Recherche pour :
Résumé (Opinions et attitudes des populations abidjanaises face à la vaccination contre la Covid-19)

Georges Gaulithy§

Résumé : La pandémie de la Covid-19 a fait de nombreuses victimes dans le monde entier. La découverte de différents vaccins a suscité une lueur d’espoir dans cette bataille contre cette maladie. Toutefois, malgré la disponibilité des vaccins, les populations ivoiriennes ne se sont pas fortement mobilisées pour se faire vacciner. Pourquoi une telle réaction de la part de celles-ci ? L’objectif de cette étude est d’analyser et expliquer les opinions et attitudes des populations abidjanaises à l’égard de la vaccination contre la COVID-19. L’étude documentaire associée à un questionnaire et des entretiens semi-dirigés ont constitué les techniques de recueil de données de cette étude. Une approche mixte (quantitative et qualitative) a été privilégiée pour l’analyse de ces données. Les résultats indiquent une influence des réseaux sociaux et des communications interpersonnelles sur les opinions et attitudes des populations dans la non adoption des vaccins contre la Covid-19.    

Mots-clés : Opinions et attitudes, vaccination, populations abidjanaises, COVID-19, résistance.

 

Abstract: The Covid-19 pandemic has claimed many lives around the world. The discovery of different vaccines has sparked hope in the battle against this disease. However, despite the availability of vaccines, the Ivorian populations did not strongly mobilize to be vaccinated. Why such a reaction from them? The objective of this study is to analyze and explain the opinions and attitudes of the Abidjan populations with regard to vaccination against COVID-19. The documentary study associated with a questionnaire and semi-structured interviews constituted the data collection techniques for this study. A mixed approach (quantitative and qualitative) was favored for the analysis of these data. The results indicate an influence of social networks and interpersonal communications on the opinions and attitudes of populations in the non-adoption of vaccines against Covid-19.

Keywords: Opinions and Attitudes, Vaccination, Abidjan Populations, COVID-19, Resistance.

 

Introduction

Les concepts d’opinions et d’attitudes ont été abondamment définis, surtout par la psychologie sociale. En effet, l’opinion est un point de vue, une position intellectuelle, une idée ou un ensemble d’idées que l’on a dans un domaine déterminé (Grand Robert de la Langue Française). En outre, il est un jugement que l’on porte sur un individu, un être vivant, un fait, un objet, un phénomène… Dans le cas de notre étude, c’est le jugement que porte les populations abidjanaises sur le phénomène de la vaccination contre la Covid-19.

Par ailleurs, la définition de Rosenberg et Hovland (1-44) sur les attitudes prend en compte trois dimensions qui constituent des composantes. Une composante affective (émotions positives ou négatives, favorable ou défavorable à l’égard de l’objet attitudinal), une composante cognitive (connaissances et croyances présentes et passées concernant l’objet) et une composante conative (comportements passés et présents de l’individu face à cet objet et à ses intentions comportementales (futur)). Certes, l’attitude est un ensemble de prédispositions qui permettent à un individu de réagir favorablement ou défavorablement en présence d’un objet. Elle est surtout interne à l’individu. De ce fait, pour nous, c’est surtout un état d’esprit, une intention et n’est donc pas directement observable. Ici, il s’agit d’analyser l’intention à agir des populations abidjanaises face à la vaccination. Après avoir défini ces concepts, quel est le point des travaux scientifiques sur la question des opinions et attitudes face à la vaccination contre la Covid-19 dans le monde en général et en Côte d’Ivoire en particulier ?    

Dans le cadre de la lutte contre la pandémie de la Covid-19, les grandes puissances économiques et scientifiques ont dégagé d’importants moyens financiers afin que des recherches puissent être menées ou accélérées afin d’aboutir à la découverte de vaccins. Conformément au protocole en matière de recherche vaccinale, il a fallu recourir aux essais cliniques. C’est ainsi que Detoc et al. (7003-7005), dans le cadre de leurs travaux, ont pu déterminer que 48% des personnes de leur échantillon d’enquête (3259 personnes) seraient disposées à participer aux essais cliniques dans le cadre de l’élaboration d’un vaccin contre la Covid-19 en France, tandis que 75% seraient favorables à la vaccination contre ce virus. Cette intention vaccinale contre la Covid-19 concerne les personnels de la santé, acteurs de premières lignes dans cette lutte. Aussi, pour Dereje et al. (8-10), à Addis-Abeba, près de la moitié (46,7%) des participants à leur enquête présentaient un faible niveau de connaissances sur la Covid-19 ce qui induisait une attitude négative envers elle (Covid-19) et ses mesures préventives. De telle sorte qu’une personne sur cinq, parmi les interviewées, n’envisageait pas se faire vacciner contre la Covid-19. A contrario, des niveaux de connaissances élevées sur la Covid-19 et les vaccins développés pour lutter contre elle, favorisent une intention vaccinale beaucoup plus importante comme le soulignent les travaux d’Al-Qerem et Jarab (632914).

En outre, le niveau de connaissance influence voire détermine la confiance ou non dans le vaccin. Évaluant le niveau de confiance que les populations ont dans les vaccins en général, De Figueiredo et al. (900-906) ont comparé ce niveau dans 149 pays du monde entre 2015 et 2019. À cet effet, six pays se distinguent par le désaccord de leur population face à l’innocuité des vaccins (Afghanistan, Azerbaïdjan, Indonésie, Nigéria, Pakistan et la Serbie). De même, la confiance du public placée dans les sources d’information (institutionnelle) influence leur volonté de se faire vacciner comme le souligne les travaux de De Freitas et al. (100051). Qu’en est-il de cette confiance, surtout lorsque ces sources d’informations émanent d’autres sources non institutionnelles ? C’est le cas des médias sociaux qui, globalement, impactent négativement la volonté des personnes de se faire vacciner. Ce refus vaccinal suscité par les informations en provenance des médias sociaux est révélé par les travaux de Lyu et al. (8-12), Luo et al. (101712), ainsi que ceux de Manby et al. (5-9). Cette désinformation et ses conséquences sont mis en avant par Roozenbeek et al. (201199). La désinformation, aussi brève soit elle, peut s’ancrer dans la mémoire à long terme selon Zhu et al. (303-306).          

Au-delà de l’impact globalement négatif des médias sociaux sur l’adoption de la vaccination contre la Covid-19, la question des croyances influence l’adoption ou non de la vaccination. En effet, cette question des effets des croyances sur la non adoption de la pratique vaccinale est ancienne. Chongwang montre les croyances qui sous-tendent le refus de faire la vaccination dans certaines régions du Cameroun. Ainsi, les contraintes culturelles, les légendes urbaines et la désinformation alimentent ces croyances contre les vaccins de façon générale. Cette conception est partagée par De Figueiredo et al. (900-906) qui ont perçu un lien entre les croyances religieuses des individus et leurs attitudes hostiles vis-à-vis des vaccins. Fridman et al. (e0250123) pensent pour leurs parts que la perception du risque et le comportement (attitudes moins favorables à l’égard d’une vaccination contre la Covid-19) sont en lien avec la perception du fait que le virus est moins dangereux qu’on ne le fait croire. Cette perception rejoint celle de Sallam et al. (42). Toutefois, ces croyances n’ont pas qu’un impact négatif sur l’adoption de la vaccination. Ainsi, Sherman et al. (1615-1618) pensent que l’intention de se faire vacciner est associée à des croyances et attitudes générales plus positives sur la vaccination contre la Covid-19.

En Côte d’Ivoire, les premières doses de vaccins ont été inoculées le 01 mars 2021. Cependant, il faut indiquer que le nombre de personnes contaminées était de 32791, dont 193 morts et 31712 guéries à ladite date selon les chiffres communiqués par le Ministère de la santé et de l’Hygiène publique. Pour lutter contre cette pandémie, les autorités étatiques avaient pris, dès le 24 mars 2020, un certain nombre de mesures visant à protéger les populations et à éviter la propagation de cette maladie. À cet effet, des mesures classiques telles que le lavage régulier des mains, le port du masque facial, la distanciation physique ont été édictées à l’endroit des populations. Aussi, au titre des mesures exceptionnelles, l’état d’urgence a-t-il été décrété par le chef de l’Etat dès l’apparition des premiers cas dans le pays. De même, la fermeture des frontières aériennes et terrestres, des établissements scolaires et universitaires, des lieux de loisirs et de culte, l’instauration d’un couvre-feu, l’interdiction des déplacements non autorisés entre le district d’Abidjan et les villes de l’intérieur du pays, la limitation à un seuil fixé du nombre de personnes autorisées à être dans une même salle s’ajoutent à l’état d’urgence. Ces mesures ont été diversement reçues par les populations. Elles ont essayé tant bien que mal de s’y conformer souvent sous le regard coercitif des forces de sécurité publique chargées de veiller au respect desdites mesures. Cependant, dans un pays où une partie de la population est pauvre[1] et se retrouve à exercer quotidiennement de petits métiers pour vivre, il semble difficile qu’elle puisse respecter scrupuleusement toutes ces mesures barrières. Aussi, la découverte des vaccins a suscité de nombreux espoirs à travers le monde. L’accès à ces vaccins, comme dans de nombreux pays du Tiers monde, surtout africains, est tributaire de certaines initiatives (COVAX[2], AVAT[3]…) et dons de pays développés. Toutefois, leurs usages suscitent des interrogations. En effet, les nombreux appels du gouvernement ivoirien aux populations, à aller se faire vacciner, semblent indiquer une certaine méfiance voire réticence de celles-ci vis-à-vis desdits vaccins (N’Guessan, Kaglan). Les cibles prioritaires que sont les personnels du corps de la santé, de l’enseignement et des forces de sécurité publique ne se sont pas bousculés pour se faire vacciner, à telle enseigne que le gouvernement l’a rapidement élargi à toute la population. Ces données statistiques obtenues, à la date du 21/11/2021, indiquent qu’en Côte d’Ivoire, 1,18 millions de personnes sont complètement vaccinées soit 4,5% de la population (ONU Info). Le chef de l’Etat a mentionné, lors de sa traditionnelle adresse à la nation en date du 31/12/2021, qu’à ce jour, environ 7 millions de doses de vaccins avaient été administrées sur un total d’environ 15 millions de doses disponibles. Dès lors, quelles sont les opinions et attitudes des populations abidjanaises face à la vaccination contre la Covid-19 ? Quelles sont les logiques et les rationalités qui sous-tendent de tels comportements au sein des populations ? Pourquoi une telle “résistance” face à la vaccination ?

Cette étude vise à expliquer les opinions et attitudes des populations abidjanaises à l’égard de la vaccination contre la COVID-19. Nous émettons l’hypothèse que l’influence des médias sociaux combinée à la communication interpersonnelle négative à l’endroit de la vaccination est un obstacle à une acceptation et une vaccination massive des populations contre la Covid-19. Cette étude repose sur les théories de la diffusion de Rogers (221-232) et le modèle séquentiel du comportement d’autoprotection de Dejoy (6-15). La première théorie part du principe que les personnes en relations s’influencent mutuellement quand vient le temps d’adopter une innovation. Dans ce cas présent, cette communication négative faite autour du vaccin contre la Covid-19 va influencer les attitudes de certains abonnés de ces réseaux sociaux qui finiront par ne pas adopter la vaccination. La seconde théorie repose sur un modèle qui servait à l’origine à la prévention des accidents du travail, basé sur quatre étapes : l’appréciation du danger, la prise de décision, l’initiation d’une action et l’adhérence (adoption) à un comportement de sécurité. Dès lors que la situation n’est pas perçue comme une menace sérieuse, l’individu ne prend pas de mesure de protection. Ici, si le virus de la Covid-19 n’est pas perçu comme une menace pour leur vie, les populations ne percevraient pas, par conséquent, l’intérêt de se faire vacciner contre la Covid-19.   

Nous allons, d’abord, évaluer les connaissances des populations abidjanaises sur la COVID-19 et la vaccination à travers un questionnaire. Ensuite, nous nous efforcerons de présenter leurs opinions et attitudes vis-à-vis de la vaccination. Enfin, nous analyserons les facteurs explicatifs de cette réticence à se faire vacciner contre la Covid-19.

 

  1. Méthodologie

1.1. Terrain d’étude, population et échantillon

Deux (02) communes du district d’Abidjan (Yopougon et Cocody) ont constitué les sites où se sont déroulés nos travaux. Le choix de ces communes d’Abidjan se justifie par le fait que la commune de Yopougon est une cité dortoir densément peuplée. La dernière est une commune résidentielle où l’on retrouve de nombreux habitants de la classe moyenne, les résidences des principales représentations diplomatiques ainsi que l’élite politique et administrative du pays.

 En outre, c’est la méthode d’échantillonnage non aléatoire notamment l’échantillon de commodité que nous avons choisi parce que nous ne disposions pas de base de données exacte concernant cette population et aussi parce que ces personnes étaient facilement atteignables et disposées à participer à l’enquête. Toutefois, dans un souci de représentativité, nous avons reparti les répondants dans tous les sous quartiers de ces quartiers cités. Aussi, avec l’échantillonnage non probabiliste, le chercheur n’a aucun moyen de calculer dans quelle mesure son échantillon représente la population dans son ensemble. Dans le cas de notre étude, l’échantillon de la population enquêtée porte sur 85 personnes (50 habitants pour la commune de Yopougon (quartier de Niangon Sud à Gauche) et 35 habitants pour la commune de Cocody (quartier de Blockhauss)), ce, en prenant en compte la taille de la population de chacune de ces deux communes. La taille de l’échantillon a été déterminée en fonction de certaines contraintes financières et de temps. 

1.2. Techniques de recueil des données

Il nous a paru opportun dans le cadre de cette recherche de retenir l’étude documentaire et l’enquête-interrogation comme les principales techniques de recueil des données. Ainsi, pour ce qui concerne l’étude documentaire, nous avons eu recours à toutes les sources d’information (presse écrite et en ligne, les réseaux sociaux, les sites officiels du gouvernement ivoirien et des organismes onusiens, les ouvrages et articles scientifiques). A travers cette documentation diversifiée, nous avons voulu avoir le maximum d’informations sur le sujet. Que celles-ci soient officielles ou non, qu’elles émanent des internautes ou des journalistes, qu’elles soient le résultat de recherches scientifiques. En outre, nous avons collecté toutes les statistiques qui nous semblaient utiles pour mieux expliquer le sujet. Quant à l’enquête-interrogation, elle a consisté à administrer un questionnaire qui visait principalement à évaluer leurs connaissances de la maladie et de la vaccination. Aussi, avons-nous eu recours à des entretiens semi-dirigés axés sur leurs opinions et attitudes à l’égard de la maladie à coronavirus et la vaccination contre la Covid-19. En outre, au niveau de l’analyse des données, nous avons retenu l’analyse quantitative à travers l’usage des statistiques descriptives pour présenter de façon chiffrée les informations contenues dans les données recueillies auprès des enquêtés. Quant à l’analyse qualitative, elle nous permettra de mettre l’accent sur le discours des enquêtés. Ces discours devraient nous aider à mieux comprendre et analyser les opinions et attitudes qui en découlent et qui induisent l’acceptation ou non de la vaccination contre la Covid-19. Certaines questions utilisaient une échelle de type Likert en 5 points, allant de « tout à fait d’accord » à « tout à fait en désaccord » afin de déterminer les opinions et attitudes des participants face à la vaccination contre la Covid-19. 

  1. Résultats

Les résultats de ce travail sont articulés, d’abord, autour des connaissances des populations sur la Covid-19 et la vaccination. Ensuite, nous aborderons leurs opinions et attitudes face à la vaccination et enfin nous chercherons les facteurs sous-tendant l’adoption de ces opinions et attitudes.  

2.1. Connaissances des enquêtés sur la Covid-19 et la vaccination

Les connaissances des populations ont été évaluées à travers un questionnaire qui leur a été soumis et dont les principales réponses sont contenues dans le tableau ci-dessous.

 

Tableau 1 : Connaissances des populations sur la Covid-19 et la vaccination

Connaissances sur la Covid-19 et le vaccin

Oui

Non

Je ne sais pas

N

%

N

%

N

%

Avez-vous déjà entendu parler de la Covid-19 ?

85

100

0

0

0

0

La Covid-19 est-elle une infection mortelle ?

83

98

1

1

1

1

Est-elle mortelle pour le personnes âgées (+ de 50 ans) ?

80

94

4

5

1

1

Est-elle mortelle pour les jeunes et les enfants ?

3

4

81

95

1

1

Connaissez-vous les modes de transmission ?

84

99

0

0

1

1

Connaissez-vous les modes de prévention ?

84

99

0

0

1

1

Peut-on guérir sans traitement ?

78

92

7

8

0

0

Existe-t-il un traitement ?

0

0

85

100

0

0

Savez-vous qu’il existe un vaccin ?

85

100

0

0

0

0

La vaccination est-elle un moyen efficace pour prévenir et contrôler la maladie ?

44

52

40

47

1

1

Les vaccins sont sûrs et sans danger ?

34

40

50

59

1

1

Source : Notre enquête Septembre-Octobre 2021

Il ressort de ce tableau que les connaissances de nos enquêtés sur la Covid-19 et le vaccin développé pour y faire face sont importantes. La quasi-totalité des enquêtés connait l’existence de la maladie (100%), sait que c’est dangereux (98%), connait les modes de transmission et de prévention (99%). En outre, ces enquêtés savent tous qu’il existe un vaccin et qu’il n’existe pas de traitement (100%) contre la Covid-19. Toutefois, à peine la moitié (52%) est convaincue que ce vaccin est efficace pour prévenir la maladie, tandis que pratiquement 60% des enquêtés ne sont pas rassurés par l’innocuité de ces vaccins.

 

2.2. Sources d’information sur la maladie et la vaccination

2.2.1. Sources d’information sur la maladie

Les sources d’information de la population sur la maladie sont contenues dans le graphique suivant :

Source : Notre enquête Septembre-Octobre 2021

La lecture de ce graphique nous permet de nous apercevoir que la Télévision (35%), Internet (les réseaux sociaux) (31%) et les Communications interpersonnelles (20%) sont les principaux moyens privilégiés par nos enquêtés pour avoir accès aux informations sur la maladie à coronavirus (Covid-19). 

2.2.2 Sources d’information sur la vaccination

Les sources d’information de la population sur la maladie sont contenues dans le graphique suivant :

Source : Notre enquête Septembre-Octobre 2021

Au regard de ce diagramme à secteurs, il convient de noter que l’Internet (médias sociaux) est la première source d’information sur la vaccination contre la Covid-19 (41%), suivi par les communications interpersonnelles (26%). Ces deux sources captivent plus de 2/3 des enquêtés en leur fournissant des informations sur la vaccination. Ces sources d’information « non officielles » semblent être privilégiées au détriment des sources d’information « officielles » que sont la télévision, la presse écrite et la radio (33%). 

En somme, nous constatons que les enquêtés, que ce soit sur la maladie et la vaccination, font globalement confiance aux sources « non officielles » que sont les réseaux sociaux et la communication interpersonnelle (Pourcentage cumulé de 51% pour la maladie et 67% pour la vaccination) au détriment des « sources officielles » (Télévision, Radio et Presse écrite). Cela pourrait s’expliquer par le fait que ces « sources officielles » ne sont plus dignes de confiance car elles ne font que relayer les informations émanant des autorités politiques au pouvoir, critiquées elles aussi pour leur manque de transparence dans la communication et la gestion de nombreuses affaires. Mais au-delà, cette suspicion (manque de transparence) pèse sur de nombreux gouvernements dans le monde, et ce, dans un contexte de « village planétaire » où une communication à outrance est exercée à travers divers canaux.

