Résumé (Le prince Fruku (Don Jeronimo) ou l’histoire d’une lignée écartée du trône du Danxomè, de Tégbésu (1740-1774) à Agonglo (1789- 1797))

Le prince Fruku (Don Jeronimo) ou l’histoire d’une lignée écartée du trône du Danxomè, de Tégbésu (1740-1774) à Agonglo (1789-1797)

Arthur Vido§

Résumé : L’histoire du Danxomè est fertile en combines secrètes et complexes, en règlements de compte, en désaccords et en désobéissances collectives. Tout se nouait et se dénouait autour du trône. La nouvelle du décès d’un roi débouchait généralement sur une période d’antagonisme exacerbé entre les princes.

Les princes engagés dans la course au pouvoir n’hésitaient pas à employer tous les moyens nécessaires pour évincer leurs adversaires. Le nouveau monarque, pour asseoir son autorité, pouvait vendre comme esclaves certains de ses concurrents. C’est dans ce contexte que s’inscrit cette étude qui s’intéresse à la vie de Fruku, prince envoyé comme esclave au Brésil au moment où Tégbésu était roi.

À partir d’une documentation constituée de récits de voyageurs européens de la seconde moitié du XVIIIe siècle, d’ouvrages, d’articles, de mémoires et thèses, cet article s’intéresse aux origines du prince déchu, à son départ forcé au Brésil, à son retour au Danxomè et à ses prétentions au trône.

Mots-clés : Fruku, prince, Danxomè, Brésil, esclave, trône.

Abstract: The history of Danxomè is fruitful in secret and complex schemes, settling of scores, disagreements and collective disobedience. Everything was knotted and unraveled around the throne. News of a king’s death usually followed a period of heightened antagonism between princes.

The princes engaged in the race for power did not hesitate to use any means necessary to oust their adversaries. The new monarch, to establish his authority, could enslave some of his competitors. It is in this context that this study takes place, which examines the life of Fruku, a prince sent as a slave to Brazil when Tégbésu was king.

From the documentation based on accounts of European travelers from the second half of the 18th century, books, articles, memoirs and theses, we will pay particular attention to the origins of the fallen prince, to his departure in Brazil, on his return to Danxomè and his claims to the throne.

Keywords: Fruku, prince, Danxomè, Brazil, slave, throne.

Introduction

Dans son article intitulé Comportements de princes autour du trône à Abomey sous le règne de Glèlè, Félix Iroko a montré que l’histoire du Danxomè a été particulièrement féconde en combines secrètes et complexes, en règlements de compte, en désaccords et en désobéissances collectives. Dans cette entité politique précoloniale, tout se nouait et se dénouait allègrement autour de la couronne, parfois dans le sang. La nouvelle du décès d’un roi débouchait généralement sur une période d’antagonisme exacerbé entre les princes appelés Ahovi en fongbé.

Dans la course au pouvoir, ces frères de sang n’hésitaient pas à employer tous les moyens nécessaires, militaires et mystiques, pour évincer leurs adversaires. Le nouveau monarque, pour asseoir son autorité, pouvait vendre comme esclaves certains de ses concurrents. C’est dans ce contexte que s’inscrit notre article qui porte sur la vie de Fruku, un prince du Danxomè qui a connu l’asservissement au Brésil, au moment où Tégbésu (1740-1774) était sur le trône de Huégbaja.

À partir d’une documentation constituée de récits de voyageurs européens de la seconde moitié du XVIIIe siècle, d’ouvrages, d’articles, de mémoires, de thèses et de sources orales[1], nous nous intéressons, dans un premier temps, aux origines du prince déchu. Dans cette partie, il est question d’identifier ses parents tout en mettant un accent sur les querelles engendrées par la succession d’Agaja (1711-1740), grand-père de Fruku et géniteur de Tégbésu. Ensuite, nous donnons les mobiles liés au départ forcé et à la servitude de Fruku au Brésil. Cette section porte également sur le retour de ce dernier sous le règne de Kpengla (1774-1789). La troisième partie se penche sur les prétentions au trône de Fruku. Elle fournit des renseignements relatifs aux intrigues politiques qui ont porté Sindozan, devenu Agonglo, au pouvoir, au décès de Fruku et à l’implication probable de l’un de ses descendants dans la mort du roi.    

