Résumé:Analyse qualitative des déterminants psychosociologiques du choix de la forme de délinquance par les jeunes en Côte d’Ivoire : Cas du cybercriminel (brouteur) et de l’enfant en conflit avec la loi (microbe)

Amegnan Lydie Kone§

Saga Bernard Loba

&

Logon Albert Thierry Djako

Résumé : Cette étude analyse les déterminants psychosociologiques du choix du type de délinquance chez les enfants en conflit avec la loi (microbes) et les cybercriminels (brouteurs). Cette recherche est qualitative. Nous avons interrogé un microbe et un cybercriminel. Ces sujets ont été soumis à un entretien semi dirigé. Leurs propos sont exploités à l’aide d’une analyse de contenu. Les sujets ont été interrogés sous l’angle de leur origine socio-économique, de leur personnalité, de l’influence par les pairs ou de leur appartenance à une bande, de la toxicomanie, du recours aux pratiques mystiques et des délits et crimes commis. Il ressort de l’examen des résultats que la personnalité est le facteur proéminent, déterminant le basculement dans la délinquance et le choix de la forme de délinquance.

Mots-clés : délinquant, microbe, cybercriminel.

Abstract: This study analyzes the psychological determinants of the choice of the type of delinquency by children in conflict with the law (microbe) and cybercriminals (grazers). This research is qualitative. We interviewed a microbe and a cybercriminal. These subjects were subjected to a semi-structured interview. Their words are exploited using content analysis. Subjects were interviewed for their socio-economic background, personality, peer influence or gang membership, drug addiction, use of mystical practices, misdemeanors and crimes committed. An examination of the results shows that the personality is the prominent factor, determining the shift into delinquency and the choice of the form of delinquency.

Keywords: Delinquent, Microbe, Cybercriminal.

Introduction

Le monde est en pleine mutation. De nouvelles découvertes se font dans les différents domaines scientifiques : médecine, informatique, communication, psychologie … Comme dans ces domaines, l’on est confronté à de nouveaux types de modes, de maladies, de maux, de délinquance ou d’infractions sanctionnées pénalement, d’activités agressives et dommageables légalement réprimées (Doron et al.).

En Côte d’Ivoire, depuis quelques années, de nouveaux types de délinquants ont vu le jour. En effet, l’on entend parler de ‘‘brouteurs’’ et de ‘’microbes’’. Les uns et les autres ont en commun la pratique du vol. Mais, ils diffèrent par les méthodes qu’ils utilisent pour arriver à leurs fins. Les uns utilisent la ruse, le mensonge et l’outil informatique. Les autres recourent à la violence, exercée avec des armes blanches. Cette étude vise à cerner les déterminants psychosociologiques du choix de l’une ou l’autre de ces deux formes de délinquance.

L’on peut faire remonter l’apparition du phénomène de la délinquance juvénile en Afrique au lendemain des indépendances. Selon les époques, la culture et les valeurs prônées dans la société, la délinquance revêt des formes variées. A ce propos, Mucchieli pose trois problèmes. Selon cet auteur, le droit évoluant en permanence, certains comportements cessent d’être incriminés tandis que d’autres le deviennent. La délinquance étant constituée par l’ensemble des transgressions définies par le droit pénal, connues et poursuivies par les acteurs du contrôle social. 

Un article publié par eburnienews.net affirme :

En Europe et aux Amériques, le phénomène des gangs de jeunes sévit. En France, l’on dénombre 6 morts et 252 blessés en 2011. Ce constat est le bilan de l’activisme croissant de gangs de jeunes violents qui n’hésitaient plus à attaquer frontalement les forces de l’ordre de France. Des gangs composés d’une population plus jeune encore, de gamins, font leur apparition. Un rapport publié dans le journal français « Le Figaro » mentionne que pas moins de 313 bandes ont écumé le pays. Il indique que la part des mineurs impliqués est en forte hausse. Ceux-ci représentaient 56% des 992 aficionados de gangs interpelés, contre seulement 40% en 2010. En outre, depuis quelques années, les experts ont prévenu que les constitutions de bandes juvéniles de moins de 13 ans, ont été détectées dans plusieurs agglomérations de l’Ile-de-France. Imitant le comportement des « grands »’ qui leur servent de référence, en l’absence d’autorité parentale, ces jeunes s’approprient les ‘’valeurs’’ de ceux-ci.      