 

 

 

2.3. Opinions et attitudes face à la vaccination

Les opinions et attitudes de nos enquêtés sur la vaccination sont aussi diverses que variées. Ces opinions sont plus ou moins liées aux opinions sur la maladie. Ainsi, si pour certains de nos enquêtés, leurs opinions sur la maladie à coronavirus, et précisément le virus sont conformes aux données scientifiques actuelles, il n’en pas ainsi pour de nombreux autres enquêtés. En effet, pour les premiers ce virus et très dangereux, donc il vaut mieux se conformer aux consignes des autorités sanitaires. K.K.F (65 ans), fonctionnaire à la retraite dans la commune de Yopougon témoigne : 

Moi, je pense que les informations que nous donnent nos autorités compétentes sur la Covid-19 sont exactes. Il y a des gens qui connaissent et qui font bien leur travail, quelle opinion ai-je à donner pour dire que c’est une invention des blancs pour tuer des noirs. Ceux qui parlent ainsi, ne voient-ils pas les conséquences de cette maladie sur leurs frères noirs des Caraïbes ?

Toutes ces personnes qui ont une opinion conforme aux connaissances sanitaires actuelles sont favorables à la vaccination. Ainsi, elles ont toutes une attitude positive vis-à-vis du vaccin. S.L. (38 ans) résidant à Yopougon et chauffeur auprès d’un homme d’affaires se confie :

Nous, on travaille beaucoup avec différents partenaires. Donc, quand ça commencé, on était angoissé car on pouvait rencontrer partout ce virus. Dès que les vaccins sont arrivés à Abidjan et qu’on nous a dit qu’on pouvait le faire, je n’ai pas hésité un seul instant à me faire vacciner.

C.L. (48 ans), cadre dans une banque de la place et résidant dans la commune de Cocody, ne dit pas autre chose :

Moi, je suis complètement vacciné. Le coronavirus, je le connais parce que je l’ai contracté. J’étais à deux doigts de la mort puisque j’ai été entubé, ici, au CHU de Cocody. Il faut que les gens arrêtent de plaisanter avec ce virus qui est très dangereux. Qu’ils se fassent vacciner.

Toutefois, ces opinions sont prises à revers par d’autres enquêtés qui ont d’autres opinions contraires à celles-ci. Ainsi, il n’est pas rare d’entendre lors des différents entretiens que cette maladie a peu d’effets sur les jeunes, encore plus sur les africains. Ainsi K.K.B. (22 ans), menuisier dans la commune de Yopougon affirme : « Cette affaire de coronavirus-là c’est une affaire des blancs. Ça ne peut rien contre les nous les africains. Regarde comment ça les a tués là-bas !!! Chez nous ici, ça tué combien de personnes ? Leur affaire-là (virus) n’est pas aussi dangereux que ça. ». Ce type de raisonnement est partagé par de nombreux enquêtés. P.C., (30 ans) tenancier de maquis (bistrot) à Cocody ajoute : « Le virus ne supporte pas la chaleur, surtout notre climat. Affaire de corona-là, c’est maladie des blancs et puis ça ne tue pas les plus jeunes. Ce sont les vieux et puis les gens malades là que ça tue, c’est ce que j’ai vu à la télé ». Les opinons de certains enquêtés vis-à-vis de la vaccination sont défavorables, car ils estiment que cela ne vaut pas la peine. Aussi, d’autres enquêtés nous ont-ils confié que le vaccin serait à l’origine de la mort de nombreuses personnes vaccinées (personnalités célèbres). S.L. (43 ans) instituteur à Cocody de s’interroger

Regarde, la majeure partie des célébrités décédées dernièrement de la Covid-19 étaient toutes vaccinées. Pourquoi, malgré le vaccin sont-elles décédées ? C’est bizarre, moi, je ne suis pas favorable à cette vaccination et je ne compte pas la faire. 

A côté de ces deux groupes d’enquêtés, se trouvent d’autres personnes, qui quand bien même qu’elles aient des opinions conformes aux connaissances sanitaires, sont hésitantes face à la vaccination. Ces derniers émettent des doutes quand la fiabilité du vaccin. A.I. (35 ans) Informaticien résidant à Yopougon témoigne :

Je pense que la vitesse avec laquelle les vaccins ont été développés incite à la prudence. Pour le moment, je refuse de me vacciner. On ne connait pas suffisamment les effets secondaires de ce vaccin sur les personnes vaccinées.

Dans le cadre de cette étude, les enquêtés ayant une opinion favorable à la vaccination (34 personnes soit 40%) ont également une attitude positive vis-à-vis de la vaccination car ils adhèrent tous à la vaccination. Cependant, les personnes ayant une opinion défavorable à la vaccination (50 enquêtés soit 59%) ont également une attitude négative à l’endroit de la vaccination. Si le déni, l’occultation et la banalisation de la Covid-19 conduisent, souvent, à une non observance des mesures barrières voire à un refus d’adhérer à la vaccination, quid des facteurs sous-tendant une telle attitude ?     

2.4. Facteurs sous-tendant l’adoption des opinions et attitudes

Les facteurs justifiant cette hésitation voire ce refus d’adhérer à la vaccination sont en lien avec une explication factuelle bidimensionnelle. D’une part, nous avons le fait que le taux de contagion soit faible, de même que le nombre de décès des personnes atteintes par la Covid-19. D’autre part, les croyances populaires quant aux moyens de combattre la maladie qui renforcent cette réticence.

L’on note une relative faiblesse du taux de contagion et de décès dus à la covid-19 (61.581 cas de personnes contaminées dont 702 décès au 1/11/2021) en Côte d’ivoire comparés aux millions de personnes contaminées et de centaines de milliers de personnes décédées dans certains pays comme les Etats-Unis, le Brésil, l’Italie, la France… Toute chose qui semble conforter de nombreuses personnes au sein de la population sur leur intention de ne pas se faire inoculer ce vaccin contre la Covid-19. Le témoignage de M.B.T. (28 ans), commerçant à Cocody est assez éloquent : « Depuis que l’on parle de cette histoire de Covid-19, regardez les chiffres. Les contaminations et les décès sont presque inexistantes chez nous par rapport aux blancs. Dès lors, pourquoi me vacciner dans ce contexte ? » Il est un fait que les chiffres officiels semblent largement sous-estimés (faible capacité de dépistage, de nombreuses personnes asymptomatiques, les populations ne vont, généralement, à l’hôpital que quand la maladie est à un stade avancé, alors que la Covid-19, comme la grippe saisonnière, se résorbe globalement seul…). Ayant certaines similitudes avec le paludisme, largement répandu dans cette région du monde, la Covid-19 est souvent confondue à cette dernière d’où une automédication à base de produits pharmaceutiques ou phytothérapiques. Aussi, les craintes des responsables de l’OMS quant aux dégâts que cette pandémie ferait en Afrique ne se sont-elles pas réalisées, toute chose qui renforce cette volonté de certaines personnes de ne pas se faire vacciner. 

En outre, les croyances populaires sont l’un des principaux facteurs qui sont un obstacle majeur à la vaccination. Il est largement répandu dans le corps social en Côte d’ivoire, comme dans de nombreux pays africains et même du monde, que certains remèdes de grand-mère[4] étaient efficaces pour prévenir et même pour combattre la Covid-19. Il n’est pas rare d’entendre dire que manger du piment, de l’ail et même boire de l’alcool, notamment le Koutoukou (eau de vie locale) luttent efficacement contre la Covid-19. Ainsi, C.K.T. (36 ans) tapissier dans la commune de Yopougon de dire ceci : 

Médicament de corona, nous on a ça ici. Tu manges une sauce bien pimentée et puis tu bois gbêlê (koutoukou) corona s’en va loin. Même si c’est bizarre (compliqué) tu fais un bain vapeur de “mentholateum” chinois (baume mentholé) et puis c’est fini.

De même, lorsque ces croyances populaires se combinent avec l’action de désinformation des réseaux sociaux cela génère des croyances fortement ancrées dans le psychisme de l’individu dont il devient difficile de s’en débarrasser. Ainsi, il est répandu, sur certains réseaux sociaux, que les personnes ayant fait le vaccin ont une espérance de vie qui se limiterait à 2 ans, à partir de la date de l’inoculation du vaccin. Ces croyances populaires sont pour Dedy (52) « ce savoir populaire qui conditionne plus ou moins fortement l’attitude et les comportements des individus à l’égard de la maladie et tout particulièrement, à l’égard de la prévention ».

 

  1. Discussion

Les opinions et attitudes des populations déterminent généralement le comportement qui n’est que l’expression visible de tout ce processus mental. Dans le cadre de cette étude, il est ressorti que les opinions et attitudes des populations face à la vaccination contre la Covid-19 sont influencées, en majeure partie, par les informations recueillies sur les réseaux sociaux et la communication interpersonnelle (67%). Ces résultats confirment les travaux de Lyu et al. (8-12), Luo et al. (101712) ainsi que ceux de Manby et al. (5-9).  Cette réticence voire ce refus d’adopter le vaccin est aussi tributaire des rumeurs et autres informations fallacieuses, mais surtout des croyances populaires. A ce niveau, les travaux de Fridman, Gershon et Gneezy (e0250123), Sallam et al. (42), Chongwang ainsi que ceux de De Figueiredo et al. (900-906) confirment l’impact négatif de ces croyances sur l’adoption des vaccins en général, mais spécifiquement celui contre la Covid-19. Ces résultats viennent conforter la conception de Dedy (50-55) sur la faiblesse de la conscience sanitaire en Afrique.

Nonobstant ces faits, il est aussi remarquable que la méfiance des populations vis-à-vis de la volonté gouvernementale (imposition de la vaccination) associée à certaines théories du complot (insertion de puces microscopiques dans les vaccins dans le but de contrôler la population mondiale) vient conforter, à tort ou à raison, la position de toutes ces personnes qui demeurent sceptiques vis-à-vis des vaccins contre la Covid-19 comme le révélait déjà Taïeb à propos des autres vaccins (272-285).

Conclusion

Au terme de cette étude, il convient de noter que les opinions et les attitudes des populations face à la vaccination contre la Covid-19 sont fortement influencées par le flot d’informations dans lequel elles baignent. Celles-ci émanent principalement des réseaux sociaux et des communications interpersonnelles, ce qui confirme notre hypothèse de départ. Ainsi, qu’elles soient de sources officielles ou non, elles influencent, modifient la perception et la conviction des personnes qui les suivent. Au-delà de la question vaccinale, cette étude interroge l’influence des médias, surtout les réseaux sociaux sur les conduites des populations. Ces médias sociaux ont tendance à supplanter les informations délivrées par les canaux officiels de communication.

Aussi, les limites de cette étude se perçoivent-elles par la faiblesse de l’échantillon et la représentativité des sites (un sous quartier par commune ce qui pose un problème de représentativité et le fait que ce soit deux communes qui aient été choisies sur treize que comptent le district d’Abidjan) ne permettent pas une généralisation des résultats.

 

Travaux cités

Al-Qerem, Walid A. et Anan S Jarab. « COVID-19 Vaccination Acceptance and Its Associated Factors Among a Middle Eastern Population. ». Frontiers in public health, vol. 9, 632914. 10 Fév. 2021. doi :10.3389/fpubh.2021.632914

Chongwang, Julien. « La vaccination face à la méfiance des populations », Scidev.net, 26 Fév. 2019. https://www.scidev.net/afrique-sub-saharienne/features/26022019-2/.

Dedy, Séri. « SIDA et Société » Revue des Sciences Sociales. Programme d’Appui stratégique à la Recherche Scientifique (RSS-PASRES), no. 1, 2013, pp. 44-56.

De Figueiredo, Alexandre et al. « Mapping global trends in vaccine confidence and investigating barriers to vaccine uptake: a large-scale retrospective temporal modelling study », The Lancet, vol. 1255, no. 396, 2020, pp. 898-908. doi:10.1016/S0140-6736(20)31558-0.

De Freitas, Loren et al. « Public trust, information sources and vaccine willingness related to the COVID-19 pandemic in Trinidad and Tobago: an online cross-sectional survey », The Lancet Regional Health-Americas, vol. 3, 2021, p. 100051. doi:10.1016/j.lana.2021.100051.

Dejoy, David M. « Managing safety in the workplace: An attribution theory analysis and model » Journal of Safety Research, no. 25, 1996, pp. 3-17.

Dereje, Nebiyu et al. « COVID-19 Vaccine hesitancy in Addis Ababa, Ethiopia: A mixed-methods study », medRxiv, 2021. https://doi.org/10.1101/2021.02.25.21252443.

Detoc, Maëlle et al. « Intention to participate in a COVID-19 vaccine clinical trial and to get vaccinated against COVID-19 in France during the pandemic », Vaccine, 2020, pp.7002-7006. doi:10.1016/j.vaccine.2020.09.041.

Freeman, Daniel et al. « COVID-19 vaccine hesitancy in the UK: The Oxford coronavirus explanations, attitudes, and narratives survey (Oceans) II », Psychological Medecine, 2020, pp. 1-15. doi://10.1017/S0033291720005188.

Fridman, Ariel et al. « COVID-19 and vaccine hesitancy: A longitudinal study », PLoS ONE, vol. 16, no. 4, 2021, p. e0250123. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0250123.

Hajure, Mohammedamin et al. « Attitude Towards COVID-19 Vaccination Among Healthcare Workers: A Systematic Review », Infection and Drug Resistance, vol. 14, 2021, pp. 3883-3897. https://doi.org/10.2147/IDR.S332792.

Kaglan, Erick. « Vaccins contre la Covid-19 : du rejet à la pénurie, comment la Côte d’ivoire est devenue un modèle de gestion de la défiance », Banque Mondiale, 30 Jan. 2021. https://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2021/09/07/covid-19-vaccines-from-rejection-to-shortage-how-c-te-d-ivoire-became-a-model-for-managing-vaccine-hesitancy.

Kuhn, Randall et al. « COVID-19 vaccine access and attitudes among people experiencing homelessness from pilot mobile phone survey in Los Angeles, CA » In PLoS ONE, vol. 16, no. 7, 2021, p. e0255246. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0255246. 

Le Grand Robert/Sejer. « Le Grand Robert de la Langue Française », Version électronique 2.0. 2003. www.lerobert.com.

Luo, Chen et al. « Exploring public perceptions of the COVID-19 vaccine online from a cultural perspective: Semantic network analysis of two social media platforms in the United States and China », Telematics and informatics, vol. 65, 2021, p. 101712.

Lyu, Hanjia et al. « Social media study of public opinions on potential COVID-19 vaccines: Informing dissent, disparities, and dissemination », Intelligent Medecine, 2021, https://doi.org/10.1016/j.imed.2021.08.001.

Manby Louisa et al. « Healthcare workers’ perceptions and attitudes towards the UK’s COVID-19 vaccination programme », medRxiv, 2021. https://doi.org/10.1101/2021.03.30.21254459.

N’guessan, Issiaka. « Côte d’Ivoire : le personnel de santé boude la vaccination contre la Covid-19 », Scidev.net, 30 Jan. 2021. https://www.scidev.net/afrique-sub-saharienne/scidev-net-at-large/cote-divoire-le-personnel-de-sante-boude-la-vaccination-contre-la-covid-19/.

ONU, Info. « Afrique : seuls 15 pays ont atteint l’objectif de 10% de vaccination contre la Covid-19 », Un.org, 5 Oct. 2021. https://news.un.org/fr/story/2021/09/1105222.

Rogers, Everett. Diffusion of innovations, 5ème éd., Simon & Schuster New York, 2003.

Rosenberg, Milton J. et Hovland Carl I. « Cognitive, Affective and Behavioral Components of Attitudes », Attitude Organization and Change: An Analysis of Consistency among Attitude Components, Sous la direction de Rosenberg, Milton J. et Hovland, Carl I., Yale University Press, 1960, pp.1-44.

Roozenbeek, Jon et al. « Susceptibility to misinformation about COVID-19 around the world », Royal Society Open Science, vol.7, 2020, p. 201199. https://dx.doi.org/10.1098/rsos.201199.

Sallam, Malik et al. « High Rates of COVID-19 Vaccine Hesitancy and Its Association with Conspiracy Beliefs: A Study in Jordan and Kuwait among Other Arab Countries », Vaccines, vol. 9, no. 1, 2021, p. 42. doi:10.3390/vaccines9010042.

Sherman Susan M et al. « COVID-19 vaccination intention in the UK: results from the COVID-19 vaccination acceptability study (CoVAccS), a nationally representative cross-sectional survey », Human Vaccine & Immunotherapeutics, vol. 17, no. 6, 2021, pp. 1612-1621. doi://10.1080/21645515.2020.1846397.  

Taïeb, Emmanuel. « Logiques politiques du conspirationnisme », Sociologie et Sociétés, no. 42, Tome 2, 2010, pp. 265-289.

Zhu Bi et al. « Brief Exposure to Misinformation Can Lead to Long-Term False Memories », Applied Cognitive Psychology, vol. 26, no. 2, 2011, pp. 301-307. https://doi.org/10.1002/acp.1825.

 

Comment citer cet article :

MLA : Gaulithy, Georges. « Opinions et attitudes des populations abidjanaises face à la vaccination contre la Covid-19 ». Uirtus 2.1. (avril 2022): 33-50.

 

 [email protected]

[1] 39,5% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté selon les données fournies par la Banque Mondiale en 2018.

[2] COVAX ‟The Covid-19 Vaccines Global Access” est une initiative des Nations-Unies qui vise à collaborer pour un accès mondial et équitable aux vaccins contre le virus de la COVID-19

[3] AVAT “The African Vaccine Acquisition Trust” est une initiative de l’Union Africaine qui vise l’achat groupé de vaccins par l’Union africaine au profit des pays membres.

[4] Ensemble de connaissances basées sur le savoir faire des anciens (grand-mère) qui puisent ses sources dans les plantes et autres produits naturels utilisés pour combattre diverses maladies, et qui auraient des vertus thérapeutiques avérées.

Abstract:Analyse qualitative des déterminants psychosociologiques du choix de la forme de délinquance par les jeunes en Côte d’Ivoire : Cas du cybercriminel (brouteur) et de l’enfant en conflit avec la loi (microbe)

This study analyzes the psychological determinants of the choice of the type of delinquency by children in conflict with the law (microbe) and cybercriminals (grazers). This research is qualitative. We interviewed a microbe and a cybercriminal. These subjects were subjected to a semi-structured interview. Their words are exploited using content analysis. Subjects were interviewed for their socio-economic background, personality, peer influence or gang membership, drug addiction, use of mystical practices, misdemeanors and crimes committed. An examination of the results shows that the personality is the prominent factor, determining the shift into delinquency and the choice of the form of delinquency.

Keywords: Delinquent, Microbe, Cybercriminal.

Full Text                               

Résumé:Analyse qualitative des déterminants psychosociologiques du choix de la forme de délinquance par les jeunes en Côte d’Ivoire : Cas du cybercriminel (brouteur) et de l’enfant en conflit avec la loi (microbe)

Amegnan Lydie Kone§

Saga Bernard Loba

&

Logon Albert Thierry Djako

Résumé : Cette étude analyse les déterminants psychosociologiques du choix du type de délinquance chez les enfants en conflit avec la loi (microbes) et les cybercriminels (brouteurs). Cette recherche est qualitative. Nous avons interrogé un microbe et un cybercriminel. Ces sujets ont été soumis à un entretien semi dirigé. Leurs propos sont exploités à l’aide d’une analyse de contenu. Les sujets ont été interrogés sous l’angle de leur origine socio-économique, de leur personnalité, de l’influence par les pairs ou de leur appartenance à une bande, de la toxicomanie, du recours aux pratiques mystiques et des délits et crimes commis. Il ressort de l’examen des résultats que la personnalité est le facteur proéminent, déterminant le basculement dans la délinquance et le choix de la forme de délinquance.

Mots-clés : délinquant, microbe, cybercriminel.

