et Politique, Dossier n°5

ANT, cercle d’Aneho, 2APA47, Note confidentielle du 25 mars 1947

ANT, cercle d’Aného, 2APA26

Archives privées de la famille Kalipé

Photo n°1 : Paul Kalipé, Chef traditionnel de Vogan (1898-1951).

Photo n°2 : Paul Kalipé et le Commandant de Cercle d’Aného.

Photo n°3 : Jacop Kalipé ou Togbui Kalipé II.

Photo n°4 : Les prisonniers politiques de Vogan.

Bibliographie

Cornevin, Robert.  Le Togo des origines à nos jours, Paris : l’Académie des sciences d’outre-mer, 1988.

Gayibor, Nicoué Lodjou. Les Togolais face à la colonisation, Lomé : Presses de l’UB, 1994.

Kponton, Ginette Ayélé.., « Réactions populaires au pouvoir colonial : Agbétiko, Vogan et Mango (1951) », in GayiborNicoué Lodjou (dir), Les Togolais face à la colonisation, Collection ‘’Patrimoines’’ n°3, Lomé : Presses de l’UB, 1994, pp 173-193.

Le Bris, Emile. Les marchés ruraux dans la circonscription de Vo, Paris : ORSTOM, 1984.

Pazzi, Robertto., Introduction à l’histoire de l’aire culturelle Ajatado, Lomé : INSE, 1979.

Marguerat, Yves., Le Togo en 1884 selon Hugo Zöller, Lomé, Editions Haho/Karthala, 1990.

Sénou, Azontowou., Les migrations éwé et occupation du pays ouatchi du XVIIIème siècle à la conquête coloniale, thèse de Doctorat unique en Histoire, Lomé, 2010.

Sossou, Amouzou Koffi. « Le commandement indigène dans le cercle d’Aného face à l’administration française (1920-1963) », in Gayibor Nicoué Lodjou, Le tricentenaire d’Aného et du pays guin, collection « Patrimoines » no11, Presses de l’UB,  Lomé, 2001, pp 351-370.

Comment citer cet article :

MLA : Senou, Azontowou. « L’Histoire de la chefferie de Vogan, de Assigblé Adra (1890) à Jacob Kalipé (1982). » Uirtus 1.2. (décembre 2021) : 582-600.


§ Université de Lomé (Togo), [email protected]

[1] La médaille portait au revers le noble profil du prince de Mecklembourg.

[2] Consulté le 22septembre 2015 à Vogan.

[3] Regards français sur le Togo des années 1930, p.73.Mais avec le temps, ce canal a été obstrué par les roseaux et les alluvions.

[4] ANT, cercle d’Aneho, 2APA47, Note confidentielle du 25 mars 1947

[5] ANT, cercle d’Aného, 2APA26

[6] Consulté le 22 septembre 2015 à Vogan.

[7]  Kalipé Senou Odzima ou Kalipé IV, 60 ans, Chef canton de Vogan, entretien du 21 septembre 2015

[8] Consulté le 22 septembre2015 à Vogan.

[9] Notable à Vogan, 69 ans, entretien du 21 septembre 2015.

[10] Consulté le 22 septembre 2015 à Vogan.

[11] Information donnée par Togbui Kalipé IV

Abstract (L’Histoire de la chefferie de Vogan, de Assigblé Adra (1890) à Jacob Kalipé (1982))

At the beginning of German colonization, the chieftaincy of
Vogan was assured by Assigblé Adra. The latter appointed notables in
each district under his jurisdiction, including Paul Kalipé. Kalipé
eventually became the chief and was invested by Germans in 1898. He
died on June 5, 1951 after leading his community for 53 years. His
succession caused a real problem among his sons. The French colonizers
got involved, seeking to impose a contender of their choice. The eldest
son of the deceased chief, Ferdinand Kalipé, was an advocate of the
Comité de l’unité togolaise (a political party that advocated immediate
independence for Togo). The French rejected him and chose Jacob
Akpasso Kalipé, the youngest son of Paul Kalipé and a staunch supporter
of the pro-French Parti Togolais pour le Progrès (PTP). The population,
especially the youth, who massively supported Ferdinand’s candidacy,

opposed the French choice. There were violent clashes between the two
camps, with deaths, injuries and arrests.
Keywords: chieftaincy, Vogan, settlers, conflicts, damage.

Full Text                            

Abstract (Problématique du transfert effectif de la capitale politique et administrative à Yamoussoukro (côte d’ivoire) : 1983-2017)

The political and administrative capital of Côte d’Ivoire since
March 21, 1983, Yamoussoukro is still awaiting the transfer of state
institutions. What are the obstacles to the transfer of state institutions to
Yamoussoukro? The study aims to show that the effective transfer from
the capital to Yamoussoukro is hampered by a lack of political will and a
land question. The study uses written and oral sources. It highlights a law
of hasty transfer. Moreover, it stresses the existence of a thorny land
problem that prevents the delimitation of the Administrative and Political
Zone and the purging of land rights. It also shows that the dissolution of
the transfer programme is a major factor in the failure of the transfer from
the capital to Yamoussoukro.
Keywords: Administration, capital, politics, transfer, Yamoussoukro.

Full Text                   

Résumé (Problématique du transfert effectif de la capitale politique et administrative à Yamoussoukro (côte d’ivoire) : 1983-2017)

Kouakou Didié Kouadio§

Résumé : Capitale politique et administrative de la Côte d’Ivoire depuis le 21 mars 1983, Yamoussoukro attend toujours le transfert des institutions de l’État. Quels sont les obstacles au transfert des institutions de l’État à Yamoussoukro ? L’étude veut montrer que le transfert effectif de la capitale à Yamoussoukro est entravé par un manque de volonté politique et par une question foncière. L’étude utilise des sources écrites et des sources orales. Elle met en lumière une loi de transfert hâtive. Par ailleurs, elle souligne l’existence d’un épineux problème foncier qui empêche la délimitation de la Zone Administrative et Politique et la purge des droits fonciers. Elle montre également que la dissolution du programme de transfert contribue largement à l’échec du transfert de la capitale à Yamoussoukro. 

Mots-clés : Administration, capitale, politique, transfert, Yamoussoukro.

Abstract: The political and administrative capital of Côte d’Ivoire since March 21, 1983, Yamoussoukro is still awaiting the transfer of state institutions. What are the obstacles to the transfer of state institutions to Yamoussoukro? The study aims to show that the effective transfer from the capital to Yamoussoukro is hampered by a lack of political will and a land question. The study uses written and oral sources. It highlights a law of hasty transfer. Moreover, it stresses the existence of a thorny land problem that prevents the delimitation of the Administrative and Political Zone and the purging of land rights. It also shows that the dissolution of the transfer programme is a major factor in the failure of the transfer from the capital to Yamoussoukro. 

Keywords: Administration, capital, politics, transfer, Yamoussoukro.

Introduction

Les écrits sur la ville de Yamoussoukro ne manquent pas de pertinences scientifiques. Toutefois, l’intérêt de mettre l’accent sur la problématique du transfert de la capitale politique et administrative de la Côte d’Ivoire mérite qu’on s’y intéresse. Situé au centre de la Côte d’Ivoire, Yamoussoukro a une position géographique exceptionnelle. Celui-ci est traversé par la route nationale A3 qui relie la Côte d’Ivoire aux pays limitrophes comme le Mali et le Burkina Faso. Les deux tiers du trafic du pays transitent par lui. Yamoussoukro compte seize (16) quartiers. Sa population se compose majoritairement de Baoulé Akouè. Elle comprend également des allochtones, originaires des diverses régions de la Côte d’Ivoire. Compte tenu de son aspect de ville-carrefour, elle accueille une importante communauté allogène issue principalement de l’espace de la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). De nombreux cours d’eau, dont les bas-fonds sont exploités pour la production de riz et de maraîchers, existent dans la ville. Celle-ci compte plusieurs lacs dont deux attirent chaque année de nombreux visiteurs.

Fort de ses atouts et de sa position géographique, Yamoussoukro est choisie pour abriter la capitale politique et administrative par le décret n°83-du 21 mars 1983[1]. Cependant, les institutions demeurent à Abidjan. Les espoirs de transfert effectif de la capitale, suscités par le Programme Spécial de Transfert de la Capitale à Yamoussoukro (PSTCY), se transforment en déceptions en 2012. A cette date, la promulgation du décret n°2012-02 du 09 janvier 2012[2] met fin au programme de transfert de la capitale à Yamoussoukro.

Les exemples, de transfert de capitales politique et administrative d’une ville à une autre, abondent dans le monde. En Afrique de l’ouest, le Nigéria est parvenu à fixer sa nouvelle capitale à Abuja en remplacement de Lagos. Tout comme Lagos, Abidjan connaît une démographie galopante. Sa population est passée de 300 000 habitants en 1960 à 1 000 000 en 1976 et à 1 800 000 en 1982 (Kodjo 1). Devant l’urgence, Yamoussoukro est choisie pour jouer le rôle de capitale politique et administrative dès 1983. Trente-huit ans après le vote de la loi de transfert de capitale, toutes les institutions politiques et administratives restent fixées à Abidjan. Quels sont donc les obstacles au transfert effectif des institutions de l’État à Yamoussoukro ?

L’étude veut montrer que le transfert effectif de la capitale à Yamoussoukro est entravé par un manque de volonté politique et par une question foncière. Pour résoudre la question principale, La méthodologie utilisée se fonde sur l’analyse des sources imprimées, des sources orales, des sources électroniques, des sources iconographiques et des documents issus des centres de documentation. L’approche du sujet est globale et surtout chronologique. L’analyse est structurée en trois parties : une loi de transfert de la capitale politique et administrative hâtive, la question foncière, la dissolution du Programme de Transfert de la Capitale à Yamoussoukro et ses conséquences.

Carte n°1 : La ville de Yamoussoukro

Source : Kouadio Kouakou Didié à partir d’Urbanplan, 2015.

1. Une loi de transfert de la capitale politique et administrative hâtive (1983-1997)

En crise économique depuis le début des 80, la Côte d’Ivoire décide de fixer sa nouvelle capitale politique et administrative à Yamoussoukro. En dépit des justifications, la loi de transfert de la capitale suscite des contestations. L’aggravation de la crise économique en 1987 impose des mesures restrictives dont l’abandon du projet de transfert à l’État. 

1.1. Le choix controversé de Yamoussoukro comme capitale politique et administrative

Capitale de la Côte d’Ivoire depuis 1933, Abidjan se positionne comme la première ville. Elle doit sa prospérité grâce à l’ouverture du port en 1950 (Brou 289). Au sortir de la colonisation, elle se présente comme une capitale engorgée tant sa population croît à un rythme effréné. Celle-ci est passée de 300 000 habitants en 1960 à 1 800 000 habitants en 1982 (Kodjo 2). En vue de désengorger Abidjan et de permettre un nouveau redéploiement de la politique nationale de développement rural, la loi n°83-242 du 21 mars 1983[3] fait de Yamoussoukro la nouvelle capitale politique et administrative de la Côte d’Ivoire. Avant son adoption à l’Assemblée Nationale, le projet de loi est adopté par le Conseil Economique et Social (CES) en sa session extraordinaire du 02 février 1983. Pour le CES, l’approbation du projet de loi vient appuyer la volonté de toutes les couches sociales de voir la capitale transférer à Yamoussoukro. Pourtant, des voix s’élèvent pour contester le projet de loi puis la loi elle-même. Au sein du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), des députés jugent la loi inopportune. Semi Bi Zan, ne perçoit pas le bien-fondé de cette décision à un moment où les difficultés de la Côte d’Ivoire sont nombreuses (Akrou 10). Il juge d’ailleurs complaisantes les motions de soutien qui ont fusé de toutes parts. Ses remarques sont fondées d’autant plus que depuis la crise pétrolière mondiale de 1978, les cours des matières premières connaissent une chute brutale. Ils provoquent une inflation galopante, une faiblesse du système éducatif et une faiblesse du pouvoir d’achat en Côte d’Ivoire. Cette situation est aggravée en milieu rural par la sécheresse et son corollaire de feu de brousse. « Sous le régime du parti unique, le Parlement ivoirien apparaît comme une chambre d’enregistrement de la volonté présidentielle. » (Kouadio 72) 

Pour sa part, Laurent Gbagbo trouve contraire à l’éthique républicaine le choix d’Houphouët-Boigny de faire de Yamoussoukro la capitale du pays. Il estime que le choix de Yamoussoukro s’apparente à une politique égocentrique et à une décentralisation teintée de régionalisation. Le caractère urbain de Yamoussoukro et l’origine de deux acteurs de ce choix entretiennent le soupçon. D’une part en1983, Yamoussoukro est une ville en chantier et dépourvue de fonction spécifique susceptible de servir de point d’appui pour la nouvelle capitale. A preuve, la ville n’abrite aucune unité industrielle et l’agriculture demeure la principale activité économique de la population. Bien entendu, la prédominance de l’activité agricole sur les activités industrielles et commerciales est assez caractéristique des villages africains. De ce fait, elle s’apparente plus à un gros village qu’à une ville. De plus, Yamoussoukro est orphelin de certaines administrations essentielles notamment la Justice, les Douanes et les Impôts. « Houphouët-Boigny veut ainsi éloigner son village d’une fonction répressive et en faire un paradis fiscal » (Dubresson et Jaglin 6). Pourtant, ces différentes administrations jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement d’une ville moderne. D’autre part, le régionalisme dont parle Laurent Gbagbo est tributaire de l’origine baoulé des deux principaux acteurs de la loi du 21 mars 1983. Le Président de la République est Baoulé Akouè, ethnie autochtone de Yamoussoukro. Il est l’initiateur de la loi sur le transfert de la capitale. Tout comme lui, Konian Kodjo, le vice-président du Conseil Economique et Sociale est également natif de Yamoussoukro. Son cousin Jean Konan Banny est membre du gouvernement de Côte d’Ivoire. Sur sa convocation, les membres du Conseil ont adopté en session extraordinaire l’avant-projet de loi sur le transfert de la capitale à Yamoussoukro. A cet égard, un doute sur la crédibilité de leur action subsiste. Au-delà des polémiques sur le choix de Yamoussoukro, un problème d’investissement se pose.

1.2. L’incapacité de l’État à investir

Au cours des deux premières décennies d’indépendance, la Côte d’Ivoire connait une croissance économique miraculeuse vite interrompue par une crise économique sans précédent. En juin 1987, elle déclare officiellement son insolvabilité (Bamba et al. 11). L’orientation économique, choisie par l’État ivoirien, fonde le succès du pays sur l’agriculture. Dans cette optique, la priorité est accordée à l’exportation des principales matières premières : le café et le cacao. A l’évidence un tel choix économique crée une dépendance vis-à-vis des cours mondiaux des matières premières. C’est un choix risqué que le pays paye cher dans les années 1980. En 1978, avec la crise pétrolière mondiale, les partenaires commerciaux de la Côte d’Ivoire tentent un redressement économique par la réduction des dépenses extérieures. Le marché étant soumis à la loi de l’offre et de la demande, les prix des matières premières connaissent une chute brutale. La décroissance passe alors de – 4,06% en 1987 à – 4,61 en 1990 (Labonté 18). La pauvreté gagne alors du terrain. Elle ne porte pas seulement sur le pouvoir d’achat, mais aussi sur la qualité de vie. Le taux national de pauvreté s’accroît rapidement de 1985 à 1995, passant de 10 à 36%. La pauvreté n’affecte pas seulement la population. Elle touche également l’État ivoirien. Dans les faits :

Même si les dépenses publiques continuent à se réduire, le déficit public croît jusqu’à 16,5 pour cent du PIB en 1989 et 12 pour cent en 1993, les recettes budgétaires connaissent une baisse de plus de de 8 points de PIB (25,7 en 1986 à 17,5 pour cent du PIB en 1993). Cela s’explique tant par la chute des activités que par l’arrêt du prélèvement sur les produits agricoles d’exportation, du fait du maintien du prix au producteur malgré le déclin du cours du café et du cacao. (Cogneau et Mesple-Somps 18)

Eu égard à la chute brutale du PIB, les problèmes de répartition de revenus et de pauvreté sont relégués au second plan. Les investissements passent de 42,3% en 1990-1991 à 24,1% en 1994-1995 (Labonté 21).

