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Abstract (Le corps des agents de maintien de l’ordre au Togo :création, réorganisations, rôles (1884-1946))

The objective of this article is to show how the emergence and
the formation of this socio-professional category accentuated the colonial
domination in Togo from 1884 to 1946. Indeed, it appears that to mark
their presence and to keep in obedience the colonized populations of
which one could fear an uprising, the colonial powers created a security
force on the spot that could allow them to dominate and exercise their
authority over the African populations. In Togo, the situation was not
different either. Although initially their role was almost limited to the
internal and external protection of the colony, law enforcement and
security agents eventually established themselves as an indispensable
force.
Keywords: dark force, war, troops, authority, security

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Abstract (Les musulmans et le pouvoir politique en Côte d’Ivoire : entre collaboration et instrumentalisation (1990-2011))

The multi-party system in 1990 was marked by lively socio-
political rivalries in Côte d’Ivoire, with the important role of Muslim

guides. Thus, it is established the personal commitment of certain imams
in the creation and implementation of the Rally of Republicans (RDR).
These guides present themselves as symbols of an emerging civil society
through religious discourse. Generally, they become mediators at a time
when the multi-party system causes crises. This article shows their role in
easing social tensions. However, for personal interests, they are also
instrumentalized.
Keywords: muslims, power, politics, Côte d’Ivoire, collaboration,
instrumentalisation

Résumé (Variation diastratique en kabiyè, langue gur du Togo)

Palakyém Mouzou§

Résumé : L’homogénéité linguistique constitue un phénomène assez rare qu’on peut observer entre les locuteurs d’une seule et même langue. La pratique sociétale d’une langue comme le kabiyè laisse place à une hétérogénéité linguistique caractérisée par une variation lexicale assez dynamique entre certaines catégories de locuteurs. Ainsi, quels sont les facteurs qui sous-tendent une telle variation lexicale ? Pris dans le grand ensemble des phénomènes de contact de langue mais décrit sous l’angle lexicologique, cet article a pour substrat la diversité des procédés néologiques et stylistiques dans toutes les catégories observées. Il considère la variation diastratique comme un des aspects de la variation lexicale et le soubassement même de la dynamique linguistique. Plusieurs variables à la fois internes et externes aux langues et aux locuteurs interviennent dans cette variation. Les données qui sous-tendent la présente réflexion ont été collectées dans la préfecture de la Kozah auprès des différentes catégories socioprofessionnelles de la population.

Mots-clés : variation diastratique, création lexicale, kabiyè. 

Abstract: Linguistic homogeneity is a rare phenomenon that can be observed among speakers of a single language. The societal practice of a language such as Kabiye leaves room for linguistic heterogeneity characterised by a rather dynamic lexical variation between certain categories of speakers. So, what are the factors underlying such lexical variation? Taken as a whole of language contact phenomena but described from a lexicological perspective, this article takes as its substrate the diversity of neological and stylistic processes in all the categories observed. It considers diastratic variation as one aspect of lexical variation and the very basis of linguistic dynamics. Several variables both internal and external to languages and speakers are involved in this variation. The data underlying the present study were collected in the prefecture of Kozah from the different socio-professional categories of the population.

Keywords: Diastratic Variation, Lexical Creation, Kabiyè. 