Dans les années 1970, en Côte d’Ivoire, l’on a vécu le phénomène des ‘‘Ziguéhis’’ et des ‘’nouchis’’ qui se caractérisaient par des actes de violence ouverts, perpétrés par des gangsters sur les populations abidjanaises. Les acteurs principaux étaient connus et le phénomène quasi maitrisé.

Depuis 2012, au lendemain de la crise postélectorale, un phénomène d’agression et de violence d’une rare barbarie perpétrée à l’arme blanche par de jeunes adolescents et parfois des gamins a vu le jour. Eburnienews.net décrit les microbes en ces termes :

Armes blanches à la main, fripouilles toujours prêtes à répandre le sang humain, ces jeunes meurtriers qui se déguisent souvent en mendiants n’hésitent plus à faire parler d’eux à Abidjan…les microbes, puisqu’il s’agit d’eux, se sont illustrés de fort mauvaise manière dans certains quartiers et communes d’Abidjan, en tuant à l’arme blanche, très souvent en pleine journée, leurs victimes. Agés de 9 à 15 ans, ces jeunes meurtriers n’hésitent plus à faire parler d’eux. 

Selon le rapport du Conseil National des Droits de l’Homme en Côte d’Ivoire, CNDHCI, les microbes ou enfants en conflit avec la loi sont analphabètes pour la plupart et sont frustrés pour ne pas avoir intégré l’armée comme leurs ainés au sortir de la crise postélectorale, à cause du critère d’âge en vigueur.

Né et répandu dans le quartier d’Abobo à Abidjan, ce phénomène s’est répandu dans les différents quartiers de la ville.

Parallèlement à ce phénomène, le fléau du broutage ou de la cybercriminalité évolue et multiplie ses adeptes et ses victimes. Un cybercrime est une infraction pénale susceptible de se commettre sur ou au moyen d’un système informatique généralement connecté à un réseau. Depuis quelques années, la démocratisation de l’accès à l’informatique et la globalisation des réseaux ont été des facteurs de développement du cybercrime comme le fléau des gangs de mineurs, la cybercriminalité revêt un caractère universel. Elle est reconnue par beaucoup d’experts comme étant la nouvelle forme de criminalité du xxie siècle. Dès lors, pour la contrôler, la France, par exemple, a mis en place de nombreux organes de lutte.

Selon Rahali, depuis quelques années, un intérêt spécial est porté au phénomène de la cybercriminalité qui prend des proportions inquiétantes. Elle évoque le piratage sans précédent dont a été victime la grande entreprise Oracle qui gère des terminaux commerciaux de paiement à travers le monde et les plus grands noms aux Etats Unis, tels Twitter, Amazone, Ebay, CNN, New York Times et autres, victimes d’un cyber-piratage qui a perturbé leur système informatique pendant plus de deux heures. Elle en déduit que le mal s’incruste de plus en plus avec l’avancée technologique et dans tous les pays.

Le cybercrime est une nouvelle forme de criminalité et de délinquance qui se distingue des formes traditionnelles en ce qu’elle se situe dans un espace virtuel, le « cyberespace ».

Les phénomènes des « microbes » et de la cybercriminalité ont des points communs et des différences. Leur finalité est l’enrichissement rapide sans effort (loin de l’exercice d’un métier conventionnel, valorisé) de ses adeptes qui dépouillent leurs victimes. Les uns affrontent courageusement leurs victimes à visage découvert tandis que les autres, derrière un écran d’ordinateur ou de portable, accomplissent la même besogne. Les acteurs font tous partie de la frange jeune de la population.