En plus de la crise économique, la Côte d’Ivoire doit faire face à trois crises majeures qui impactent considérablement son économie notamment la déforestation du fait des feux de brousse de 1983, la raréfaction des terres et l’effondrement des termes de l’échange mondiaux du café et du cacao (Kipré 242). Elle est surtout astreinte aux mesures de Programme d’Ajustement Structurel du Fonds Monétaire International (FMI). Celui de la période 1990-1992 porte principalement sur la hausse de la pression fiscale et la restructuration des sociétés d’État. Bien qu’ayant amélioré les finances publiques et le secteur bancaire, le pays n’est pas en mesure de rembourser sa dette et d’assurer ses dépenses publiques. Dans ce contexte de morosité économique, le niveau des investissements publics se réduit considérablement, passant de 25,6% à 4, 2% du Produit Intérieur Brut (PIB). Les investissements connaissent une chute brutale. A titre d’illustration, ils ne représentent que 10% du PIB en 1983, 4% en 1987 et 2,8% en 1991 (Kipré 245). Dans de telles conditions, les investissements pour le transfert de la capitale politique et administrative à Yamoussoukro ne peuvent être exécutés. Yamoussoukro est une ville dépourvue de bâtiments susceptibles d’abriter les institutions de l’État. Hormis la Présidence de la République, il n’existe aucun bâtiment administratif pouvant accueillir les différents ministères. En outre, aucune disposition de la loi du 21 mars 1983 ne prévoit d’espace aménagé pour abriter le Parlement, la Cour Suprême et le Conseil Constitutionnel. D’ailleurs, la Banque Mondiale a imposé une réorientation des flux publics d’investissements vers les secteurs de l’éducation et de la santé, au détriment du financement des infrastructures et des grandes sociétés publiques. Cela a pour conséquence un mutisme total sur les chantiers de transfert effectif de la capitale politique et administrative de la Côte d’Ivoire à Yamoussoukro. Pour corriger les lacunes de la loi de 1983, un décret de 1997 prévoit une Zone Administrative et Politique à Yamoussoukro. Cependant, des problèmes fonciers empêchent sa mise en œuvre.

2. La question foncière : un véritable obstacle à l’application de la loi de 1997

La question foncière se pose avec acuité en Côte d’Ivoire. A l’ouest du pays, le développement des cacaoyères et des caféières crée une pression foncière avec son corollaire d’affrontements intercommunautaires. La loi de 1997 sur le transfert de la capitale à Yamoussoukro met à jour des conflits fonciers latents comme la confusion autour de la propriété foncière et les problèmes de purge des droits fonciers et d’indemnisation.

2.1. La confusion autour de la propriété foncière de la Zone Administrative et Politique

Bien autrefois inaliénable, la terre fait aujourd’hui l’objet de transaction. De ce fait, elle est au centre des conflits entre les communautés villageoises. Yamoussoukro en est une parfaite illustration. Avec la promulgation du décret n°97-177 du 19 mars 1997[4], un problème de propriété foncière se pose au sujet de la Zone Administrative et Politique (ZAP). Occupant une superficie de 6400 ha, la propriété des terres, à lui affecter, oppose plusieurs communautés villageoises. C’est l’exemple des oppositions entre N’Gokro et Kpangbassou, Kacou Broukro et Bézro. Le village de Kpangbassou a été fondé par les N’Zikpli de Didiévi après que des terres leur ont été concédées par leurs hôtes de N’Gokro. De même Kacou Broukro est entré en conflit avec Bézro. Dans le cadre de la construction du barrage de Kossou, les habitants de ce dernier village ont été réinstallés sur les terres de Kacou Broukro. A propos des causes de ces conflits, Kouassi Yao Maurice[5] fait remarquer que les détenteurs traditionnels et historiques des terres n’ont été associés en amont ni aux enquêtes préliminaires, ni aux demandes d’information, ni à une quelconque concertation. Son point de vue est aussi celui de l’association des propriétaires terriens de Yamoussoukro. Celle-ci accuse les pouvoirs publics de les avoir spoliés de leurs terres (Yapi et Koffi 190). En réalité, Kpangbassou et Bézro sont au regard de la loi les bénéficiaires des droits de propriétés. Cependant coutumièrement, ces terres appartiennent respectivement à leurs hôtes de N’Gokro et de Kacou Broukro. Dans ce cas de figure, les villages-hôtes et les villages de la ZAP doivent faire des concessions au nom de l’hospitalité et de la reconnaissance. La cause en amont des conflits de propriété induits par l’opération d’identification et de délimitation des terroirs villageois urbains et périurbains est un problème des ayants droits aux éventuelles indemnités de l’État. À côté de cette cause, il convient de souligner que l’inexistence d’industries. Cette situation résulte de la volonté de Félix Houphouët-Boigny qui voulait faire de sa cité, une capitale verte. Ce choix fait de l’agriculture la principale activité économique de la population. La ZAP à elle toute seule s’étend sur 6400 ha. En phagocytant les terres cultivables, elle se présente comme une menace pour le secteur agricole. C’est cette situation que vivent les populations de Kpangbassou et de Bézro. Celles-ci s’insurgent logiquement contre l’expropriation de leurs terres agricoles et s’opposent farouchement à leur déguerpissement.

L’urbanisation des terres agricoles doit en principe s’accompagner d’une purge des droits fonciers coutumiers. La ZAP occupe un espace périurbain qui constitue une zone de transition foncière. C’est donc un lieu de confrontation entre deux logiques : l’une coutumière et l’autre moderne. A la logique d’instrumentalisation de la terre par les pouvoirs publics s’oppose la logique de la patrimonialité foncière des populations locales (Kra 275-276). Dans l’attente d’une relocalisation de leurs villages, les populations agressent régulièrement l’espace réservé aux institutions de l’État. Le site de Kpangbassou est affecté au projet de construction du Sénat tandis que celui de Bézro doit abriter le musée de la nature (Yapi et Brou 190). Par ailleurs, la nécessité d’extension pousse les habitants, confinés sur le même espace depuis 1997, à réaliser des lotissements. Tous ces détournements de la ZAP se font au vu et au su des autorités administratives de Yamoussoukro. Le mutisme de l’administration est en partie dû à l’absence d’indemnisation et de purge des propriétaires terriens.

2.2. La question des indemnisations et des purges des droits coutumiers

L’indemnisation est une compensation financière destinée à réparer un préjudice subi par des tiers. Dans le cadre de la déclaration d’utilité publique, elle doit en principe prendre les détenteurs de titres de propriété. Une telle perception de l’indemnisation pose problème. En effet, dans l’ensemble des sociétés africaines, la terre est un bien collectif, sacré et inaliénable (Kouadio 118). L’établissement d’un titre foncier dans ces conditions est subordonné à l’accord des membres du lignage. A Yamoussoukro, la confusion autour de la propriété de la ZAP vient compliquer les indemnisations des propriétaires. A ce jour, l’État a du mal à identifier les véritables propriétaires terriens tant les conflits entre les villages installés sur le périmètre d’urbanisation et leurs hôtes se disputent les terres. La délimitation des terroirs villageois, à l’effet de faciliter les indemnisations ne devait pas excéder quatre (04) mois. Cependant, en raison de sa complexité, jusqu’en 2007, tous les contentieux n’ont pas été vidés. La complexité de cette réside dans le fait qu’en théorie la délimitation paraît simple. Dans la pratique, le flou l’emporte sur les certitudes administratives. Les frontières naturelles n’existent presque plus. Même quand elles existent, elles ne sont toujours pas acceptées de tous[6]. Le tracé des limites devient de ce fait une entreprise fastidieuse. L’indemnisation des propriétaires terriens de la ZAP est intimement liée à la purge des droits coutumiers.

La purge est une formalité destinée à libérer un bien ou un patrimoine d’une charge qui le grève à des propriétaires. En Côte d’Ivoire, tout terroir appartient à une communauté villageoise. L’érection de Yamoussoukro en capitale politique et administrative et, conséquemment, la déclaration de son périmètre d’utilité publique impose la purge des droits coutumiers. En réalité, toute cession de terre exige des libations. Par celles-ci, les propriétaires terriens obtiennent l’accord de la terre-mère pour la réussite de l’activité à mener sur les acquises (Babo et Droz 745). Pour ce faire, il faut au préalable que la purge soit entièrement versée. Tout comme l’opération d’indemnisation, elle est assez problématique. Les contestations des droits de propriété et des limites des terroirs sont courantes surtout à Kpangbassou. Par ailleurs, la déclaration d’utilité publique fait de l’État le détenteur des terres situées dans la ZAP. A cet égard, les populations impactées doivent bénéficier d’une juste compensation. Néanmoins depuis 1997, année de la déclaration d’utilité publique, les seules purges des droits fonciers concernent la construction de l’Hôtel des Députés[7]. Selon Baba Sylla[8], ex-Député et fils du village de Nanan, sur une purge totale de 96 500 000 FCFA, 65 000 000 FCFA ont été payés aux propriétaires terriens sur la base de 1.500 FCFA/m2. Les propriétaires terriens attendent encore le reste de la purge ainsi que l’indemnisation concernant toute la ZAP. De nombreux concours de circonstances défavorables expliquent les retards de paiement. Les budgets annuels de l’État de 2005 et de 2006 montrent le Programme Spécial de Transfert de la Capitale à Yamoussoukro (PSTCY) a obtenu deux dotations cumulées de 165 000 000 FCFA destinés aux opérations de purges. Cette somme devait servir à purger effectivement les droits coutumiers sur l’espace d’implantation de l’Hôtel des Députés. Cependant, la lourdeur et la lenteur de l’administration publique ont compromis sa réalisation. Les crédits ont été perdus faute d’utilisation dans le délai imparti.

Faute de bénéficier des droits de purge des propriétés et des indemnisations, les populations vivent de l’exploitation de la ZAP. Des lotissements clandestins comme celui de Kpangbassou y sont réalisés (Yapi et Koffi 189). Yao soutient à raison qu’à Yamoussoukro, « certaines parcelles prévues pour les équipements ou les espaces verts ont souvent changé de destinataires sans avoir fait l’objet de procédure de déclassement » (32). A la vérité, les terres de la ZAP sont convoitées par les communautés villageoises de Kpangbassou et de Bézro. Ces deux villages estiment que la nécessité d’extension les pousse à réaliser des lotissements, car depuis 1997, les habitants sont confinés sur le même site alors que la communauté villageoise s’accroît. A la vérité, ayant été privés de leurs terres de culture et n’ayant pas encore bénéficié pleinement des indemnités de déguerpissement, les deux villages éprouvent le besoin de se procurer des revenus substantiels. La dissolution du Programme Spécial de Transfert de la Capitale à Yamoussoukro ne fait qu’aggraver la situation des communautés villageoises et accroître les menaces de lotissements de la ZAP.

3. La dissolution du Programme Spécial de Transfert de la Capitale à Yamoussoukro et ses conséquences (PSTCY) : 2012-2017

Institué par le décret n°2002-483 du 30 octobre 2002, le PSTCY apparaît comme la seule tentative de transfert effectif de la capitale politique et administrative à Yamoussoukro. En dépit de ses promesses de campagnes en faveur du transfert de la capitale, le Président de la République, Alassane Ouattara scelle le sort de Yamoussoukro par la dissolution du PSTCY en 2012.

3.1. La dissolution du PSTCY

Soucieux de la nécessité de désengorger Abidjan, le Président Laurent Gbagbo crée, le 30 octobre 2002, le Programme Spécial de Transfert de la Capitale à Yamoussoukro (PSTCY)[9]. Cette structure est placée sous la tutelle technique du Ministère chargé des Relations avec les Institutions. Il comprend le Comité Interministériel de Transfert de la Capitale (CIMTC), le Comité de Pilotage et de Suivie (CPS) et l’Unité d’Exécution du Programme (UEP). Le PSTCY est doté d’une autonomie de gestion. Dans sa mise en œuvre, elle rencontre des difficultés en raison de nombreux dysfonctionnements. Premièrement, l’absence de collaboration entre les différents acteurs engagés dans le processus de transfert a vite débouché sur un conflit de compétence. Deuxièmement, à cet environnement peu favorable au progrès du PSTCY, se sont greffés des dysfonctionnements répétitifs des organes dirigeants du Programmes, en l’occurrence, le Comité Interministériel et le Comité de Pilotage et de Suivi. Ces organes ne se sont réunis que rarement. Troisièmement, la Commission administrative de purge des droits coutumiers s’est avérée inefficace d’autant plus que de nombreux conflits fonciers sont restés pendants. Parallèlement à tous ces obstacles, des problèmes de financement, engendrés par l’insuffisance de crédits budgétaires annuels, se sont faits jour. Il s’agit principalement de la faiblesse des décaissements. En guise d’exemple, la première phase des investissements induits par le transfert de la capitale a été globalement estimée à 2 800 000 000 000 FCFA sur dix ans. Cependant, le montant cumulé obtenu des budgets de 2003 à 2009 s’élève à 15 000 000 000 FCFA, soit 0,5% du montant estimé en sept années de fonctionnement[10]. Dans ces conditions, les dysfonctionnements combinés à la faiblesse des fonds ne favorisent pas la réalisation du projet de transfert de la capitale. En réalité, cette situation est tributaire de la crise politico-militaire qui ne favorise pas l’acquisition de crédits suffisants pour conduire le projet à son terme. Eu égard à ces dysfonctionnements, le PSTCY a essuyé de nombreuses critiques. Dans l’optique de remédier à ces difficultés, Laurent Gbagbo a signé le décret n°2010-646 du 8 avril 2010.

Contrairement à ses promesses de campagne, le Président Alassane Ouattara met fin aux activités du PSTCY[11]. Les organes, y afférant, sont rattachées aux services de la Présidence de la République. Bien qu’ayant rattaché les organes de l’ex-PSTCY aux services de la présidence, aucun acte n’est posé dans le sens de la reprise des travaux de la ZAP. Une telle attitude dénote d’un manque de volonté politique. En effet, depuis son arrivée au pouvoir tous les grands chantiers de Yamoussoukro sont restés fermés. D’ailleurs, dans le premier projet de loi de finances de 2012, aucune mention relative au financement des chantiers de la capitale politique et administrative ne figure. En outre, sa décision de dissolution du PSTCY s’apparente plus à un désir de rompre avec les projets de l’ancien Président Laurent Gbagbo. En sept ans de mandat, aucune action en faveur du transfert des institutions du pays à Yamoussoukro n’a été menée. La multiplication des investissements à Abidjan au détriment de Yamoussoukro traduit toute la volonté du président de ne pas transférer la capitale.

3.2. L’abandon des chantiers de Yamoussoukro et l’extension des bureaux du palais présidentiel

Le décret du 09 janvier consacre officiellement la fermeture des chantiers de Yamoussoukro. La photo ci-dessous illustre bien l’arrêt des travaux de constructions des bâtiments administratifs.

Photographie 1 : L’Assemblée Nationale en construction laissée à l’abandon

Sur l’image, on constate que la végétation est très abondante autour du bâtiment. Elle se compose d’herbes et d’arbustes. Le bâtiment se trouve bien en zone de savane. S’il s’était trouvé en zone forestière, il aurait été difficile d’apercevoir les murs. Il y a de cela dix ans que le chantier a été laissé à l’abandon. Le bâtiment inachevé présente une architecture en « U ». Une telle architecture traduit le caractère moderne du bâtiment. Par ailleurs, l’Assemblée Nationale devait abriter plusieurs bureaux à en juger par le nombre d’étages et par la longueur du bâtiment.