1. Les origines de Fruku

D’après la documentation collectée sur le sujet, le nom Fruku est la déformation et le diminutif de « Floukou ma i kou », qui signifie : « Celui qui a trompé la mort ne peut mourir » (Kakaï Glèlè 8[2]). Il est le fils de So-Amamu appelé Zingah (Zinga ou Zingan) par les sources écrites européennes. Yves Person  révèle que le père de Fruku déserta l’armée en 1731 avec plusieurs milliers d’hommes, lors du siège de Gbowèlè, en pays mahi (104).

L’étude réalisée par Auguste Le Hérissé montre que les attaques militaires les plus sérieuses contre cette entité politique mahi furent menées au XVIIIe siècle (299). Le roi Agaja, dont les armes furent pourtant d’une grande efficacité contre les royaumes de la côte jusqu’à la latitude d’Alada, échoua à trois reprises devant Gbowèlè, entre 1731 et 1732 (Houénou 87-89 ; Iroko 55).

Au sujet du mobile lié à la désertion de So-Amamu, Yves Person indique que ce n’est sans doute pas par lâcheté, mais plutôt par ambition ou par opposition à la traite négrière pratiquée par le Danxomè (104). Cet argument n’est pas partagé par Robert Cornevin pour qui Zingah, cherchant à éviter à tout prix le courroux de son père, s’est délibérément réfugié chez les Wémènu, dans l’actuelle commune d’Adjohoun[3] (106). Cornevin rapporte ce qui suit :

Il (Agaja) se heurte ainsi aux Mahi de Gbowélé, puis de Paouignan. Ces Mahi retranchés dans leurs montagnes résistent à trois campagnes successives et mènent une impitoyable guérilla aux troupes danhoméennes. Comme l’armée retourne piteusement à Abomey, Agadja fait mettre à mort plusieurs chefs. L’un des fils d’Agadja, Zingan, craignant la colère paternelle, va se réfugier avec 4000 de ses soldats chez les Ouéménou (à Adjohon et Azaourissé[4]. (Sokpon 24) 

Le nommé Fruku est donc le fils de So-Amamu lui-même fils aîné de Dada Agaja et frère aîné du prince Avisu[5], devenu monarque sous le nom fort de Tégbésu. Il est issu du lignage des Huègbonu et du groupe socioculturel Aja-Aladahonu. Nous ne savons rien de la mère de Fruku. La documentation écrite consultée ne nous procure aucun indice susceptible d’identifier son nom, son lignage, sa région d’origine, etc. L’étude réalisée par Christelle Atchamou, sur l’installation à Abomey des lignages alliés au pouvoir royal du Danxomè, de Huégbaja (1645-1685) à Gbèhanzin (1889-1894), ne fait pas mention de So-Amamu et Fruku, encore moins de la mère du dernier cité (2017).

Durant son enfance, Fruku avait pour compagnon de jeu le prince Yansunu, son oncle, qui accéda au trône sous le nom fort de Kpengla. S’il est admis que Kpengla a vu le jour vers 1735, on peut alors penser que Fruku est né au cours des années 1730, sous le règne de son grand-père Agaja (Vido 27).

À l’annonce du décès d’Agaja en 1740, son fils Zingah revint à Agbomè pour faire valoir son droit de succession au trône. Mais d’après le récit de voyage du négrier Robert Norris (1790 : 19), le choix du Migan Akobèkponmi[6] et du Mèhu Hunkpatin[7] ne se porta pas sur l’aîné à qui il était reproché d’avoir déserté l’armée durant la campagne militaire contre Gbowèlè[8]. Les deux ministres décidèrent alors de soutenir la candidature du plus jeune des quatre princes éligibles qui finit par arriver au pouvoir (Akinjogbin 113). Lorsque le père de Fruku sut qu’on lui préférait son frère consanguin, il se révolta :

Se voyant déchu de ses espérances, et fort affligé de la perte d’un héritage qu’il s’était flatté de posséder un jour, (Zingah) fonda des dispositions intérieures de ses amis. S’étant d’abord adressé à ceux sur lesquels il avait répandu des bienfaits pendant la vie de son père, un grand nombre lui promit de le seconder dans ses desseins et de se mettre dans son parti. Il prit donc des mesures secrètes et concertées pour surprendre son frère et s’emparer du gouvernement, soit par ruse ou par force. (Norris 20).