Introduction

Dans les pratiques langagières, il est aisé de constater une variation des lexies à l’intérieur d’une même langue, tant sur le plan diachronique que synchronique. Comme le souligne Jean Dubois (504), la variation linguistique est le « phénomène par lequel, dans la pratique courante, une langue déterminée n’est jamais à une époque, dans un lieu et dans un groupe social donnés, identique à ce qu’elle est à une autre époque, dans un autre lieu, dans un autre groupe social ». Elle reflète le cosmopolitisme langagier d’une société et la manifestation concrète de la nature éminemment sociale de la langue. Il est généralement distingué cinq types de variations – en lexicologie et en sociolinguistique – liées au temps, au lieu, à la dimension sociale et à la situation : la variation diachronique, la variation diatopique, la variation diaphasique, la variation diamésique et la variation diastratique. C’est justement ce dernier type qui nous intéresse dans une suite d’études que nous comptons réaliser afin de rendre compte du dynamisme et de la vitalité linguistiques dont jouit la langue kabiyè, langue gur, de la branche orientale des langues gurunsi, parlée au Togo et au Bénin. La langue kabiyè, faut-il le rappeler, est parlée par une population de 1 423 964 locuteurs soit 22,9% de la population résidente, en considérant les chiffres du dernier Recensement général de la population et de l’habitat de 2010 et publié en 2015. Plusieurs travaux ont été réalisés sur le kabiyè mais aucun de ces travaux n’a jusqu’ici touché les différents phénomènes de variation linguistique en général et encore moins la variation diastratique en particulier. L’objectif de la présente étude est de relever et de décrire les différentes variations langagières selon les classes sociales des enfants, des jeunes, et des personnes âgées. Les questions principales auxquelles s’attèlera à répondre cette étude sont les suivantes : Comment se manifeste la variation diastratique en kabyè ? Quelles sont les structures de la variation diastratique en kabyè ? Nous postulons que la variation diastratique se manifeste par divers facteurs à savoir : l’âge, le sexe, la classe sociale. Elle s’observe ensuite à travers   diverses couches à savoir : couche enfantine, couche des jeunes et couche des personnes âgées.  Cette étude se situe dans une perspective à la fois lexicologique et sociolinguistique et abordera trois points principaux. Le premier présentera le cadre théorique et la méthodologie utilisés dans le cadre de ce travail. Il s’agira, dans le second point, d’examiner les facteurs de la variation diastratique en tant que partie intégrante de la variation sociale et démographique. Enfin, le troisième point analysera les structures des diverses lexies utilisées selon les différentes classes d’âge afin de ressortir les bases de différenciation.

1. Cadres théorique et méthodologique

Nous déclinons dans les lignes qui suivent les orientations théoriques de cette étude et la méthodologie qui nous a permis de réunir les données soumises à l’analyse.

1.1. Cadre théorique 

La variation linguistique est au centre de l’étude de l’utilisation de la langue. En effet, il est impossible d’étudier les formes linguistiques utilisées dans les textes naturels, par exemple, sans être confronter aux problèmes de la variabilité linguistique. François Gadet (7) disait d’ailleurs à ce sujet qu’« il n’est pas de langue que ses locuteurs ne manient sous des formes diversifiées ». Il ajoute que les linguistes « saisissent cette différenciation en parlant de variétés pour désigner différentes façons de parler, de variation pour les phénomènes diversifiés en synchronie, et de changement pour la dynamique en diachronie ». La variabilité est inhérente au langage humain, un seul locuteur utilise plusieurs formes linguistiques à différentes occasions et différents locuteurs d’une même langue expriment les mêmes significations en utilisant des formes différentes. La plupart de ces variations sont hautement systématiques, les locuteurs d’une même langue choisissent la prononciation, le choix des mots et la grammaire en fonction d’un certain nombre de facteurs non linguistiques. Ces facteurs inclus le but du locuteur de communiquer suivant les relations entre lui et son interlocuteur, les conditions de la production et les diverses appartenances sociales le concernant.

La présente étude sur la variation diastratique en kabiyè s’inspire de la théorie de la variation panlectale développée dans le cadre des travaux de la sociolinguistique. Cette théorie s’appuie principalement sur les travaux de Robert Chaudenson approfondis et enrichis successivement par Meyerhoff et Nagy, d’une part et Gudrun Ledegen et Isabelle Leglise, d’autre part. Cette théorie considère le contact de langues comme l’un des facteurs explicatifs des variations observées dans une langue. Selon Gudrun Ledegen et Isabelle Leglise (6), les travaux dans le cadre de cette théorie « se focalisent sur la nature et l’importance respective des facteurs extrasystémiques, intrasystémiques et intersystémiques qui déterminent les variations observées ».

Les phénomènes qui retiennent l’attention du chercheur dans le cadre de cette théorie sont résumés ainsi qu’il suit dans le tableau ci-après :

Changements relevant pour l’essentiel de l’intrasystémique dans lesquels l’interférence n’aurait au mieux qu’un rôle de renforcement (ex. : aller au docteur, laver ses mains)Changements où il y aurait convergence de l’intrasystémique et de l’intersystémique, l’interférence conduisant à des restructurations du même type que celles qui pourraient être opérées par la seule voie intrasystémique (ex. aller au docteur, laver ses mains)
Changements se manifestant dans des zones de variabilité potentielle du français et constituant des variantes spécifiques directement issues du modèle non français par transfert intersystémique (ex. retourner back, chercher pour …)Changements apparaissant dans le diasystème mais hors du F0 et relevant d’un aménagement individuel de la double compétence d’un bilingue, pour pallier une « défaillance » dans la langue dominée (ex. partir sur un voyage).