Plusieurs facteurs déterminent le choix du type de délinquance pratiquée par ces « gangs ». Certains travaux scientifiques soulignent l’importance du facteur du genre. En effet, selon plusieurs études, les garçons sont plus impliqués dans la délinquance que les filles. Cependant, ces études précisent que ce rapport varie selon la forme de délinquance. A mesure que la gravité des délits augmente, la participation des filles diminue. Les approches théoriques classiques lient la délinquance aux caractéristiques individuelles (personnalité, caractère, tempérament, …), environnementales. Agnew, citée par Lucia et Jaquier, postule que les stresseurs sociétaux ou individuels (échecs dans la poursuite d’un objectif, besoin d’autonomie, deuil…) poussent certains individus à s’engager dans la délinquance, à préférer les opportunités illégitimes aux opportunités légitimes.

Le statut socio-économique est désigné lui aussi comme un déterminant de la délinquance. Une recherche effectuée par Interspeace et Indigo affirme que, bien qu’une analyse approfondie des trajectoires individuelles des jeunes dits microbes révèle une complexité de facteurs en toile de fond de leur basculement dans l’action violente, l’environnement économique et social dans lequel ils évoluent constitue un écosystème assez déterminant. En effet, les auteurs de cette recherche, relatant l’historique du peuplement du quartier d’Abobo, relèvent les caractéristiques des populations qui l’habitent : faible niveau de revenu, promiscuité de l’habitat, désertion des maisons par les parents, jeunesses évoluant dans la rue à cause de l’exiguïté des logements et de la nécessité pour les enfants d’exercer une activité lucrative, culture de la violence.

Il existe différents types de facteurs de risque. Certains de ces facteurs sont internes, c’est-à-dire propres à la personne tandis que d’autres sont externes. De ce point de vue, les facteurs de risque seraient divisés en cinq sphères de la vie : (1) aspects personnels ; (2) famille ; (3) pairs ; (4) école ; et (5) collectivité ou quartier (Loeber & Farrington), cités par Day et Wanklyn.

Des recherches telles celles de Bowlby et Spitz donnent à penser que les facteurs de risque vécus tôt dans la vie, par exemple, pendant les périodes prénatales et périnatales du développement, entraînent les effets les plus nuisibles pour toute la durée de la vie. Ces facteurs de risque comprennent, non seulement, la consommation de drogues et d’alcool chez la mère et les complications à la naissance, mais aussi la violence et la négligence vécues pendant les cinq premières années de vie. La grande taille de la fratrie, la mauvaise gestion familiale seraient elles aussi des facteurs de risque.

Certains facteurs de risque chez les adolescents sont le rendement scolaire et les relations avec les pairs. Ces facteurs ont tendance à être des indices plus forts de délinquance chez les adolescents et les adultes que les facteurs de risque présents pendant l’enfance.

Comme nous l’avons relevé plus haut, la population des microbes et celle des cybercriminels se situent approximativement dans la même tranche d’âge (adolescents et jeunes adultes). Ils poursuivent un but ultime commun : déposséder les autres de leurs biens et s’enrichir sans exercer une forme conventionnelle de métier valorisé. Le choix du mode opératoire est certainement lié à la personnalité de l’individu (agressif ou machiavélique), au milieu fréquenté, au niveau d’études, à l’origine socioéconomique, etc. Ils ont en commun le facteur D (Moshagen & al.). En effet, selon ces auteurs, un composant général nommé facteur D est identifiable dans le champ de la malveillance. Le facteur D définit la tendance psychologique à situer les intérêts, les désirs et les motivations personnelles au-dessus de n’importe quel autre aspect, qu’il s’agisse de personnes ou d’autres circonstances. Ce facteur renferme tout le spectre de comportements qui composent la malveillance. Il se composerait de neuf traits obscurs que sont :   l’égoïsme, le machiavélisme, l’absence d’éthique et de sens moral, le narcissisme, le droit psychologique, la psychopathie, le sadisme, l’intérêt social et matériel, et la malveillance. Le facteur D peut être compris, selon eux, comme la personnalité obscure intégrant une grande partie de ces traits.