Abstract: This study analyzes the psychological determinants of the choice of the type of delinquency by children in conflict with the law (microbe) and cybercriminals (grazers). This research is qualitative. We interviewed a microbe and a cybercriminal. These subjects were subjected to a semi-structured interview. Their words are exploited using content analysis. Subjects were interviewed for their socio-economic background, personality, peer influence or gang membership, drug addiction, use of mystical practices, misdemeanors and crimes committed. An examination of the results shows that the personality is the prominent factor, determining the shift into delinquency and the choice of the form of delinquency.

Keywords: Delinquent, Microbe, Cybercriminal.

Introduction

Le monde est en pleine mutation. De nouvelles découvertes se font dans les différents domaines scientifiques : médecine, informatique, communication, psychologie … Comme dans ces domaines, l’on est confronté à de nouveaux types de modes, de maladies, de maux, de délinquance ou d’infractions sanctionnées pénalement, d’activités agressives et dommageables légalement réprimées (Doron et al.).

En Côte d’Ivoire, depuis quelques années, de nouveaux types de délinquants ont vu le jour. En effet, l’on entend parler de ‘‘brouteurs’’ et de ‘’microbes’’. Les uns et les autres ont en commun la pratique du vol. Mais, ils diffèrent par les méthodes qu’ils utilisent pour arriver à leurs fins. Les uns utilisent la ruse, le mensonge et l’outil informatique. Les autres recourent à la violence, exercée avec des armes blanches. Cette étude vise à cerner les déterminants psychosociologiques du choix de l’une ou l’autre de ces deux formes de délinquance.

L’on peut faire remonter l’apparition du phénomène de la délinquance juvénile en Afrique au lendemain des indépendances. Selon les époques, la culture et les valeurs prônées dans la société, la délinquance revêt des formes variées. A ce propos, Mucchieli pose trois problèmes. Selon cet auteur, le droit évoluant en permanence, certains comportements cessent d’être incriminés tandis que d’autres le deviennent. La délinquance étant constituée par l’ensemble des transgressions définies par le droit pénal, connues et poursuivies par les acteurs du contrôle social. 

Un article publié par eburnienews.net affirme :

En Europe et aux Amériques, le phénomène des gangs de jeunes sévit. En France, l’on dénombre 6 morts et 252 blessés en 2011. Ce constat est le bilan de l’activisme croissant de gangs de jeunes violents qui n’hésitaient plus à attaquer frontalement les forces de l’ordre de France. Des gangs composés d’une population plus jeune encore, de gamins, font leur apparition. Un rapport publié dans le journal français « Le Figaro » mentionne que pas moins de 313 bandes ont écumé le pays. Il indique que la part des mineurs impliqués est en forte hausse. Ceux-ci représentaient 56% des 992 aficionados de gangs interpelés, contre seulement 40% en 2010. En outre, depuis quelques années, les experts ont prévenu que les constitutions de bandes juvéniles de moins de 13 ans, ont été détectées dans plusieurs agglomérations de l’Ile-de-France. Imitant le comportement des « grands »’ qui leur servent de référence, en l’absence d’autorité parentale, ces jeunes s’approprient les ‘’valeurs’’ de ceux-ci.      

Dans les années 1970, en Côte d’Ivoire, l’on a vécu le phénomène des ‘‘Ziguéhis’’ et des ‘’nouchis’’ qui se caractérisaient par des actes de violence ouverts, perpétrés par des gangsters sur les populations abidjanaises. Les acteurs principaux étaient connus et le phénomène quasi maitrisé.

Depuis 2012, au lendemain de la crise postélectorale, un phénomène d’agression et de violence d’une rare barbarie perpétrée à l’arme blanche par de jeunes adolescents et parfois des gamins a vu le jour. Eburnienews.net décrit les microbes en ces termes :

Armes blanches à la main, fripouilles toujours prêtes à répandre le sang humain, ces jeunes meurtriers qui se déguisent souvent en mendiants n’hésitent plus à faire parler d’eux à Abidjan…les microbes, puisqu’il s’agit d’eux, se sont illustrés de fort mauvaise manière dans certains quartiers et communes d’Abidjan, en tuant à l’arme blanche, très souvent en pleine journée, leurs victimes. Agés de 9 à 15 ans, ces jeunes meurtriers n’hésitent plus à faire parler d’eux. 

Selon le rapport du Conseil National des Droits de l’Homme en Côte d’Ivoire, CNDHCI, les microbes ou enfants en conflit avec la loi sont analphabètes pour la plupart et sont frustrés pour ne pas avoir intégré l’armée comme leurs ainés au sortir de la crise postélectorale, à cause du critère d’âge en vigueur.

Né et répandu dans le quartier d’Abobo à Abidjan, ce phénomène s’est répandu dans les différents quartiers de la ville.

Parallèlement à ce phénomène, le fléau du broutage ou de la cybercriminalité évolue et multiplie ses adeptes et ses victimes. Un cybercrime est une infraction pénale susceptible de se commettre sur ou au moyen d’un système informatique généralement connecté à un réseau. Depuis quelques années, la démocratisation de l’accès à l’informatique et la globalisation des réseaux ont été des facteurs de développement du cybercrime comme le fléau des gangs de mineurs, la cybercriminalité revêt un caractère universel. Elle est reconnue par beaucoup d’experts comme étant la nouvelle forme de criminalité du xxie siècle. Dès lors, pour la contrôler, la France, par exemple, a mis en place de nombreux organes de lutte.

Selon Rahali, depuis quelques années, un intérêt spécial est porté au phénomène de la cybercriminalité qui prend des proportions inquiétantes. Elle évoque le piratage sans précédent dont a été victime la grande entreprise Oracle qui gère des terminaux commerciaux de paiement à travers le monde et les plus grands noms aux Etats Unis, tels Twitter, Amazone, Ebay, CNN, New York Times et autres, victimes d’un cyber-piratage qui a perturbé leur système informatique pendant plus de deux heures. Elle en déduit que le mal s’incruste de plus en plus avec l’avancée technologique et dans tous les pays.

Le cybercrime est une nouvelle forme de criminalité et de délinquance qui se distingue des formes traditionnelles en ce qu’elle se situe dans un espace virtuel, le « cyberespace ».

Les phénomènes des « microbes » et de la cybercriminalité ont des points communs et des différences. Leur finalité est l’enrichissement rapide sans effort (loin de l’exercice d’un métier conventionnel, valorisé) de ses adeptes qui dépouillent leurs victimes. Les uns affrontent courageusement leurs victimes à visage découvert tandis que les autres, derrière un écran d’ordinateur ou de portable, accomplissent la même besogne. Les acteurs font tous partie de la frange jeune de la population.

Plusieurs facteurs déterminent le choix du type de délinquance pratiquée par ces « gangs ». Certains travaux scientifiques soulignent l’importance du facteur du genre. En effet, selon plusieurs études, les garçons sont plus impliqués dans la délinquance que les filles. Cependant, ces études précisent que ce rapport varie selon la forme de délinquance. A mesure que la gravité des délits augmente, la participation des filles diminue. Les approches théoriques classiques lient la délinquance aux caractéristiques individuelles (personnalité, caractère, tempérament, …), environnementales. Agnew, citée par Lucia et Jaquier, postule que les stresseurs sociétaux ou individuels (échecs dans la poursuite d’un objectif, besoin d’autonomie, deuil…) poussent certains individus à s’engager dans la délinquance, à préférer les opportunités illégitimes aux opportunités légitimes.

Le statut socio-économique est désigné lui aussi comme un déterminant de la délinquance. Une recherche effectuée par Interspeace et Indigo affirme que, bien qu’une analyse approfondie des trajectoires individuelles des jeunes dits microbes révèle une complexité de facteurs en toile de fond de leur basculement dans l’action violente, l’environnement économique et social dans lequel ils évoluent constitue un écosystème assez déterminant. En effet, les auteurs de cette recherche, relatant l’historique du peuplement du quartier d’Abobo, relèvent les caractéristiques des populations qui l’habitent : faible niveau de revenu, promiscuité de l’habitat, désertion des maisons par les parents, jeunesses évoluant dans la rue à cause de l’exiguïté des logements et de la nécessité pour les enfants d’exercer une activité lucrative, culture de la violence.

Il existe différents types de facteurs de risque. Certains de ces facteurs sont internes, c’est-à-dire propres à la personne tandis que d’autres sont externes. De ce point de vue, les facteurs de risque seraient divisés en cinq sphères de la vie : (1) aspects personnels ; (2) famille ; (3) pairs ; (4) école ; et (5) collectivité ou quartier (Loeber & Farrington), cités par Day et Wanklyn.

Des recherches telles celles de Bowlby et Spitz donnent à penser que les facteurs de risque vécus tôt dans la vie, par exemple, pendant les périodes prénatales et périnatales du développement, entraînent les effets les plus nuisibles pour toute la durée de la vie. Ces facteurs de risque comprennent, non seulement, la consommation de drogues et d’alcool chez la mère et les complications à la naissance, mais aussi la violence et la négligence vécues pendant les cinq premières années de vie. La grande taille de la fratrie, la mauvaise gestion familiale seraient elles aussi des facteurs de risque.

Certains facteurs de risque chez les adolescents sont le rendement scolaire et les relations avec les pairs. Ces facteurs ont tendance à être des indices plus forts de délinquance chez les adolescents et les adultes que les facteurs de risque présents pendant l’enfance.

Comme nous l’avons relevé plus haut, la population des microbes et celle des cybercriminels se situent approximativement dans la même tranche d’âge (adolescents et jeunes adultes). Ils poursuivent un but ultime commun : déposséder les autres de leurs biens et s’enrichir sans exercer une forme conventionnelle de métier valorisé. Le choix du mode opératoire est certainement lié à la personnalité de l’individu (agressif ou machiavélique), au milieu fréquenté, au niveau d’études, à l’origine socioéconomique, etc. Ils ont en commun le facteur D (Moshagen & al.). En effet, selon ces auteurs, un composant général nommé facteur D est identifiable dans le champ de la malveillance. Le facteur D définit la tendance psychologique à situer les intérêts, les désirs et les motivations personnelles au-dessus de n’importe quel autre aspect, qu’il s’agisse de personnes ou d’autres circonstances. Ce facteur renferme tout le spectre de comportements qui composent la malveillance. Il se composerait de neuf traits obscurs que sont :   l’égoïsme, le machiavélisme, l’absence d’éthique et de sens moral, le narcissisme, le droit psychologique, la psychopathie, le sadisme, l’intérêt social et matériel, et la malveillance. Le facteur D peut être compris, selon eux, comme la personnalité obscure intégrant une grande partie de ces traits.

En conduisant cette recherche, nous voulons relever les facteurs intervenant dans le choix de l’une des deux formes de délinquance à l’étude. L’objectif général ainsi poursuivi est de montrer que le choix de la forme de délinquance est lié à certains traits de personnalité, au milieu dans lequel évolue l’adolescent et à son niveau d’études.

  1. Méthodologie 

Cette étude porte sur deux types de délinquants à Abidjan, en Côte d’Ivoire. D’approche qualitative, notre étude s’attache à analyser les déterminants psychosociologiques du choix de la forme de délinquance chez deux types de jeunes délinquants : le « microbe » (un type braqueur violent et agressif) et le « brouteur », une forme de cybercriminel.

  1. Échantillon

La population à l’étude est celle des délinquants appartenant à la tranche d’âge allant de l’adolescence à celle du jeune adulte, c’est à dire de 12 à 25 ans. Sont concernés les cybercriminels ou « brouteurs » et les « microbes » ou enfants en conflit avec la loi, en Côte d’Ivoire.

Nous effectuons une étude de cas portant sur un « microbe » ou enfant en conflit avec la loi de 21 ans issu d’une famille de 15 enfants (dont 5 garçons et 10 filles) et un cybercriminel ou « brouteur » de 19 ans issu d’une famille de 5 enfants (dont 2 garçons et 3 filles).  Ces deux sujets sont célibataires, déscolarisés et issus de milieu défavorisé. Le premier provient d’une famille chrétienne et a arrêté ses études en classe de 5ème, alors que le second a le niveau terminal et est issu d’une famille fétichiste.

  1. Matériel

L’instrument de recueil de données utilisé est un guide d’entretien semi-directif. Le choix de ce type d’entretien est motivé par le fait qu’il offre la possibilité au sujet d’expliquer ses réponses, de les étayer, … En outre, il permet au chercheur de poser de nouvelles questions afin de produire une compréhension plus approfondie des réponses du sujet. Cet instrument est articulé en 6 points :

  • informations biographiques (sexe, âge, taille de la famille et de la fratrie,  niveau d’études) ;
  • histoire de la vie du sujet ;
  • caractéristiques de la personnalité ;
  • origine de la délinquance ;
  • rapport à la drogue, à l’alcool et aux stupéfiants ;
  • tolérance à la frustration.

Ce guide d’entretien a servi de support pour mener un entretien auprès de chacun des deux enquêtés.

Les productions verbales ainsi recueillies sont exploitées au moyen de l’analyse de contenu thématique dont les procédures sont décrites dans les lignes suivantes. 

  1. Analyse des données : mise en œuvre de l’analyse de contenu

La pratique de l’analyse de contenu, selon Aktouf, tient en 6 étapes :

  • lecture du document ;
  • définition des thèmes ou catégories ;
  • définition de l’unité d’information ou de contexte ;
  • définition de l’unité d’enregistrement ou de codage ;
  • détermination de l’unité de numération.

Nous avons eu recours à la méthode des deux juges indépendants. Ainsi, deux analystes ont, dans un premier temps, lu indépendamment les deux protocoles d’entretien recueillis dans le but, d’une part, de dégager les thèmes et sous-thèmes autour desquels s’organise le discours des enquêtés et, d’autre part, de ranger les opinions émises par thématique.

Après lecture attentive et répétée des entretiens, nous avons, dans un second temps, dégagé 7 thèmes couvrant l’ensemble des opinons exprimées par les participants :

  • personnalité ;
  • délits et crimes ;
  • désir de puissance ;
  • toxicomanie ;
  • influence des pairs ou appartenance à une bande ;
  • origine socioéconomique et insatisfaction des besoins ;
  • pratique du mysticisme.

Le thème « Personnalité » englobe l’ensemble des propos décrivant la façon d’être relativement stable de l’individu, sa manière habituelle de réagir aux diverses situations auxquelles il est confronté. Ce thème se décompose lui-même en 7 sous-thèmes : la personnalité « criminelle », « violente », « preneuse de risque », « fourbe », « téméraire », « insouciante » et « camouflée ».

Le thème « Délits et crimes » traite des aveux du sujet relatifs aux actes répréhensibles ou punis par la loi qu’il a commis au cours de sa vie. Ce thème se décline en 5 sous-thèmes : « Braquage », « Vol », « Agression », « Avortement » et « Meurtre ».

Le thème « Désir de puissance » recouvre un ensemble d’opinions traduisant l’aspiration de l’enquêté au pouvoir, à la richesse matérielle et à la popularité. Il admet 6 sous-thèmes : « Désir de diriger », « Désir de pouvoir », « Désir d’être connu et populaire », « Refus de soumission », « Désir d’être aimé » et « Désir d’argent ou d’être riche ».

Le thème « Toxicomanie » réfère à des opinions décrivant le rapport du participant aux stupéfiants. Il se décline lui-même en 4 sous-thèmes : « Drogue », « Alcool », « Essence » et « Vente de drogue ».

Le thème « Influence des pairs ou appartenance à une bande » fait référence aux opinions indiquant soit l’appartenance du sujet à une bande de délinquants, soit son influence par un gang de criminels.

Le thème « Origine socioéconomique et insatisfaction des besoins » traite des insatisfactions du sujet dues à l’incapacité de ses parents à répondre à ses besoins pécuniaires et/ou matériels en raison justement de leurs difficultés financières dues à leur pauvreté.

Enfin, le thème « Pratique du mysticisme » décrit la propension de l’individu à avoir recours aux services des spécialistes des sciences occultes (féticheurs, marabouts, voyants …) dans le but d’assurer la réussite de ses activités criminelles.

L’attribution des différentes parties du discours aux catégories thématiques mises en évidence se fonde sur le choix des trois critères d’analyses suivants :

  • l’unité d’enregistrement ou de codage. Il permet de découper le texte en ses constituants unitaires. Nous avons choisi ici comme unité d’enregistrement l’idée ;
  • l’unité de contexte qui sert à classer les unités d’enregistrement (ici les idées émises) dans les différents thèmes dégagés. Dans ce travail, est considéré comme unité de contexte toute idée émise par l’enquêté en rapport avec l’un des thèmes précités ;
  • l’unité d’énumération est la fréquence d’apparition des idées en rapport avec l’une des thématiques précédemment évoquées. La fréquence d’un thème correspond au nombre de fois qu’une idée relative à ce thème ou ce sous-thème est évoquée dans l’ensemble du protocole d’entretien d’un participant.

La pratique de l’analyse de contenu thématique a donné lieu à des résultats instructifs.

  • Résultats

L’analyse de contenu des propos des sujets et leur analyse statistique ont abouti à des résultats qui exposent clairement les similitudes et les différences liant nos deux sujets, d’une part, et, les distinguant l’un de l’autre, d’autre part. 

Ces résultats sont présentés dans un tableau synthétique et à travers des histogrammes synthétiques et détaillés.

Tableau 1 : Résultats de l’analyse de contenu

Brouteur Microbe
THÈMES Sous-thèmes Fréquence % % total Fréquence % % total
PERSONNA-LITÉ Violente 3 8% 42% 7 10% 34%
Criminelle 2 6% 7 10%
Fourbe 3 8% 4 6%
Camouflée 2 6% 5 7%
Téméraire 3 8% 0 0%
Preneuse de risque 1 3% 0 0%
Insouciante 1 3% 0 0%
DÉSIR DE PUISSANCE Désir de pouvoir 2 6% 3 4% 10%
Désir d’argent ou d’être riche 4 11% 1 1%
Désir d’être connu et populaire 2 6% 0 0%
Refus de soumission 0 0% 1 1%
Désir de diriger 0 0% 2 3%
ORIGINE SOCIOÉCO- NOMIQUE ET INSATISFAC- TION DES BESOINS Pauvreté des parents ou de la famille 2 6% 8% 1 1% 4%
Insatisfaction des besoins personnels 1 3% 2 3%
TOXICOMANIE Drogue 1 3% 3% 3 4% 10%
Alcool 0 0% 2 3%
Vente de drogue 0 0% 1 1%
Essence 0 0% 1 1%
DÉLITS ET CRIMES Vol 3 8% 8% 7 10% 27%
Agression 0 0% 5 7%
Braquage 0 0% 3 4%
Meurtre 0 0% 2 3%
Avortement 0 0% 1 1%
PRATIQUE DU MYSTICISME 3 8% 8% 0 0% 0%
INFLUENCE DES PAIRS OU APPARTENANCE A UNE BANDE 3 8% 8% 9 13% 13%

Ce tableau présente les résultats du traitement statistique des données recueillies lors de l’analyse de contenu du discours des sujets. Chaque pourcentage d’apparition du thème évoqué par le sujet est représenté graphiquement pour donner au lecteur un meilleur aperçu du niveau d’influence de chaque thème et sous thème sur le choix du type de délinquance par les sujets.  

Figure 1 : Histogramme représentant les résultats globaux

Les résultats découlant de l’analyse du contenu des propos des sujets de l’étude révèlent que la personnalité constitue, tant pour le microbe que pour le brouteur, le facteur le plus déterminant influençant la pratique de ces deux formes de délinquance. Cependant, l’influence des pairs, la toxicomanie et la commission de délits et crimes sont plus importants chez le « microbe ». Le brouteur se distingue du « microbe » par son grand désir de puissance et par son attachement aux pratiques mystiques.

L’analyse des éléments constituant les sous catégories apportent davantage de lumière sur la personnalité de ces deux types de délinquants.