1.2. Cadre méthodologique

La collecte des données s’est entièrement faite à Kara, dans la commune de la Kozah. Nous avons, dans un premier temps, procédé par observation semi-directe où nous avons assisté à des discussions à bâton rompu entre des personnes de différentes classes d’âges à la maison et dans d’autres endroits (tchakpalodrome, fontaines publiques et marchés du quartier). Nous intervenions par moment pour en introduisant certains sujets, histoire de mieux percevoir la variation entre les différentes classes.

Il a paru utile d’élaborer un questionnaire, en addition des données déjà collectées, comportant 70 mots en français. Le choix des mots a été fait de sorte qu’on ressente la variation conformément aux situations habituelles entre enfants, jeunes et personnes âgées. Nous passions les questions aux informateurs et eux nous les rendaient en kabiyè. Ces données, entièrement enregistrées par un dictaphone, ont été ensuite transcrites et analysées. 

2. Facteurs de la variation diastratique en kabiyè

La variation diastratique de la langue est la variation sociale et démographique, c’est-à- dire la variation linguistique liée aux groupes sociaux et à la vie en société. Elle explique la différence entre les usages pratiqués par les diverses couches sociales, intégrant de ce fait les sociolectes. En effet, à une même époque et dans une même région des locuteurs différents, par des caractéristiques démographiques et sociales ont une différente façon de parler. L’étude de cette variation rend compte par exemple, des différences entre le langage des jeunes et celui des personnes âgées, entre le langage des groupes ruraux et celui des groupes urbains, elle rend compte encore des différences linguistiques entre les groupes professionnels ou, en fin, les différences selon les niveaux d’études des locuteurs. La variation diastasique se manifeste à travers plusieurs facteurs à savoir : le sexe, l’âge et les classes sociales.

2.1. L’âge

L’âge est le facteur le plus susceptible d’affecter la variation linguistique. Elle est considérée comme le facteur qui démontre le mieux s’il y a un changement au sein d’une communauté pour le même discours. Les études ont montré que les adultes emploient les variantes standard et traditionnelles tandis que les jeunes favorisent les formes non standard. Terry Nadasdi et al. démontrent une association de la variante auto parlée des locuteurs de moins de 30 ans et de la variante automobile au parler des locuteurs « d’âge moyen » (92). L’âge est le principal facteur dans la disparition de la variante traditionnelle. Nous notons également que le comportement linguistique de quelques groupes de locuteur dépend de leurs catégories d’âges. 

En kabiyè, on constate les différentes ci-après :

 EnfantsJeunesAge mûr
1chaisekpéyakpelaɣ́abalãkó
2(le) mangermam-mamtɔkɩyɛtɔ́ɔ́náɣ
3matière fécalepuuúpɩ́ndʋawayɩ́
4ignamehɛyɛhɛyɛhɛyɛ
5radioradiiyoaradiyowɛlɛsɩ
6stylobikbiktɔlíɩm cɩ́kaɣ

Comme ce tableau le montre, la notion de chaise est exprimée certes, de différentes manières mais le parler jeune et celui des enfants sont proches alors que celui de l’âge mur est totalement différent. De même, les lexies utilisées par les jeunes et ceux de l’âge mûr pour exprimer l’idée du manger sont proches alors que celle des enfants est totalement différente. La troisième lexie (matière fécale) est, par contre, très différente. Il est constaté des cas d’emprunts rendus différemment même si les lexies des enfants et des jeunes sont proches alors que les personnes de l’âge mûr utilisent carrément une autre lexie. Dans l’exemple 5, toutes les catégories d’âge utilisent des emprunts à la seule différence que les enfants et jeunes utilisent un emprunt d’origine française alors que la troisième catégorie utilise un emprunt d’origine anglaise. L’exemple 6, emprunt également, est rendu par un lexème totalement différent. Les enfants et les jeunes utilisent une même lexie qui n’est autre qu’une marque de stylo répandu en Afrique francophone et plus précisément au Togo. Les personnes d’âge mur ont une lexie issue d’un processus de création interne à la langue. Dans tous les cas de figure, il est observé une variation lexicale entre les trois catégories d’âge. La seule exception est observée dans l’exemple 4 où toutes les catégories ont la même lexie. Dans la partie 3, nous reviendrons amplement sur les lexies spécifiques à ces différentes catégories selon l’âge non plus pour expliquer mais pour donner la structuration des lexies utilisées.