En conduisant cette recherche, nous voulons relever les facteurs intervenant dans le choix de l’une des deux formes de délinquance à l’étude. L’objectif général ainsi poursuivi est de montrer que le choix de la forme de délinquance est lié à certains traits de personnalité, au milieu dans lequel évolue l’adolescent et à son niveau d’études.

  1. Méthodologie 

Cette étude porte sur deux types de délinquants à Abidjan, en Côte d’Ivoire. D’approche qualitative, notre étude s’attache à analyser les déterminants psychosociologiques du choix de la forme de délinquance chez deux types de jeunes délinquants : le « microbe » (un type braqueur violent et agressif) et le « brouteur », une forme de cybercriminel.

  1. Échantillon

La population à l’étude est celle des délinquants appartenant à la tranche d’âge allant de l’adolescence à celle du jeune adulte, c’est à dire de 12 à 25 ans. Sont concernés les cybercriminels ou « brouteurs » et les « microbes » ou enfants en conflit avec la loi, en Côte d’Ivoire.

Nous effectuons une étude de cas portant sur un « microbe » ou enfant en conflit avec la loi de 21 ans issu d’une famille de 15 enfants (dont 5 garçons et 10 filles) et un cybercriminel ou « brouteur » de 19 ans issu d’une famille de 5 enfants (dont 2 garçons et 3 filles).  Ces deux sujets sont célibataires, déscolarisés et issus de milieu défavorisé. Le premier provient d’une famille chrétienne et a arrêté ses études en classe de 5ème, alors que le second a le niveau terminal et est issu d’une famille fétichiste.

  1. Matériel

L’instrument de recueil de données utilisé est un guide d’entretien semi-directif. Le choix de ce type d’entretien est motivé par le fait qu’il offre la possibilité au sujet d’expliquer ses réponses, de les étayer, … En outre, il permet au chercheur de poser de nouvelles questions afin de produire une compréhension plus approfondie des réponses du sujet. Cet instrument est articulé en 6 points :

  • informations biographiques (sexe, âge, taille de la famille et de la fratrie,  niveau d’études) ;
  • histoire de la vie du sujet ;
  • caractéristiques de la personnalité ;
  • origine de la délinquance ;
  • rapport à la drogue, à l’alcool et aux stupéfiants ;
  • tolérance à la frustration.

Ce guide d’entretien a servi de support pour mener un entretien auprès de chacun des deux enquêtés.

Les productions verbales ainsi recueillies sont exploitées au moyen de l’analyse de contenu thématique dont les procédures sont décrites dans les lignes suivantes. 

  1. Analyse des données : mise en œuvre de l’analyse de contenu

La pratique de l’analyse de contenu, selon Aktouf, tient en 6 étapes :

  • lecture du document ;
  • définition des thèmes ou catégories ;
  • définition de l’unité d’information ou de contexte ;
  • définition de l’unité d’enregistrement ou de codage ;
  • détermination de l’unité de numération.

Nous avons eu recours à la méthode des deux juges indépendants. Ainsi, deux analystes ont, dans un premier temps, lu indépendamment les deux protocoles d’entretien recueillis dans le but, d’une part, de dégager les thèmes et sous-thèmes autour desquels s’organise le discours des enquêtés et, d’autre part, de ranger les opinions émises par thématique.

Après lecture attentive et répétée des entretiens, nous avons, dans un second temps, dégagé 7 thèmes couvrant l’ensemble des opinons exprimées par les participants :

  • personnalité ;
  • délits et crimes ;
  • désir de puissance ;
  • toxicomanie ;
  • influence des pairs ou appartenance à une bande ;
  • origine socioéconomique et insatisfaction des besoins ;
  • pratique du mysticisme.