La conséquence d’une telle situation est que, beaucoup de sites, prévus pour abriter des équipements administratifs ou des espaces verts, le Palais de la Justice, la Maison de la Culture, la Maison des Expositions sont régulièrement agressés par les propriétaires terriens.

L’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara a pourtant suscité un réel espoir. Comme l’explique Baba Sylla[12], les promesses de campagne du Président de la République avaient tout pour rassurer la population de Yamoussoukro. Lors de la campagne présidentielle en vue du deuxième tour, le Président de la République a assuré qu’il s’installerait à Yamoussoukro dès son élection. La réhabilitation de l’Hémicycle ivoirien a davantage contribué au désespoir des populations de voir un jour Yamoussoukro assumer effectivement le rôle de capitale politique et administrative de la Côte d’Ivoire. Elle signe l’abandon définitif des travaux d’aménagement de la ZAP. Au moment où les chantiers de la ZAP sont abandonnés à la nature, Abidjan fait sa mue grâce aux investissements colossaux qui sont consentis pour une agglomération déjà engorgée. L’image ci-dessous permet de s’en rendre compte.

Photographie n°2 : Le bâtiment annexe du palais présidentiel ivoirien

L’image présente un édifice en finition. La présence de grue sur le site témoigne de la continuité des travaux. En effet, l’édifice doit être livré en décembre 2021. Cependant, le revêtement extérieur du bâtiment est la preuve de l’achèvement des travaux dans un bref délai. Le sigle PFO signifie Pierre Fakhoury Operator. Pierre Fakhoury est un architecte bien connu des Ivoiriens. Il a été l’architecte des grands édifices de Yamoussoukro notamment la Fondation Félix Houphouët-Boigny pour la Recherche de la Paix et de la Basilique Notre Dame de la Paix. Le choix du Président Alassane Ouattara de consentir autant d’investissements pour Abidjan prouvent bien que le projet de transfert de la capitale à Yamoussoukro ne fait pas partie de son programme de gouvernement. A titre d’exemple, on peut citer la construction des échangeurs de la Riviera en 2012 et de Treichville en 2016, du troisième pont en 2014 et de l’annexe de la présidence de la république. Une partie de ses investissements aurait pu permettre de financer le transfert progressif de la capitale politique et administrative à Yamoussoukro.

Conclusion

L’étude sur la problématique du transfert de la capitale politique et administrative à Yamoussoukro souligne des problèmes diverses natures. Le choix de Yamoussoukro, ville natale du Président de la République et dans un contexte de crise économique n’a pas permis de poser les jalons du transfert effectif des institutions. Par ailleurs, les problèmes liés à la propriété foncière, aux indemnisations et la purge des droits coutumiers constituent très gros obstacle à franchir avant l’équipement de la Zone Administrative et Politique. L’un des problèmes majeurs dans la réalisation du projet de transfert de la capitale est, sans conteste, la dissolution du Programme Spécial de Transfert de la Capitale à Yamoussoukro. L’interruption de ce programme ambitieux est intervenue à une période où les travaux de constructions du Parlement et du Palais Présidentiel était en cours d’exécution.

L’étude a montré que les principaux obstacles au transfert effectif de la capitale sont d’ordre politique et foncière. D’une part, le manque de volonté politique s’observe à travers l’arrêt systématique des chantiers de construction des édifices devant abriter le Parlement et le Palais Présidentiel. Il se manifeste surtout par les investissements au profit d’Abidjan. Les questions foncières, quant à elles, constituent de véritables blocages. Il est impératif pour l’État de vider tous les contentieux avec les villages de la Zone Administrative et Politique et de les recaser sur de nouveaux sites avant la réalisation effective du transfert de la capitale à Yamoussoukro.

Sources et travaux cités

Sources orales

Nom et PrénomsAgeFonctionDate et lieu d’enquêteThème abordé
Baba Sylla56 ansAvocat internationalle 20 juin 2021, à Yamoussoukro à 17h 30 mn.Les purges des droits coutumiers
Gado Pierre68 anschef du village18 juin 2021, à Kpangbassou à 15h 23 mnLes agressions de la Zone Administrative et Politique
Kouassi Yao Maurice58 ansSecrétaire de la chefferie de N’Gokrole 15 juin 2021 à 10h 50 mn à N’GokroLes conflits de propriété foncière

Sources imprimées

Akrou, Jean-Baptiste. « Yamoussoukro, un centre de décisions plus près des administrés -Les infrastructures existantes », Spécial An 23, Fraternité Matin, Novembre 1983, p. 1-2.

JORCI du 07 avril 1983, Loi n°83-242 du 21 mars 1983 portant transfert de la capitale politique et administrative de la Côte d’Ivoire à Yamoussoukro.

JORCI, n°42 du 22 mai 2010, Décret n°2010-646 du 8 avril 2010, complétant et modifiant le décret du 30 octobre 2002.

JORCI n°24 du 12 juin 1997, Décret n°97-177 du 19 mars 1997 portant approbation et déclaration d’utilité publique du périmètre du projet d’urbanisation de la ville de Yamoussoukro.

JORCI, n°50 du 12 décembre 2002, Décret n°2002-483 du 3à octobre 2002, portant création, organisation et fonctionnement du Programme Spécial de Transfert de la Capitale à Yamoussoukro (PSTCY).

JORCI Spécial n°2, du 30 janvier 2012, Décret n°2012-02 du 09 janvier 2012 portant dissolution du Programme Spécial de Transfert de la Capitale à Yamoussoukro (PSTCY).

Kodjo, Konian. Rapport sur le transfert de la capitale politique et administrative de la Côte d’Ivoire à Yamoussoukro.

Source électronique

www.presidence.ci

Travaux cités

Babo, Alfred et Droz Yves. « Conflits fonciers. De l’ethnie à la nation. Rapport interethnique et « ivoirité » ». Cahier d’Etudes Africaines, n°192, p. 741-764.

Bamba, N’Galadjo et al. « Crise économique et programme d’ajustement structurel en Côte d’Ivoire : Crise et ajustement en Côte d’Ivoire, les dimensions sociales et culturelles ». Acte de table ronde, Bingerville du 30 novembre au 02 décembre 1992.

Brou, N’Goran Alphonse. La contribution des capitales au développement socio-économique de la Côte d’ivoire : Les cas de Grand-Bassam, Bingerville et Abidjan de 1893 à 1983, Thèse de Doctorat Unique, Université Alassane Ouattara, 2018.

Cogneau, Denis et Mesple-Somps Sandrine. L’économie ivoirienne, la fin du mirage ? Paris : DIAL, 2002.

Dubresson, Alain et Jaglin Stéphane. Gérer la ville du Prince : le difficile exercice communal à Yamoussoukro (Côte d’Ivoire), Université Paris X – Nanterre, 1993.

Kipre, Pierre. Côte d’Ivoire : La formation d’un peuple, Fontenay-sous-Bois : SIDES-IMA, 2005.

Kouadio, Kouakou Didié. « Les obstacles au développement d’une culture démocratique en Côte d’Ivoire (1994-2016) ». Sifoè, n°13, juin 2020, p. 70-80.

………. « Migrants baoulé, autochtones, conflits et intégration dans la région de Gagnoa de 1928 à 1995 ». Godo Godo, n°33, 2019, p. 111-125.

Kra, Kouakou Valentin. Les stratégies de captation de l’espace des acteurs locaux dans la capitale administrative à Yamoussoukro, Thèse de Doctorat, Université de Bouaké, 2011.

Labonte, Nathalie. La guerre civile en Côte d’Ivoire ; influences des facteurs économiques, politiques et identitaires, Mémoire de Master, Québec, 2006.

Yapi, Atsé Calvin. « La transgression des outils de planification urbaine dans la ville de Yamoussoukro (Côte d’Ivoire) ». Revue Ivoirienne de Géographie des savanes, n°5, décembre 2018, p. 180-193.

Comment citer cet article :

MLA : Kouadio, Kouakou Didié. « Problématique du transfert effectif de la capitale politique et administrative à Yamoussoukro (côte d’ivoire) : 1983-2017. » Uirtus 1.2. (décembre 2021) : 543-560.


§ Université Alassane Ouattara / [email protected]

[1] JORCI du 07 avril 1983, Loi n°83-483 du 21 mars 1983, portant transfert de la capitale politique et administrative de la Côte d’Ivoire à Yamoussoukro.

[2] JORCI du 30 janvier 2012, Décret n°2012-02 du 09 janvier 2012, portant dissolution du Programme Spécial de Transfert de la Capitale à Yamoussoukro.

[3] JORCI du 07 avril 1983, Op. Cit.

[4] JORCI n°24 du 12 juin 1997, Décret n°97-177 du 19 mars 1997 portant approbation et déclaration d’utilité publique du périmètre du projet d’urbanisation de la ville de Yamoussoukro

[5] Entretien avec Kouassi Yao Maurice, 58 ans, Secrétaire de la chefferie de N’Gokro, le 15 juin 2021 à 10h 50 mn à N’Gokro.

[6] Entretien avec Gado Pierre, 68 ans, chef du village de Kpangbassou, le 18 juin 2021, à Kpangbassou à 15h 23 mn.

[7] Entretien avec Gado Pierre, 68 ans, chef du village de Kpangbassou, le 18 juin 2021, à Kpangbassou à 15h 23 mn

[8] Entretien avec Baba Sylla, 56 ans, Avocat international, le 20 juin 2021, à Yamoussoukro, à 17h 30 mn.

[9] JORCI, n°50 du 12 décembre 2002, Décret n°2002-483 du 30 octobre 2002, portant création, organisation et fonctionnement du Programme Spécial de Transfert de la Capitale à Yamoussoukro (PSTCY), p. 854

[10] JORCI, n°42 du 22 mai 2010, Décret n°2010-646 du 8 avril 2010, complétant et modifiant le décret du 30 octobre 2002.

[11] JORCI Spécial n°2, du 30 janvier 2012, Décret n°2012-02 du 09 janvier 2012 portant dissolution du Programme Spécial de Transfert de la Capitale à Yamoussoukro (PSTCY).

[12]Entretien avec Baba Sylla, 56 ans, Avocat international, le 20 juin 2021, à Yamoussoukro, à 17h 30 mn. 

Résumé (Le corps des agents de maintien de l’ordre au Togo :création, réorganisations, rôles (1884-1946))

Agnélé Lassey§

Résumé : L’objectif de cet article est de montrer comment l’émergence et la formation de cette catégorie socioprofessionnelle a accentué la domination coloniale au Togo de 1884 à 1946. En effet, il apparaît que pour marquer leur présence et tenir en obéissance les populations colonisées dont on pouvait craindre un soulèvement, les puissances coloniales créèrent sur place une force de sécurité pouvant leur permettre de dominer et d’exercer leur autorité sur les populations africaines. Au Togo, la donne ne fut pas non plus différente. Même si au départ leur rôle était quasiment limité à la protection interne et externe de la colonie, les agents des forces de l’ordre et de sécurité finirent par s’imposer en tant que force indispensable.

Mots-clés : force noire, guerre, troupe, autorité, sécurité

Abstract : The objective of this article is to show how the emergence and the formation of this socio-professional category accentuated the colonial domination in Togo from 1884 to 1946. Indeed, it appears that to mark their presence and to keep in obedience the colonized populations of which one could fear an uprising, the colonial powers created a security force on the spot that could allow them to dominate and exercise their authority over the African populations. In Togo, the situation was not different either. Although initially their role was almost limited to the internal and external protection of the colony, law enforcement and security agents eventually established themselves as an indispensable force.

Keywords: dark force, war, troops, authority, security

Introduction

« Chair à canon », « indigènes », « sans papiers », « la dette », « sans pension » etc sont autant d’expressions utilisées pour désigner les soldats noirs d’outre-mer, qui ont participé au maintien de la domination coloniale. Avec dévouement, bravoure et loyauté, ils servirent la cause coloniale. Ce faisant, leur participation à l’histoire coloniale de leur pays ne fait aucun doute. En effet, pour marquer leur présence et tenir en obéissance les populations colonisées dont on pouvait craindre un soulèvement, les puissances coloniales créèrent sur place une force militaire pouvant leur permettre de dominer et d’exercer leur autorité sur les populations africaines. Au départ assez timide dès les débuts de la période allemande, elle finit par prendre surtout au temps de la colonisation française[1], une forme beaucoup plus formelle, participant de ce fait au projet colonial. Aussi serait-il intéressant de revisiter leur histoire afin de comprendre cette force noire, qui a servi la cause coloniale au Togo. Ce constat pose ainsi une interrogation fondamentale : En quoi l’émergence et la formation des forces noires ont-elles favorisé les actions coloniales au Togo entre 1884 et 1946 ?

L’objectif de cet article est de décrire le processus d’émergence et de formation de cette force noire mais aussi de montrer comment ses actions ont accentué la domination coloniale au Togo. Pour atteindre ce but, une documentation variée a été utilisée. Il s’est agi d’abord de consulter les rapports à la SDN et à l’ONU. Cette documentation est complétée par les ouvrages spécifiques et généraux ainsi que des mémoires et des thèses ayant abordé des aspects de cette thématique. La présente étude porte sur trois points. La première partie présente l’émergence dans le contexte de la conquête et de l’administration du Togo allemand (1884-1914). La seconde aborde la restructuration d’après-guerre visant l’implantation du mandat (1914-1928) et la dernière partie s’intéresse auxréformes visant l’enracinement du mandat français (1928-1946).

1. L’émergence dans le contexte de la conquête et de l’administration du Togo allemand (1884-1914)

A l’époque allemande, l’apparition du corps des agents de maintien de l’ordre et de sécurité était liée au processus d’installation de l’administration.

1.1. Le processus de création

Désireux de protéger leurs intérêts et d’assoir leur pouvoir par la contrainte, les colonisateurs, minoritaires en nombre, favorisèrent l’émergence des soldats noirs en Afrique[2]. Ceux-ci, en effet, leur offrait par leur docilité et obéissance, une garantie à tous les niveaux. Au Togo allemand, l’emploi d’une force noire restait fortement lié aux spécificités du colonialisme allemand en Afrique. Venue tard dans la conquête, l’Allemagne définit elle-même sa propre doctrine coloniale (Cornevin 185). Celle-ci fut basée sur une vision selon laquelle le Noir était inférieur au Blanc. Le colonat allemand a donc imposé le racisme, qui a imprégné la société coloniale. Des principes et des pratiques s’imposèrent progressivement à l’égard des Noirs : la plus grande fermeté, moins de rapports amicaux possibles entre Blancs et Noirs, la sévérité sans faille, les châtiments corporels, la peine de mort en cas de crime. Cette vision exigeait la création d’une force de police ou de sécurité pour sauvegarder le maintien de l’ordre et de la paix dans les colonies. Au Togo, de 1884 à 1914, les Allemands formèrent ainsi, un excellent matériel humain selon leur expression, Soldatenmaterial pour constituer progressivement l’espace aujourd’hui togolais. Pour y arriver, il fallut dominer et assujettir les populations du Togo, surtout celles de la partie septentrionale, farouchement guerrières, comme les Konkomba ou les Kabyè (Cornevin 180-184). L’administration allemande recourut donc à une méthode fondée sur la force brutale et sur l’intimidation, car pour les Allemands, l’Africain « doit sentir que le Blanc est fort, sinon il ne lui obéira jamais […]. S’il fait une fois l’expérience du bâton, il n’éprouvera absolument plus le besoin de recommencer ; il doit seulement savoir qu’en cas de besoin, le bâton est là, prêt à entrer en action […] » (Gayibor 22). Cette doctrine fut appliquée par plusieurs administrateurs, à commencer par les différents commissaires impériaux, qui se sont succédé à la tête du Togo. Une force de police fut alors créer en 1885 par le tout premier, Ernest Falkenthal (1885-1888) pour soumettre entre autre les autochtones à l’ordre colonial. Jesko von Puttkamer (1889-1894) réorganisa cette force armée pour en faire une véritable troupe militaire, placée sous les ordres d’un officier et entraînée par un sous-officier (Gayibor 18-19). Il s’agissait de la troupe de police indigène ou la « Politzeitruppe » dont les premiers éléments furent recrutés parmi les Haoussa du Nigéria et du Niger français réputés pour leur qualité guerrière. On y retrouvait aussi la complicité des cavaliers Cotocoli gagnés à la cause allemande et des Tchokossi[3]. A partir de 1894, au moment de la réorganisation de leur troupe, les Allemands levèrent leurs soldats dans la région de Kété-Kratchi où se trouvaient quelques tribus haoussa, puis dans l’arrière-pays de la Gold Coast et sur la Haute Volta où la population était constituée par des tribus Gourounsis et Mossi. Mais progressivement, ils finirent par recourir à leurs propres sujets[4] notamment les Kabyè, Dagomba, Losso et Konkomba du nord du Togo, qui leur fournirent d’excellents soldats (Maroix 46-47).