2.2. Le sexe

Dans leurs pratiques courantes, il est observé également des différences de parler entre les hommes et les femmes parce qu’ils n’ont pas toujours les mêmes représentations linguistiques. Certaines des représentations peuvent être perçues positivement par les hommes alors qu’il n’en sera pas ainsi chez les femmes. Selon donc ces représentations qui ont un encrage socioculturel, l’utilisation des lexies variera d’un sexe à un autre. Anne Violin-Wigent (12) conclut déjà que « la tendance des femmes de plus de 40 ans de garder davantage de vocabulaire régional que les hommes du même âge est inversée pour les femmes de moins de 40 ans, qui montrent une plus forte tendance à abandonner le vocabulaire régional que les hommes du même âge ». Cette situation, même si elle indique cette variation entre les sexes, n’est pas identique dans la société kabiyè où, généralement, le comportement linguistique des femmes est le plus conservateur ou plus proche de la norme que celui des hommes. Cela est beaucoup plus remarquable lorsqu’il s’agit de s’exprimer sur des sujets liés à la sexualité ou aux parties du corps humain.

A titre illustratif, pour dire ‘’rapport sexuel’’, ‘’sexe’’, ‘’derrières de la femme’’, ‘’faire la cour’’ les femmes vont utiliser les lexies, kʋzʋʋ (7a), taŋnʋ́ (8c), pʋyʋ (9a), ɖánʋʋ (10a) là où les hommes diront plutôt yalaɣ (7b), ladɩyɛ/kodíye (8b), tɔbɩŋ (9b),ɖaʋ́ tʋʋ (10b) …

Les plus jeunes femmes semblent rejeter le vocabulaire ancien et préfèrent de plus en plus prononcer les mêmes lexies que les hommes du même âge. L’on entendra donc les lexies comme akpadɩyʋ́ (11), hilúu (12) ou mɩlʋ́ʋ (13) pour dire ‘’personne âgée, gourmandise ou voler.

2.3. Les classes sociales

Les classes sociales contribuent le plus à la variation linguistique, chacune ayant sa terminologie et ses expressions. Qu’ils soient forgerons, tisserands, menuisiers, prêtres, couturiers, guérisseurs, commerçants… ou cultivateurs/fermiers, les différents groupes socioprofessionnels contribuent énormément à l’enrichissement lexical puis, par la même occasion, à la variation linguistique. Même à l’intérieur d’un même groupe socioprofessionnel, il n’y a nullement d’homogénéité linguistique entre les différents lectes. Nous entendons par lecte, un parler spécifique réservé aux spécialistes d’un seul et même domaine voire sous-domaine. Il est donc un sous-ensemble d’un sociolecte. Un médecin, par exemple, utiliserait un premier lecte pour converser avec ses collègues médecins, un second pour échanger avec ses assistants et, enfin, un troisième lecte pour discuter avec ses patients.

Ainsi, un forgeron distinguera hakuu (14) de agooza hakuu (14a) et de hakuu kɩwasʋʋ (14b) alors que le citoyen habituel dira simplement hakuu. De même, un couturier, pour désigner habit, manteau, soutien-gorge, manche de vêtement et boubou, il utilisera tóko (15), niŋkaɣ tóko (15a), hɩla toko (15b), toko hamʋ́ʋ (15c) et tóko waa (15d) alors que le citoyen lambda dira simplement tóko (15). L’un des exemples le plus illustratif de la variation lexicale relève du domaine de la médecine traditionnelle. Les personnes enquêtées ont utilisé à 92% la lexie kɔ́yɛ (16) pour parler du produit alors que l’un des guérisseurs que nous avons interrogé nous a clairement dit que la lexie kɔ́yɛ est très vague et ne renvoi finalement à rien chez lui. Nous reprenons ci-après, les différentes occurrences avec leurs significations. 

(16a) Heu taa kɔ́yɛ     : espèce de plante herbacée à fleurs roses, à tiges et feuilles pileuse qu’on utilise pour faire une infusion au nourrisson

(16b) Kelá kɔ́yɛ          : espèce de plante légumineuse et médicinale pour le soin des dents

(16c) Kɔ́yɛ kɩ́ɖaɣlɩyɛ : clou de girofle

(16d) Kɔ́yɛ kɩmɩzɩyɛ́ : produit qu’on pulvérise

(16e) Kɔ́yɛ kpooloo    : espèce d’épice semblable à « kɔyɛ kɩ́daɣlɩyɛ » mais plus gros.