Le thème « Personnalité » englobe l’ensemble des propos décrivant la façon d’être relativement stable de l’individu, sa manière habituelle de réagir aux diverses situations auxquelles il est confronté. Ce thème se décompose lui-même en 7 sous-thèmes : la personnalité « criminelle », « violente », « preneuse de risque », « fourbe », « téméraire », « insouciante » et « camouflée ».

Le thème « Délits et crimes » traite des aveux du sujet relatifs aux actes répréhensibles ou punis par la loi qu’il a commis au cours de sa vie. Ce thème se décline en 5 sous-thèmes : « Braquage », « Vol », « Agression », « Avortement » et « Meurtre ».

Le thème « Désir de puissance » recouvre un ensemble d’opinions traduisant l’aspiration de l’enquêté au pouvoir, à la richesse matérielle et à la popularité. Il admet 6 sous-thèmes : « Désir de diriger », « Désir de pouvoir », « Désir d’être connu et populaire », « Refus de soumission », « Désir d’être aimé » et « Désir d’argent ou d’être riche ».

Le thème « Toxicomanie » réfère à des opinions décrivant le rapport du participant aux stupéfiants. Il se décline lui-même en 4 sous-thèmes : « Drogue », « Alcool », « Essence » et « Vente de drogue ».

Le thème « Influence des pairs ou appartenance à une bande » fait référence aux opinions indiquant soit l’appartenance du sujet à une bande de délinquants, soit son influence par un gang de criminels.

Le thème « Origine socioéconomique et insatisfaction des besoins » traite des insatisfactions du sujet dues à l’incapacité de ses parents à répondre à ses besoins pécuniaires et/ou matériels en raison justement de leurs difficultés financières dues à leur pauvreté.

Enfin, le thème « Pratique du mysticisme » décrit la propension de l’individu à avoir recours aux services des spécialistes des sciences occultes (féticheurs, marabouts, voyants …) dans le but d’assurer la réussite de ses activités criminelles.

L’attribution des différentes parties du discours aux catégories thématiques mises en évidence se fonde sur le choix des trois critères d’analyses suivants :

  • l’unité d’enregistrement ou de codage. Il permet de découper le texte en ses constituants unitaires. Nous avons choisi ici comme unité d’enregistrement l’idée ;
  • l’unité de contexte qui sert à classer les unités d’enregistrement (ici les idées émises) dans les différents thèmes dégagés. Dans ce travail, est considéré comme unité de contexte toute idée émise par l’enquêté en rapport avec l’un des thèmes précités ;
  • l’unité d’énumération est la fréquence d’apparition des idées en rapport avec l’une des thématiques précédemment évoquées. La fréquence d’un thème correspond au nombre de fois qu’une idée relative à ce thème ou ce sous-thème est évoquée dans l’ensemble du protocole d’entretien d’un participant.

La pratique de l’analyse de contenu thématique a donné lieu à des résultats instructifs.

  • Résultats

L’analyse de contenu des propos des sujets et leur analyse statistique ont abouti à des résultats qui exposent clairement les similitudes et les différences liant nos deux sujets, d’une part, et, les distinguant l’un de l’autre, d’autre part. 

Ces résultats sont présentés dans un tableau synthétique et à travers des histogrammes synthétiques et détaillés.