Grâce à ses espions, Tégbésu fut informé du coup de force que préparait son frère. Il prit donc ses dispositions :

Ahadée (Tégbésu) cependant fut averti du complot qu’on tramait contre lui ; Zingah et les principaux conjurés furent arrêtés au moment même où ils prenaient les armes pour accomplir leur dessein : Zingah fut cousu dans un hamac à Abomé, et fut porté ainsi jusqu’à Juda (Gléhué), où il fut mis dans un canot, ensuite transporté à deux lieues en avant dans la mer, où il fut jeté et noyé. (Wadström 20).

Selon Maurice Ahanhanzo Glèlè, le père de Fruku fut noyé à Gléhué par les soins du Mèhu. Ne pouvant pas faire couler le sang d’un prince, Hunkpatin avait été chargé de l’attacher secrètement en vue de le jeter à la mer[9] (131). De même que Zingah, tous ses complices furent mis à mort. Au moment où ces événements se déroulaient, le prince Fruku était très jeune et insouciant. Né dans les années 1730, il ne devait pas être un sujet gênant pour Tégbésu. Il eut probablement la vie sauve en raison de son jeune âge. Ce n’est que plus tard qu’il fut vendu comme esclave au Brésil. 

2. Les raisons de l’asservissement de Fruku au Brésil et de son retour au Danxomè

Il est important de retenir que le roi Tégbésu n’hésitait pas à procéder à l’élimination physique de ses opposants, qu’ils fussent issus de la dynastie royale des Agasuvi ou roturiers. À la suite de Zingah, le Mèhu Hunkpatin fut exécuté pour avoir tenté de mener un coup de force infructueux contre le trône :

Maybou (Mèhu) […] voyant que ses efforts ne pouvaient rappeler le jeune roi (Tégbésu) à lui-même, et qu’il fermait l’oreille aux bons conseils qu’il cherchait à lui donner, ne put pas rester plus longtemps spectateur tranquille des malheurs de son pays : il sentait combien il s’était trompé en préférant Ahadée (Ahandé Djegoun[10]) à son frère […] Il se retira de la cour, et parut bientôt à la tête d’une armée puissante de rebelles […] Il (Tégbésu) défit entièrement les rebelles. Maybou et plusieurs de ses amis furent tués dans le combat. Les prisonniers qui furent faits dans cette occasion furent mis à mort ; et le peu qui échappa, n’ayant rien à espérer de la clémence du roi, et pour éviter les tortures qui les attendaient, se réfugièrent dans les états voisins, et finirent leurs jours dans l’exil. (Wadström 23-24).

Le roi Tégbésu pouvait aussi proférer des malédictions contre ses adversaires les plus virulents. À ce sujet, il convient de signaler que Tokpa (ou Tokpagnissu[11]) reprocha en public le décès tragique de Zingah à son jeune frère devenu souverain. Celui-ci le maudit et déclara qu’aucun de ses descendants ou tout prince dont il serait le djôtô[12] ne deviendrait monarque[13] (Kakaï Glèlè 49 ; Ahanhanzo Glèlè 93 ; Person 104).