Figure 2 : Histogramme représentant les composantes de la personnalité

Du point de vue de leur personnalité, le « microbe » se distingue par sa violence, sa forte tendance criminelle et par sa propension au camouflage. Le « brouteur »,  quant à lui, se caractérise par une grande fourberie, un grand désir de puissance, une forte témérité se manifestant à travers la prise de risques élevée dans la pratique du mysticisme, malgré la connaissance des inconvénients liés à cette pratique.

Figure 3 : Histogramme des manifestations du désir de puissance

Le désir de puissance est plus manifeste et proéminent chez le brouteur que chez le microbe.

Figure 4 : Histogramme des formes de délits et crimes

Le microbe se démarque nettement du brouteur par le nombre élevé, par les formes et la violence des délits et crimes commis. L’agressivité du brouteur est masquée. L’enfant en conflit avec la loi interrogé dans le cadre de cette étude a avoué son agressivité. En effet, il a affirmé qu’enfant, il aimait se bagarrer et qu’à deux reprises, son adversaire avait saigné. Son père lui avait alors dit qu’il aurait des problèmes, qu’il soit vainqueur ou vaincu dans une bataille. La crainte d’avoir des problèmes l’avait poussé à arrêter de se bagarrer. Cette agressivité n’ayant pas disparu a été convertie et réorientée. Ainsi, les proies de ce sujet devaient subir une agression mystique, les contraignant à accéder aux demandes du « brouteur ».     

Figure 5 : Histogramme des niveaux de toxicomanie

Le brouteur se caractérise par un délit majeur : le vol. Il ne commet le crime qu’occasionnellement, selon le besoin exprimé par son féticheur ou marabout.

Le microbe a recours, vu la violence et les formes de délits qu’il commet, à plusieurs types de drogues.

  • Discussion

Cette étude était motivée par le besoin de découvrir les facteurs psychosociologiques déterminant le choix de la forme de délinquance pratiquée par la jeunesse, en particulier par les brouteurs et les microbes. Il ressort que le facteur de personnalité criminelle est proéminent. Cependant, la proéminence des sous facteurs de la personnalité varie selon le type de délinquance pratiqué par le sujet. Ainsi, nous avons noté le fort attrait et les pratiques mystiques caractérisant les cybercriminels ou brouteurs.

Cela concorde avec les résultats de l’étude effectuée par Bazare et al. Ces auteurs relèvent la pratique du mysticisme et de crimes rituels qui y sont associés par les cybercriminels en vue d’envouter leurs victimes afin qu’elles soient malléables et répondent à toutes leurs demandes financières et pour échapper aux mailles des filets des policiers. Ces chercheurs notent aussi le recours, à tous les niveaux de broutage, à des pratiques mystiques dont les caractéristiques et le niveau évoluent selon le type de résultats escompté.

Par ailleurs, une étude effectuée par Carignan, dont l’objectif était de rechercher en quoi l’origine d’un cybercriminel peut influencer les caractéristiques des délits et crimes commis, révèle que les motivations du cybercriminel diffèrent selon le continent. Tandis que les cybercriminels des pays développés infiltrent les systèmes informatiques pour des motifs idéologiques et de contestation contre des autorités étatiques, ceux issus des pays d’Afrique et arabes sont motivés par le profit financier et ont pour cible des individus. Ces résultats concordent avec ceux de la présente recherche qui montre le niveau socioéconomique faible et l’insatisfaction des besoins du cybercriminel étudié.  

 Selon le rapport du CNDHCI et Yao, les microbes seraient des enfants ayant combattu lors de la crise postélectorale aux côtés du « Commando invisible d’Abobo » et ayant été frustrés de n’avoir pas été recrutés et intégrés dans l’armée comme ils en avaient reçu la promesse. Selon ce rapport, ils sont constitués en bandes. Ils s’attaquent à tous ceux et celles qu’ils rencontrent sur leur chemin, arrachant argent, téléphones portables, bijoux, effets vestimentaires et s’attaquant aux magasins de commerces. Ils s’approvisionnent en drogues et sachets d’alcool et, sous l’effet de ces substances, ils terrorisent les populations, dépouillent, bastonnent, tailladent ou tuent ceux qu’ils agressent. Le sujet étudié dans le cadre de ce travail se distingue des sujets décrits ici par les motifs et le mode d’intégration à une bande de microbes. En outre, le sujet ayant arrêté les études en classe de cinquième entre dans la catégorie des illettrés qui auront de la peine à utiliser un outil informatique et des échanges verbaux caractérisant les cybercriminels.

Les sujets manifestent tous l’agressivité, même si chez les cybercriminels, elle est voilée sous une grande fourberie, les coups assenés à la victime sont mystiques et donc dissimulés.

L’on peut dire que, tandis que le cybercriminel est épris de gloire, le microbe, lui, assume courageusement sa personnalité et ses crimes et délits.

Les résultats de cette étude concordent avec la théorie de Moshagen & al. Le microbe et le brouteur ont en commun le facteur D. L’on retrouve chez chacun de nos sujets les éléments constituant le facteur D, à des niveaux variables, motivant le choix ou la forme de délinquance pratiquée. 

Conclusion

La présente étude visait à montrer que le choix du type de délinquance chez les microbes et cybercriminels de Côte d’ivoire est déterminé par des facteurs de personnalité et sociologiques. Elle laisse à retenir trois leçons. Premièrement, elle confirme effectivement que la personnalité est le facteur proéminent, déterminant le basculement dans la délinquance et le choix de la forme de délinquance, ici le phénomène de broutage et la cybercriminalité. Deuxièmement, elle indique que chacun des sujets a été influencé par les pairs et par le type de délinquance pratiqué par ceux-ci. Troisièmement, elle révèle que nos deux sujets ont en commun l’origine socio-économique moyenne et l’insatisfaction de leurs besoins.

Vu ce qui précède, il serait souhaitable, si l’on veut résorber le  problème que causent ces deux phénomènes, de réfléchir et de mettre en place une politique sociale qui réduirait le niveau de pauvreté, la scolarisation de tous les enfants en âge scolaire, et favoriserait un meilleur encadrement scolaire. Egalement, la limitation des naissances, selon le niveau social, pourrait se révéler salutaire.

Par ailleurs, la sélection rigoureuse du type d’émission ou de films diffusés par nos différentes chaines de télévision s’impose.

Toutefois, la petite taille de notre échantillon a pu limiter la possibilité de circonscrire le champ certainement étendu des déterminants du choix de la forme de délinquance pratiquée par les jeunes. Des recherches portant sur un échantillon plus large et varié nous donneront une meilleure connaissance du phénomène à l’étude

Travaux cités

Bazaré, Raymond Nébi, Bamba Ladji et Dolle Kadidja. « Cybercriminalité ou « Broutage » et crimes rituels à Abidjan: Logiques des acteurs et réponses au phénomène cas des communes de Yopougon et d’Abobo. » European Scientific Journal, 13(23) (2017): 104-128.

Bowlby, John. Soins maternels et santé mentale : contribution de l’Organisation Mondiale de la Santé au programme de nations Unies pour la protection des enfants sans foyer. OMS Palais des Nations Unies, Genève :1954.

Carignan, Mathieu. L’origine géographique en tant que facteur explicatif de la  cyberdélinquance. (Mémoire) Montréal : Université de Montréal, 2015.

Day, David M. et Sonya G. Wanklyn. Détermination et définition des principaux facteurs de risque du comportement antisocial et délinquant chez les enfants et jeunes (Rapport de recherche) Toronto : Université Ryerson de Toronto, 2013.

Dayan, Jacques. « Comprendre la délinquance ? » Adolescence, 82(4) (2012) : 881-917.  doi:10.3917/ado.082.0881.

Doron, Roland et Françoise Parot. Dictionnaire de psychologie. Paris : PUF eburnienews.net, 2011.

———-. Phénomène des microbes à Abidjan : Déconfiture sociale d’une nouvelle génération de gangs. Mode opératoire et mesures répressives, consulté le 13 février 2021, 2015.

———-. Phénomène des microbes à Abidjan: qui sont-ils ? Et  d’où viennent-ils ? Est-on en droit d’interroger) eburnienews.net, 2015.

Indigo Côte d’Ivoire et interspeace. Exister par le gbonhi, engagement des adolescents et jeunes, dits microbes dans la violence à Abobo.Recherche participative en vue de la réinsertion de 40 jeunes dits microbes. (2017) : 24-30

Le Goaziou, Véronique et Laurent Mucchielli. La violence des jeunes en question. Editions Champ social, coll. « Questions de société », 2009, EAN : 9782353710690.

Lucia, Sonia et Véronique Jaquier. « Délinquance, victimation et facteurs de risque : différences et similitudes entre les filles et les garçons. » Déviance et Société, 36(2) (2012) : 171-199.

Moshagen, Morten et al. “Measuring the dark core of personality. » 32(2) (2019) : 182–196.  https://doi.org/10.1037/pas0000778

Rahali, F. Djalia. Rapport phénomène des « gnambro » et des « mineurs en conflit avec la loi », CNDH CI, Hebdomadaire Crésus.  N° 72, (2017) : 5

Spitz, René. Hospitalisme. Revue française de psychanalyse.13 (1949) : 397-425.

Yao, Séverin Kouamé. Nouchis, ziguéhis et microbes d’Abidjan : Déclassement et distinction sociale par la violence de rue en Côte d’Ivoire. Le Dossier, Politique africaine, 148, (2017) : 89-107.

Comment citer cet article :

MLA : Kone, Amegnan Lydie, Saga Bernard Loba et Logon Albert Thierry Djako. « Analyse qualitative des déterminants psychosociologiques du choix de la forme de délinquance par les jeunes en Côte d’Ivoire : Cas du cybercriminel (brouteur) et de l’enfant en conflit avec la loi (microbe). » Uirtus 1.1 (août 2021): 169-185.


§ Université Félix Houphouët Boigny, [email protected]

Résumé (A Neo-slave Narrative Reading of Colson Whitehead’s The Underground Railroad (2016))

Kpatcha Essobozou Awesso§

Abstract: Colson Whitehead’s TheUnderground Railroad (2016) is a narrative that carries the reader to the historical context of the abolitionist movement of the nineteenth century United States of America. More than two (2) centuries after, Whitehead re-imagines this episode of African American history in a skillful readership that deserves critical attention. Why does Whitehead retell the history of the abolitionist movement known as the Underground Railroad in fiction? Why does he choose a twelve year girl, Cora as the central character? Is the theme of slavery still relevant in today’s social discourses? These are some questions that call on a literary analysis of this masterpiece. The paper relies on the Neo-slave Narrative approach to analyze the rationale behind this historical novel.

Keywords: Neo-slave narrative, the Underground Railroad, Abolition, Slavery, Neo-Slave Narrative Approach.

Résumé : The Underground Railroad (2016) de Colson Whitehead est un récit qui transporte le lecteur dans le contexte historique du mouvement abolitionniste du XIXe siècle aux États-Unis d’Amérique. Plus de deux (2) siècles après, Whitehead ré-imagine cet épisode de l’histoire afro-américaine dans une lecture habile qui mérite une attention critique. Pourquoi Whitehead retrace-t-il l’histoire du mouvement abolitionniste connu sous le nom de chemin de fer clandestin dans une fiction? Pourquoi choisit-il une jeune fille de douze ans, Cora, comme personnage central? Le thème de l’esclavage est-il toujours d’actualité dans les discours sociaux d’aujourd’hui? Autant de questions qui font appel à une analyse littéraire de ce chef-d’œuvre. L’article s’appuie sur l’approche du récit néo-esclavagiste pour analyser la logique de ce roman historique.

Mots-clés: Récit néo-esclavagiste, le chemin de fer clandestin, l’abolition, l’esclavage, approche narrative néo-esclavagiste.

Introduction

Reimagining the past in contemporary literary creation is not new, especially if the whirling effects of this past have lasted throughout the time. For instance, in the American context, black slavery and its consequences much fueled literary imagination known as the Slave Narrative genre. This literary genre accounts for the evils of bondage, written either by former slaves or scholars outside the slavery system. Ruth Miller and Peter. J. Katopes write about Slave Narratives that, they:

have their roots in Puritan writings, particularly in journals, diaries, autobiographies, and narrations, all designed to record the Puritan experience of the « walk with God. » Slave narratives use a similar form to record the flight to freedom; they are chronological in structure, episodic, and provide little, if any, transition. Events are drawn from common experience; incidents that dismay or horrify or repel are frequently recounted with a lack of passion usually associated with literature designed to demonstrate the truth. There are auction blocks, lashings, escapes, and recaptures; there are tears and prayers and exhortations; there are special providences recorded, coincidences, suspenseful moments in flight, tricks to outwit captors, all of this presented in a tone that is pervasively sober. If there is a preponderance of gloom, there is also optimism; despair mingles with joy. And the overriding purpose of the narrative is to activate the will of the reader to abolish first the slave trade and finally slavery. (21)

Miller and Katopes provide a comprehensive definition of the Slave Narrative literary genre, which emerged at the post-Civil War America as a medium of slaves’ accounts of their lives in bondage. Many decades after slavery, writers still frisk in the memories of the antebellum South to bring out some untold stories with contemporary expectations. The imagination of slaves’ accounts to make them relevant in contemporary context is what is known as Neo-slave Narrative, and Colson Whitehead’s The Underground Railroad (2016) is an example. Ashraf H. Rushdy in his book Neo-slave Narratives: Studies in the Social Logic of a Literary Form declares that “Neo-slave narratives are modern or contemporary fictional works substantially concerned with depicting the experience or the effect of new world slavery” (533). Rushdy argues that the contemporary world exhibits some forms of enslavement typical to the historical black slavery in the Americas, and creative writers address such issues by using the slave narrative tradition. These slave narratives in contemporary literature are qualified as neo-slave narratives, since they carry the traditional slave narrative features, but have contemporary implications. Marta Frątczak opines that ‘‘…. saving from oblivion the memory of the dispossessed, and conveying their historical experience through fiction, has always necessitated finding the way to reconcile undocumented histories with the practical demands of novelistic narration’’(33). According to Frątczak, the necessity to retell slave narratives today resides in the writers’ commitment to keep the slaves’ memory alive and exhume untold stories in order to heal the black people’s bitter past. Colson Whitehead released TheUnderground Railroad in 2016, and Michael Szczechowski argues that:

Whitehead uses the simple premise of a slave girl’s odyssey through a hellish, early 19th century southern United States and conveys his thoughts and concerns for modern-day America, specifically of the lingering effects that slavery and racism has had on Americans, and bravely paints an honest picture of the people we are.

Szczechowski is then suggesting a contemporary interpretation of Whitehead’s fiction which addresses modern day societal concerns from a Slave Narrative perspective. Bernard W. Bell argues that Neo-slave Narratives “combine elements of fable, legend, and slave narrative to protest racism and justify the deeds, struggles, migrations, and spirit of black people” (289). Bell’s definition takes into account black people’s frustrations born from the antebellum South tradition, and that justifies their behavior among other ethnic groups in America. Bell seems to argue that, in a Neo-slave Narrative, there are some ashes of the past brought in the present to understand the behavior of the descendants of slaves in contemporary America. Angelyn Mitchell refers to the genre as “liberatory narratives”, since they mostly focus ‘‘on the enslaved protagonist’s attainment of freedom” (4). Mitchell’s assertion is much complex when she uses the term ‘‘liberatory narratives.’’ She seems to refer to stories, in which the protagonist forcibly attains freedom, softening by then the atrocities and inhuman conditions he had to face before reaching freedom. The reading of Whitehead’s historical novel goads me to venture on the field of Neo-slave Narrative. From the preceding critics’ views, my work argues that, Colson Whitehead’s creative work not only refreshes slaves’ conditions of the antebellum South, but also seems much allegorically to address contemporary social injustices and how to cope with them. The paper focuses on the contemporary meaning that Whitehead’s novel carries and which makes it a Neo-slave Narrative. The interest of this analysis resides in the novelist’s choice of plantation Slave Narrative tradition to address contemporary racial issues in the United States. If black people still fight for freedom up to this twenty first century, it means that the ghost of slavery still haunts them and they should get rid of it. Obviously, the study is conducted from a Neo-slave Narrative perspective, which deals with contemporary creation of Slave Narratives. The Neo-slave Narrative theory helps in this context draw a contemporary meaning and relevance of Whitehead’s antebellum South narrative. Apart from Whitehead’s novel which is the primary source of this work, additional information will be drawn from articles, books, and other relevant materials to strengthen the point being made. The work first overviews the Neo-slave Narrative genre with reference to Whitehead’s novel by discussing the meaning of the title, the thematic approach and the characterization. Further, the paper analyses the relevance of reimagining Slave Narratives in the twenty first century as a form of resistance.     

1. The Underground Railroad: A Neo-Slave Narrative

Colson Whitehead’s novel is published in 2016, when the Black Lives Matter movement was already rallying thousands of people to the cause of innocent and defenseless black male victims of white police murderers. Nikita Carney writes:

The BLM movement began in 2012 when George Zimmerman was acquitted after shooting and killing 17-year-old Trayvon Martin in Florida. Three Black women activists, Alicia Garza, Patrisse Cullors, and Opal Tometi, started the movement that subsequently engaged many, including many youth of color, in social justice activism across the country (181).

The movement evolved as an outcry for justice to the innocent victims of police harassment. It is quite arguable that Whitehead’s novel finds a fertile ground for debate, since it is all about a struggle for freedom, just like the contemporary Black Lives Matter movement. Whitehead’s novel opens with the account of Ajarry, the grandmother of Cora, the protagonist. Ajarry is arrested and sold to slave traders at the port of Ouidah, and eventually shipped to the New World[1] where she was sold many times to different plantations owners. Cora was resentful to escape slavery when Caesar brought the idea for the first time, (TUR 9) but when she remembered Mabel, her mother, she decided to flee. The story evolves through Cora and Caesar’s hard journey northwards, stopping times to times at railroad stations, where some secret agents helped them with food and accommodation until they reached north. Ridgeway, a slave catcher was to bring Cora back to Georgia, but was ultimately defeated in a fight against Cora in a railroad station on Valentine. The Underground Railroad, though published in the twenty first century tells the story of a runaway slave girl, bringing the reader centuries back in the South American slavery tradition. Bringing back fugitive slaves’ narratives in the twenty first century is Colson Whitehead’s concern in The Underground Railroad, and he must have strong motives to refresh the old slavery tradition in a contemporary American society where the descendants of the former slaves are still oppressed. Colson’s novel which is classified as a Neo-slave Narrative genre is part of many fictional works produced by non former slaves and out of the context of slavery, but which vividly depict the lives of black slaves on the southern plantations.

The debate around this literary genre has gained interest since its rise in the second half of the twentieth century, and according to Ashraf H. Rushdy, the Neo-slave Narrative genre is about the “contemporary narrativity of slavery” concerning “contemporary novels that assume the form, adopt the conventions, and take on the first-person voice of the antebellum slave narrative” (3). Rushdy refers to writers, who did never experience slavery, but deal with the plantation narrative style, of course with a specific purpose in mind. Valerie Smith observes that, the Neo-slave Narrative genre mostly refers to:

texts set during the period of slavery as well as those set afterwards, at any time from the era of Reconstruction until the present. They approach slavery from a myriad perspective […] from realist novels grounded in historical research to speculative fiction, postmodern experiments, satire and works that combine these diverse methods (168).