Tableau 1 : Résultats de l’analyse de contenu

BrouteurMicrobe
THÈMESSous-thèmesFréquence%% totalFréquence%% total
PERSONNA-LITÉViolente38%42%710%34%
Criminelle26%710%
Fourbe38%46%
Camouflée26%57%
Téméraire38%00%
Preneuse de risque13%00%
Insouciante13%00%
DÉSIR DE PUISSANCEDésir de pouvoir26%34%10%
Désir d’argent ou d’être riche411%11%
Désir d’être connu et populaire26%00%
Refus de soumission00%11%
Désir de diriger00%23%
ORIGINE SOCIOÉCO- NOMIQUE ET INSATISFAC- TION DES BESOINSPauvreté des parents ou de la famille26%8%11%4%
Insatisfaction des besoins personnels13%23%
TOXICOMANIEDrogue13%3%34%10%
Alcool00%23%
Vente de drogue00%11%
Essence00%11%
DÉLITS ET CRIMESVol38%8%710%27%
Agression00%57%
Braquage00%34%
Meurtre00%23%
Avortement00%11%
PRATIQUE DU MYSTICISME38%8%00%0%
INFLUENCE DES PAIRS OU APPARTENANCE A UNE BANDE38%8%913%13%

Ce tableau présente les résultats du traitement statistique des données recueillies lors de l’analyse de contenu du discours des sujets. Chaque pourcentage d’apparition du thème évoqué par le sujet est représenté graphiquement pour donner au lecteur un meilleur aperçu du niveau d’influence de chaque thème et sous thème sur le choix du type de délinquance par les sujets.  

Figure 1 : Histogramme représentant les résultats globaux

Les résultats découlant de l’analyse du contenu des propos des sujets de l’étude révèlent que la personnalité constitue, tant pour le microbe que pour le brouteur, le facteur le plus déterminant influençant la pratique de ces deux formes de délinquance. Cependant, l’influence des pairs, la toxicomanie et la commission de délits et crimes sont plus importants chez le « microbe ». Le brouteur se distingue du « microbe » par son grand désir de puissance et par son attachement aux pratiques mystiques.

L’analyse des éléments constituant les sous catégories apportent davantage de lumière sur la personnalité de ces deux types de délinquants.

Figure 2 : Histogramme représentant les composantes de la personnalité

Du point de vue de leur personnalité, le « microbe » se distingue par sa violence, sa forte tendance criminelle et par sa propension au camouflage. Le « brouteur »,  quant à lui, se caractérise par une grande fourberie, un grand désir de puissance, une forte témérité se manifestant à travers la prise de risques élevée dans la pratique du mysticisme, malgré la connaissance des inconvénients liés à cette pratique.

Figure 3 : Histogramme des manifestations du désir de puissance

Le désir de puissance est plus manifeste et proéminent chez le brouteur que chez le microbe.

Figure 4 : Histogramme des formes de délits et crimes

Le microbe se démarque nettement du brouteur par le nombre élevé, par les formes et la violence des délits et crimes commis. L’agressivité du brouteur est masquée. L’enfant en conflit avec la loi interrogé dans le cadre de cette étude a avoué son agressivité. En effet, il a affirmé qu’enfant, il aimait se bagarrer et qu’à deux reprises, son adversaire avait saigné. Son père lui avait alors dit qu’il aurait des problèmes, qu’il soit vainqueur ou vaincu dans une bataille. La crainte d’avoir des problèmes l’avait poussé à arrêter de se bagarrer. Cette agressivité n’ayant pas disparu a été convertie et réorientée. Ainsi, les proies de ce sujet devaient subir une agression mystique, les contraignant à accéder aux demandes du « brouteur ».     

Figure 5 : Histogramme des niveaux de toxicomanie

Le brouteur se caractérise par un délit majeur : le vol. Il ne commet le crime qu’occasionnellement, selon le besoin exprimé par son féticheur ou marabout.

Le microbe a recours, vu la violence et les formes de délits qu’il commet, à plusieurs types de drogues.

  • Discussion

Cette étude était motivée par le besoin de découvrir les facteurs psychosociologiques déterminant le choix de la forme de délinquance pratiquée par la jeunesse, en particulier par les brouteurs et les microbes. Il ressort que le facteur de personnalité criminelle est proéminent. Cependant, la proéminence des sous facteurs de la personnalité varie selon le type de délinquance pratiqué par le sujet. Ainsi, nous avons noté le fort attrait et les pratiques mystiques caractérisant les cybercriminels ou brouteurs.