Enfin, Tégbésu avait l’habitude de réduire en état de servitude totale certains sujets gênants, y compris ceux de sang royal. C’est de cette manière qu’il se débarrassa du prince Fruku jugé capable de contester le trône à ses descendants ou son successeur désigné. Il passa 24 ans de sa vie bien loin de la terre de ses ancêtres, à Bahia (Akinjogbin 116 ; Person 105 ; Law 149 ; Araujo 48 ; Akinjogbin 118 ; Peukert 113). Mais à ce stade de l’étude, aucun indice ne permet de déterminer avec précision l’année au cours de laquelle le prince fon fut envoyé sur le continent américain. Il est difficile de connaître le vécu de Fruku au Brésil. À qui a-t-il été vendu une fois arrivé à Bahia ? A-t-il été vendu à plusieurs reprises ? À quelles tâches avait-il été assigné ? A-t-il emporté avec lui des divinités connues et célébrées au Danxomè ? Quelles étaient ses relations avec les autres esclaves africains ? Se maria-t-il ? A-t-il eu des enfants ? S’est-il converti au christianisme ou à l’islam ? Voici autant de questions auxquelles il est difficile, en l’état actuel des connaissances, d’apporter des éléments de réponse[14]. De minutieuses recherches effectuées dans les archives brésiliennes datant essentiellement du règne de Tégbésu, pourraient nous fournir de plus amples informations à ce sujet.

Après avoir passé plus de deux décennies en Amérique latine, le prince Fruku revint sur sa terre natale grâce à l’intervention de Kpengla, son compagnon d’enfance devenu entre-temps monarque du Danxomè. Nous ignorons l’année au cours de laquelle il arriva à Gléhué qui était la province maritime du royaume fon ; les données historiques ne permettent pas d’identifier le bateau qui le ramena sur les côtes africaines. Nous ne détenons pas d’informations relatives aux personnes impliquées dans son rapatriement. Une fois de retour à Agbomè, le prince se fit appeler Don Jeronimo. Il reconnut le pouvoir de Kpengla et se mit à sa disposition avec dévouement. Le 4 juillet 1783, Don Jeronimo fut envoyé à Gléhué en qualité de représentant spécial du souverain. En raison de son long séjour à Bahia, il parlait relativement bien le portugais et maîtrisait un tant soit peu les rouages de la traite au Brésil. Sa mission était d’attirer, dans le cadre du commerce négrier transatlantique, les bateaux portugais à Gléhué et conseiller le roi sur leurs activités. Il n’y a, toutefois, aucun rapport attestant qu’il fut capable de faire grand-chose (Akinjogbin 171 ; Akinjogbin 169-170 ; Vido 92).

Le statut d’émissaire spécial du roi à Gléhué, chargé des relations avec les Portugais, permit à Fruku de s’introduire dans le cercle fermé des riches et puissants marchands de « bois d’ébène »[15]. Durant les années 1780, il était alors compté parmi les rares commerçants noirs qui pouvaient obtenir un prêt des Européens dans la mesure d’un millier de dollars (ou même plus), équivalant à cette époque à environ 70 esclaves (Law 133). À ce sujet, Lionel Abson, directeur du fort anglais de Gléhué de 1770 à 1803, fait état de ce que le Migan d’alors lui devait 47 esclaves tandis que le Mèhu, le Ajaho, le Yovogan et le prince Fruku lui devaient respectivement 6, 8, 3 et 37 esclaves (Law 134).

À l’annonce du décès de Kpengla le 17 avril 1789, on assiste à une lutte de succession au trône qui oppose des princes parmi lesquels se trouve Don Jeronimo. Quelles sont les raisons qui ont motivé le prince revenu depuis quelques années de Bahia à briguer le trône ? Parviendra-t-il à ses fins ? La suite de notre étude permettra de répondre à ces préoccupations.

3. Le prince Fruku et les prétentions au trône du Danxomè

Quatre Ahovi alléguèrent de leurs droits au trône du Danxomè en avril 1789. L’un d’eux était le prince Sindozan, un fils de Kpengla. Deux prétendants étaient des frères du roi défunt, alors que le quatrième était le prince Don Jeronimo. À cette époque, Sindozan était alors âgé de 22 ou 23 ans. Sa prétention au trône était claire et recevable dans la mesure où il fut désigné héritier (Vidaho) du vivant de son géniteur. Les deux frères du regretté Kpengla arguèrent du jeune âge du dauphin pour réclamer le trône de Huégbaja. Il faut souligner que sous le règne de Kpengla, la situation du commerce transatlantique était fort peu reluisante (Vido 89-104). Ainsi, la tentation de placer un homme expérimenté sur le trône n’a certainement pas été étrangère au calcul politique des oncles de Sindozan (Kakaï Glèlè 51).