Smith contends that, the Neo-slave Narrative genre is a writing style that alerts on the still rampant residues of bondage and injustices in America. The Neo-slave Narrative is a genre that links the past slavery pains to contemporary ones and Saidiya Hartman argues “If the ghost of slavery still haunts our present, it is because we are still looking for an exit from the prison” (133). Bridging past slavery traumas to the present forms of injustices (especially done to black people) is not only an outcry to end social injustices, but an opportunity to reveal some untold stories about slavery, and make them fit the modern social calamities. This is an alternative reception of slave narratives which were supposed to end with the last survivors of slavery. Timothy A. Spaulding observes in his work Re-forming the Past: History, the Fantastic, and the Postmodern Slave Narrative that, modern narratives on slavery ‘‘create an alternative and fictional historiography based on a subjective, fantastic, and anti-realist representation of slavery” (2). Conclusively, a Neo-slave Narrative is the blending of Slave Narrative genre storyline with contemporary paradigms that serve as clues to draw meaning. Colson Whitehead’s The Underground Railroad better fits the Neo-slave Narrative genre from its third person narrative point of view, where the reader is well informed about characters challenges and their inner thoughts. The traditional narratives by former slaves have mostly involved adults struggling to free themselves from the grids of bondage, but Whitehead’s novel spots a fifteen years old Cora, a defenseless girl who is fighting alone against the whole slavery structure. Whitehead’s choice of a vulnerable character foreshadows the degree of hardship ahead on the journey of freedom. Ridgeway, the villain is defeated in a close fight with the young Cora, and this implies that, the oppressed must stop running away from the evil, but he must definitely fight and cancel it from his existence. The contemporary meaning of the Slave Narrative genre is its still recurrent theme of injustice done to the most vulnerable people of the society, and which requires their own investment for total liberation, in the image of Cora.         

2. The Underground Railroad: Struggle against Institutionalized Injustice

Colson Whitehead may have enough reasons to name his fictional work after the historical anti-slavery movement known as the Underground Railroad. Junior Ranger in his article ‘‘Discovering the Underground Railroad’’ writes:

The “Underground Railroad” is not actually a train operating along hidden railroad tracks. Instead, it refers to an idea. The Underground Railroad refers to the efforts of enslaved African Americans to gain their freedom through escape and flight—and the assistance of people who opposed slavery and willingly chose to help them to escape—through the end of the U.S. Civil War.

This anti-slavery movement was according to slave holders an illegal movement and this is in response to their assumptions that the title is given to the novel, to keep a close watch on social injustices and fight them. In this perspective, it is arguable that the title of Whitehead’s novel is to remind the readers that, in contemporary societies, there are still many forms of human subjugations, and philanthropists must rally with victims in their search for liberation as was the case of abolitionists.  The title of Whitehead’s novel is to be understood beyond the context of African Americans’ bondage, which in fact provides much of the meaning to the narrative. Addressing to the Underground Railroad in the twenty first century may suggest that, there are new tales about the movement (the untold ones or the new interpretation the former ones embody today). There are hidden forms of injustices which politics fails to notice, and even when the victims raise alert, they are repressed by laws that seem too old to contemporary realities.

Colson Whitehead’s novel finds place in contemporary discourse because of the continuous subjugation of the masses by a handful of powerful people. Though the institutionalized black slavery is legally abolished, it had left much stain on the victims’ psyche. Their past trauma still springs whenever justice is twisted. In this part of my analysis, I consider the struggle for freedom, which is the main idea of Whitehead’s novel as a relevant topic in contemporary discourse. In her research work titled Modern Representations of the Underground Railroad in Philadelphia Eldra D. Walker investigates what remains of the antislavery movement in Philadelphia and comes to the conclusion that, for the sake of memory and what it represents today, it must be preserved.

There are many ways to preserve the UGRR. One way of preserving the story of the UGRR is to preserve the documented ‘stations’ where fugitives sought aid. Another method is re-telling the stories of those fugitives who escaped bondage. In recent years, Congress has created laws to determine if the story of the UGRR can be preserved and how to honor the story of the UGRR. However, to truly commemorate and interpret the story of the UGRR, it must be reframed with the preservation of the stories of slavery, antislavery, and other forms of resistance (24).

In the center of Walker’s argument stands the imperious need to retell or reframe the stories of those who were involved in this philanthropic system. In Whitehead’s fictional context, the scenes of atrocities inflicted to black slaves meet the sympathy of Sam, one of the white conductors of the Underground Railroad. Sam’s job is to feed and host fugitive slaves, and upon Cora’s and Caesar’s arrival at the station, he declared: “This is my job,”… “You wait here until they come and fetch you”…“You made it,”… “You’re really here”…. “You’re a long way from Georgia,”…“South Carolina has a much more enlightened attitude toward colored advancement than the rest of the south. You’ll be safe here until we can arrange the next leg of your trip. It might take time” (TUR 73, 74).  Still in the hands of the conductors of the Underground Railroad, Cora and Caesar are not safe and this accurately shapes the novel’s vibrant quest for freedom. Conclusively, Lander, one of the slave catchers remarks on the Valentine farm that, “Here’s one delusion: that we can escape slavery. We can’t. Its scars will never fade” (TUR 217). The novel finds its contemporary relevance in Lander’s words, which much bend on the psychological everlasting scars of slavery, that still exist in twenty first century under various forms, and much exercised against the descendants of black slaves. The Underground Railroad is a readership that serves as a reminder of the right of all human beings, regardless any difference in the pursuit of happiness, as stipulated in the preamble of the Declaration of Independence. It is because the handful of people on power position marginalizes the right of the masses that protests and discomforts of all sorts are regularly expressed in modern societies. Whitehead displays the constant search for freedom in modern societies through the repetitive advertisements of reward (that begin some of the chapters of the narrative) for he who brings back a runaway slave to his holder (TUR 15, 68, 112, 155, 183). These advertisements are the very insidious facet of the unconstitutionally institutionalized black slavery, since runaway slaves are never safe, even once in antislavery territories. Cora, the heroine of the narrative did never rest, she was always held in motion, most of the time hiding from Ridgeway, the slave catcher and his crew. Her endless run much illustrates the unsafe human conditions, which need to be permanently improved regarding the new contexts.

The plight of the black characters in the novel is visible through the author’s use of some paradigms embodying contemporary interpretation: the Griffin Building which is twelve stories high and the hob, which represents a modern psychiatric asylum or a ghetto. The Griffin Building is the highest building of the town and it hosts many businesses, among which Mr. Anderson’s office of contracts in cotton (TUR 69-70). The Griffin Building with its high-tech features and the businesses its hosts represent modernity and the American capitalism, which has much developed from slaves’ labor. By purposely inserting modern symbols in a story that is supposed to occur in a far remote time, the author is foreseeing the endless black slavery in the context of modern progress. The hob on Randall plantation is the cabin of the outcast women slaves (TUR 33-34), and it quietly fits a psychiatric asylum of modern times. This also helps understand how social ostracism worked on black people at the post-Civil War reduced them into psychologically disabled people overcrowded into ghettos and slums.    

3. The Underground Railroad: Empowering Women

Colson Whitehead gathers appropriate and efficient materials in the hands of his heroine for her project of running for freedom. Cora is described as a fragile and a strong female character, much lucky enough to overcome all the adversities on her way to freedom. The narrator recalls that Cora has inherited the capacity to cope with difficulties from her grandmother Ajarry and resistance from Mabel, her mother (TUR 18). Cora’s odyssey from the Randall plantation in Georgia to her encounter with Ollie the last conductor of the Underground Railroad heading to California (TUR 232) is much like a fairytale. It seems that all the gods are with her and assist her whenever trouble comes. Cora represents all these social disinherited and unprivileged who struggle to achieve an average living in the midst of social challenges. Cora’s young age, contrasted with the enormous challenges she faces quietly determines the strong moral character that hosts her innermost. Cora has to be empowered in one way or the other in order to endure the brutalities of plantation life and the dangers of the flight. Depicted from the image of Harriet Tubman, the well-known female figure of the historical Underground Railroad movement, Cora’s omniscient thoughts guide her along her journey. She temporally lived in South Carolina under a fake identity: ‘‘BESSIE Carpenter was the name on the papers Sam gave her at the Station’’ (TUR 72). Sam is one of the white agents operating on the Underground Railroad, and his assistance allows Cora to temporally enjoy freedom before her hunter Ridgeway erupted in the city. Cora’s permanent flight from one station to another well illustrates the unrest state of the contemporary marginalized, who demonstrate from various forms to have their requests heard and satisfied. She is a modern emblem of protest as she embodies many social representations like gender, race, age etc. Visibly, by choosing Cora as the protagonist, Whitehead enhances the discourse of struggle for freedom, which has formerly involved adults and much more male characters. Current protests around the world are much rallied on social networks platforms where the youth stand as key actors. Commenting on the central role played by the youth in contemporary social movements discourse, Nikita Carney observes in ‘‘All Lives Matter, but so Does Race: Black Lives Matter and the Evolving Role of Social Media’’ that, ‘‘While the public sphere is not universally accessible, the rise of social media appears to be increasing accessibility to national discourse, particularly for youth who are coming of age with the rise of this technology’’ (184). The rapid control of the internet by the youth, who ask for much freedom and justice all across the world, may have weighted on the Whitehead’s choice of Cora as the central freedom fighter. Cora’s early awareness about the unconstitutional aspect of slavery from now on strengthens and fuels her behavior:

The whites came to this land for a fresh start and to escape the tyranny of their masters, just as the freemen had fled theirs. But the ideals they held up for themselves, they denied others. Cora had heard Michael recite the Declaration of Independence back on the Randall plantation many times, his voice drifting through the village like an angry phantom. She didn’t understand the words, most of them at any rate, but created equal was not lost on her. The white men who wrote it didn’t understand it either, if all men did not truly mean all men….. Stolen bodies working stolen land. It was an engine that did not stop, its hungry boiler fed with blood (TUR 91).

For Cora, the Declaration of Independence rightly stipulates that: ‘‘We hold these truths to be self-evident, that all men are created equal, that they are endowed by their Creator with certain unalienable Rights, that among these are Life, Liberty and the pursuit of Happiness’’ (XLV). Cora better understood the controversy of the institutionalization of slavery after reading the above passage, and started searching for ways to readjust it. Being endowed with such great ingenuity, Cora is able to play her card through the manacles of the system, but still she is hunted by Ridgeway, the unrest slave catcher and his crew, who symbolize modern structures of hindrance to human fulfillment. Cora’s final encounter with Ridgeway is a close fight in which the slave catcher is severely wounded, watching helplessly Cora run away. The scene of their fight is recalled as follows:

Tonight I will hold him close, as if in a slow dance… She waited until the slave catcher was on the third step. She spun and locked her arms around him like a chain of iron. The candle dropped. He attempted to keep his footing with her weight on him, reaching out for leverage against the wall, but she held him close like a lover and the pair tumbled down the stone steps into the darkness. They fought and grappled in the violence of their fall…Cora untwined herself from Ridgeway and crawled toward the handcar, left leg in agony. The slave catcher didn’t make a sound. The big bone in the man’s thigh stuck out of his trousers and his other leg bent in a gruesome arrangement (TUR 229).

Obviously, Cora could not stand her hunters’ assails and Whitehead has to get her miraculously out of danger.  Her victory over Ridgeway and his men makes her a heroine of black protest, and furthermore an emblem of universal freedom fighter. Nihad M. Farooq argues that ‘‘Ridgeway hunts Cora with a particular vengeance because he had lost track of her mother, Mabel, who ran from Randall six years earlier’’ (88) and this explains his ferocious assails on Cora. She has to be more than an ordinary character, doubly assisted by the Providence and the sympathy of strangers she met on her northward journey to freedom. 

4. The Underground Railroad: Reimagining the Slave Narrative Genre in the Twenty First Century

The reader may be inquisitive about the relevance of Whitehead’s The Underground Railroad in the twenty first century beside the emergence of new trends in creative literature. I hold it that, reimagining a Slave Narrative genre in the contemporary context may imply an articulation of resistance against modern forms of injustices. The then plantation slavery that subjugated black people is translated into modern context of injustice, ranging from the fight for human rights to the engagement into ecological causes. Exhuming the Slave Narrative genre today in creative literature is to relight the flame of hope among desperate people, because it is a story of hard struggle to remain alive and afterward free in a country where minorities struggle to make a safer place for themselves and their descendants. Especially, for black people, a Slave Narrative genre in the twenty first century is a reminiscence of their endless journey to freedom. In Whitehead’s novel, slavery is not to be solely considered as the historical Trans-Atlantic trade and servitude of Africans in the Americas, but all hindrances (mostly man made) to human fulfillment. The contemporary context of violation in human rights suggests to think of slavery beyond the historical enslavement of Africans on the American soil. It would be much incoherent if Colson Whitehead had told the story from a stereotype black slave point of view, without inserting contemporary paradigms (the high tech Griffin Building, the women hob, the clinical tests on black people) to make it  meaningful for his readership. In other words, Whitehead’s novel displays some features “which were not typically reflected in the slave narratives of the nineteenth century” (Von Rönn 17). If the Slave Narrative genre is still meaningful today, it is because of the various shapes slavery has taken according to Saidiya Hartman who argues that:

If slavery persists as an issue in the political life of black America, it is not because of an antiquarian obsession with bygone days or the burden of a too-long memory, but because black lives are still imperiled and devalued by a racial calculus and a political arithmetic that were entrenched centuries ago. This is the afterlife of slavery—skewed life chances, limited access to health and education, premature death, incarceration, and impoverishment (6).

These are in Hartman’s words the new forms of subjugation which refresh the dark memories of the nineteenth century black enslavement, and harboring towards equal rights for all, will help cure the psychological wounds of the past trauma and turn a new page to write the common history. The American country that claims itself democratic and an example in matter of human rights enforcement is contrastively the field of many injustices toward non-whites from the colonization to the recent demonstrations of the Black Lives Matter movement. The black people’s plight started when the illegal slavery system was institutionalized as a compromise to the southern states’ request to save the Union. Royal, one of the free black characters operating on the Underground Railroad in the novel remarks: “And America, too, is a delusion, the grandest one of all. The white race believes—believes with all its heart—that it is their right to take the land. To kill Indians. Make war. Enslave their brothers. This nation shouldn’t exist, if there is any justice in the world, for its foundations are murder, theft, and cruelty. Yet here we are’’ (TUR 217). Royal then captures the illegal way used by the nation to dominate and oppress it own people and much more other countries on the international level. As long as African Americans and other minorities are forced on the margins of the American Dream, the Neo-slave Narrative genre will continue growing as a contemporary great literary form of resistance. The genre, then, becomes the cornerstone of the fight against racism, discrimination, and other forms of oppression exercised on the most vulnerable social groups by some people holding power.

Conclusion

This paper has investigated some characteristics of the Neo-slave Narrative literary genre in Colson Whitehead’s novel The Underground Railroad. The argumentation stems from this question: how relevant is an antebellum Slave Narrative in the twenty first century? At the end, the analysis has revealed that Whitehead’s historical novel, though released in 2016 tells the story of Cora, a fugitive slave girl. The Slave Narrative genre, which emerged at the post-Civil War era, did not fade because of its central issue which is the slaves’ struggle to survive and make their stories known to their descendants. The genre has evolved with the writers’ reference to modern paradigms in their works and it became a Neo-slave Narrative genre, but did not lose its plantation tradition aspect. Fundamentally, this work has argued that, Whitehead’s The Underground Railroad departs from the Slave Narrative tradition to address contemporary forms of injustice that prevent African Americans and other minorities to achieve the American Dream. It is quite illusory to ignore that, though the historical slavery is abolished, other forms of enslavement and alienation are well marshaled by the hegemonic white dominant voice to keep the rest under control. The historical slavery in the novel is symbolic to any obstacle (usually man made) that threatens human happiness. The storyline that channels the ghost of slavery from Ajarry to her granddaughter Cora well illustrates the endless inhuman treatments faced by African Americans, and which are currently expressed through the demonstrations of the Black Lives Matter movement and other forms of protests. The novel is relevant in the contemporary context where human rights are being rudely violated under the conspiracy of some heartless decision makers. The paper has also argued that, Whitehead incisively attacks injustice through Ridgeway’s brutality on the young and defenseless Cora. The Slave Narrative genre (which deals with the protagonist’s endeavor to achieve freedom) finds its relevance in contemporary context because it addresses the same issue of freedom, but under other forms, and with other actors, which not forcibly black people. This is to say that, no one is spared from the social oppression, and even the most vulnerable must stand up like Cora and fight, if they aspire to survival. Moreover, the study has argued that, by reimagining the slaves’ hard struggle to freedom in the context of current challenges, Whitehead simply reminds that slavery still exists, but under various shapes, and Cora’s fight must incite optimism in people who have lost faith in the possible attainment of the American Dream.

Works Cited

Bell, Bernard. W. The Afro-American Novel and its Traditions. USA: The University of  Massachusetts Press, 1987.

Carney, Nikita. ‘‘All Lives Matter, but so Does Race: Black Lives Matter and the Evolving Role of Social Media.’’ Humanity & Society, Vol. 40. 2, 2016, pp. 180-199.

Farooq, Nihad. M. “A Useful Delusion: Valentine Farm and the Flight for Freedom.’’   Utopian Studies, Vol. 30, No. 1, 2019, pp. 87-110.

Frątczak, Martha. “History as Now: Allegorical (Re)visions of the Slave Experience in Caryl Phillips’s Crossing the River (1993)” Commonwealth Essays and Studies 40.1. 2017, pp 33-43.

Hartman, Saidiya. Lose Your Mother: A Journey Along the Atlantic Slave Route. New York:  Farrar, Straus and Giroux, 2007.

Miller, Ruth. and Peter, J. Katopes. ‘‘Slave Narratives’’ in Thomas M. Inge, Maurice Duke and Jackson R. Bryer (eds) Black American Writers. Palgrave Macmillan, London. 1987, pp 21-46.

Mitchell, Angelyn. The Freedom to Remember: Narrative, Slavery and Gender in Contemporary Black Women’s Fiction. London: Rutgers University Press, 2002.

Ranger, J. Discovering the Underground Railroad https://www.nps.gov/common/uploads/teachers/lessonplans/UGRR-Junior-Ranger-Activity-Booklet.pdf. Accessed: 04/04/2022.

Rushdy, Ashraf. H. Neo-slave Narratives: Studies in the Social Logic of a Literary Form. New York: Oxford UP, 1999.

Smith, Valerie. ‘‘Neo-slave Narratives’’ in Audrey Fisch (Ed.), The Cambridge Companion to the African American Slave Narrative. New York: Cambridge University Press, 2007, pp. 168 – 185.

Spaulding, Timothy. A. Re-forming the Past: History, the Fantastic, and the Postmodern Slave Narrative. Columbus: Ohio State University Press, 2005.

Szczechowski, Michael. ’21, on The Underground Railroad. From https://sites.udel.edu/honors/michael-szczechowski-21-on-the-underground-railroad/ Accessed 30/03/2022.

The Declaration of Independence 1776: https://uscode.house.gov/download/annualhistoricalarchives/pdf/OrganicLaws2006/decind.pdf Accessed: 04/04/2022.

Von Rönn, Stephanie. The Re-creation of History: Narrative Constructions in the African- American Neo-slave Narrative. Saarbrücken: Verlag, 2008.

Walker, Eldra. D. Modern Representations of the Underground Railroad in Philadelphia. A Thesis in Historic Preservation Presented to the Faculties of the University of Pennsylvania in Partial Fulfillment of the Requirements for the Degree of Master of Science in Historic Preservation, 2007.

Whitehead, Colson. The Underground Railroad. New York: Doubleday, 2016.

Comment citer cet article:

MLA : Awesso, Kpatcha Essobozou. « A Neo-slave Narrative Reading of Colson Whitehead’s The Underground Railroad (2016) ». Uirtus 2.1. (avril 2022): 265-280.


§ University of Kara, Togo / [email protected]

[1] Colson Whitehead. The Underground Railroad. (New York: Doubleday, 2016), 9 The subsequent quotations from this edition will be marked (TUR) followed by the page number.