L’objectif des Allemands n’était pas l’installation d’une base militaire. Il s’agissait plutôt de forces de police, susceptibles de les aider à exercer leur autorité sur les populations et à leur assurer une conquête facile par les armes. En bref, elle devait assurer grâce à sa formation militaire, le maintien de l’ordre, de la paix et de la sécurité par la protection interne et externe du territoire. D’abord basée à Baguida, puis à Zébé, la Politzeitruppe fut transférée à Lomé en 1897. Elle était appelée à servir sur toute l’étendue du territoire, d’où sa répartition dans les principaux districts sous l’appellation desBezirkstruppen. Ceux-ci étaient recrutés et formés sur place par les administrateurs des cercles à partir de 1898 (Napo 749). Leur présence dans les localités surtout celles, qui étaient les plus hostiles à la présence coloniale, était assez importante. Elle permettait en effet à l’administrateur du cercle de parer au plus pressé en cas de danger avant de faire appel, à celle de son confrère du cercle plus proche. C’est ainsi que la troupe de police a pu tenir en respect les populations surtout que celles-ci ne paraissaient presque jamais disposées à exécuter volontairement, dans le cadre du travail obligatoire, les ordres de l’administrateur (420). Au début, l’engagement était volontaire pour cinq ans ou en cas d’insuffisance, l’appel pour la même année. Les forces étaient entretenues par le budget local de la colonie et utilisée par l’administration civile (Maroix 45-46).

A la veille du premier conflit mondial, les Allemands réussirent à aligner une Politzeitruppe et des Bezirkstruppen constituées de 560 soldats noirs et environ 500 réservistes dont la plupart étaient stationnés à l’intérieur du territoire. Tous étaient sous les ordres des officiers et des sous-officiers allemands. La force de police, ainsi recrutée et formée, sut au moyen des armes à feu modernes soumettre les populations hostiles à la nouvelle autorité. Ces actions de répression favorisèrent certes les Allemands, mais elles finirent par desservir la cause et l’image de la colonisation allemande.

1.2. Les actions

La force noire intervint d’abord à Tové avant d’agir dans la phase de la conquête de l’hinterland.

Face aux différentes exactions de l’administration allemande, les populations de Tové, qui se situèrent entre Kévé et Kpalimé se soulevèrent contre cette dernière. La raison en était selon Klose due au fait que les populations de cette région ne hissaient jamais le drapeau allemand. De plus, aucun accueil n’était fait par les notables aux visiteurs européens, qui se plaignaient de la cherté des denrées alimentaires et de l’hébergement. Par ailleurs, les féticheurs locaux s’opposaient à toute idée de civilisation et incitèrent les populations à ne pas acheter les produits européens. Mais, les Allemands, décidés à exercer leur autorité, trouvèrent un prétexte en la personne du botaniste Baumann. En effet, selon les autorités allemandes, ce dernier n’aurait pas été satisfait des services rendus par les autorités locales. L’administration dépêcha sur les lieux la troupe de police, qui malmena la population. Au cours de cet affrontement, un soldat allemand fut tué. La répression ne se fit pas attendre. Du 25 mars au 3 avril 1895, l’ensemble des villages situés sur une distance de 30 km fut dévasté. Bilan de cet affrontement, vingt morts environ, destruction de plusieurs fermes et arrestations de plusieurs prisonniers dont la plupart étaient des femmes et des enfants (Aduayom et al 493-494). Cette démonstration de force des troupes allemandes suffit pour intimider les populations du sud qui n’opposèrent plus aucune résistance à l’occupation allemande.

Une fois installée sur la côte, l’administration allemande entreprit d’occuper le nord du pays. Les populations de cette partie du pays ne se soumirent pas facilement aux Allemands, car il s’agissait en particulier de peuples guerriers vivants dans des sociétés acéphales. Cette situation suscita l’intervention rapide des forces militaires allemandes. De plus, les Allemands ne choisirent pas la voie de la négociation dans la mesure où il fallait occuper ces territoires assez rapidement pour empêcher que les autres puissances, engagées également dans ces compétitions n’occupèrent en premier ces zones. Les Allemands recoururent donc à la répression violente pour soumettre ces populations. Surtout qu’à cette époque, la troupe de police était mieux armée et mieux organisée pour agir (Gayibor 18). Des expéditions furent conduites par le baron Valentin von Massow entre 1894 et 1895, par le comte Julius von Zech chef du poste de Kete-Kratchi en janvier 1896, et par le Dr Gruner en 1897. Les expéditionnaires se rendirent avec leurs troupes munies d’armes modernes dans les localités telles que Mango, Sokodé, Bassar (Gayibor 18-20), et s’acharnèrent sur les populations. Même si on pouvait encore enregistrer des cas de désobéissance ici et là, les Allemands réussirent à démontrer leur supériorité et à imposer la domination directe de l’administration de façon brutale et impitoyable. Après cette phase de conquête, l’administration allemande put véritablement démarrée.

La réussite de cette administration imposait une certaine législation à la population. Plusieurs textes furent promulgués recommandant l’obéissance aux ordres des autorités. De ces textes, nous retenons entre autre le décret impérial du 22 avril 1896, qui donnait des pouvoirs administratifs aux chefs de cercles et de stations ainsi qu’aux autorités locales. Ce texte codifiait les pratiques répressives et marquait le début de l’indigénat au Togo. Les infractions mentionnées visaient surtout l’inexécution des obligations, les crimes et délits contre l’Etat et l’ordre public, la rébellion contre l’autorité de l’Etat, la désobéissance à l’autorité administrative, l’atteinte à l’intégrité physiques des personnes et à la liberté individuelle, les délits contre les biens (Nabe 253).  Les récalcitrants à ce règlement firent les frais de la répression. Ils étaient soit condamnés à de lourdes peines (amendes en argent et des peines d’emprisonnement) soit ils étaient l’objet de punitions corporelles à concurrence de 25 coups. Les policiers noirs étaient les exécutants des coups avec le fameux one for Kaiser(Cornevin 192). Afin d’avoir une main mise sur l’ensemble des populations, l’administration jugea stratégique de décentraliser ces punitions. Ce n’était donc pas seulement les administrateurs centraux qui organisaient ces punitions, mais les chefs de circonscriptions, les chefs de cantons, de villages étaient autorisés à employer la force.

L’usage de la force noire quand bien même variable à des degrés divers, a servi d’une manière ou d’une autre aux intérêts des Allemands. Celle-ci put ainsi se faire respecter dans la terreur. Peu à peu, l’intérêt pour le soldat noir prit rapidement une autre tournure. A l’approche du premier conflit mondial, ils furent de ce fait préparer à participer aux nombreux combats que ce soit en Afrique ou en Europe. Quant au Togo, il fit les frais de cette force créée et employée aussi par les alliés, déterminés à conquérir l’importante installation de télégraphie sans fil intercontinentale, un des enjeux de cette guerre dans le pays.

2. La restructuration d’après-guerre visant l’implantation du mandat (1914-1928)

En 1914, c’est le début de la première guerre mondiale, qui marqua au Togo la fin de la présence allemande. Une période de gestion provisoire fut instituée jusqu’en 1919. Au cours de cette gestion provisoire, les actions françaises en matière de maintien de l’ordre et de la paix ont surtout consisté à réprimer fortement les populations indociles. En 1922, date de la confirmation du mandat au Togo jusqu’en 1928, on a assisté à un début de consolidation de l’implantation de la présence française dans un pays germanophone (et anglophone en partie) et à un début de l’application de la politique de mise en valeur. Tout ceci dans un contexte d’hésitations et d’incertitudes. En matière de sécurité, des essais furent entrepris surtout que la France méconnaissait encore le territoire.

2.1. La participation et la refondation

Face à la guerre, qui devenait inévitable dans les colonies d’Afrique, William Ponty, depuis Dakar, averti toutes les autorités militaires des territoires français. Les Français au Dahomey prirent des mesures nécessaires à la mobilisation. La majorité des soldats enrôlés étaient des Africains. La France en effet concrétisa l’idée du Lieutenant-colonel Mangin[5] selon laquelle les troupes africaines habituées aux guerres coloniales pourraient être utilisées dans les champs de bataille de l’Europe pour contrebalancer le poids militaire de l’Allemagne. Elle érigea à cet effet en doctrine l’emploi des « Tirailleurs Sénégalais ». La France recourut ainsi aux soldats de son empire colonial en choisissant des hommes valides de 18 à 45 ans dont la mission était de défendre leur patrie d’adoption. (Deroo et Champeaux 43 ; Abdoul 47).

Au Dahomey, les troupes françaises, sous le commandement militaire de Maroix étaient composées de la manière suivante : trois compagnies ou brigades indigènes de tirailleurs sénégalais, une section d’artillerie coloniale de 80 de montagne, un service de l’intendance et un service de santé, une compagnie de réservistes européens, deux groupes de gardes de cercles du Dahomey, des détachements de gardes de cercles, goumiers et partisans du Haut-Sénégal Niger. Un total de huit cent cinquante hommes de troupes réguliers, un millier d’auxiliaires et un millier de porteurs (Maroix 53).

Les autorités de Gold Coast, quant à elles, averties secrètement par Londres de se préparer à un conflit éventuel, prirent des dispositions stratégiques dans tous les domaines. Les forces armées étaient au nombre de 1584 soldats africains du Gold Coast régiment de la West african Fontier force[6]et les 321 hommes de Northern territories constabulary, encadrés par 40 officiers européens et 330 réservistes. Selon les documents, les Anglais avaient à peu près 2200 hommes prêts à combattre les Allemands (Marguerat 34-35 ; Maroix 49-50).

Au Togo, la guerre était déclarée dès le 5 août 1914 et elle prit fin trois semaines plus tard. Elle opposa les forces franco-britanniques (mieux entraînées du fait des longues campagnes militaires menées contre l’Ashanti) et le Dahomey, aux forces allemandes du Togo. La majorité des combats se déroulèrent seulement dans les localités de Chra, d’Agbélouvé, de Lilikopé, de Kamina et de Bafilo où les forces allemandes étaient prises en étau par les forces françaises et anglaises. Les autorités allemandes, victimes d’un coup de bluff de deux administrateurs anglais, durent replier leurs forces à l’intérieur du pays, donnant ainsi la possibilité à l’envahisseur de prendre Lomé et bien d’autres localités sans combat. Le Togo tomba rapidement aux mains des alliés, qui n’avaient utilisé que seulement 1000 tirailleurs, encadrés par des officiers et sous-officiers. En réalité, s’ils ne pouvaient rien envier aux forces de police des alliés, les Allemands, avaient du mal à maintenir leurs soldats en place dont beaucoup désertèrent face aux armes et stratégies des alliés. Les Allemands ne s’attendaient pas non plus à une guerre ouverte dans les colonies et préféraient au contraire des négociations à une attaque ouverte. Par contre, en Gold Coast et au Dahomey, on l’a vu, les autorités britanniques et françaises avaient secrètement pris les dispositions nécessaires en forces noires et matériels. Après la défaite allemande, les commandants des troupes franco-britanniques Maroix et Bryant reçurent l’ordre de partager le Togo en deux. Les forces britanniques occupèrent Lomé, Kpalimé, Ho, Kété-Kratchi et, au nord, le royaume de Yendi, avec la responsabilité du fonctionnement du wharf et des voies ferrées, poumons économiques du Togo. Les Français prirent Aného, Atakpamé et tout le reste des cercles du nord, qui était la partie la moins rentable (Chazelas 117).

Les nouveaux maîtres furent accueillis presque sans difficulté par les populations, qui les considéraient comme les libérateurs de leur pays. Aussi s’avérait-il inutile de maintenir les troupes de combat. Les Français laissèrent néanmoins sur place des soldats de l’ancienne troupe allemande, qui avaient fait vœux de loyauté à la nouvelle puissance. En fait ces derniers, formés pour maintenir l’ordre et la paix, obéissaient à qui pouvaient les rémunérer, quel que soit le drapeau à saluer. Il s’agissait de la 7ème compagnie du IIIème bataillon de tirailleurs sénégalais, qui était composée à 75% de Togolais[7] (Marguerat 110). Ce régiment comprenait 377 hommes dont 342 indigènes stationnés dans les cercles de Sokodé et Sansanné-Mango. Mais la France, conformément à l’article 3 du mandat, qui interdisait la création de fortifications permanentes ou temporaire et de bases militaires ou navales au Togo, réorganisa sa force de police en 1920. Une garde indigène fut créée le 7 janvier de la même année. Quant au 3è régiment, il continua par assurer la sécurité du territoire jusqu’au 31 mars 1925, date à laquelle, il fut supprimé. Les gardes-cercles constituaient une force de police relevant de l’autorité du commissaire de la République. Leur rôle était d’assurer le maintien de la sécurité publique, de l’exécution des mesures d’ordres et des actes de l’autorité administrative tels qu’escorte et garde de convois, garde des bâtiments administratifs, police des voies de communication et garde prisonniers[8].

Le 28 juin 1925, pour pallier l’absence des compagnies militaires régulières, un décret portant organisation des forces de police dans les territoires sous mandat fut institué. Il stipulait que la garde indigène devait coopérer avec les formations de milice à la police et à la sécurité du territoire. Les gardes-cercles étaient répartis en deux pelotons et un détachement. Le premier peloton était celui de Lomé, qui était placé sous le commandement du capitaine commandant la troupe. Il y avait aussi dans chaque cercle, un peloton sous les ordres directs des chefs de circonscription. Enfin la troisième catégorie comprenait un détachement à la disposition du commissaire de police de Lomé. L’effectif de chaque peloton ou détachement était fonction de l’importance du cercle et des nécessités du service (Nabe 265-266).

La présence de cette force de police fut salutaire à la France car dès les premiers moments de sa présence au Togo, elle dut réprimer des mouvements de révoltes provenant surtout des populations du nord, que les Allemands avaient eu du mal à pacifier.

2.2. Les interventions

Si au sud, régnait une situation de paix, il n’en était pas de même dans le nord où apparemment les Allemands n’auraient vraiment pas soumis toutes les populations. Celles-ci, farouchement attachées à leur liberté sans chefferie et à leurs valeurs guerrières s’opposèrent un tant soit peu à la nouvelle puissance, qui n’hésita pas à faire montre de force et de supériorité. Ainsi, entre 1915 et 1917, plusieurs soulèvements locaux furent réprimés avec autant de violences impitoyables qu’auparavant, si ce n’est davantage.