Cela concorde avec les résultats de l’étude effectuée par Bazare et al. Ces auteurs relèvent la pratique du mysticisme et de crimes rituels qui y sont associés par les cybercriminels en vue d’envouter leurs victimes afin qu’elles soient malléables et répondent à toutes leurs demandes financières et pour échapper aux mailles des filets des policiers. Ces chercheurs notent aussi le recours, à tous les niveaux de broutage, à des pratiques mystiques dont les caractéristiques et le niveau évoluent selon le type de résultats escompté.

Par ailleurs, une étude effectuée par Carignan, dont l’objectif était de rechercher en quoi l’origine d’un cybercriminel peut influencer les caractéristiques des délits et crimes commis, révèle que les motivations du cybercriminel diffèrent selon le continent. Tandis que les cybercriminels des pays développés infiltrent les systèmes informatiques pour des motifs idéologiques et de contestation contre des autorités étatiques, ceux issus des pays d’Afrique et arabes sont motivés par le profit financier et ont pour cible des individus. Ces résultats concordent avec ceux de la présente recherche qui montre le niveau socioéconomique faible et l’insatisfaction des besoins du cybercriminel étudié.  

 Selon le rapport du CNDHCI et Yao, les microbes seraient des enfants ayant combattu lors de la crise postélectorale aux côtés du « Commando invisible d’Abobo » et ayant été frustrés de n’avoir pas été recrutés et intégrés dans l’armée comme ils en avaient reçu la promesse. Selon ce rapport, ils sont constitués en bandes. Ils s’attaquent à tous ceux et celles qu’ils rencontrent sur leur chemin, arrachant argent, téléphones portables, bijoux, effets vestimentaires et s’attaquant aux magasins de commerces. Ils s’approvisionnent en drogues et sachets d’alcool et, sous l’effet de ces substances, ils terrorisent les populations, dépouillent, bastonnent, tailladent ou tuent ceux qu’ils agressent. Le sujet étudié dans le cadre de ce travail se distingue des sujets décrits ici par les motifs et le mode d’intégration à une bande de microbes. En outre, le sujet ayant arrêté les études en classe de cinquième entre dans la catégorie des illettrés qui auront de la peine à utiliser un outil informatique et des échanges verbaux caractérisant les cybercriminels.

Les sujets manifestent tous l’agressivité, même si chez les cybercriminels, elle est voilée sous une grande fourberie, les coups assenés à la victime sont mystiques et donc dissimulés.

L’on peut dire que, tandis que le cybercriminel est épris de gloire, le microbe, lui, assume courageusement sa personnalité et ses crimes et délits.

Les résultats de cette étude concordent avec la théorie de Moshagen & al. Le microbe et le brouteur ont en commun le facteur D. L’on retrouve chez chacun de nos sujets les éléments constituant le facteur D, à des niveaux variables, motivant le choix ou la forme de délinquance pratiquée. 

Conclusion

La présente étude visait à montrer que le choix du type de délinquance chez les microbes et cybercriminels de Côte d’ivoire est déterminé par des facteurs de personnalité et sociologiques. Elle laisse à retenir trois leçons. Premièrement, elle confirme effectivement que la personnalité est le facteur proéminent, déterminant le basculement dans la délinquance et le choix de la forme de délinquance, ici le phénomène de broutage et la cybercriminalité. Deuxièmement, elle indique que chacun des sujets a été influencé par les pairs et par le type de délinquance pratiqué par ceux-ci. Troisièmement, elle révèle que nos deux sujets ont en commun l’origine socio-économique moyenne et l’insatisfaction de leurs besoins.

Vu ce qui précède, il serait souhaitable, si l’on veut résorber le  problème que causent ces deux phénomènes, de réfléchir et de mettre en place une politique sociale qui réduirait le niveau de pauvreté, la scolarisation de tous les enfants en âge scolaire, et favoriserait un meilleur encadrement scolaire. Egalement, la limitation des naissances, selon le niveau social, pourrait se révéler salutaire.