Quant aux prétentions de Fruku, le quatrième prince, elles apparaissent comme un règlement de compte entre deux branches rivales. Don Jeronimo est un descendant direct d’Agaja, écarté très tôt du pouvoir par Tégbésu. Le fait d’avoir été vendu comme esclave prouve, suffisamment, qu’il avait des raisons très sérieuses pour prétendre au trône. Le désir de Fruku d’arriver au pouvoir signifie que les descendants des fils aînés d’Agaja, qui avaient été évincés de la succession, se sentaient assez forts pour défier la lignée de Tégbésu. C’est à ce niveau que réside en réalité le danger, car les éléments mécontents à l’intérieur du Danxomè avaient désormais un prétendant de poids au trône, qui n’appartenait pas à la branche dirigeante (Kakaï Glèlè 6 ; Akinjogbin 176).

C’est grâce à l’appui du Migan Ganjingloko[16] et du Mèhu Bawè[17] que le Vidaho parvint à écarter de la course au pouvoir les princes et roturiers qui soutinrent son cousin Fruku, un Africain « brésiliennisé ». Mais, d’une manière générale, il semble qu’un grand nombre de chefs influents supportèrent la candidature de Fruku dans la mesure où les partisans de Sindozan ne réussirent pas à imposer le silence aux perdants[18]. Aussi, une période relativement longue s’écoula avant que le prince héritier ne fût couronné sous le nom fort d’Agonglo. À ce sujet, on alléguait de ce que le Migan fut trop malade pour accomplir les rites traditionnels, mais il est fort possible qu’il attendait un soutien public plus important pour son candidat (Akinjogbin, 2019 : 176).

Une fois sur le trône, Agonglo fit du haut dignitaire Ganjingloko un de ses plus fidèles alliés. D’après le récit d’Archibald Dalzel, directeur du fort anglais de Gléhué de 1766 à 1770, le nouveau roi le consultait à chaque occasion importante, l’honorant de fréquentes visites à sa résidence ; une marque de respect royal et de condescendance inconnue sous les règnes antérieurs (223). À force d’habileté et de bons procédés, le nouveau monarque réussit à se faire accepter par des dignitaires divisés (Person 106).

En 1790, Agonglo décide de mener une campagne militaire contre la communauté mahi de la région d’Agonlin. Son armée, conduite par le ministre de la guerre, le Gau d’alors, se lance en direction du village de Bognonsa, capture son chef, le nommé Ajignon qui est issu du lignage des Dakpanu, et quelques soldats ennemis. Ces derniers, solidement ligotés, sont emmenés à Agbomè afin de servir de sacrifices humains. Zowola, un fils d’Ajignon, réussit à s’enfuir et se réfugie à Banamè. Ayant appris que son père avait été décapité, il se rendit quelques mois plus tard chez le roi Agonglo pour se soumettre. Il profita de l’occasion pour solliciter la tête de son géniteur qu’il obtint et qu’il ramena à Banamè.

Il est utile de rappeler ici que le général-en-chef de l’armée était patraque au moment où il partait en expédition. Sur le chemin du retour, son état de santé s’aggrava et il passa de vie à trépas, quelque temps après son entrée à la capitale. C’est ce même jour que fut annoncé, publiquement, le décès du prince Fruku (Dalzel 224-225 ; Dunglas 28 ; Assogba-Djo 82-83 ; Alladayè 89 ; Law 117). Nous ignorons la date exacte de sa mort ; de même, l’analyse des documents disponibles ne nous livre pas les raisons liées à sa disparition. Ainsi, par deux fois, le prince Fruku fut systématiquement écarté de la course au pouvoir.