Abstract (A Neo-slave Narrative Reading of Colson Whitehead’s The Underground Railroad (2016))

Colson Whitehead’s The Underground Railroad (2016) is a
narrative that carries the reader to the historical context of the abolitionist
movement of the nineteenth century United States of America. More than
two (2) centuries after, Whitehead re-imagines this episode of African
American history in a skillful readership that deserves critical attention.
Why does Whitehead retell the history of the abolitionist movement
known as the Underground Railroad in fiction? Why does he choose a
twelve year girl, Cora as the central character? Is the theme of slavery still
relevant in today’s social discourses? These are some questions that call on
a literary analysis of this masterpiece. The paper relies on the Neo-slave
Narrative approach to analyze the rationale behind this historical novel.
Keywords: Neo-slave narrative, the Underground Railroad, Abolition,
Slavery, Neo-Slave Narrative Approach.

Résumé (Variation diastratique en kabiyè, langue gur du Togo)

Palakyém Mouzou§

Résumé : L’homogénéité linguistique constitue un phénomène assez rare qu’on peut observer entre les locuteurs d’une seule et même langue. La pratique sociétale d’une langue comme le kabiyè laisse place à une hétérogénéité linguistique caractérisée par une variation lexicale assez dynamique entre certaines catégories de locuteurs. Ainsi, quels sont les facteurs qui sous-tendent une telle variation lexicale ? Pris dans le grand ensemble des phénomènes de contact de langue mais décrit sous l’angle lexicologique, cet article a pour substrat la diversité des procédés néologiques et stylistiques dans toutes les catégories observées. Il considère la variation diastratique comme un des aspects de la variation lexicale et le soubassement même de la dynamique linguistique. Plusieurs variables à la fois internes et externes aux langues et aux locuteurs interviennent dans cette variation. Les données qui sous-tendent la présente réflexion ont été collectées dans la préfecture de la Kozah auprès des différentes catégories socioprofessionnelles de la population.

Mots-clés : variation diastratique, création lexicale, kabiyè. 

Abstract: Linguistic homogeneity is a rare phenomenon that can be observed among speakers of a single language. The societal practice of a language such as Kabiye leaves room for linguistic heterogeneity characterised by a rather dynamic lexical variation between certain categories of speakers. So, what are the factors underlying such lexical variation? Taken as a whole of language contact phenomena but described from a lexicological perspective, this article takes as its substrate the diversity of neological and stylistic processes in all the categories observed. It considers diastratic variation as one aspect of lexical variation and the very basis of linguistic dynamics. Several variables both internal and external to languages and speakers are involved in this variation. The data underlying the present study were collected in the prefecture of Kozah from the different socio-professional categories of the population.

Keywords: Diastratic Variation, Lexical Creation, Kabiyè. 

Introduction

Dans les pratiques langagières, il est aisé de constater une variation des lexies à l’intérieur d’une même langue, tant sur le plan diachronique que synchronique. Comme le souligne Jean Dubois (504), la variation linguistique est le « phénomène par lequel, dans la pratique courante, une langue déterminée n’est jamais à une époque, dans un lieu et dans un groupe social donnés, identique à ce qu’elle est à une autre époque, dans un autre lieu, dans un autre groupe social ». Elle reflète le cosmopolitisme langagier d’une société et la manifestation concrète de la nature éminemment sociale de la langue. Il est généralement distingué cinq types de variations – en lexicologie et en sociolinguistique – liées au temps, au lieu, à la dimension sociale et à la situation : la variation diachronique, la variation diatopique, la variation diaphasique, la variation diamésique et la variation diastratique. C’est justement ce dernier type qui nous intéresse dans une suite d’études que nous comptons réaliser afin de rendre compte du dynamisme et de la vitalité linguistiques dont jouit la langue kabiyè, langue gur, de la branche orientale des langues gurunsi, parlée au Togo et au Bénin. La langue kabiyè, faut-il le rappeler, est parlée par une population de 1 423 964 locuteurs soit 22,9% de la population résidente, en considérant les chiffres du dernier Recensement général de la population et de l’habitat de 2010 et publié en 2015. Plusieurs travaux ont été réalisés sur le kabiyè mais aucun de ces travaux n’a jusqu’ici touché les différents phénomènes de variation linguistique en général et encore moins la variation diastratique en particulier. L’objectif de la présente étude est de relever et de décrire les différentes variations langagières selon les classes sociales des enfants, des jeunes, et des personnes âgées. Les questions principales auxquelles s’attèlera à répondre cette étude sont les suivantes : Comment se manifeste la variation diastratique en kabyè ? Quelles sont les structures de la variation diastratique en kabyè ? Nous postulons que la variation diastratique se manifeste par divers facteurs à savoir : l’âge, le sexe, la classe sociale. Elle s’observe ensuite à travers   diverses couches à savoir : couche enfantine, couche des jeunes et couche des personnes âgées.  Cette étude se situe dans une perspective à la fois lexicologique et sociolinguistique et abordera trois points principaux. Le premier présentera le cadre théorique et la méthodologie utilisés dans le cadre de ce travail. Il s’agira, dans le second point, d’examiner les facteurs de la variation diastratique en tant que partie intégrante de la variation sociale et démographique. Enfin, le troisième point analysera les structures des diverses lexies utilisées selon les différentes classes d’âge afin de ressortir les bases de différenciation.

1. Cadres théorique et méthodologique

Nous déclinons dans les lignes qui suivent les orientations théoriques de cette étude et la méthodologie qui nous a permis de réunir les données soumises à l’analyse.

1.1. Cadre théorique 

La variation linguistique est au centre de l’étude de l’utilisation de la langue. En effet, il est impossible d’étudier les formes linguistiques utilisées dans les textes naturels, par exemple, sans être confronter aux problèmes de la variabilité linguistique. François Gadet (7) disait d’ailleurs à ce sujet qu’« il n’est pas de langue que ses locuteurs ne manient sous des formes diversifiées ». Il ajoute que les linguistes « saisissent cette différenciation en parlant de variétés pour désigner différentes façons de parler, de variation pour les phénomènes diversifiés en synchronie, et de changement pour la dynamique en diachronie ». La variabilité est inhérente au langage humain, un seul locuteur utilise plusieurs formes linguistiques à différentes occasions et différents locuteurs d’une même langue expriment les mêmes significations en utilisant des formes différentes. La plupart de ces variations sont hautement systématiques, les locuteurs d’une même langue choisissent la prononciation, le choix des mots et la grammaire en fonction d’un certain nombre de facteurs non linguistiques. Ces facteurs inclus le but du locuteur de communiquer suivant les relations entre lui et son interlocuteur, les conditions de la production et les diverses appartenances sociales le concernant.

La présente étude sur la variation diastratique en kabiyè s’inspire de la théorie de la variation panlectale développée dans le cadre des travaux de la sociolinguistique. Cette théorie s’appuie principalement sur les travaux de Robert Chaudenson approfondis et enrichis successivement par Meyerhoff et Nagy, d’une part et Gudrun Ledegen et Isabelle Leglise, d’autre part. Cette théorie considère le contact de langues comme l’un des facteurs explicatifs des variations observées dans une langue. Selon Gudrun Ledegen et Isabelle Leglise (6), les travaux dans le cadre de cette théorie « se focalisent sur la nature et l’importance respective des facteurs extrasystémiques, intrasystémiques et intersystémiques qui déterminent les variations observées ».

Les phénomènes qui retiennent l’attention du chercheur dans le cadre de cette théorie sont résumés ainsi qu’il suit dans le tableau ci-après :

Changements relevant pour l’essentiel de l’intrasystémique dans lesquels l’interférence n’aurait au mieux qu’un rôle de renforcement (ex. : aller au docteur, laver ses mains)Changements où il y aurait convergence de l’intrasystémique et de l’intersystémique, l’interférence conduisant à des restructurations du même type que celles qui pourraient être opérées par la seule voie intrasystémique (ex. aller au docteur, laver ses mains)
Changements se manifestant dans des zones de variabilité potentielle du français et constituant des variantes spécifiques directement issues du modèle non français par transfert intersystémique (ex. retourner back, chercher pour …)Changements apparaissant dans le diasystème mais hors du F0 et relevant d’un aménagement individuel de la double compétence d’un bilingue, pour pallier une « défaillance » dans la langue dominée (ex. partir sur un voyage).

1.2. Cadre méthodologique

La collecte des données s’est entièrement faite à Kara, dans la commune de la Kozah. Nous avons, dans un premier temps, procédé par observation semi-directe où nous avons assisté à des discussions à bâton rompu entre des personnes de différentes classes d’âges à la maison et dans d’autres endroits (tchakpalodrome, fontaines publiques et marchés du quartier). Nous intervenions par moment pour en introduisant certains sujets, histoire de mieux percevoir la variation entre les différentes classes.

Il a paru utile d’élaborer un questionnaire, en addition des données déjà collectées, comportant 70 mots en français. Le choix des mots a été fait de sorte qu’on ressente la variation conformément aux situations habituelles entre enfants, jeunes et personnes âgées. Nous passions les questions aux informateurs et eux nous les rendaient en kabiyè. Ces données, entièrement enregistrées par un dictaphone, ont été ensuite transcrites et analysées. 

2. Facteurs de la variation diastratique en kabiyè

La variation diastratique de la langue est la variation sociale et démographique, c’est-à- dire la variation linguistique liée aux groupes sociaux et à la vie en société. Elle explique la différence entre les usages pratiqués par les diverses couches sociales, intégrant de ce fait les sociolectes. En effet, à une même époque et dans une même région des locuteurs différents, par des caractéristiques démographiques et sociales ont une différente façon de parler. L’étude de cette variation rend compte par exemple, des différences entre le langage des jeunes et celui des personnes âgées, entre le langage des groupes ruraux et celui des groupes urbains, elle rend compte encore des différences linguistiques entre les groupes professionnels ou, en fin, les différences selon les niveaux d’études des locuteurs. La variation diastasique se manifeste à travers plusieurs facteurs à savoir : le sexe, l’âge et les classes sociales.

2.1. L’âge

L’âge est le facteur le plus susceptible d’affecter la variation linguistique. Elle est considérée comme le facteur qui démontre le mieux s’il y a un changement au sein d’une communauté pour le même discours. Les études ont montré que les adultes emploient les variantes standard et traditionnelles tandis que les jeunes favorisent les formes non standard. Terry Nadasdi et al. démontrent une association de la variante auto parlée des locuteurs de moins de 30 ans et de la variante automobile au parler des locuteurs « d’âge moyen » (92). L’âge est le principal facteur dans la disparition de la variante traditionnelle. Nous notons également que le comportement linguistique de quelques groupes de locuteur dépend de leurs catégories d’âges. 

En kabiyè, on constate les différentes ci-après :

 EnfantsJeunesAge mûr
1chaisekpéyakpelaɣ́abalãkó
2(le) mangermam-mamtɔkɩyɛtɔ́ɔ́náɣ
3matière fécalepuuúpɩ́ndʋawayɩ́
4ignamehɛyɛhɛyɛhɛyɛ
5radioradiiyoaradiyowɛlɛsɩ
6stylobikbiktɔlíɩm cɩ́kaɣ

Comme ce tableau le montre, la notion de chaise est exprimée certes, de différentes manières mais le parler jeune et celui des enfants sont proches alors que celui de l’âge mur est totalement différent. De même, les lexies utilisées par les jeunes et ceux de l’âge mûr pour exprimer l’idée du manger sont proches alors que celle des enfants est totalement différente. La troisième lexie (matière fécale) est, par contre, très différente. Il est constaté des cas d’emprunts rendus différemment même si les lexies des enfants et des jeunes sont proches alors que les personnes de l’âge mûr utilisent carrément une autre lexie. Dans l’exemple 5, toutes les catégories d’âge utilisent des emprunts à la seule différence que les enfants et jeunes utilisent un emprunt d’origine française alors que la troisième catégorie utilise un emprunt d’origine anglaise. L’exemple 6, emprunt également, est rendu par un lexème totalement différent. Les enfants et les jeunes utilisent une même lexie qui n’est autre qu’une marque de stylo répandu en Afrique francophone et plus précisément au Togo. Les personnes d’âge mur ont une lexie issue d’un processus de création interne à la langue. Dans tous les cas de figure, il est observé une variation lexicale entre les trois catégories d’âge. La seule exception est observée dans l’exemple 4 où toutes les catégories ont la même lexie. Dans la partie 3, nous reviendrons amplement sur les lexies spécifiques à ces différentes catégories selon l’âge non plus pour expliquer mais pour donner la structuration des lexies utilisées.

2.2. Le sexe

Dans leurs pratiques courantes, il est observé également des différences de parler entre les hommes et les femmes parce qu’ils n’ont pas toujours les mêmes représentations linguistiques. Certaines des représentations peuvent être perçues positivement par les hommes alors qu’il n’en sera pas ainsi chez les femmes. Selon donc ces représentations qui ont un encrage socioculturel, l’utilisation des lexies variera d’un sexe à un autre. Anne Violin-Wigent (12) conclut déjà que « la tendance des femmes de plus de 40 ans de garder davantage de vocabulaire régional que les hommes du même âge est inversée pour les femmes de moins de 40 ans, qui montrent une plus forte tendance à abandonner le vocabulaire régional que les hommes du même âge ». Cette situation, même si elle indique cette variation entre les sexes, n’est pas identique dans la société kabiyè où, généralement, le comportement linguistique des femmes est le plus conservateur ou plus proche de la norme que celui des hommes. Cela est beaucoup plus remarquable lorsqu’il s’agit de s’exprimer sur des sujets liés à la sexualité ou aux parties du corps humain.

A titre illustratif, pour dire ‘’rapport sexuel’’, ‘’sexe’’, ‘’derrières de la femme’’, ‘’faire la cour’’ les femmes vont utiliser les lexies, kʋzʋʋ (7a), taŋnʋ́ (8c), pʋyʋ (9a), ɖánʋʋ (10a) là où les hommes diront plutôt yalaɣ (7b), ladɩyɛ/kodíye (8b), tɔbɩŋ (9b),ɖaʋ́ tʋʋ (10b) …

Les plus jeunes femmes semblent rejeter le vocabulaire ancien et préfèrent de plus en plus prononcer les mêmes lexies que les hommes du même âge. L’on entendra donc les lexies comme akpadɩyʋ́ (11), hilúu (12) ou mɩlʋ́ʋ (13) pour dire ‘’personne âgée, gourmandise ou voler.

2.3. Les classes sociales

Les classes sociales contribuent le plus à la variation linguistique, chacune ayant sa terminologie et ses expressions. Qu’ils soient forgerons, tisserands, menuisiers, prêtres, couturiers, guérisseurs, commerçants… ou cultivateurs/fermiers, les différents groupes socioprofessionnels contribuent énormément à l’enrichissement lexical puis, par la même occasion, à la variation linguistique. Même à l’intérieur d’un même groupe socioprofessionnel, il n’y a nullement d’homogénéité linguistique entre les différents lectes. Nous entendons par lecte, un parler spécifique réservé aux spécialistes d’un seul et même domaine voire sous-domaine. Il est donc un sous-ensemble d’un sociolecte. Un médecin, par exemple, utiliserait un premier lecte pour converser avec ses collègues médecins, un second pour échanger avec ses assistants et, enfin, un troisième lecte pour discuter avec ses patients.

Ainsi, un forgeron distinguera hakuu (14) de agooza hakuu (14a) et de hakuu kɩwasʋʋ (14b) alors que le citoyen habituel dira simplement hakuu. De même, un couturier, pour désigner habit, manteau, soutien-gorge, manche de vêtement et boubou, il utilisera tóko (15), niŋkaɣ tóko (15a), hɩla toko (15b), toko hamʋ́ʋ (15c) et tóko waa (15d) alors que le citoyen lambda dira simplement tóko (15). L’un des exemples le plus illustratif de la variation lexicale relève du domaine de la médecine traditionnelle. Les personnes enquêtées ont utilisé à 92% la lexie kɔ́yɛ (16) pour parler du produit alors que l’un des guérisseurs que nous avons interrogé nous a clairement dit que la lexie kɔ́yɛ est très vague et ne renvoi finalement à rien chez lui. Nous reprenons ci-après, les différentes occurrences avec leurs significations. 

(16a) Heu taa kɔ́yɛ     : espèce de plante herbacée à fleurs roses, à tiges et feuilles pileuse qu’on utilise pour faire une infusion au nourrisson

(16b) Kelá kɔ́yɛ          : espèce de plante légumineuse et médicinale pour le soin des dents

(16c) Kɔ́yɛ kɩ́ɖaɣlɩyɛ : clou de girofle

(16d) Kɔ́yɛ kɩmɩzɩyɛ́ : produit qu’on pulvérise

(16e) Kɔ́yɛ kpooloo    : espèce d’épice semblable à « kɔyɛ kɩ́daɣlɩyɛ » mais plus gros.

(16f) Tɛtɛ wondu kɔ́yɛ           : insecticide

(16g) Ɛlɛyɛ kɔ́yɛ         : espèce de plante médicinale entrant dans le traitement du vertige et de l’épilepsie

(16h) Limiye kɔyɛ       : produit contre la phlébite

(16i) Ladɩhoka kɔyɛ : produit contre la hernie 

Il est donc indéniable que tous les locuteurs n’utilisent pas les mêmes lexies et ne peuvent donc pas les maîtriser toutes ; l’utilisation et la technicité des lexies dépendront forcément des besoins que l’on ressent.

3. Structuration de la variation selon les classes d’âges

Ce troisième point a pour vocation d’analyser les structures des diverses lexies utilisées selon les différentes classes d’âge. Le peuple Kabiyè distingue fréquemment trois niveaux de classes d’âges au niveau des vivants : les enfants, les jeunes et les personnes âgées / personnes mûres. Nous élargirons donc les exemples, pour ensuite les analyser selon les procédés qui les ont fait naître.

3.1. La classe des enfants

Conformément à leur âge et au niveau du développement de leur appareil phonatoire, les enfants ont une manière particulière de s’exprimer. Cette façon n’équivaut nullement pas aux difficultés langagières. Cela est plutôt lié à l’incompétence linguistique, tout de même normal pour leur âge. C’est un acte inné de la faculté de langage qui peut être vue comme une grammaire universelle, c’est-à- dire un ensemble de principes qui guide l’enfant dans son apprentissage de la langue. Etant donné que cette faculté est propre à l’être humain l’enfant peut faire une grammaire de sa langue. Selon Noam Chomsky, si l’enfant ne produit pas certaines phrases à aucun stage de son apprentissage, c’est par ce que les constructions impliquées sont exclues d’emblée par les principes de grammaire universelle. En d’autres termes, il y a bien des phrases logiquement possibles mais qu’on n’observe pas dans les productions de l’enfant apprenant sa langue. Cela justifie donc le niveau de maîtrise de la langue chez les enfants.

Présentons quelques exemples issus des données collectées lors de l’observation et qui serviront d’analyse :

(17) pópó / pimpim               ῞motocylette῞

(18) lↄyiyɛ / vúm vúm           ῝voiture ῝

(19) ninεtɩ                               ῞lunettes ῞

(20) yídee                               ῝argent῝

(21) cuucuú                            ῞chiot῞

(22) yeyee                               ῝fleur῝

(23) kokoyikoo                       ῞poule῞

(24) kɔyɛ                                ῝produit῞

(25) peyaɣ́                              ῞tabouret῝

(26) sʋyʋm                             ῞boisson῝ 

(27) puú                                 ῝matières fécales῝

Après l’observation de notre corpus nous constatons que les enfants construisent la grammaire de la langue par imitation, par onomatopée, changement vocalique ou changement consonantique. Le procédé d’onomatopée, interjection émise pour simuler un bruit particulier associé à un être, un animal ou un objet, par imitation des sons, est assez abondant chez les enfants. Les exemples (17), (18), (21) et (23) l’illustrent bien. En effet, pour désigner moto, voiture, chiot et poule, les enfants rencontrés préfèrent imiter le bruit des engins ou l’aboiement du chien et le chant de la poule.