En pays kabyè, déjà en mars 1915, l’administration française dut faire une répression musclée. Maroix rapportait à ce sujet :

Le lieutenant Vergos (du Dahomey) a effectué avec un détachement de 36 tirailleurs, une reconnaissance dans la région du Kaburé, qui avait été signalée dans les rapports précédents comme peuplée de montagnards indépendants, turbulents, n’ayant jamais été soumis à l’autorité allemande. (…). Un petit engagement eut lieu au nord du village entre nos partisans (le roi Liabo de Sokodé et ses guerriers) et les habitants de Lao, qui laissèrent 6 morts sur le terrain. Neuf prisonniers, dont le chef rebelle blessé, furent dirigés sur Sokodé (…). Cette reconnaissance a produit la meilleure impression dans la province, et a décidé les hésitants à se soumettre. (Marguerat 125)

Le 25 février 1916, il y eut un nouvel accrochage à Tchitchao. On enregistra 25 tués et des blessés. La troupe, forte de sa puissance de feu sans proportion avec les arcs et les flèches des rebelles, n’a eu qu’un tirailleur et quatre partisans légèrement blessés. Cette démonstration de force brisa ainsi la tentative de rébellion. Quant à la localité de Mango, Clozel affirmait que « La situation est loin d’être telle que nous pourrions le désirer, et ne s’améliorera que peu à peu, lorsque les tribus sentiront que notre action effective appuyée par un détachement de tirailleurs, s’exercera sur elles avec ténacité, jusqu’à ce que leur complète obéissance soit obtenue… » (Marguerat 126-127). Chez les Konkomba, grâce au renforcement des agents, qui connaissaient désormais leur fonctions et les remplissaient bien, il serait possible au commandant de cercle de mieux surveiller le pays (Marguerat 129). Un rapport de Dakar à Paris du 15 mai 1916 conclut : « Aucune bonne volonté n’est à attendre de la part de ces tribus très frustres, naturellement portées à l’indépendance. Ce n’est que par un contact fréquent et des tournées de police répétées que nous parviendrons à maintenir l’ordre et la tranquillité » (Marguerat 162).

A Tschopowa, localité située à l’époque sur l’Oti mais aujourd’hui sur la frontière du Ghana, « la présence d’un détachement de tirailleurs contribue beaucoup à rassurer les petits villages et empêché surtout les coalitions de se renouer. Les populations savent que leur conduite a été très répréhensive », affirmait le capitaine Goguely dans un de ses rapports en février 1917 (Marguerat 128).

Après l’institution du mandat au Togo, le pays fut soumis le 23 mars 1921, au régime d’autonomie financière. L’administration réorganisa à cet effet le système des prestations. Il fut alors institué la capitation, qui stipulait que tout individu adulte, en âge de travailler devait quatre jours de prestations par an pour l’entretien et la construction des infrastructures. Ces prestations pouvaient être rachetées, mais ils constituaient cependant un poids important pour les populations. Les contribuables les plus pauvres, surtout dans les communautés sans chef, furent ceux, qui en avaient souffert le plus. Les habitants de ces régions, manquant d’activités salariées, s’étaient retrouvés démunis de numéraires nécessaires (Assima-Kpatcha 194).  Beaucoup de ces populations trouvèrent de ce fait refuge en Gold Coast ou au Togo britannique pour fuir l’administration. D’autres par contre, manifestèrent leur refus de payer cette fiscalité. Les plus en vue étaient les Konkomba, qui continuaient par s’opposer d’une manière ou d’une autre à l’administration et se réfugiaient en zone anglaise à la moindre tournée de police chargée de percevoir l’impôt (Gayibor 157-158).  Selon Assima-Kpatcha (195), jusqu’à la fin du séjour du gouverneur Bonnecarrère, les populations du nord-Togo furent les plus soumises à l’arbitraire des administrateurs et des gardes cercles, qui n’ont ménagé aucun effort pour les contraindre à exécuter les prestations.

En 1923 un peloton de 35 tirailleurs, commandés par un officier, fut envoyé. Parcourant le pays konkomba pendant deux mois, ils désarmèrent (38 flèches réquisitionnées) les guerriers konkomba. Un poste militaire de 20 hommes sous les ordres d’un sergent européen fut ensuite crée dans la région. En fait la soumission apparente des konkomba ne fut qu’éphémère. Il fallut envoyer dans le mois d’avril une section de 35 à 39 miliciens commandés par le lieutenant Massu, qui fut chargé de désarmer de nouveau la région. En vingt jours, après de durs combats, le détachement réussit à enlever 200000 flèches et une tonne d’engins divers[9].

3. Les réformes visant l’enracinement du mandat français 1928-1946

De 1928 à 1946, la France consolide sa présence au Togo. En effet, après la phase d’essais, la nécessité de réorienter toute la politique coloniale française s’imposa. Dans le domaine du maintien de l’ordre, la France comprit l’importance de créer de nouveaux corps susceptibles de protéger ses intérêts face à une population de plus en plus nombreuse et beaucoup plus critique à son égard.

3.1. La succession des réformes

Le 28 juin 1928, une milice indigène fut créée. Cette compagnie de milices était chargée concurremment avec la garde indigène d’assurer la police et la sécurité intérieure du territoire. La composition, l’armement et l’administration étaient fixés par arrêté du commissaire de la république soumis à l’approbation du ministère des colonies. Ces unités relevaient directement de l’autorité du commissaire de la république[10] et étaient placées sous le commandement d’un capitaine d’infanterie coloniale hors cadre dont les attributions, les pouvoirs et les prérogatives étaient fixés par arrêté du commissaire de la république soumis à l’approbation du ministre des colonies[11]. Gardes et milices indigènes constituaient les forces de police du territoire. De ces deux forces, seule la milice, considérée comme une troupe d’élites, avait un rôle militaire véritable. Dès 1929, elle fut organisée en une compagnie de milice comprenant une unité organisée et armée comme une compagnie d’infanterie à trois sections[12].

La force de police recevait outre des instructions militaires d’après le règlement en vigueur, une instruction morale et un entraînement physique intensif. Elle avait un détachement à Sokodé sous le commandement d’un sous-officier européen où elle assurait aussi une partie des tâches normalement dévolues aux gardes indigènes. Il y avait aussi deux sections à Lomé sous l’autorité du commissaire de la république mais dont le commandement était assuré par le capitaine commandant des forces de polices, assisté de deux sous-officiers européens. La compagnie, enfin, assurait aussi le recrutement et l’instruction de la garde indigènes[13].

Dans les années 1930, des services locaux de police et de sûreté furent établis dans les différents territoires de l’AOF[14]. Leur activité principale était de constituer la douane politique et morale du pays. Ils devraient ainsi concentrer leurs actions particulièrement sur les ports susceptibles d’être choisis par d’éventuels fauteurs de troubles, comme lieu de pénétration. Au Togo, ce service apparut sur le territoire par arrêté n°92 en date du 14 février 1933[15], suite à la révolte des loméennes les 24 et 25 janvier 1933. Selon J. Gassama (197-198), « La mise en place des services de sûreté fut un changement important dans l’organisation de la police coloniale en Afrique de l’Ouest. Auparavant, les forces de l’ordre étaient essentiellement consacrées à la police d’ordre et de souveraineté, aux dépens de la police de sécurité urbaine et de la police criminelle».

Par la suite, les arrêtés locaux du 9 août 1938 et du 27 décembre 1941 perfectionnèrent l’organisation de ce service, lui permettant ainsi de répondre aux besoins de l’heure. Le service de police et de sûreté comprenait les services centraux au chef-lieu du territoire et les services extérieurs répartis dans les divers centres[16].

Au moment de la mobilisation[17], seule la compagnie de milice[18] fut mise sur pied de guerre, mais une deuxième compagnie fut également constituée. Le commandement de l’ensemble fut attribué au commandant militaire du Dahomey, qui devenait commandant militaire du Dahomey-Togo[19]. Le 31 décembre 1944, la 2ème compagnie de milice est dissoute tandis la 1ère compagnie devint compagnie des forces de police du Togo composée de 4 officiers européens, 13 sous-officiers européens et 302 africains. L’ensemble de ces troupes évolua de nouveau sous le commandement effectif du capitaine commandant les forces de police du Togo[20].

Le 17 septembre 1942, le service de la gendarmerie a été créé par arrêté n° 516/APA et confié à trois militaires européens, qui prirent service au commissariat de police de Lomé en novembre de la même année. Ces derniers provenaient du détachement de gendarmerie de l’AOF à Dakar. Cet effectif ne fut pas augmenté au cours des années 1943-1944. C’est en 1945, suivant l’arrêté n°463/APA en date du 23 août, que le service de la gendarmerie fut réorganisé et ses effectifs augmentés et implantées dans trois cercles de l’intérieur, Kpalimé, Aného et Sokodé. Il y avait en tout 7 gradés ou gendarmes européens et 5 auxiliaires de gendarmerie africains[21].  

En résumé, il apparaît que jusqu’en 1946, le territoire était constitué des forces de sécurité réparties en trois groupes. Il s’agissait des forces militaires elles-mêmes composées de la 2ème compagnie du bataillon autonome du Dahomey Sud-Togo stationnée à Lomé et d’un corps de gardes-cercles militaires ; d’un service de gendarmerie et d’une police civile nommée service de police et sûreté.

3.2. Les engagements dans les crises

Dans le cadre de la mise en valeur du territoire, les agents de l’ordre intervinrent dans l’application de la politique de colonisation des terres neuves. Il s’agissait d’une politique de déplacement des populations vers les terres encore libre du centre-Togo consistant à soulager le surpeuplement du pays kabiyè. Ces agents étaient alors chargés d’exécuter les ordres coloniaux, car, bien qu’il y ait eu des volontaires plus tard, le début était forcé. En effet, la méfiance prévalait ainsi que la brutalité des autorités locales dans la désignation des prétendus volontaires, dont la moitié fuyait dès qu’ils recouvraient la liberté (Gayibor 150). Dans ce même domaine, les anciens militaires assurèrent la distribution des semences de certains produits imposés par les colonisateurs comme arachides, coton, boutures d’ignames et des plants sélectionnés pour les cafèterais, les cacaoyères et les palmerais. Ils se chargèrent aussi de contrôler leur mise en terre (Cornevin 75).

Cette politique de mise en place de l’outillage économique avait aussi poussé l’administration à l’exploitation de la main d’œuvre indigène peu payée. Dans ces conditions, elle avait réorganisé le régime de prestations en 1922. Celui-ci obligeait les adultes à devoir quatre jours de travail obligatoire. Mais ces prestations étaient rachetables. Malgré cela, elle recourut à la force pour exploiter les prestataires, qui s’étaient acquittés de leurs prestations en numéraire. Dans le cercle de Mango en 1928, on mentionnait que tous les prestataires avaient racheté leurs prestations et au même moment, on signalait que les Lamba les avaient encore exécutés en partie. A Atakpamé en 1929, on constate aussi une double exploitation, car les prétendus travaux de route, exécutés par des volontaires n’étaient que des travaux forcés réalisés sous la contrainte (Assima-Kpatcha 297). Les agents des forces de l’ordre étaient aussi employés dans la surveillance des travaux de construction des infrastructures. Selon padaha (70), le général Massu avait placé des miliciens deux ou trois par chantier, qui vivaient jusqu’à l’achèvement des travaux. Ainsi avec ces miliciens, le général Massu construisit en tout neuf chantiers entre 1935 et 1936 lors de la pacification des Konkomba. C’est également le cas de 35 policiers, qui après avoir servi de forces de sécurité sur le tronçon du chemin de fer Nuatja (Notsè)-Blitta sous les Allemands, avaient été transférés à Atakpamé par les Français pour surveiller la construction de la route Atakpamé-Badou[22].

Après le départ de Bonnecarrère en 1931, le Togo commençait à ressentir les séquelles de la crise de 1929. Le nouveau commissaire, de Guise, dut gérer ses effets au Togo. Pour faire face aux conséquences de la crise sur l’économie togolaise, l’administration locale dut prendre des mesures très impopulaires dont entre autres, l’augmentation des anciennes taxes et la création de nouvelles en 1933. Malgré l’intervention des notables de Lomé, défavorables à ces nouvelles décisions, l’administration refusa de revenir sur sa décision. Devant la situation créée par la crise : diminution des salaires de 50%, l’effondrement des ressources, chômage, malaise social, baisse du coût de la vie etc…, ajouté à l’augmentation de la fiscalité. Les manifestants qui n’avaient plus confiance aux notables, descendirent dans les rues de Lomé le 24 janvier 1933, après l’arrestation des membres du Duawo[23]. Il s’en suivit un mouvement général qui paralysa toutes les activités de la ville. (d’Almeida-Ekué 39-45). Telle était l’origine des émeutes de Lomé en 1933. Pour maîtriser les manifestants, de Guise demanda de toute urgence, le 24 janvier, l’affectation sur Lomé d’un peloton de miliciens travaillant au chantier de la voie ferrée d’Agbonou. Il réquisitionna le commandant de forces de police et les deux sections de milices de Lomé. Le lendemain, les troubles reprirent. Pour ramener le calme totalement dans la ville de Lomé, on dut faire appel à une section de tirailleurs de dahoméens puis à une compagnie de tirailleurs venus de la Côte d’Ivoire, composée de 170 hommes (d’Almeida-Ekué 62-64).

3.3. La reconversion après le service militaire

Outre leur rôle essentiellement d’aide au maintien de la paix et de la sécurité, certains agents des forces de police avaient la possibilité d’apprendre un métier. Nantis de cette qualification, ils étaient mis à la disposition des commandants de cercles pour être utilisés à l’entretien des routes, des travaux des postes, ainsi que d’autres travaux à savoir ceux de cantonniers, maçons, ouvriers à bois, ouvriers à fer, tailleurs, cordonniers etc..). Cet avantage facilitait leur retour à la vie civile, une fois leur service terminé.

D’autre part, les soldats à l’instar des fonctionnaires et des chefs traditionnels, constituaient aussi un lien direct entre le pouvoir et la population. Cette catégorie socioprofessionnelle avait de ce fait des privilèges dans la société. Les autorités quelques fois n’hésitaient pas à remercier leur loyauté. Par exemple, au lendemain de la première guerre mondiale au Togo, ils bénéficièrent d’un statut particulier, celui d’être exclus du régime de l’indigénat et la possibilité d’obtenir la citoyenneté française. La plupart d’entre eux étaient décorés de la légion d’honneur ou de la médaille militaire (Wiyao 16-17). Cette situation de privilégiés, leur permit d’accéder à certains postes traditionnels dans l’intérêt de l’administration. Il s’agissait en effet des postes comme ceux des chefs de canton et de village. Ce fut le cas à Sokodé lors de la nomination d’anciens policiers allemands comme chefs de villages. En effet, en 1917, le commandant de cercle de Sokodé procéda à la nomination de 22 policiers ayant combattu en 1914, comme chefs de villages en remplacement des chefs traditionnels des villages dont l’autorité avait subi un fléchissement considérable depuis que les agitateurs et les meneurs des mouvements de pacification avaient tenté de les anéantir (Marguérat 129). C’est également le cas, qui s’était présenté dans le cercle de Mango. Les Tchokossi de Mango disposaient traditionnellement des familles royales dont la succession se faisait de père en fils, sauf en cas d’handicap particulier (Cornevin 88). Cependant, en 1936, ce principe traditionnel a été infléchi par la nomination d’un militaire. En effet, le 2 mai 1936, le commandant de cercle de Mango a procédé à la nomination du tirailleur, le sergent Alika comme chef canton d’Atolé. Ainsi, déclarait-il : « ce sergent de la garde indigène peut réussir grâce à son esprit éveillé et à son autorité personnel. Sachant lire et écrire, il pouvait rendre de ce fait certains services. » (Badanzo 37)

Conclusion

Au regard de ce qui précède, il apparaît que les agents du maintien de l’ordre et de la sécurité ont constitué un inépuisable réservoir d’hommes dans lequel s’étaient servies les puissances coloniales, pour brimer et dominer les populations de leurs colonies. Apparue dans le cadre de l’installation de l’administration allemande, héroïsée durant la première guerre mondiale, cette force a servi dans la consolidation de la présence française au Togo sous mandat. Cette situation est révélatrice de sa position clé au sein de l’Etat colonial. Un privilège qu’elle détient encore aujourd’hui au sein même des Etats africains indépendants, qui ne sauraient se dessaisir de cette force incontournable dans l’embrigadement de leur société. 