Il semble que sa descendance a joué un rôle dans l’assassinat d’Agonglo le 1er mai 1797. De l’avis de nombreux auteurs, ce roi fut victime d’un complot préparé par une femme et un de ses frères, Dogan (Verger 231 ; Ahanhanzo Glèlè 124 ; Person 107 ; Bay 155 ; Araujo 136). Mais à en croire Pogla Kakaï Glèlè, le prince est en réalité un cousin d’Agonglo, et sa filiation se rattacherait plutôt à la lignée de Zingah et Don Jeronimo (10[19]). Comme ses prédécesseurs, il convoitait le trône. Aussitôt le décès d’Agonglo connu, il essaya de se proclamer monarque, mais fut arrêté dans son élan par les principaux ministres à la suite d’une courte guerre civile. Dogan fut enterré vivant pendant que ses partisans[20] furent décapités, pendus ou vendus comme esclaves. Comme on peut le constater, la succession d’Agonglo opposa deux branches rivales : la branche Agaja (Zingah, Fruku et leurs descendants) et la branche Tégbésu (Kpengla, Agonglo et leurs descendants), bien qu’à l’intérieur de chaque branche se dessinassent des clans rivaux basés, entre autres, sur le droit du plus âgé (Kakaï Glèlè 7, 9).     

Conclusion

Cette modeste étude a tenté de montrer que l’accession au pouvoir royal fon n’était pas une entreprise aisée. Le sentier qui menait au trône était jonché d’écueils de tout genre. Ainsi, ne devenait pas roi du Danxomè qui voulait, mais plutôt qui le pouvait. Les vainqueurs occupaient le palais et s’entouraient des partisans les plus fidèles, afin d’assurer leur autorité et de mettre en branle leur projet de gouvernement. Quant aux vaincus et leurs proches, ils étaient soumis au bon vouloir du camp opposé.

Le conflit né à la suite de la mort d’Agaja s’acheva avec la prise du pouvoir par Tégbésu. Conscient du fait que Fruku représentait pour lui une menace, le nouveau souverain le fit vendre aux négriers blancs qui, à leur tour, l’envoyèrent à Bahia, au Brésil, où il vécut dans l’assujettissement[21]. Après un départ forcé qui dura près de trois décennies, le prince humilié revint au Danxomè à la faveur de l’accession au trône de son compagnon d’enfance.

Après la mort de Kpengla, Fruku qui recouvrit son statut social, caressa le désir de conquérir la couronne qui fut refusée à son père. Il accumula certainement des richesses, rassembla des personnes autour de son projet et se lança à la conquête du pouvoir. Mais il échoua face à Sindozan que Kpengla avait choisi de son vivant comme Vidaho. Né probablement dans les années 1730, le personnage mourut en 1790 dans des conditions que nous ignorons. C’est peut-être pour laver son affront et installer sa lignée sur le trône que l’un de ses descendants joua un rôle non moins important dans l’assassinat d’Agonglo en 1797.

Nous pensons que ce travail peut et doit être approfondi afin de mieux cerner l’histoire des querelles de succession au trône dans le royaume du Danxomè, de Huégbaja à Agoli-Agbo (1894-1900). 

Travaux cités

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Snelgrave, Guillaume. Nouvelle relation de quelques endroits de Guinée et du commerce d’esclaves qu’on y fait, Amsterdam, 1735.

Sokpon, Alain Sovidé. Contribution à la connaissance historique des rapports entre les Mahi du Zou-Nord et les Fon d’Abomey (XVIIIe-XXe siècle), mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Nationale du Bénin, 2000.

Verger, Pierre. « Influences du Brésil au golfe du Bénin », in Mémoire de l’Institut Français de l’Afrique Noire, Les Afro-Américains,Amsterdam, Swets & Zeitlinger N. V., 1968, p. 11-101.

——– « Le culte des Vodoun d’Abomey aurait-il été apporté à Saint-Louis de Maranhon par la mère du roi Ghézo ? », Études Dahoméennes, IFAN, VIII, 1952, p. 19-24.

——— « Relations commerciales et culturelles entre le Brésil et le Golfe du Bénin », Journal de la société des américanistes, t. 58, 1969, p. 31-56.

———- Flux et reflux de la traite des nègres entre le golfe de Bénin et Bahia de todos os santos du XVIIe au XVIIIe siècle, Paris : Mouton, 1968.