Au plan phonétique, il est constaté des changements vocaliques et consonantiques. Ainsi, la première syllabe de ninεtɩ, emprunté au français ‘’lunette’’ connait une variation vocalique. L’enfant préfère utiliser les voyelles non arrondies au lieu de faire des allers-retours entre les arrondies et les non arrondies. Il prononce donc la voyelle antérieure, non arrondie, de première aperture [i] qui est de même nature que [ε] d’aperture différente en lieu et place de celle antérieure, arrondie, de première aperture. Pareillement, plusieurs consonnes ont subi des changements par rapport à la norme langagière. On note cela essentiellement en position initiale où la consonne labiovélaire sourde [kp] de kpokpo et de kpélaɣ est remplacée par la bilabiale sourde [p] dans les exemples (17) et (25) ; [l] de lynεtɩ et de lidee est remplacée respectivement par la nasale labiodentale [n] dans l’exemple (19) et la semi-voyelle [y] dans l’exemple (20). Aucune variation morphologique n’est observée dans les exemples (22), (24) et (26) mais il y a cependant une variation tonale.

3.2. La classe des jeunes 

Les jeunes Kabiyè ont une pratique langagière comparable à celle de plusieurs autres groupes juvéniles dans d’autres cultures. Elle dénote en effet un jargon rempli de mots nouveaux, généralement empruntés, exprimant les notions modernes. Leurs énoncés sont jonchés de plusieurs procédés à tel enseigne qu’ils sont rarement compris par d’autres classes lorsque la discussion se déroule entre eux. Les lexies, que l’on peut qualifier d’authentique, sont réservées aux échanges avec les parents et les autres membres de la communauté à qui ils doivent un respect total. Apprécions les exemples ci-après :

(27) tↄkɩyɛ                              ῝manger῞

(28) lambᾶndυ            ῞sexe masculin῝

(29) fɛtʋ́ʋ                               ῞avoir des rapports sexuels῝

(30) tόmo                               ῝motocyclette῞

(31) týva                                 ῝voiture῞

(32) daák                                ῝lunette῞

(33) cãtána                             ῝argent῞

(34) dɔɔg                                ῝chien῞

(35) hέrύυ                               ῝fleur῞

(36) tɔbʋʋ́                              ῝copine῞

(37) gꭇãŋma                            ῝grand maman῞

(38) ŋma                                 ῞maman῝

L’examen des lexies utilisées par la classe des jeunes permet de relever différents procédés à la fois néologiques et stylistiques. Passons en revue, entre autres, le verlan, l’emprunt et la synecdoque. Le verlan est un procédé argotique consistant à inverser les syllabes de certaines lexies ou de certaines locutions. Dans le corpus soumis à notre analyse, le verlan est observé dans les exemples (30) et (31) où les jeunes utilisent tόmo et tyva en lieu et place de ‘’moto’’ et ‘’voiture’’. On note donc deux procédés : d’abord un emprunt et ensuite le verlan.

L’emprunt est, selon Christian Loubier, « le procédé par lequel les utilisateurs d’une langue adoptent intégralement, ou partiellement, une unité ou un trait linguistique (phonologique, lexical, sémantique, syntaxique, etc.) d’une autre langue » (21). Il est observé dans les exemples (32), (34) et (37) où les lexies daák, dɔɔg et gꭇãŋma sont empruntées respectivement à l’anglais ‘’dark’’ et ‘’dog’’ d’une part et au français ‘’grand maman’’. Bien sûr, la lexie anglaise dark équivaut à noir et non lunettes. Mais dans leur usage, cette lexie signifie ‘’lunettes’’, partie d’abord de ‘’lunettes noires’’ et maintenant utilisée pour tout type de lunettes y compris les verres médicaux. Au plan diachronique, précisons que ŋma dans les exemples (37) et (38) est utilisé par les enfants pour désigner ‘’maman’’. C’est donc une contraction syllabique infantile dans le processus d’acquisition du langage qui a fini par être utilisée par les jeunes voire des personnes mures.

La synecdoque est un procédé stylistique qui consiste à désigner le tout par une partie. Dans les exemples (28), (29) et (36), les lexies lambndυ ‘’prépuce’’, fɛtʋ́ʋ ‘’le geste d’aller et retour’’ et tɔbʋʋ́ ‘’derrière d’une femme’’ ne sont que des parties d’un ensemble.

L’ensemble de ces lexies d’une coloration argotique vient confirmer le caractère non seulement dynamique des pratiques langagières mais aussi leur variation continue.

3.3. La classe des personnes âgées

Les personnes mures utilisent souvent des mots authentiques dans leurs divers énoncés sauf dans des situations d’imitation de leurs enfants ou des jeunes avec l’objectif de les réprimander ou de les corriger. Elles sont les gardiennes du parler traditionnel et favorisent rarement des variations lexicales. Cette classe permet de percevoir les différents changements linguistiques opérés par les autres classes de la société. Dans la société kabiyè, les personnes âgées ne sont pas soumises à l’influence de l’école. Les exemples dont certains ont déjà des synonymes dans les exemples des classes enfants et jeunes nous permettent d’en adjuger.

(39) tɔɔ́wʋ                              ῞manger῝

(40) hɩ́nɛ                                 ῞sexe masculin῝

(41) awayɩ                              ῞matières fécales῝

(42) kpόkpό                           ῞motocyclette῝

(43) lɔɔrɩ́yɛ                             ῞voiture῝

(44) ɛsɛ́ñɩnɩŋ                          ῞lunette῝

(45) kόbo                               ῞argent῝

(46) haɣ́                                  ῞chien῝

(47) hέtυ                                 ῞fleur῝

(48) ɖooyú                              ῞poule῝

(49) ɛjam                                ῝handicapé῞

(50) ekpéni mʋlʋ́m                 ῞il/elle est décédé.e῞

(51) ɛvɛ́yɩ́                               ῝il/elle est décédé῞

(52) pɩsaυ tↄláa                       ῞le pagne est tombé῝

(53) ɛwɩláyɩ́ níyé                     ῞il/elle l’a réprimandé῝

Dans l’ensemble, les exemples ci-dessus confirment que les personnes âgées conservent le vocabulaire ou le lexique authentique de la langue. En considérant les données, on peut faire les binômes synonymiques suivants, en mettant en premier lieu les lexies les plus traditionnelles : (39) tɔɔ́wʋ /(27) tↄkɩyɛ pour ῞le manger῞ ; (40) hɩ́nɛ /(28) lambᾶndυ pour ῞sexe masculin῞ ; (41) awayɩ /(27) puú pour ῞matières fécales῞ ; (44) ɛsɛ́ñɩnɩŋ /(32) daák pour ῞lunettes῞ ; (45) kόbo /(33) cãtána pour ῞argent῞ ; (46) haɣ́ /(21) cuucuú pour ῞chien῞ et enfin  (47) hέtυ /(22) yeyee pour ῞fleur῝.

Il est également observé, dans l’usage des personnes mures, des expressions connotées non seulement liées aux niveaux de langues mais aussi aux tabous linguistiques comme le démontre Leonard Bloomfield (1933, p. 155). La connotation, faut-il le rappeler, désigne, selon Jean Dubois et al. (2012, p.111) “un ensemble de significations secondes provoquées par l’utilisation d’un matériau linguistique particulier et qui viennent s’ajouter au sens conceptuel ou cognitif, fondamental ou stable, objet du consensus de la communauté linguistique, qui constitue la dénotation”. Ainsi, la lexie (41) awayɩ “matières fécales” désigne littéralement “dehors”. Dans les maisons traditionnelles, les toilettes ne sont pas logées à la maison. Pour satisfaire ce besoin naturel, les membres de la familles vont donc au “dehors” pour se libérer avant de revenir. Il en est de même pour les lexies (50) ekpéni mʋlʋ́m et (51) ɛvɛ́yɩ́ dont les sens dénotés sont littéralement et respectivement “il/elle a apporté la farine” et “il n’est plus” pour signifier “il/elle est décédé.e”. 

Les autres lexies notamment (42), (43) et (45) sont pour la première une onomatopée et pour les deux autres des emprunts respectivement de l’anglais et de l’haoussa.

Conclusion

La variation diastratique en tant que phénomène de contact de langues est bien visible dans les pratiques langagières des populations togolaises, notamment dans la communauté Kabiyè. C’est indiscutablement un phénomène qui met en lumière des changements linguistiques selon le milieu social auquel appartient un locuteur (sa classe sociale, son groupe professionnel, son sexe, son âge, etc.). Elle dépend de trois facteurs généraux : intralinguistiques, interlinguistiques et extralinguistiques. Le croisement de ces facteurs nous a permis, dans le cadre de cette étude, de prendre en compte l’âge, le sexe et la classe sociale qui sont assez manifestent dans la société Kabiyè dont la langue est décrite.

L’examen des données a révélé une véritable variation entre les différentes catégories d’âges, les sexes et les secteurs socioprofessionnels. Il en ressort de part et d’autre que l’utilisation de divers procédés à la fois néologiques et stylistiques, enrichie le vocabulaire de la langue et diversifie aussi les usages. Il s’agit, entre autres, de l’onomatopée, l’emprunt, la synecdoque, le transfert de sens et la connotation.

Cet exercice fortement enrichissant et intéressant nous invite à creuser également les autres types de variations pour mieux décrire les différents contours de la variation linguistique.

Travaux cités

Bavoux, Claudine. Le français de Madagascar. Contribution à un inventaire des particularités lexicales, Bruxelles, De Boeck & Larcier, 2000.

Bloomfield, Léonard. Language, New-York, Holt, Rinehart & Winston, 1933.

Chaudenson, Robert. Français avancé, ‘français zéro’, créoles, Provence, Publications de l’Université de Provence, 1985

Chaudenson, Robert, Mougeon Raymond et Béniak Édouard. Vers une approche panlectale de la variation du français, Paris, Didier-Erudition – ACCT, Coll. « Langues et développement », 1993.

Dubois, Jean et al. Le dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris : Larousse. 2012.

Francard, Michel. « Décrire la variation en français contemporain. Outils théoriques et méthodologiques », Les Annales de l’Université de Craiova, série Langues et littératures romanes, numéro spécial : Variétés linguistiques et culturelles 7, Craiova, Edition Universitaria, 2005, p. 31-37.

Gadet, Françoise. La variation sociale en français, Paris, Ophrys, Coll. « L’essentiel », 2003.

Gudrun, Ledegen, Isabelle L´eglise. Variations et changements linguistiques. Wharton S., Simonin J. Sociolinguistique des langues en contact, ENS Editions, 2013, p.315-329, <halshs-00880476>

Lafage, Suzanne. Dictionnaire des particularités lexicales du français au Togo et au Bénin, Université d’Abidjan, ILA n° LIII, 1975

Lafage, Suzanne, et al. Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire. Québec, ACCT/AUPELF, 1983.

Loubier, Christiane. Les emprunts : traitement en situation d’aménagement linguistique. Québec : Les Publications du Québec. 2003

Meyerhoff, Miriam & Nagy Naomi. Social Lives in Language – Sociolinguistics and multilingual speech communities, Amsterdam: John Benjamins, 2008.

Mouzou, Palakyém. Terminologie mathématique français-kabiyè. Thèse de doctorat unique. Lomé : Université de Lomé.  2015.

Nadasdi, Terry, Mougeon Raymond, et Katherine Rehner. Expression de la notion de « véhicule automobile » dans le parler des adolescents francophones de l’Ontario. Francophonies d’Amérique, (17), 2004, p. 91–106.

Poirier, Claude. « Les variantes topolectales du lexique français. Propositions de classement à partir d’exemples québécois », Le régionalisme lexical, Michel Francard & Danièle Latin éds, AUPELF-UREF-Universités francophones, Coll. « Actualités scientifiques », 1995, p. 13-56.

Queffélec, Ambroise. « Les parlers mixtes en Afrique francophone subsaharienne », Le Français en Afrique, n° 22, 2007, p. 277-291.

Violin-Wigent, A. « Vocabulaire régional et transmission familiale : le cas du français briançonnais ». Linguistica Atlantica, n°26. 2005, p. 1–19.

Comment citer cet article :

MLA : Mouzou, Palakyém. « Variation diastratique en kabiyè, langue gur du Togo ». Uirtus 1.2 (décembre 2021): 233-247.


§ Université de Kara / [email protected]

Abstract (Figuration de l’échec dans Les choses de Georges Perec)

The theme of failure is made current by a very prolific 20th century literature which focuses on the human condition. And Georges Perec makes it a source that allows him to explore the specificities of a contemporary society that exclusively focuses on matter and possession. A perception which leads us to question the notion of failure which exposes the social and psychological vulnerability of singular characters. To nourish this reflection, we relied on the significance of the discourse
of failure in his text Les choses; this favored the analysis of a fairly characteristic writing of objects and things.
Keywords : incapacity, inaction, fatality, loser, negation

Full Text               

Résumé (Figuration de l’échec dans Les choses de Georges Perec)

Résumé : La thématique de l’échec est rendue actuelle par une littérature du XXe siècle très prolifique qui s’attache à l’analyse de la condition humaine. Et Georges Perec en fait une source qui lui permet d’explorer les spécificités d’une société contemporaine qui se focalise exclusivement sur la matière et la possession. Perception qui nous amène à interroger la notion de l’échec qui expose la vulnérabilité sociale et psychologique de personnages singuliers. Pour nourrir cette réflexion, nous nous sommes appuyés sur la prégnance du discours de l’échec dans son texte Les choses ; ce qui a favorisé l’analyse d’une écriture des objets et des choses assez caractéristiques.

Mots-clés : impuissance, inaction, fatalité, perdant, négation

 

Abstract: The theme of failure is made current by a very prolific 20th century literature which focuses on the human condition. And Georges Perec makes it a source that allows him to explore the specificities of a contemporary society that exclusively focuses on matter and possession. A perception which leads us to question the notion of failure which exposes the social and psychological vulnerability of singular characters. To nourish this reflection, we relied on the significance of the discourse of failure in his text Les choses; this favored the analysis of a fairly characteristic writing of objects and things. 

Keywords : incapacity, inaction, fatality, loser, negation

 

Introduction

La compétition, la réussite sont les mots et/ou les maux caractéristiques d’une société contemporaine qui ne tolère pas les perdants. Cet environnement de quête de la performance constitue, à rebours, un terreau favorable de construction de la marginalisation et de la mésestime pour une catégorie sociale. Cette perception matérialiste du monde génère l’idée de l’échec qui trouve son expression dans des champs de connaissance aussi divers que la philosophie, la sociologie, la psychologie et la psychanalyse. À l’instar de ces domaines, la littérature aussi fait de cette thématique un objet d’étude par sa représentation d’un phénomène social. Elle s’en fait l’écho dans des productions qui construisent un archétype de personnages totalement désintégrés et ancrés dans un défaitisme très caractéristique.

Anne Simonin aborde la même perspective en affirmant que « La littérature consacrée au génie et au succès est importante, celle de son double malheureux, l’échec, est très réduite. L’échec fait peur. Son « roman vrai » n’intéresse pas, à l’exception notable des psychanalystes » (111).

Ainsi des romans français majeurs sont représentatifs de ce type de personnages. Dans ce cas, les personnages d’Albert Camus sont aux prises avec une existence problématique, ceux d’Olivier Adam ou encore de Primo Levi sont empêtrés dans des situations totalement deshumanisantes d’où ils ne peuvent se soustraire ou semblent s’abandonner tant ils sont annihilés. Ces écrivains définissent des personnages totalement irrationnels et désensibilisés qui se retrouvent de l’autre côté du rideau, comme s’ils étaient soumis à une fatalité. Le problème que cette situation pose est celui de la condition humaine complexe qui contraste avec une littérature contemporaine à relent humaniste qui postule la valeur et la liberté de l’homme.   

Cette perspective existentielle paradoxale a conduit à réfléchir sur le sujet : Figuration de l’échec dans Les choses de Georges Perec. Un tel thème induit des questions de recherche qui permettront d’orienter l’analyse : Comment l’échec est-il représenté ? Comment le discours de la marginalité et de la désintégration se déploie-t-il dans le texte ?

Pour répondre à ces questions nous allons convoquer les méthodes narratologique et linguistique qui permettront d’étudier d’abord la typologie du personnage perdant. Il s’agira d’analyser les personnages principaux dans une perspective qui les appréhende selon la classification d’Éric Bordas qui définit une typologie basée sur quatre éléments majeurs (162-163). Ce qui aboutira à dresser une caractérisation de l’archétype du loser, dont la marginalisation est cristallisée par une narration avec une situation finale consacrant une irréversibilité du désavantagé. Ensuite, le discours de l’échec conduit à analyser une linguistique du perdant qui est consacrée par une véritable apologie de l’échec. Elle se perçoit dans un langage et des expressions spécifiques et un champ lexical particulièrement abondant ainsi qu’un vocabulaire dédié à cette notion.    

  1. Typologie du personnage loser

Il serait illusoire d’évoquer les catégories de personnages sans définir la notion même de personnage qui intéresse la critique. Cette instance narrative, en effet, a connu des fortunes diverses avec les différentes approches qui enrichissent les travaux critiques. La plus virulente des études est certainement celle d’Alain Robbe-Grillet qui vilipende le statut du personnage. Il formule clairement le reproche suivant : « Nous en a-t-on assez parlé, du « personnage » ! Et ça ne semble, hélas, pas près de finir. Cinquante ans de maladie, le constat de son décès enregistré à maintes reprises par les plus sérieux essayistes, rien n’a encore réussi à le faire tomber du piédestal où l’avait placé le XIXe siècle. C’est une momie à présent » (31). La déchéance du personnage dont parle le critique est d’une autre façon, l’annonce de la perte d’un privilège. Dans cette étude, il est soumis à un effilochage qui est régi par des caractères qui se déclinent en trois strates : l’inaction, l’état d’esprit et le conditionnement social.

D’abord l’inaction du personnage est caractéristique. A priori, il paraît être en action, tant il est inscrit dans une dynamique évolutive. Cependant, le schéma actantiel du support textuel montre un état initial qui ne subit pas de modification substantielle puisque les personnages principaux sont toujours dans une situation végétative. Dès l’incipit, le récit présente des protagonistes et des adjuvants qui sont installés dans une léthargie. Cette situation de non action n’est pas modifiée, malgré le changement d’espace (de la France à la Tunisie), la lassitude et la prise de conscience de leur statut d’infortunés qui auraient pu créer le déclic et favoriser ainsi une réaction possible des personnages.   

Ainsi, les actions que posent les personnages ne sont pas assez importantes au point de modifier leur état général. Dès le début du texte, le narrateur décrit des personnages dépareillés qui mettent fin à leurs études de droit et exercent des emplois précaires ou très banals. Cette situation de départ ne connaît pas d’évolution, puisque la précarité ne disparaît pas dans le dénouement de l’histoire. Finalement, les personnages s’inscrivent dans une forme de résignation ou d’accoutumance à leur situation. Nous lisons cette abdication dans ce passage : «Une annonce parue dans le Monde, aux premiers jours d’octobre, offrait des postes de professeurs en Tunisie. Ils hésitèrent. Ce n’était pas l’occasion idéale. Ils avaient rêvé des Indes, des Etats-Unis, du Mexique. Ce n’était qu’une offre médiocre, terre à terre, qui ne promettait ni la fortune ni l’aventure. Ils ne se sentaient pas tentés » (Perec 121). Les personnages sont en proie à une désillusion qui les amène à accepter, mal gré, des activités de peu de valeur avec des perspectives de carrière quasi inexistantes. Il y a un oxymore qui révèle une antinomie entre une opportunité d’affaire (l’annonce d’une offre d’emploi) et un désintérêt qu’ils affichent avec ostentation. Pour ce faire, l’emploi de la locution adverbiale « terre à terre », l’adjectif « médiocre » et le verbe « hésiter » montre l’attitude de dénégation et de minimisation affichée par des personnages qui sont paradoxalement en pleine crise existentielle.