Sources et travaux cités

Sources

ANT-Lomé, 2APA Cercle d’Atakpamé, dossier 41, recrutement d’indigènes (1912-1948).

Rapports annuels à la SDN, 1921, 1935.

Rapports annuels à l’ONU : 1947, 1948, 1949, 1950, 1951, 1953, 1954, 1955, 1956, 1957.

Travaux cités

Almeida (d)-Ekué, Silivi. La révolte des Loméennes, 24-25 janvier 1933. NEA du Togo, 1992.

Aduayom, Adimado et al. « Le refus de la colonisation : de la pénétration à la seconde guerre mondiale », Histoire des Togolais, dirigé par Nicoué Lodjou Gayibor, Presses de l’UL, 2005, p. 491-556.

Assima-Kpatcha, Essoham. Travail et salariat au Togo français (1914-1939). Thèse de doctorat unique, Université de Lomé, 2004.

Badanzo, B. Y. Le cercle de Mango dans l’entre-deux-guerres (1920-1939). Mémoire de maîtrise, Université du Bénin, 1995.

Barandao, Kufoma. L’armée togolaise : origine et évolution (document manuscrit inédit).

Champeaux, Antoine. « Tirailleurs de la République française. », Forces noires des puissances coloniales européennes, dirigé par Antoine Champeaux, Eric Deroo et Janos Riesz, Lavauzelle, 2009, p. 29-38.

Chazelas, Victor. Les territoires africains sous mandat de la France : Togo et Cameroun. Société d’Edition Géographique, maritime et coloniale, 1931.

Conombo, Joseph. Issoufou. Souvenirs de guerre d’un « Tirailleur Sénégalais. », L’Harmattan, 1989.

Cornevin, Robert. Le Togo : des origines à nos jours. Académie des Sciences d’Outre-Mer, 1988.

Deroo, Eric. et Champeaux, Antoine. La force noire : gloire et infortunes d’une légende coloniale, Tallandier, 2006.

Gayibor, Nicoué. Lodjou. Les Européens dans le golfe de Guinée : du XVIè au XIXè siècle. PUB, 1991.

……….. Le Togo sous domination coloniale (1884-1960), Les presses de l’UB, 1997.

Glasman, Joël. Les corps habillés au Togo. Khartala-Les Afriques, 2014.

Kponton, Ginette. La décolonisation du Togo (1940-1960), thèse de doctorat de 3ème cycle en histoire, Université de Provence, 1977.

Marguerat, Yves. « L’occupation franco-britannique (septembre 1914-septembre 1920) ». Histoire des Togolais, dirigé par Nicoué Lodjou Gayibor, Presses de l’UL, 2005, p. 101-175.

………La guerre d’août 1914 au Togo : histoire militaire et politique d’un épisode décisif pour l’identité nationale togolaise, Collection « Patrimoine » n°14, Presses de l’UL, 2004.

………. La guerre de 1914 au Togo et ses conséquences. L’Harmattan, 2019.

Maroix, Général.  Le Togo : pays d’influence française. Larose-Editeurs, 1938.

Nabe, Bammoy. « Le maintien de l’ordre et la paix coloniale. », Histoire des Togolais, dirigé par Nicoué Lodjou Gayibor, Presses de l’UL, 2005, p. 249-281.

Napo, Ali. Le Togo de l’époque allemande. Editions Saint-Augustin Afrique, 2020.

…….. Le Togo à l’époque allemande (1884-1914). Thèse de doctorat d’Etat, 1995.

Padaha, M, Les forces de maintien de l’ordre au Togo sous administration française (1920-1960). Mémoire de maîtrise, Université de Lomé, 2006.

Riesz, Jonas. « La « force noire » dans les colonies allemandes. », Forces noires des puissances coloniales européennes, dirigé par Antoine Champeaux, Eric Deroo et Jonas Riesz, Lavauzelle, 2009, p. 41-72.

Sow, Abdoul. Des tirailleurs sénégalais se racontent. L’Harmattan-Sénégal, 2018.

Taillac, (de) Pierre. « L’armée noire anglaise. », Forces noires des puissances coloniales européennes, dirigé par Antoine Champeaux, Eric Deroo et Jonas Riesz, Lavauzelle, 2009, p. 73-79.

Tété-Adjalogo, Têtêvi Godwin. Histoire du Togo : la palpitante quête de ‘Ablodé (1940-1960), Collection Libre Afrique, 2000.

Wiyao, Evalo. 13 janvier 1963 13 janvier 1967 : pourquoi ? Les NEA du Togo, 2001.

Comment citer cet article :

MLA : Lassey, Agnélé. « Le corps des agents de maintien de l’ordre au Togo : création, réorganisations, rôles (1884-1946). » Uirtus 1.2. (décembre 2021): 561-581.


§ Université de Lomé / [email protected]

[1]Il est vrai que les autres puissances s’étaient aussi engagées à recruter des soldats noirs mais la France s’était véritablement appuyée sur cette force noire pour servir ses intérêts en Afrique noire francophone

[2] En effet, à partir du XVè siècle, les Européens se lancèrent à la conquête de l’Afrique et s’impliquèrent dans plusieurs activités commerciales dont la traite négrière et plus tard le commerce licite (Gayibor 8-10). Pour effectuer toutes ces activités, plusieurs nécessités se présentèrent à eux dont le recrutement d’auxiliaires africains au sein des comptoirs installés sur la côte. Ils mirent ainsi à leur service, des interprètes, des manœuvres, des matelots africains etc. L’extension de la traite négrière ouvrit la voie à une concurrence de plus en plus acharnée des puissances européennes. Celles-ci, désireuses de protéger leurs installations commerciales et navales et d’assurer leur prestige aux yeux des pouvoirs locaux, firent appel aux soldats européens, qui furent malheureusement décimés par le climat et les pathologies tropicales. L’idée de recourir et de former une troupe noire fit progressivement son chemin au point qu’en 1799, un corps des volontaires d’Afrique fut reconstitué. Mais au milieu du XIXè siècle, la course aux colonies, emmena les Anglais mais surtout les Français à utiliser massivement ces soldats africains. Ces derniers, qu’ils soient recrutés en Afrique ou à Madagascar étaient ainsi appelés initialement en fonction de leur origine. Ainsi, on appelait tirailleurs sénégalais ceux, qui venaient du Sénégal, tirailleurs haoussas, gabonais, malgaches, somalis etc. on utilisa même pendant quelques années l’expression tirailleurs coloniaux. Toutefois, il fut décidé d’uniformiser les noms des unités de recrutement africain et de toutes les nommer « sénégalaises » en rappel à leur origine. C’est pourquoi toutes ces troupes noires, qu’elles soient d’origine proprement sénégalaise ou non furent appelées et conservèrent le nom générique donné par leur créateur « Tirailleurs Sénégalais » d’autant plus que le Sénégal a été le premier pays à fournir des soldats noirs[2]. Quant au terme Tirailleur, il désignait à l’origine un « combattant doté d’une certaine liberté de manœuvre qui tire en dehors du rang ». Cette appellation servait non seulement à masquer le métier du soldat dans l’armée mais aussi et plus souvent son origine réelle (Deroo et Champeaux 25 ; Champeaux 30).

[3]Leur aide fut en effet bénéfique aux allemands pour soumettre les peuples du Nord qui s’opposèrent à la pénétration allemande au Nord.

[4]Les Français et les Anglais, mécontents de ce recrutement de soldats dans leur colonie pour le Togo, s’y opposèrent (Maroix 46).

[5] C’est en 1908 que le Lieutenant-colonel Charles Mangin proposa un recours plus important aux soldats noirs car les nombreuses expéditions coloniales coutèrent énormément la vie aux soldats européens et mécontentaient l’opinion publique. A travers plusieurs articles, missions d’enquêtes et enfin publication de son ouvrage La force noire en 1910, le Lieutenant-colonel Charles Mangin exalta l’importance de cette force noire. S’appuyant sur la crise démographique de la France face à l’Allemagne beaucoup plus peuplée, il proposa de recruter 5000 tirailleurs sur quatre ans, portant l’effectif à 20 000 hommes puis que jusqu’ici 10.000 servaient déjà à l’extérieur et 10 000 à lever pour former une réserve d’intervention. Il préconisa aussi un appel des jeunes africains entre vingt-huit ans qui permettrait de mobiliser 500 000 soldats. Par ailleurs, ces troupes sûres coûtaient moins chères que les unités européennes, elles pouvaient se déployer en Afrique du Nord, où, à la demande des colons et par méfiance de l’islam, on maintint des forces importantes qui manquèrent sur les frontières métropolitaines (Deroo et Champeaux 43).

[6]Selon Maroix (49), ce régiment était Stationné dans la colonie de Sierra Leone avec une portion principale à Freetown. En route pour la Gold Coast le 23 août 1914, les militaires n’arrivèrent qu’après la fin des opérations menées entièrement par les troupes françaises et les forces actives de la Gold Coast.

[7] Il en fut de même du côté des Anglais, où, en mai 1915, on recruta une cinquantaine d’anciens soldats du Togo allemand, pour créer une petite force de police, formée et dirigée jusqu’en 1917 par l’administrateur adjoint Angus C. Johnstone, qui fonctionna parfaitement pour maintenir un ordre que nul ne songeait à troubler (Marguerat 110).

[8] Rapport du Ministère des colonies ; des territoires occupés au Togo, 1921, p. 12.

[9] Rapport de la SDN 1935, p. 39-40.

[10] En cas de mobilisation, la compagnie de milice complétée par l’appel des réserves formées par des anciens militaires en résidence au territoire, passait sous les ordres du Général commandant supérieur des troupes de l’AOF (Rapport à l’ONU, 1947, p. 31).

[11] Rapport à l’ONU, 1947, p. 31.

[12] Rapport à l’ONU, 1947, p. 32.

[13]Rapport de la SDN 1925, p. 35.

[14] Dans le souci de protéger l’administration coloniale de nouvelles menaces susceptible d’affaiblir son autorité, Dakar créa en 1922, un Service central de sûreté et de renseignements généraux de l’AOF. 

[15] Rapport à l’ONU, 1947, p. 33.

[16] Rapport à l’ONU, 1947, p. 33.

[17] En dépit de la défense du mandat sur le Togo, les Français recrutèrent des soldats du Nord-Togo dans l’armée coloniale, dans la mesure où ceux-ci rejoignaient celle-ci par le Dahomey ou par la Côte d’Ivoire. Ce recrutement s’intensifia au moment de la deuxième guerre mondiale, où par le biais du volontariat, beaucoup de jeunes originaires du Nord Togo surtout passèrent la frontière pour se faire recruter surtout au Dahomey et combattre aux côtés des troupes françaises. Kponton (33) donne un chiffre de 3000 volontaires environ. Parmi les volontaires togolais, d’autres participèrent aux guerres d’Indochine et d’Algérie. Mais ils furent démobilisés pour la plupart à la fin de la guerre (Tété-Adjalogo 62).

[18] Comme à l’époque allemande, les Français ayant apprécié dans la campagne contre les Allemands les éléments les plus combatifs, utilisèrent pour former les forces de polices, les mêmes peuples, chez les Kabyè, les Losso, les Moba, les Bassar etc. Au début, le recrutement de ces forces s’effectuait parmi les anciens tirailleurs admis ou non avec leur grade par simple voie d’engagement. Par la suite, il se fit parmi les volontaires de préférence originaires essentiellement du nord du territoire. Ce que confirme la mission d’inspection Bourgeois Gavardin (1940-1941), affirmation corroborée  par celle du commissaire de la république d’alors qui précisait que sur les 664 miliciens que comptait la milice de Lomé en 1941, 70% étaient des Togolais dont 63% des cercles du nord et 7% des cercles du sud. Le reste était constitué d’étrangers. C’était souvent d’anciens tirailleurs originaires du Dahomey, des Mossi de la Haute Côte d’Ivoire (actuelle Haute-Volta). On en comptait 57 en 1932 et 14 étrangers dans la milice togolaise en 1941. En 1920, on comptait dans la garde indigène 3 adjudants, 10 sergents, 20 caporaux et 217 gardes. En 1937, 233 gardes, 35 policiers gradés et 184 gradés militaires indigènes (Barandao 17).

[19] Rapport à l’ONU, 1947, p. 31-34.

[20] Rapport à l’ONU, 1947, p. 32.

[21] Rapport à l’ONU, 1947, p. 37.

[22] ANT-Lomé, 2APA Cercle d’Atakpamé, dossier 41, recrutement d’indigènes (1912-1948).

[23] Il s’agit d’une association critique à l’égard de l’administration. Les responsables avaient réussi à gagner la confiance de la population en l’informant des répercussions de la crise et des décisions de l’administration. L’administration, croyant mettre fin au problème, mis en arrêt les deux responsables du Duawo (d’Almeida-Ekué 35).

Abstract (Histoire de la paroisse Saint Gabriel de Botro de 1969 à 2020)

Botro is a locality in the northern part of the Baule region. This
locality received the visit of missionaries late in life. It was in 1969 that the
parish was established. It was the work of missionaries from Bouaké who
benefited from external support. The establishment was not easy because
the site allocated to them was difficult to access. Despite the difficulties,
the missionaries succeeded in achieving their objective of establishing the
parish. They used effective methods and strategies to overcome the
fetishistic population. As a result, several transformations took place in
the society with the corollary of intensifying social cohesion.
Keywords: Social action, Botro, Evangelisation, History, Implantation,
Influence, Methods, Awareness

Résumé (Histoire de la paroisse Saint Gabriel de Botro de 1969 à 2020)

N’guessan Bernard Kouamé§

Résumé : Botro est une localité de l’espace – nord du Baoulé. Cette localité a reçu  tardivement la visite des missionnaires. C’est en 1969 que la paroisse a été  implantée. Elle fut l’œuvre des missionnaires partis de Bouaké qui bénéficièrent de soutien extérieur.  L’implantation n’a pas été facile, car le site qui leur a été alloué était  difficile d’accès. Malgré les difficultés, les missionnaires ont réussi à atteindre leur objectif, celui d’implanter la paroisse. Ils ont usé donc d méthodes efficaces et de stratégies adéquates pour réussir  la conversion de la population ancrée dans le fétichisme. En conséquence, plusieurs transformations s’opérèrent au sein de la société avec pour corollaire l’intensification de la cohésion sociale.

Mots-clés : Botro, Évangélisation,  Implantation, Méthodes, Sensibilisation

Abstract: Botro is a locality in the northern part of the Baule region. This locality received the visit of missionaries late in life. It was in 1969 that the parish was established. It was the work of missionaries from Bouaké who benefited from external support.  The establishment was not easy because the site allocated to them was difficult to access. Despite the difficulties, the missionaries succeeded in achieving their objective of establishing the parish. They used effective methods and strategies to overcome the fetishistic population. As a result, several transformations took place in the society with the corollary of intensifying social cohesion.