Vidégla, D. K. Michel. « Une approche du rôle économique et politique des Africains émancipés de retour dans les sociétés de la côte des Esclaves (1830-1900) », in Arthur Vido et al., L’essor de l’humanité à travers la recherche scientifique : apports de l’histoire, de l’archéologie, du cinéma et de la tradition orale à la restauration des identités africaine et européenne, Saint-Denis : Edilivre, 2020, p. 183-213.     

Vido, Arthur et Vido, Marius. Histoire des femmes du Sud-Bénin du XVIIe au XIXe siècle, Saint-Denis : Edilivre, 2015.

Vido, Arthur. « Agbangnizoun : étude historique d’une ville du plateau d’Abomey (sud du Bénin) (XVIIe-XIXe siècles) », SIFOE, Revue d’Histoire, d’arts et d’archéologie de Bouaké, numéro spécial, Publication des Actes du colloque d’histoire sur la ville de Bouaké, 2020, p. 93-101.

———- Biographie du roi Kpengla du Danhomè (1774-1789), Paris : L’Harmattan, 2019.

Wadström, Charles Berns. Voyage au pays de Dahomé, état situe à l’intérieur de la Guinée, avec l’histoire de ce royaume, suivie d’observations sur la traite des nègres, Paris : Gay et Gide, 1794.

Comment citer cet article :

MLA : Vido, Arthur. « Le prince Fruku (Don Jeronimo) ou l’histoire d’une lignée écartée du trône du Danxomè, de Tégbésu (1740-1774) à Agonglo (1789-1797) ». Uirtus 2.1. (avril 2022): 105-119.


§ Université d’Abomey-Calavi (Bénin) / [email protected]

[1] Les enquêtes de terrain effectuées sur le plateau d’Abomey ne nous ont pas permis d’avoir des informations sur le prince Fruku.

[2] Pagination des notes de renvoi indicatives.

[3] Pour Pogla Kakaï Glèlè, le prince Zingah trouva refuge chez les Wémènu pour deux raisons : le refus d’obéir aux ordres d’Agaja qui consistaient à ne pas lever le siège de Gbowèlè, et la crainte d’être exécuté à son retour de la campagne par les hommes du roi qui firent passer au fil de l’épée quelques chefs de bataillons (36). 

[4] C’est nous qui le soulignons.

[5] Nous empruntons cette orthographe à Claude Savary (28). 

[6] Du lignage des Ayato Ganmènu et du groupe socioculturel Wémènu. Aux côtés du prince Dosu, futur Agaja, Akobèkponmi a joué un rôle dans la mise à l’écart de Nayé Hangbé (Michozounnou 318-319, 333).

[7] Du lignage Ajanu et du groupe socioculturel Huéda. Il aurait lancé un défi à Agaja de l’aider à vaincre certains ennemis du Danxomè. Ayant réussi sa mission, le roi le nomma Mèhu (Michozounnou 321, 333).

[8] Pogla Kakaï Glèlè indique que le roi Agaja aurait renié Zingah qui s’était rebellé contre lui pendant le siège malheureux de Gbowèlè (48). 

[9] Il est utile de retenir que la peine appliquée à Zingah n’est pas un cas isolé dans l’histoire du Danxomè. En effet, une femme proche de la cour royale d’Agaja était tombée en disgrâce et avait été condamnée à mort. Sur ordre du roi, elle fut garrotée et « expédiée » à Gléhué. À la côte, on la fit monter dans une pirogue qui la porta à environ deux kilomètres du rivage ; elle fut alors jetée par-dessus bord pour servir de pâture aux requins. Mais, elle survécut et fut recueillie par les marins de William Snelgrave qui l’amenèrent à bord de leur navire. Le négrier anglais craignait que le souverain n’y voie un outrage si bien qu’il décida de la planquer. Cette femme de bonne extraction fut reconnaissante à Snelgrave de l’avoir sauvée et fit tout son possible pour l’aider durant la traversée. Connue d’une grande partie des esclaves, elle réussit à maintenir l’ordre à bord. Snelgrave, à son tour, lui exprima sa gratitude en lui trouvant un maître « si bon et si généreux », Charles Dunbar d’Antigua (Snelgrave 119-125 ; Snelgrave 121-124 ; Rediker 313-314).