Par ailleurs, la sélection rigoureuse du type d’émission ou de films diffusés par nos différentes chaines de télévision s’impose.

Toutefois, la petite taille de notre échantillon a pu limiter la possibilité de circonscrire le champ certainement étendu des déterminants du choix de la forme de délinquance pratiquée par les jeunes. Des recherches portant sur un échantillon plus large et varié nous donneront une meilleure connaissance du phénomène à l’étude

Travaux cités

Bazaré, Raymond Nébi, Bamba Ladji et Dolle Kadidja. « Cybercriminalité ou « Broutage » et crimes rituels à Abidjan: Logiques des acteurs et réponses au phénomène cas des communes de Yopougon et d’Abobo. » European Scientific Journal, 13(23) (2017): 104-128.

Bowlby, John. Soins maternels et santé mentale : contribution de l’Organisation Mondiale de la Santé au programme de nations Unies pour la protection des enfants sans foyer. OMS Palais des Nations Unies, Genève :1954.

Carignan, Mathieu. L’origine géographique en tant que facteur explicatif de la  cyberdélinquance. (Mémoire) Montréal : Université de Montréal, 2015.

Day, David M. et Sonya G. Wanklyn. Détermination et définition des principaux facteurs de risque du comportement antisocial et délinquant chez les enfants et jeunes (Rapport de recherche) Toronto : Université Ryerson de Toronto, 2013.

Dayan, Jacques. « Comprendre la délinquance ? » Adolescence, 82(4) (2012) : 881-917.  doi:10.3917/ado.082.0881.

Doron, Roland et Françoise Parot. Dictionnaire de psychologie. Paris : PUF eburnienews.net, 2011.

———-. Phénomène des microbes à Abidjan : Déconfiture sociale d’une nouvelle génération de gangs. Mode opératoire et mesures répressives, consulté le 13 février 2021, 2015.

———-. Phénomène des microbes à Abidjan: qui sont-ils ? Et  d’où viennent-ils ? Est-on en droit d’interroger) eburnienews.net, 2015.

Indigo Côte d’Ivoire et interspeace. Exister par le gbonhi, engagement des adolescents et jeunes, dits microbes dans la violence à Abobo.Recherche participative en vue de la réinsertion de 40 jeunes dits microbes. (2017) : 24-30

Le Goaziou, Véronique et Laurent Mucchielli. La violence des jeunes en question. Editions Champ social, coll. « Questions de société », 2009, EAN : 9782353710690.

Lucia, Sonia et Véronique Jaquier. « Délinquance, victimation et facteurs de risque : différences et similitudes entre les filles et les garçons. » Déviance et Société, 36(2) (2012) : 171-199.

Moshagen, Morten et al. “Measuring the dark core of personality. » 32(2) (2019) : 182–196.  https://doi.org/10.1037/pas0000778

Rahali, F. Djalia. Rapport phénomène des « gnambro » et des « mineurs en conflit avec la loi », CNDH CI, Hebdomadaire Crésus.  N° 72, (2017) : 5

Spitz, René. Hospitalisme. Revue française de psychanalyse.13 (1949) : 397-425.

Yao, Séverin Kouamé. Nouchis, ziguéhis et microbes d’Abidjan : Déclassement et distinction sociale par la violence de rue en Côte d’Ivoire. Le Dossier, Politique africaine, 148, (2017) : 89-107.

Comment citer cet article :

MLA : Kone, Amegnan Lydie, Saga Bernard Loba et Logon Albert Thierry Djako. « Analyse qualitative des déterminants psychosociologiques du choix de la forme de délinquance par les jeunes en Côte d’Ivoire : Cas du cybercriminel (brouteur) et de l’enfant en conflit avec la loi (microbe). » Uirtus 1.1 (août 2021): 169-185.


§ Université Félix Houphouët Boigny, [email protected]

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