Mieux, l’auteur n’est pas dans une logique de condamnation. Pourtant, il s’emploie à représenter des êtres maudits, de véritables abonnés aux ratages et qui entament une descente dans des lieux périphériques. Ce qui fait dire qu’il y a une perception duale dans le texte : une catégorie de losers et une autre de privilégiés. La focalisation est orientée vers la première catégorie qui s’autocensure et ne lutte plus, comme si elle s’abandonnait à la fatalité. Nous lisons une attitude contraire du protagoniste du Mythe de Sisyphe. Dans ce texte, Albert Camus revisite le mythe grec et les productions homériques qui construisent la figure de Sisyphe. Sa réécriture montre un Sisyphe qui refuse sa condition. A rebours de cette perception, chez Georges Perec le défaitisme est la chose la mieux partagée, car son personnage a conscience de sa situation, mais il assume sa passivité. C’est en substance ce qu’affirme Anne Pellerin :            

         Du paumé dilettante au poète raté en passant par le poissard en série, le dernier de la classe et le mari trompé, le loser est le champion des coups foireux, du manque de bol, des rendez-vous manqués, des opportunités loupées, des petites défaites et des grands échecs. Il préfère la fuite à la conquête, recule là où il faut avancer, hésite quand il faut agir et n’est pas sans peur ni reproche. S’il part de rien, il n’arrive à rien, voire est un bon à rien. Sombrant souvent dans un état d’inertie et de stagnation, il ne suit pas la trajectoire de l’ascension sociale, mais celle de la déchéance sociale et de la descente aux enfers. (3)

Bref, la posture des personnages, au sens physique du terme, donc la position assise qui est adoptée et qui implique une mobilité réduite sinon inexistence, est une expression de la platitude qui annihile la volonté de sortir d’une situation instable ou inconfortable. Il y a une sorte d’acceptation d’un état qui ne connaît pas d’évolution. Ce qui dénote de la fixité des personnages qui ne sont pas des êtres de faire. 

Ensuite, l’état d’esprit général du personnage que décrit le narrateur s’exprime dans le pessimisme affiché. C’est un sentiment ambiant qui brise tout effort de transformation de la situation de départ du personnage. De ce fait, appréhender une telle psychologie altérée conduit à s’intéresser à la philosophe de Schopenhauer. Selon ce penseur allemand, « nous passons toute notre vie à poursuivre un objet puis un autre, allant du désir et de la privation à la déception que la possession engendre toujours. »[1] Georges Pérec se fait l’écho de cette philosophie en construisant des personnages dont la volonté est annihilée tant ils sont convaincus que la position qu’ils occupent ne peut changer dans le bon sens. Ils ont cessé de lutter et laissent le mal rogner leurs espérances. De façon illustrative, nous avons la construction d’une atmosphère de négativité qui affecte tout leur être :

Ils vivaient au jour le jour ; ils dépensaient en six heures ce qu’ils avaient mis trois jours à gagner ; ils empruntaient souvent ; ils mangeaient des frites infâmes, fumaient ensemble leur dernière cigarette, cherchaient parfois pendant deux heures un ticket de métro, portaient des chemises réformées, écoutaient des disques usés, voyageaient en stop, et restaient, encore assez fréquemment, cinq ou six semaines sans changer de draps. (Perec 79)

 Le mode de vie qui est adopté par les personnages est totalement misérabiliste. La description, dans ce passage, porte sur des besoins primaires qui ne sont pas satisfaits correctement. On a spécifiquement un champ lexical de l’indigence qui est mis en évidence par le verbe ‘’empruntaient’’, le groupe de mots ‘’frites infâmes’’, les adjectifs ‘’réformés, usés’’. C’est une perception négative d’un quotidien complexe. Il y a dans l’écriture de Pérec une influence hippique qui affiche le refus des valeurs d’une société de consommation caractéristique du système capitaliste. Le gaspillage et la surexploitation sont cloués au pilori par la représentation d’une attitude totalement décalée.     

Le type présenté par Georges Perec est à rebours des personnages de récits médiévaux qui présentaient des figures courageuses et victorieuses. L’auteur s’intéresse à des figures moins angulaires que sont les perdants, les ratés qui, généralement, sont loin des feux de projecteur. Cette perception est partagée par Pierre Chartier qui, parlant du point de vue de Balzac sur ce thème, affirme que « Un type […], écrit-il dans la préface à Une Ténébreuse Affaire (1842), est un personnage qui résume en lui-même les traits caractéristiques de tous ceux qui lui ressemblent plus ou moins, il est leur modèle du genre. Aussi trouvera-t-on des points de contact entre ce type et beaucoup de personnages du temps présent » (123).

Finalement, la caractérisation du type perecien se base sur une inaction qui l’installe dans une fixité qui n’évolue pas. Le personnage est inscrit dans un état d’esprit bouleversé qui révèle une résignation et une acceptation d’une condition. Ces traits de fatalité sont construits par un auteur qui aborde, de ce fait, une thématique dont l’actualité dans une société contemporaine est manifeste.

  1. Le discours de l’échec

Le concept de l’échec est prégnant dans un texte actuel par sa thématique qui porte sur la condition de l’homme. L’auteur ne pointe pas une fatalité ou une divinité, mais un système social qui engendre des inégalités sociales caractéristiques. Dans le texte, la figure du couple Gérôme et Sylvie est représentative des infortunes et de la précarité qui sont abondamment décrites sous le prisme d’une situation d’énonciation qui cristallise l’échec et un vocabulaire de l’impuissance et de la résignation très caractéristique.   

À cet effet, Emmanuel Maingueneau dans son approche, affirme que « La notion de situation d’énonciation est au cœur de toute réflexion sur l’énonciation. Il s’agit d’un système de coordonnées abstraites, de point de repère par rapport auxquels doit se construire toute énonciation » (9). Le critique interroge tout un ensemble d’éléments structurels qui sont déployés dans un discours et principalement, pour le cas qui nous intéresse, le roman. De ce point de vue, l’énonciation lève le voile sur un narrateur extradiégétique qui prend en charge la narration d’une histoire rocambolesque. En effet, nous avons une scénographie spécifique de la condition humaine qui est l’objet de l’analyse. Elle pose dès le départ, un environnement où s’épanouit aussi bien un langage spécifique qu’un mode de pensée qui définit une catégorie de personnages. L’auteur ne peint pas spécifiquement des catégories sociales. Il investit une kyrielle d’objets hétéroclites, mais qui présentent une homogénéité. Ces objets de la vie quotidienne sont présentés dans une perspective antinomique qui permet de mettre en évidence un actant qui est présenté, dans ce texte sous la forme de chose. Le terme « chose » (Levinas 137) est employé dans le sens où l’entend le critique, c’est-à-dire un phénomène participant à la jouissance d’un individu. Ainsi dans le texte, nous lisons un amoncellement des objets de plaisir :

Il existait, à côté d’eux, tout autour d’eux, tout au long des rues où ils ne pouvaient pas ne pas marcher, les offres fallacieuses, et si chaleureuses pourtant, des antiquaires, des épiciers, des papetiers. Du Palais-Royal à Saint-Germain, du Champ-de-Mars à l’Etoile, du Luxembourg à Montparnasse, de l’île Saint-Louis au Marais, des Ternes à l’Opéra, de la Madeleine au parc Monceau, Paris entier était une perpétuelle tentation. Ils brûlaient d’y succomber, avec ivresse, tout de suite et à jamais. Mais l’horizon de leurs désirs était impitoyablement boucle. (Perec 18)

Il y a un recensement de lieux et d’objets qui sont focalisés sur la jouissance des sens. Ces déictiques spatiaux présentent des topographies connues et une spatialité qui sont potentiellement chargées d’émotion. Ces milieux exercent une influence sur les sens qui les rendent attractifs. Ils ont une certaine visibilité par la richesse de ce qu’ils présentent. Cependant, ces choses qui s’adressent à la sensibilité sont inaccessibles à des individus démunis dont la satisfaction des besoins est une gageure. À ce propos, le narrateur répertorie un ensemble d’éléments qui montrent un lexique essentiellement orienté sur des manques et des désirs impossibles à assouvir.

Ils vivaient dans un appartement minuscule et charmant, au plafond bas, qui donnait sur un jardin. Et se souvenant de leur chambre de bonne – un couloir sombre et étroit, surchauffé, aux odeurs tenaces – ils y vécurent d’abord dans une sorte de d’ivresse, renouvelée chaque matin par le pépiement des oiseaux. Ils ouvraient les fenêtres, et, pendant de longues minutes, parfaitement heureux, ils regardaient leur cour. La maison était vieille, non point croulante encore, mais vétuste, lézardée. Les couloirs et les escaliers étaient étroits et sales, suintant d’humidité, imprégnés de fumées graisseuses. (18)

Nous avons dans cet extrait un champ lexical de la misère et du dénuement dont le foisonnement met en évidence un espace complètement désuet, insalubre et abject. La perception déformée de la réalité ne permettait pas aux personnages principaux de prendre conscience des conditions de vie exécrable et spartiates dans lesquelles ils baignaient. Pour présenter ce sombre tableau, le narrateur emploie des adjectifs qui relèvent la morosité d’un lieu : « vieille, sombre, vétuste » ; des adjectifs exprimant la crasse : « sale, suintant, graisseuses » ;  les adjectifs qui portent sur un cadre de vie bringuebalant : « croulante, lézardée » et des adjectifs qui montrent la restriction d’un espace : « minuscule, étroit ». Tous ces adjectifs permettent d’identifier un milieu qui n’offre pas de confort à ses pensionnaires, mieux qui lève le voile sur leur statut social.   

L’expression d’une incapacité ou d’une perte de volonté se lit par un champ lexical particulièrement foisonnant. Ainsi dans le texte perecien, le discours se comprend comme une prise de conscience d’une situation ou d’un statut de défavorisé qui ne peut être modifié, mais est mal assumé par les personnages. Le langage, dans ces conditions, se veut caustique et récriminatoire :  

Peut-être étaient-ils trop marqués par leur passé (et pas seulement eux, d’ailleurs, mais leurs amis, leurs collègues, les gens de leur âge, le monde dans lequel ils trempaient). Peut-être étaient-ils d’emblée trop voraces : ils voulaient aller trop vite. Il aurait fallu que le monde, les choses, de tout temps leur appartiennent, et ils y auraient multiplié les signes de leur possession. Mais ils étaient condamnés à la conquête. (24)

Nous avons un groupe social qui adopte le même mode de vie morne de l’étudiant et/ou du psycho-enquêteur affadi. Il s’agit d’une catégorie d’individu qui partage une filiation, un métier et une temporalité. Ces éléments d’identification intègrent ce type de personnages dans un milieu qui les conditionne à développer des besoins inextinguibles qui s’expriment singulièrement par le verbe sans l’action. L’auteur procède ainsi par la construction de deux conditions sociales mises en parallèle pour cristalliser la notion de l’échec. 

Il y a tout un langage de la matière omniprésente, mais qui échappe à une possession ou une appropriation. En effet, le procédé de la description qui est utilisé à profusion dans le texte est mis au service des éléments qui sont répertoriés dans une perspective antinomique. Ils cristallisent une société capitaliste de grande consommation stratifiée pour exprimer le non accomplissement des personnages dans cette fiction. Ce discours de paradoxe est exprimé dans le passage suivant :

De station en station, antiquaires, libraires, marchants de disques, cartes des restaurants, agences de voyages, chemisiers, tailleurs, fromagers, chausseurs, confiseurs, charcuteries de luxe, papetiers, leurs itinéraires composaient leur véritable univers : là reposaient leurs ambitions, leurs espoirs. Là était la vraie vie, la vie qu’ils voulaient connaître, qu’ils voulaient mener. (97)

Les personnages, perdent pied avec la réalité fictive, et surfent entre un mode de vie rêvé mais inaccessible, et un autre qui est celui qu’ils vivent. Le faisant, dans l’expression de ce contraste, les personnages sont installés dans une situation d’oxymore. Dans l’extrait, l’opposition sémantique affichée porte sur des propositions. Il y a un idéal de vie projeté qui s’oppose avec leur réalité morne, détestable et implacable qui attise le mal-être. Les éléments cités dans le passage représentent des privilèges qui sont destinés à une classe de nantis. Et l’expression « là était la vrais vie » montre des qualités, des valeurs, des avantages sociaux qui débouchent sur une existence comblée, de jouissance. Toutes les choses décrites conduisent à la satisfaction sensorielle. Ainsi, les plaisirs gustatifs, visuels, tactiles sont ceux qui sont mis en évidence. Leur assouvissement permet d’atteindre une jouissance qui est, malheureusement, mise à mal par l’emploi du verbe « vouloir ». Il traduit l’intention des personnages qui ne suffit pas à rendre effectif un idéal, car la volonté seule ne modifie pas une position sociale. Les personnages ne peuvent que lorgner vers cette société d’avantage impossible à atteindre.

Au demeurant, la catégorie de personnages que nous analysons est confinée dans un espace périphérique singulier qui conduit au développement d’un argotisme. Elle appartient à un milieu qui agit inéluctablement sur leur mode d’expression. Les signes qu’ils emploient éclairent certainement sur un groupe social, mais aussi sur une profession. Mais quels sont les caractéristiques de ce langage ? La réponse amène à porter un intérêt aux travaux de Denise qui affirme que

La définition courante de l’argot est une définition historique : l’argot y est caractérisé comme la langue des malfaiteurs et des mendiants utilisé à des fins cryptiques. Il est clair que, si elle s’applique bien aux origines de l’argot, cette définition ne recouvre pas la multiplicité des formes que celui-ci a pu prendre au cours des siècles. On constate, en effet, que ces formes se développent dans toutes les communautés qui, en se forgeant un langage à des fins cryptiques ou crypto-ludiques, cherchent à affirmer la solidarité de leurs membres ou, plus exactement, la connivence des initiés. (5)

Partant de ce point de vue, l’argot peut être appréhendé comme un langage spécifique à un groupe, en l’occurrence le groupe de psycho-enquêteurs, dans cette fiction, qui utilise les mêmes codes linguistes dans l’exercice de leurs activités. Et c’est l’ensemble de ces signes qui permet d’identifier ce type, mais surtout de le marginaliser dans cet environnement textuel. L’inscription des personnages principaux dans un code de référence a un revers ; elle les classe et les maintient dans une catégorie qui influence leur parcours narratif.         

De fait, le discours des personnages porte essentiellement sur le constat d’un manque ou sur la superficialité d’un mode de vie qui est toujours comparé à un autre qui est insaisissable. Ces personnages sont d’anciens étudiants qui ont abandonné leurs formations pour vivre de l’industrie de la publicité. Il s’agit de métiers mal rémunérés qui les maintiennent dans un état constant d’indigence ou dans l’illusion qu’ils ont un pouvoir d’achat. Ils affichent un langage commun tiré de leur métier absorbant de psycho-enquêteurs. Nous lisons dans le texte cette communauté : « Ils étaient tous une bande, une fine équipe. Ils connaissaient bien ; ils avaient, déteignant les uns sur les autres, des habitudes communes, des goûts, des souvenirs communs. Ils avaient leur vocabulaire, leurs signes, leur dada » (42).

Ce vocabulaire dont parle l’extrait est composé de mots techniques employés dans les enquêtes, les sondages et les questionnaires. C’est un ensemble de vocables tirés du domaine de la psychologie et qui foisonnent dans la communication des personnages. Cette spécificité langagière sort de leur cadre professionnel pour alimenter les conversations dans les différents lieux qu’ils fréquentent. Finalement, le discours de l’échec se nourrit d’un vocabulaire spécifique qui porte sur un ensemble de choses et d’objets hétéroclites dont la présence permet de lever le voile sur une condition humaine détestable qui provoque le déséquilibre des personnages de Georges Perec. 

Conclusion

L’analyse de la thématique de l’échec a permis d’appréhender, plus que les dimensions sociales et psychologiques soumises à une contrainte dans le texte de Georges Perec, une écriture des objets et des choses dont le foisonnement est assez particulier. Cette étude a permis de caractériser le type du personnage loser. Il est ancré dans une posture qui ne le satisfait pas, mais il  ne pose pas d’action pour faire évoluer sa situation. C’est un personnage statique et fataliste qui s’inscrit dans une spatialité périphérique. Aussi, le discours de l’échec est essentiellement porté par un lexique qui s’attache à définir une catégorie sociale. Elle est figurée par un argotisme qui exprime l’impuissance, l’insuffisance, l’insatisfaction et l’amertume. Au total, plus que la focalisation d’un langage pour exprimer l’échec, l’auteur montre la spécificité d’un monde déterminé par un système capitaliste qui stigmatise les perdants.

Travaux cités

Adam, Olivier. Poids léger. Paris : Éditions de l’Olivier/Seuils, 2002. 

Barthes, Roland et al. Poétique du récit. Paris : Édition du Seuil, 1977.

Bordas, Éric et al. L’analyse littéraire. Paris : Édition Armand Colin, 2011.

Camus, Albert. La peste. Paris : Édition Gallimard, 1947.

Chartier, Pierre. Introduction aux grandes théories du roman. Paris : Édition Armand Colin, 2013.

François, Denise. « La littérature en argot et l’argot dans la littérature », Communication et langage, 1975 n. 27, p. 5-27, [En ligne] URL : https://www.persee.fr, consulté le 21 avril 2021.

Levinas, Emmanuel. Totalité et infini : Essai sur l’extériorité. Paris : Édition Librairie Générale Française, 2015.

Maingueneau, Dominique. Linguistique pour le texte littéraire. Paris : Édition Nathan, 4e édition, 2003.

Medjahed, Lila. « Satire et procès de l’échec dans la littérature issue de l’immigration algérienne », Synergies Algérie, 14, 2011, p. 169-178.

Pellerin, Pierre-Antoine. « L’art de l’échec : repères historiques et enjeux critiques », Revue française d’études américaines, 163, 2020, p. 3-30.

Perec, Georges. Les choses. Paris : Édition René Julliard, 1965.

Primo, Levi. Si c’est un homme. Paris : Édition Julliard, 1987.

Robbe-Grillet, Alain. Pour un nouveau roman. Paris : Les Éditions de Minuit, 2013.

Simonin, Anne. « Esquisse d’une histoire de l’échec. L’histoire malheureuse des réputations littéraires de Paul Stapfer », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 12, 1994, p. 111-128.

 « Pessimisme », Philosophie magazine, philomag.com/philosophes/arthur-schopenhauer, page consultée le 15 juillet 2021.

 

Comment citer cet article :

MLA : Aka, Adjé Justin. « Figuration de l’échec dans Les choses de Georges Perec. » Uirtus 1.2. (décembre 2021) : 221-232.

[1] https://www.philosophie magazine, philomag.com/philosophes/arthur-schopenhauer/

Abstract (Praxéologie des affiches de la COVID-19 : le cas de Ouagadougou)

The advent of COVID-19 has plunged the world into
manifestly surprising vulnerability. The consequences extend to almost all

walks of life. In the face of this deleterious climate, humanity is trying to
react. Consequently, measures are being taken both globally, notably
through the WHO, and nationally. Burkina Faso, like other countries, has,
among other things, developed response strategies to try to contain the
pandemic. This concerns in particular the declination of gestures or barrier
measures and the exhortation to respect them, supposed to put an end in
the long or short term to the chain of contamination of the disease. To
achieve wide dissemination of these measures, several media supports
have been used, among which can be cited, TV, radio, Internet, billboards.
Among these media, television, display but also the Internet, in many cases,
have the particularity, in their content (s) on COVID-19, of showing
simultaneously, concomitant and interactive image and linguistics. The
reflection initiated within the framework of this article is, in doing so, to
ask whether such a configuration, which brings together image and
language, does not have a particular added value in terms of effective
« means of action » on the public.
Keywords: Pragmatics, semiotic practices, urban displays, COVID-19

Full Text