Keywords: Social action, Botro, Evangelisation, History, Implantation, Influence, Methods, Awareness

Introduction

Botro est une ville de la Côte d’Ivoire située dans l’Espace-Nord du Baoulé, plus précisément dans la région de Gbêkê. Créé par le décret n°2008-96 du 05 mars 2008. Le département de Botro s’étend sur une superficie de 1220 km2. Il est limité au nord par les départements de Katiola et Mankono, au sud par celui de Sakassou à l’est par celui de Bouaké et à l’ouest par celui de Béoumi (Rezoivoire). C’est une zone où le climat de type subéquatorial donne lieu à une végétation de savane herbeuse au Nord et de savane arborée au Sud. La sous-préfecture de Botro a une population de 27 854 habitants selon les chiffres estimatifs de 2012 communiqués par l’Institut National de la Statistique (INS). Ce chef-lieu  de département fait partie du canton Satiklan dont il regorge le siège. Ce canton comporte une cinquantaine de villages avec une  population composée en grande partie  de sous-groupes ethniques baoulé appelés communément Satiklan et  de populations d’immigrés, composée pour la plupart de Malinké. Le sous-groupe baoulé s’installa dans cette partie de la région de Gbêkê depuis le XVIIIème  siècle. Longtemps ancré dans les religions traditionnelles, les Baoulé – Satiklan de cette localité enregistre l’avènement  de la religion chrétienne, dite religion moderne (Koffi 137). Malgré l’enracinement de l’animisme, le christianisme par le biais du catholicisme réussit à s’y implanter en 1969. Cela s’est concrétisé non seulement par  la mise en place et la consécration de la paroisse  Saint Gabriel de Botro mais aussi et surtout l’arrivée et l’œuvre d’un prêtre bâtisseur, le père Michel Conver[1].  L’année 2020 marque un événement essentiel dans la vie de la Paroisse. Elle correspond au cinquantenaire de la paroisse qui a permis aux responsables de faire un bilan des activités réalisées depuis l’implantation de la paroisse et d’envisager les perspectives d’avenir. L’étude présente un intérêt car elle fait le point des actions menées par la Paroisse Saint Gabriel de Botro après cinquante années d’existence. Partant de ce fait, comment expliquer la mise en place progressive de la Paroisse Saint Gabriel de Botro ? Dans cette étude, il est question de montrer les différentes étapes franchies dans la mise en place de la Paroisse Saint Gabriel de Botro, son organisation, son fonctionnement et son rayonnement.

Pour répondre à cette problématique, des investigations furent faites. D’abord les centres de documentation furent privilégiés. Ensuite, les sites internet furent consultés en vue de vérifier certaines informations. Aussi, des encyclopédies et des dictionnaires furent utilisés dans la définition de certains termes liés au sujet. Enfin, les enquêtes sur le terrain ou enquêtes orales furent réalisées afin de vérifier la véracité des informations recueillies. Toutes ces démarches méthodologiques permirent d’aboutir à un plan à trois parties. La première partie traite du processus d’implantation de la Paroisse Saint Gabriel de Botro. La deuxième partie met l’accent sur l’organisation et le fonctionnement de la paroisse. Enfin, la troisième partie aborde le rayonnement de la Paroisse Saint Gabriel de Botro.

1. Les méthodes d’implantation de la Paroisse Saint Gabriel de Botro

L’implantation de la Cathédrale Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus de Bouaké en 1962 a contribué énormément à la propagation du catholicisme dans l’Espace-Nord du baoulé. Elle a permis aux différents missionnaires de visiter tous les secteurs de cette zone (Kouamé 259).  C’est dans ce cadre  que les premiers missionnaires  sont partis de Bouaké pour  implanter la paroisse Saint Gabriel de Botro. Cette paroisse est une entité du diocèse de la Cathédrale Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus de Bouaké quand bien même qu’elle est  sous tutelle de la Paroisse Notre Dame de la Paix de Béoumi.

1.1. Les actions des missionnaires

En 1969, Botro enregistre l’arrivée des premiers missionnaires qui sont partis de Bouaké. La délégation est conduite par le Père Michel Conver. Il décide d’échanger directement avec les autorités villageoises. Son objectif majeur est d’obtenir un site pour la construction de la paroisse. Il est reçu par le chef canton d’alors, Toto Kra I qui lui a attribué un site de grande superficie dans une forêt dense et dangereuse abritant des animaux dangereux et de gros serpents[2]. Tout ceci pour décourager les missionnaires. La présence de ces animaux et reptiles dangereux n’a point ébranlé la foi des missionnaires. La paroisse fut donc bâtie dans la même période, c’est-à-dire en 1969 avec pour nom, la paroisse Saint Gabriel de Botro.

La paroisse construite, le besoin en fidèles s’impose, ce qui pousse les premiers missionnaires à mener des actions concrètes. Pour la communication en langue vernaculaire le Père Michel Conver se fait aider par certains fidèles de la Paroisse Notre Dame de la Paix de Béoumi. Ils ont opté pour la méthode d’approche. Selon Kouassi[3] ils ont procédé par des visites. Ils rendent  des visites à certaines familles, partagent les plats africains et européens avec les membres de ces différentes familles. C’était  une fierté pour ceux-ci d’être visités par l’homme blanc. Souvent à midi, les missionnaires rendent  visite à d’autres familles au champ en leur apportant de l’eau. Le faisant, ils en profitent pour parler du Seigneur Jésus Christ à ces familles. Aussi, ont-ils saisi cette occasion pour faire des prises de vue avec ces familles. Alors pour témoigner de leur bonne courtoisie, certains membres des familles visitées se sont convertis au christianisme. Ces différentes visites sont  suivies d’autres actions à caractère social. Il s’agit de la distribution des dons en nature tels que les sacs de riz, de l’huile, du sel, la viande,  des vêtements de tout genre, du savon et des chaussures à toute la communauté en général et les veuves de la cour royale en particulier. Concernant les dons en espèce, les missionnaires finançaient les travaux champêtres de certaines familles. D’autres personnes telles Assamoi Albert et Kouassi Blé Joseph ont reçu des bœufs qui leur ont permis de labourer leur champ et une maison chacun. Pendant les vacances missionnaires, ils passèrent des séjours en France avec les missionnaires. Pendant les premières messes, la quête rassemblée est redistribuée aux participants de la messe. Pour les premiers convertis, les mariages furent organisés gratuitement par les missionnaires. Des formations spirituelles et des cours d’alphabétisation furent organisés. Aussi, des formations en couture, ferronnerie, mécanique et en menuiserie furent-elles initiées[4]. Les actions des premiers missionnaires furent d’ordre social et basées sur la formation. Ce qui a permis  à bon nombre de personnes de se convertir au christianisme, d’où des ressources humaines pour l’évangélisation.

1.2. L’évangélisation 

L’évangélisation en vue du rayonnement de la nouvelle Paroisse Saint Gabriel de Botro a été  l’œuvre des premiers missionnaires avec la participation effective des premiers convertis. Deux méthodes d’évangélisation ont été adoptées : l’évangélisation plein air et l’évangélisation porte à porte.

L’évangélisation plein air est une sorte d’évangélisation qui se déroule sur la place publique en présence des nouveaux convertis, des non convertis et quelque fois des autorités coutumières. Au menu, il y avait des projections de films chrétiens appelées communément en langue vernaculaire “ talê oun koffi “. Cette séance a  lieu tous les vendredis soirs[5].  Tous les films mettent à nu l’impuissance des dieux locaux ou des fétiches. Les autres films projetés relatent l’histoire de Jésus Christ en mettant l’accent  sur la puissance de Dieu à travers celui – ci. L’objectif visé en projetant ces films est une manière de conscientiser et de faire changer les mentalités des animistes ou féticheurs que les missionnaires considèrent comme rétrogrades.  Ce programme a connu l’adhésion de bon nombre de personnes puisque des conversions se sont opérées en grand nombre[6].  Cependant, aucun chef traditionnel ou  aucune autorité coutumière n’a accepté la conversion. Selon Kouassi, la conversion d’un chef ou d’un membre de sa famille est  passible de sanctions très graves. Ce dernier subit soit, la peine de mort, soit le bannissement  du village, il est  maudit à jamais. Ainsi donc, certaines personnes préfèrent rester à la maison afin de ne pas être tentée par l’effet de conversion. D’autres se sont livrés à des actes de vandalisme pour empêcher la propagation de l’évangile. En effet, lors des rassemblements du dimanche, des villageois en accord avec certaines autorités coutumières, font sortir des masques sacrés interdits aux femmes pour perturber les messes (Kouamé 271). Il s’agit du masque Gbosso, très réputé dans cette localité, car non seulement il est interdit aux non-initiés hommes mais aussi et surtout aux les femmes à cause de ses pouvoirs mystiques. Toutes sortes de persécutions ont été employées pour décourager les missionnaires, mais malgré tout, les missionnaires ont persévéré dans l’œuvre. Ce qui les poussa à organiser un autre type d’évangélisation porte à porte.

L’évangélisation porte à porte n’avait pas grande différence avec les actions des premiers missionnaires. Cependant, pour cette autre méthode, une équipe dynamique a été constituée. Elle est composée de premiers missionnaires et de premiers paroissiens. Avant d’aller sur le terrain, les missionnaires ont initié des séances de formation relatives à la connaissance de la bible et aux techniques d’évangélisation sans oublier les cours d’alphabétisation. Cette méthode a obligé les missionnaires à apprendre la langue vernaculaire, le Baoulé-satiklan. A cet effet, le Père Michel Conver a traduit en 1980 une partie de la bible ainsi que des recueils de chants en baoulé. Il en a fait plusieurs exemplaires  qu’il a distribué à la population. Cette traduction d’une partie de la bible en baoulé est suivie de l’enseignement du syllabaire baoulé aux premiers paroissiens chargés de l’évangélisation. Aussi, des dons en nature ont-ils été réunis pour ces séances de porte à porte. Ces dons leur ont permis d’avoir accès aux différents membres des différentes familles. Ce corps à corps, avec la même langue baoulé-satiklan  parlée par l’homme blanc, et les dons offerts aux différentes familles ont connu du succès dans la mesure où bon nombre de personnes se sont convertis au christianisme. Aussi, le succès de ces séances d’évangélisation a-t-il été rendu possible grâce à l’administration catholique et à la Paroisse Notre Dame de la Paix de Béoumi.

1.3. Les actions posées par l’administration catholique

Les actions de l’administration catholique se résument au financement des activités des premiers missionnaires et en la diplomatie. La preuve, en 1970, les premiers candidats au baptême de la Paroisse Saint Gabriel de Botro sont  baptisés dans la Paroisse de Béoumi. Ce sont  donc ces deux entités administratives  qui ont joué un rôle déterminant  dans le financement des œuvres missionnaires à Botro. Ces financements ont permis l’achat des sacs de riz, de sels, du savon qui ont servi de dons pour accompagner les œuvres missionnaires. A ces dons se sont ajoutés d’autres droits versés aux autorités villageoises (Carteron 3). Ce sont des sommes d’argent versées aux autorités villageoises dans le but de les convaincre afin d’avoir accès à certaines localités dites stratégiques.

En outre, l’administration catholique a mis à la disposition des missionnaires des vêtements, des chaussures, etc. pour les familles démunies (Dhumeau 18).  Concernant la diplomatie, l’administration catholique de Bouaké et de Béoumi ont joué un rôle de médiation. Ce rôle a consisté à acheminer les besoins relatifs aux champs missionnaires jusqu’au Vatican par le biais de la base se trouvant à Abidjan. Ces besoins se résument en des ressources humaines et ecclésiastiques.

 En effet, l’affectation des prêtres se fait selon les spécificités liées aux champs missionnaires ainsi que les vocations qui caractérisèrent chaque prêtre. C’est-à-dire qu’il y a des prêtres missionnaires, des prêtres évangélistes, et des prêtres qui exercent non seulement dans l’enseignement de la parole de Dieu, mais aussi et surtout dans l’éducation (Trichet 198). Aussi, des prêtres ont- ils une maitrise parfaite des métiers tels que la maçonnerie, la menuiserie, etc. (Cartéron 41). Cette maitrise des métiers a permis aux missionnaires de construire eux – mêmes la paroisse de Botro. Ils ont bénéficié de la part de l’administration catholique, du matériel de construction[7]. Sur le plan ecclésiastique, l’administration catholique s’est investie dans la formation des prêtres selon les réalités que vivent les champs missionnaires [8]

2. L’organisation et le fonctionnement de la Paroisse Saint Gabriel de Botro

Pour être efficace dans l’œuvre, la paroisse a mis en place une organisation adéquate qui lui a permis de fonctionner normalement afin d’atteindre les objectifs qu’elle s’est assignée. Cela lui a permis de mettre en place des structures qui ont fait de la paroisse l’une des paroisses les plus influentes de la région.

2.1. L’organisation de la Paroisse Saint Gabriel de Botro

2.1.1. Le bureau ecclésiastique

C’est  un bureau dont les postes de responsabilité sont  occupés par les anciens de la Paroisse. Il comprenait plusieurs entités. C’est  un bureau hiérarchisé à la tête duquel  se trouvait le Curé.  Il est assisté d’un vicaire. Vient, ensuite,  le bureau du Conseil paroissial. Il se compose de 12 membres. Il se réunit de façon hebdomadaire, c’est-à-dire tous les vendredis soirs de 18 heures à 20 heures. Tous les membres du bureau paroissial sont  des leaders des différents groupes d’activités de la Paroisse. Le Bureau paroissial est présidé par le Curé secondé par un laïc. Depuis 2012, le Curé de la Paroisse de Botro est secondé par Ouattara Simone. Aussi faut-il ajouter à cette organisation, la commission des affaires économiques. Selon Messou[9], cette commission est chargée des affaires d’ordre économique. Elle est présidée par le Curé et se réunit une fois par semaine ou en session extraordinaire. Enfin, il y a la communauté ecclésiastique de base. Il s’agit des regroupements de fidèles catholiques en cellule de prière dans des villages ou des quartiers. Chaque cellule est  dirigée par un ancien, désigné comme responsable de communauté ecclésiastique de base en abrégé C.E.B[10]. Il faut retenir que depuis 1969 jusqu’en 2020, huit prêtres se sont succédés à la tête de la paroisse. Le tableau ci-dessous montre la liste des prêtres depuis la création de la Paroisse Saint Gabriel de Botro.

Tableau : Les prêtres de la Paroisse Saint Gabriel de Botro de 1969 à 2020[11]

OrdreNom et PrénomsAnnée d’exerciceVocationNationalité
1erPère Michel Conver    1969 – 1987MissionnaireFrançaise
2èmePère Louis Roland1987 – 1998CharismatiqueFrançaise
3èmePère Bruno Kouassi1998 – 2001EvangélisteIvoirienne
4ème Père Germain N’guessan2001 – 2003CharismatiqueIvoirienne
5èmePère Emmanuel N’guessan2003 – 2006BâtisseurIvoirienne
6èmePère Léonard Tanoh2006 – 2008MissionnaireIvoirienne
7èmePère Modeste Éric Kouakou2008 – 2016BâtisseurIvoirienne
8èmePère Djê Salomon Kouadio2016 – 2020EvangélisteIvoirienne

2.1.2. Les associations et commissions au sein de la paroisse

Les associations  et les commissions sont  établies sous le contrôle du bureau ecclésiastique. D’abord il y a une Association des femmes catholiques (AFEC) au sein de la Paroisse Saint Gabriel de Botro. Selon, Ouattara[12], cette association a pour objectif de rassembler toutes les femmes de la paroisse afin de les former pour l’évangélisation. Depuis 2015, cette association est présidée par Bla Amoin Thrèse. Il y a  ensuite, l’association dénommée Jeunesse Estudiantine Catholique de Botro (JECB). Elle a pour mission de rassembler les jeunes paroissiens pour les actions concrètes relatives à la propagation de l’évangile. Elle est présidée par Kokoun Ghislain, un élève de terminale au lycée moderne de Botro pendant l’année scolaire 2019-2020. Enfin, il y a  la Commission Saints Enfants, (CSE). Cette Commission présente deux entités. Les enfants de chœur et les enfants de chœur vaillant âme vaillante, (CVAV). Les enfants de chœur aident le père pendant la célébration de la messe et ils portent souvent les sacrements et le sac de celui-ci. Les enfants de chœur vaillant âme vaillante sont un noyau d’enfants soumis à une formation biblique. Ceux –ci sont parfois sélectionnés pour donner des cours bibliques aux catéchistes.