(16f) Tɛtɛ wondu kɔ́yɛ           : insecticide

(16g) Ɛlɛyɛ kɔ́yɛ         : espèce de plante médicinale entrant dans le traitement du vertige et de l’épilepsie

(16h) Limiye kɔyɛ       : produit contre la phlébite

(16i) Ladɩhoka kɔyɛ : produit contre la hernie 

Il est donc indéniable que tous les locuteurs n’utilisent pas les mêmes lexies et ne peuvent donc pas les maîtriser toutes ; l’utilisation et la technicité des lexies dépendront forcément des besoins que l’on ressent.

3. Structuration de la variation selon les classes d’âges

Ce troisième point a pour vocation d’analyser les structures des diverses lexies utilisées selon les différentes classes d’âge. Le peuple Kabiyè distingue fréquemment trois niveaux de classes d’âges au niveau des vivants : les enfants, les jeunes et les personnes âgées / personnes mûres. Nous élargirons donc les exemples, pour ensuite les analyser selon les procédés qui les ont fait naître.

3.1. La classe des enfants

Conformément à leur âge et au niveau du développement de leur appareil phonatoire, les enfants ont une manière particulière de s’exprimer. Cette façon n’équivaut nullement pas aux difficultés langagières. Cela est plutôt lié à l’incompétence linguistique, tout de même normal pour leur âge. C’est un acte inné de la faculté de langage qui peut être vue comme une grammaire universelle, c’est-à- dire un ensemble de principes qui guide l’enfant dans son apprentissage de la langue. Etant donné que cette faculté est propre à l’être humain l’enfant peut faire une grammaire de sa langue. Selon Noam Chomsky, si l’enfant ne produit pas certaines phrases à aucun stage de son apprentissage, c’est par ce que les constructions impliquées sont exclues d’emblée par les principes de grammaire universelle. En d’autres termes, il y a bien des phrases logiquement possibles mais qu’on n’observe pas dans les productions de l’enfant apprenant sa langue. Cela justifie donc le niveau de maîtrise de la langue chez les enfants.

Présentons quelques exemples issus des données collectées lors de l’observation et qui serviront d’analyse :

(17) pópó / pimpim               ῞motocylette῞

(18) lↄyiyɛ / vúm vúm           ῝voiture ῝

(19) ninεtɩ                               ῞lunettes ῞

(20) yídee                               ῝argent῝

(21) cuucuú                            ῞chiot῞

(22) yeyee                               ῝fleur῝

(23) kokoyikoo                       ῞poule῞

(24) kɔyɛ                                ῝produit῞

(25) peyaɣ́                              ῞tabouret῝

(26) sʋyʋm                             ῞boisson῝ 

(27) puú                                 ῝matières fécales῝

Après l’observation de notre corpus nous constatons que les enfants construisent la grammaire de la langue par imitation, par onomatopée, changement vocalique ou changement consonantique. Le procédé d’onomatopée, interjection émise pour simuler un bruit particulier associé à un être, un animal ou un objet, par imitation des sons, est assez abondant chez les enfants. Les exemples (17), (18), (21) et (23) l’illustrent bien. En effet, pour désigner moto, voiture, chiot et poule, les enfants rencontrés préfèrent imiter le bruit des engins ou l’aboiement du chien et le chant de la poule.

Au plan phonétique, il est constaté des changements vocaliques et consonantiques. Ainsi, la première syllabe de ninεtɩ, emprunté au français ‘’lunette’’ connait une variation vocalique. L’enfant préfère utiliser les voyelles non arrondies au lieu de faire des allers-retours entre les arrondies et les non arrondies. Il prononce donc la voyelle antérieure, non arrondie, de première aperture [i] qui est de même nature que [ε] d’aperture différente en lieu et place de celle antérieure, arrondie, de première aperture. Pareillement, plusieurs consonnes ont subi des changements par rapport à la norme langagière. On note cela essentiellement en position initiale où la consonne labiovélaire sourde [kp] de kpokpo et de kpélaɣ est remplacée par la bilabiale sourde [p] dans les exemples (17) et (25) ; [l] de lynεtɩ et de lidee est remplacée respectivement par la nasale labiodentale [n] dans l’exemple (19) et la semi-voyelle [y] dans l’exemple (20). Aucune variation morphologique n’est observée dans les exemples (22), (24) et (26) mais il y a cependant une variation tonale.