[10] Un autre nom du prince Avisu devenu roi sous le nom fort de Tégbésu (Vido 95).

[11] Nous empruntons cette orthographe à Anselme Guézo (140). 

[12] Selon les travaux réalisés par Bernard Maupoil, le djôtô se compose de deux termes : djô et . Le premier signifie « naître » et le second, « père ». Il peut donc se traduire par « l’être spirituel ayant présidé à la naissance ». Ainsi, chaque enfant qui naît, possède un djôtô, un esprit qui a veillé sur sa naissance. La croyance populaire estime que le nouveau-né, dans une famille, n’est qu’une réincarnation d’un ancêtre. C’est la consultation du Fa qui détermine le djôtô du nouveau venu. Dès lors, on sait à qui ressemble cet enfant, de quel passé est-il porteur. Le nom qu’il recevra sera celui de l’ancêtre désigné par le Fa (383).

[13] D’après Félix Iroko, la langue d’un roi fon était considérée comme plus puissante que celle d’un homme du commun du peuple, compte tenu des traitements occultes particuliers que subissait sa bouche lors des cérémonies d’intronisation et durant son règne (27).

[14] L’ouvrage de Pierre Verger, Flux et reflux de la traite des nègres entre le golfe de Bénin et Bahia de todos os santos du XVIIe au XVIIIe siècle, fournit des renseignements sur le commerce négrier établi entre le Brésil et le Danxomè, sans faire mention de ce prince fon.

[15] Don Jeronimo est loin d’être le seul Africain « brésiliennisé » à avoir participé au trafic négrier. Il n’était pas rare de voir ces anciens esclaves émancipés s’adonner, sans état d’âme, au commerce du « bois d’ébène ». À titre d’exemple, en 1851, le commandant Frederick Edwyn Forbes de la Royal Navire fait observer qu’un groupe d’Africains ont payé 300 dollars à Bahia et Rio de Janeiro pour leur liberté. Ces affranchis débarquèrent à Gléhué avec le grand espoir de retourner chez eux. Mais ceci ne fut pas leur sort ; ils furent obligés de faire du commerce à Gléhué et ne purent le quitter sans risquer d’être à nouveau vendus, s’ils étaient pris par les soldats du Danxomè. Beaucoup d’entre eux furent de grands marchands de « bois d’ébène » (15). Le Mahi Joaquim d’Almeida, dit Zoki-Azata, fut un de ceux-ci. Ce dernier est le fondateur de la famille d’Almeida de Zokikomè, un quartier d’Agouè. Très impliqué dans le commerce négrier, il reçut un passeport en octobre 1835 et un autre juste quelques mois après en mars 1836. Il continua de traverser l’Atlantique pendant plusieurs années et ne résida en permanence à Agouè que dans les années 1840 (Vidégla 193 ; Earl Castillo 42 ; Earl Castillo et Parès 69-71 ; Byll-Cataria 13 ; Codo 5 ; Gayibor 215 ; Verger 474 ; Verger 49).

[16] Du lignage Ananu-Dokonu et du groupe Wémènu (Michozounnou 319).

[17] Du lignage Ananu-Dokonu et du groupe Wémènu (Michozounnou 323).

[18] D’après les informations fournies dans les années 1930 par le traditionniste Abdoulaye Nondichao à Bernard Maupoil : « Tous les fils de Kpengla et tous les descendants des autres familles royales s’opposèrent à son accession » (86).

[19] Pagination des notes de renvoi indicatives.

[20] Princes, roturiers et esclaves.

[21] En dehors de Fruku, Nan Agontimè, membre de la cour royale, fut envoyée de force au Brésil sous le règne d’Adandozan (1797-1818). Lorsque son fils arriva au pouvoir sous le nom fort de Gézo (1818-1858), il la ramena à Agbomè où elle finit paisiblement ses jours auprès de lui (Vido et Vido 27-28).

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