2.2. Le fonctionnent de la Paroisse Saint Gabriel de Botro

2.2.1. La formation sur les doctrines catholiques

Après son implantation, la paroisse met d’abord l’accent sur la formation des fidèles. Cette formation  concernait deux institutions : la catéchèse et l’école primaire catholique. La catéchèse est créée  en 1971. Le premier formateur fut le père Michel Conver. Cette formation vise à faire connaitre la doctrine catholique aux paroissiens, à les initier aux doctrines catholiques et à accroitre leur foi. Initialement prévu pour les enfants, cette formation touche toutes les catégories, à savoir les personnes âgées, les adultes et les enfants[13]. La formation a lieu tous les vendredis à partir de dix-huit heures.

 A ces doctrines, s’ajoute l’importance du sacrement qui est enseignée au sein de la catéchèse. Quant à l’école primaire, elle permet d’élargir le champ du projet catholique. Toutes les communautés de différents bords religieux sont regroupées au sein de l’école. Celles-ci  se plient aux exigences de l’école, qu’est la prière du matin avant le démarrage des cours, à midi et le soir. A tour de rôle, chaque élève est  obligé de conduire la prière selon l’enseignement qu’il reçoit. A cet effet, il est impératif pour chaque élève de connaitre les doctrines, la prière et les enseignements catholiques. Aussi, tous les enseignants dudit établissement sont-ils des membres de la mission catholique[14].

2.2.2. Des campagnes de sensibilisation et des séances de vaccination

Après son implantation, la paroisse s’est engagée dans plusieurs actions à caractère social. La première action menée fut la lutte contre les feux de brousse. À partir de l’an 2000, le père Bruno Kouassi a mené  avec la participation des paroissiens, une campagne de sensibilisation contre les feux de brousse. Ce phénomène récurrent à Botro, créait parfois des dégâts énormes. On peut citer, entre autres, des dégâts matériels importants, des pertes en vies humaines et la destruction des cultures vivrières et industrielles telles que les champs d’igname et d’anacardiers[15]. En 1999, le village nommé Tionankro, village situé à dix kilomètres de Botro sur l’axe Botro-Dabakala a été quasiment détruit par les feux de brousse. À cela s’ajoute la disparition des espèces végétales et animales. Cette campagne a eu le soutien des autorités coutumières, du cantonnement des eaux et forêts, de la gendarmerie, de la mairie et de   la sous-préfecture.

La deuxième action menée dans le domaine de la sensibilisation, est la lutte contre l’excision. En  2006, le père Léonard Tanoh a mené une campagne de lutte contre l’excision dans le département de Botro. Cette initiative  a eu également le soutien des autorités coutumières et administratives.

La troisième action concerne des campagnes de vaccination initiées par la paroisse. Chaque année, la paroisse lance une campagne de vaccination des enfants qu’ils soient paroissiens ou non. Toutes ces actions menées ont été salutaires dans l’évolution de la paroisse. Ce qui a occasionné un rayonnement de la paroisse dans la région de Gbêkê et plus précisément dans l’Espace -Nord du Baoulé[16].

3. Le rayonnement de la Paroisse Saint Gabriel de Botro

L’organisation mise en place a favorisé le fonctionnement efficace de la paroisse. Les actions menées ont contribué au rayonnement social et culturel de cette paroisse.

3.1. L’Influence sociale de la Paroisse    

L’influence sociale est  l’un des points forts de la Paroisse Saint Gabriel de Botro. En effet, pour joindre l’acte à la parole, la paroisse met l’accent sur les œuvres à caractère social. Ces œuvres s’inscrivent dans le domaine de l’éducation, de la construction de vingt – quatre magasins mis en location. L’école primaire catholique est construite dans l’enceinte de la paroisse depuis 2002. C’est une école de six classes qui contribue non seulement à l’éducation des apprenants mais aussi et surtout à financer les activités de la paroisse. Les magasins sont  mis à la disposition de la population moyennant un montant en guise de frais de location.  Les frais de location permettent à la paroisse de disposer de fonds nécessaires pour pallier aux difficultés financières[17]. Ces œuvres à caractère social ont poussé  les autorités villageoises et administratives à renouer avec la paroisse. Ainsi, en 2017, le Père Djê Salomon Kouadio, huitième Curé en exercice à la tête de la Paroisse a reçu un titre honorifique faisant de lui un acteur de développement dans le département de Botro[18]. Aussi, l’implantation de la paroisse a t-elle consolidé les liens. Désormais, les paroissiens vivent en parfaite harmonie. Ils expérimentent la communion fraternelle qui leur permet de partager les peines et les joies  ensemble. Quand il y a le décès d’un paroissien ou d’un membre de sa famille, des funérailles dignes accompagnées de prière sont organisées par la paroisse.  La paroisse fait également partie des organes de prise décision. En effet, Elle est parfois consultée par le chef canton Toto Kra III  avant de rendre les verdicts qui relèvent de son autorité [19].  Il faut noter que c’est sous le règne de Toto Kra III que les responsables de la paroisse sont sollicités dans les prises de décision. C’est d’ailleurs cette collaboration  qui a permis à la paroisse de pouvoir mener des campagnes de lutte contre certaines pratiques telles que l’excision et les feux de brousse[20].

3.2. L’influence culturelle de la paroisse Saint Gabriel de Botro

 Grâce à l’implantation de la Paroisse Saint Gabriel de Botro, des mutations sur le plan culturel se sont opérées. En effet, l’excision qui constituait une étape obligatoire à franchir  pour la jeune fille, devient taboue. Toutes les familles y compris les non chrétiennes ont accepté d’abandonner cette pratique dévastatrice. Désormais  les jeunes filles peuvent  se marier sans contrainte. Aussi des noms chrétien sont – ils  attribués aux enfants en plus des noms africains qui existent. Les actes de banditisme et de délinquance ont diminué au profit des comportements dignes et responsables. La plupart des interdits et totems ont été abandonnés. Avant l’avènement du christianisme, certaines cultures telles que la culture de l’arachide n’étaient pas cultivées dans la région. Mais avec l’avènement de la religion, l’ordre fut donné par le chef canton Toto Kra III de cultiver ces cultures à cause de la collaboration qui existe désormais entre les chrétiens et lui[21]. Désormais les personnes converties consomment sans crainte les aliments ou viande.

Selon Kouassi Blé, les premiers paroissiens étaient caractérisés par une foi inébranlable, ce qui a permis à la paroisse de vaincre toutes sortes de persécutions[22]. Le calendrier traditionnel n’est plus respecté. Dans les villages baoulé, il y a des jours qui sont décrétés comme jours fériés. Dans la semaine deux ou trois jours peuvent être décrétés. Le plus souvent, ces jours sont le lundi, le mercredi et le vendredi. Aucune activité champêtre n’est exécutée. Tout contrevenant doit obligatoirement faire des sacrifices pour apaiser la colère des dieux. Aussi les danses traditionnelles telles que le Do, le Adjanou et le Allangba, ne font plus l’unanimité de tous, car beaucoup d’adeptes en majorité les femmes devenus chrétiennes ont démissionné de leur poste de responsabilité au profit du christianisme. Le christianisme valorise enfin le mariage monogamique au détriment de la polygamie[23].

Conclusion

Au terme de cette étude, il convient de retenir que l’implantation de la Paroisse Saint Gabriel de Botro est l’œuvre des premiers missionnaires. Après le succès des missions catholiques à Bouaké, les missionnaires décident  d’étendre leurs actions dans tout l’Espace – Nord du Baoulé. L’implantation de la Paroisse Saint Gabriel de Botro s’inscrit dans ce contexte. Plusieurs méthodes ont été utilisées dans l’implantation de cette paroisse. Ces méthodes se sont avérées  payantes puisque des conversions ont eu lieu. Dans l’exercice de leur ministère, les missionnaires ont bénéficié du soutien de l’administration catholique ; ce qui leur a permis d’intervenir dans tous les domaines qui touchent la sensibilité de la population ciblée. Malgré ces conversions et l’implantation de la paroisse, la tâche n’a pas été facile. Des persécutions ont été enregistrées. Mais pour réussir cette mission, les missionnaires ont usé de stratégies pour se fondre dans la société ; ces stratégies se sont avérées payantes puisqu’elles ont abouti à la collaboration avec les responsables coutumiers. La paroisse ainsi implantée, plusieurs mutations se sont opérées dans la société, et plus précisément dans la vie des nouveaux convertis. Ces changements ont eu  de l’influence sur la population de Botro en général et sur la vie des nouveaux convertis en particulier.

Sources et travaux cités

Sources orales

Nom et prénomsAgesIdentitéDate de l’enquêteThème de l’enquête
Kouassi Blé Joseph65 ansPremier fidèle de la paroisse saint Gabriel de Botro depuis 196914/11/2020L’implantation de la paroisse Saint Gabriel de Botro
Messou Koffi Jules César33 ansSecrétaire de la paroisse depuis 201014/11/2020Evolution et organisation de la paroisse Saint Gabriel de Botro
Messou Olivier33 ansPremier responsable du patrimoine de la paroisse Saint Gabriel de Botro15/11/2020Relations entre la communauté et les premiers missionnaires
Ouattara Simone45 ansVice – présidente du bureau paroissial.15/11/2020Organisation de la paroisse Saint Gabriel de Botro
Père Gnamien Julien47 ansActuel Prêtre de la paroisse Saint Gabriel de Botro14/11/2020Fonctionnement de la paroisse
Souaga Patricia42 ansAncienne secrétaire de la paroisse Saint Gabriel de Botro14/11/2020Rôle de l’administration catholique dans les actions des premiers missionnaires
Toto Kra II73 ansChef canton de Botro15/11/2020Définition de Botro et apport de l’église dans la résolution des crises.

Source électronique

https://rezoivoire.net/ivoire/villes-villages/1897/botro.html#.YW3t7yjMfIU consulté le lundi 18 octobre 2021 à 22 h 10 minutes à Bouaké

Travaux cités

Carteron, Mihel. Eglise de Bouaké : Commencement, Bouaké, 1995.

Dhumeau, Jean. L’Eglise catholique à Bouaké 1925 – 1975, Bouaké, 1975

Kouame, N’guessan Bernard. Les mutations socioéconomiques dans le baoulé – nord de 1850 à 1973, thèse de doctorat unique d’histoire contemporaine, Université Alassane Ouattara (Bouaké – côte d’Ivoire), 2015.

Trichet, Pierre. Côte d’Ivoire : Les premiers pas d’une église, tome 3 : 1940 – 1960, Abidjan, La Nouvelle, 1994.

Koffi, Kouamé Mélesse. la chefferie de Satiklan à l’épreuve des changements socio-politiques en côte d’ivoire, de 1850 à 1982, thèse de doctorat unique d’histoire contemporaine, Université Alassane Ouattara (Bouaké – côte d’Ivoire), 2020.

Comment citer cet article :

MLA : Kouamé, N’guessan Bernard. « Histoire de la paroisse Saint Gabriel de Botro de 1969 à 2020. » Uirtus 1.2. (décembre 2021): 528-542.


§ Université Alassane Ouattara / [email protected]

[1] Il fut le premier missionnaire de la Paroisse Saint Gabriel de Botro. Il résidait à Bouaké à la Cathédrale Saint Thérèse de l’Enfant Jésus en 1964. Il faisait partie de la Société des Missions Africaines (SMA).

[2] Kouassi Blé Joseph, fidèle de la paroisse depuis 1969, entretien réalisé le 14  novembre 2020  chez lui à domicile à Botro.

[3] Kouassi Blé Joseph, fidèle de la paroisse depuis 1969, entretien réalisé le 14  novembre 2020  chez lui à domicile à Botro.

[4] Messou Koffi Jules César, secrétaire de la paroisse depuis 2010, entretien réalisé le 14 novembre 2020 à Botro au sein de la paroisse. Il est le secrétaire de cette paroisse depuis 2010.

[5] Souaga Patricia, ancienne secrétaire de la paroisse, entretien réalisé le 15 novembre 2020 à Botro au sein de la paroisse.

[6] Kouassi Blé Joseph, fidèle de la paroisse depuis 1969, entretien réalisé le 14  novembre 2020  chez lui à domicile à Botro.

[7] Messou Koffi Jules César, secrétaire de la paroisse depuis 2010, entretien réalisé le 14 novembre 2020 à Botro au sein de la paroisse. Il est le secrétaire de cette paroisse depuis 2010.

[8] Gnamien Julien, actuel prêtre en exercice de la paroisse, entretien réalisé le 15 novembre 2020 à Botro au sein de la paroisse.

[9] Messou Koffi Jules César, secrétaire de la paroisse depuis 2010, entretien réalisé le 14 novembre 2020 à Botro au sein de la paroisse. Il est le secrétaire de cette paroisse depuis 2010.

[10]Gnamien Julien, actuel prêtre en exercice de la paroisse, entretien réalisé le 15 novembre 2020 à Botro.

[11] Gnamien julien, actuel prêtre en exercice de la paroisse, entretien réalisé le 15 novembre 2020  à Botro.

[12] Ouattara Simone,  vice – présidente du bureau paroissial et secrétaire du maire de Botro, entretien réalisé le 15 novembre 2020 à Botro au sein de la paroisse.

[13] Gnamien Julien, actuel prêtre en exercice de Botro, entretien réalisé le 15 novembre 2020 à Botro.

[14] Kouassi Blé Joseph, fidèle de la paroisse depuis 1969,  entretien réalisé le 14  novembre 2020  chez lui à domicile à Botro.

[15] Messou Koffi Jules César, secrétaire de la paroisse depuis 2010, entretien réalisé le 14 novembre 2020 à Botro au sein de la paroisse.

[16] Messou Koffi Jules César, secrétaire de la paroisse depuis 2010, entretien réalisé le 14 novembre 2020 à Botro au sein de la paroisse.

[17] Messou Olivier, premier responsable du patrimoine de la paroisse, entretien réalisé le 15 novembre 2020 à Botro.

[18] Gnamien Julien, actuel prêtre en exercice de la paroisse, entretien réalisé le 15 novembre 2020 à Botro au sein de la paroisse.

[19] Kouassi Blé Joseph, fidèle de la paroisse depuis 1969, entretien réalisé le 14  novembre 2020  chez lui à domicile à Botro.

[20] Toto Kra III, actuel chef canton de Botro, entretien réalisé le 15 novembre 2020 à Botro.

[21] Toto Kra III, actuel chef canton de Botro, entretien réalisé le 15 novembre 2020 à Botro dans la cour royale

[22] Kouassi Blé Joseph, fidèle de la paroisse depuis 1969, entretien réalisé le 14  novembre 2020  chez lui à domicile à Botro.

[23] Messou Olivier, premier responsable du patrimoine de la paroisse, entretien réalisé le 15 novembre 2020 à Botro.

Abstract (Le rôle des industries culturelles et créatives dans la gestion des frontières régionales et la mobilité transfrontalière en Afrique de l’Ouest : cas du Nollywood du Nigéria)

Nollywood’s economic clout has been recognized for more
than a decade. In 2013, Colleyn (2013: 2) said: « the nigerian video industry
now accounts for $290 million annually and some 300,000 people live

from it: Since 2005, Nollywood has become the world’s third-largest film
production center, after Hollywood and Bollywood. This article aims to
elucidate, on the basis of Nollywood, the impact of the film industry on
the Nigerian-Beninese border. And to achieve this goal, a sample of thirty
(30) informants is made up of ten (10) cinema professionals, ten (10)
cinephiles, ten (10) specialists in development, crisis management related
to the mobility of people and goods, based on the techniques and tools
that are: literature search (reading sheet), direct observation (observation
grid) and interviews (interview guide). Thus, of a qualitative nature, this
research was based on the interactionist analysis model of E. Goffman
(1968) and combined with the strategic analysis theory of M. Crozier and
E. Friedberg (1977) to analyze the different results obtained. Data
processing and retrieval techniques are processed manually and analyzed
by the thematic content analysis method. Overall, the results show that
Nollywood is one of the most widely used means to provide effective
solutions to problems related to mobility and cross-border crisis
management between Benin and Nigeria.
Keywords: Cultural and creative industries, Cross-border mobility,
security, Nollywood