3.2. La classe des jeunes 

Les jeunes Kabiyè ont une pratique langagière comparable à celle de plusieurs autres groupes juvéniles dans d’autres cultures. Elle dénote en effet un jargon rempli de mots nouveaux, généralement empruntés, exprimant les notions modernes. Leurs énoncés sont jonchés de plusieurs procédés à tel enseigne qu’ils sont rarement compris par d’autres classes lorsque la discussion se déroule entre eux. Les lexies, que l’on peut qualifier d’authentique, sont réservées aux échanges avec les parents et les autres membres de la communauté à qui ils doivent un respect total. Apprécions les exemples ci-après :

(27) tↄkɩyɛ                              ῝manger῞

(28) lambᾶndυ            ῞sexe masculin῝

(29) fɛtʋ́ʋ                               ῞avoir des rapports sexuels῝

(30) tόmo                               ῝motocyclette῞

(31) týva                                 ῝voiture῞

(32) daák                                ῝lunette῞

(33) cãtána                             ῝argent῞

(34) dɔɔg                                ῝chien῞

(35) hέrύυ                               ῝fleur῞

(36) tɔbʋʋ́                              ῝copine῞

(37) gꭇãŋma                            ῝grand maman῞

(38) ŋma                                 ῞maman῝

L’examen des lexies utilisées par la classe des jeunes permet de relever différents procédés à la fois néologiques et stylistiques. Passons en revue, entre autres, le verlan, l’emprunt et la synecdoque. Le verlan est un procédé argotique consistant à inverser les syllabes de certaines lexies ou de certaines locutions. Dans le corpus soumis à notre analyse, le verlan est observé dans les exemples (30) et (31) où les jeunes utilisent tόmo et tyva en lieu et place de ‘’moto’’ et ‘’voiture’’. On note donc deux procédés : d’abord un emprunt et ensuite le verlan.

L’emprunt est, selon Christian Loubier, « le procédé par lequel les utilisateurs d’une langue adoptent intégralement, ou partiellement, une unité ou un trait linguistique (phonologique, lexical, sémantique, syntaxique, etc.) d’une autre langue » (21). Il est observé dans les exemples (32), (34) et (37) où les lexies daák, dɔɔg et gꭇãŋma sont empruntées respectivement à l’anglais ‘’dark’’ et ‘’dog’’ d’une part et au français ‘’grand maman’’. Bien sûr, la lexie anglaise dark équivaut à noir et non lunettes. Mais dans leur usage, cette lexie signifie ‘’lunettes’’, partie d’abord de ‘’lunettes noires’’ et maintenant utilisée pour tout type de lunettes y compris les verres médicaux. Au plan diachronique, précisons que ŋma dans les exemples (37) et (38) est utilisé par les enfants pour désigner ‘’maman’’. C’est donc une contraction syllabique infantile dans le processus d’acquisition du langage qui a fini par être utilisée par les jeunes voire des personnes mures.

La synecdoque est un procédé stylistique qui consiste à désigner le tout par une partie. Dans les exemples (28), (29) et (36), les lexies lambndυ ‘’prépuce’’, fɛtʋ́ʋ ‘’le geste d’aller et retour’’ et tɔbʋʋ́ ‘’derrière d’une femme’’ ne sont que des parties d’un ensemble.

L’ensemble de ces lexies d’une coloration argotique vient confirmer le caractère non seulement dynamique des pratiques langagières mais aussi leur variation continue.

3.3. La classe des personnes âgées

Les personnes mures utilisent souvent des mots authentiques dans leurs divers énoncés sauf dans des situations d’imitation de leurs enfants ou des jeunes avec l’objectif de les réprimander ou de les corriger. Elles sont les gardiennes du parler traditionnel et favorisent rarement des variations lexicales. Cette classe permet de percevoir les différents changements linguistiques opérés par les autres classes de la société. Dans la société kabiyè, les personnes âgées ne sont pas soumises à l’influence de l’école. Les exemples dont certains ont déjà des synonymes dans les exemples des classes enfants et jeunes nous permettent d’en adjuger.

(39) tɔɔ́wʋ                              ῞manger῝

(40) hɩ́nɛ                                 ῞sexe masculin῝

(41) awayɩ                              ῞matières fécales῝

(42) kpόkpό                           ῞motocyclette῝

(43) lɔɔrɩ́yɛ                             ῞voiture῝

(44) ɛsɛ́ñɩnɩŋ                          ῞lunette῝

(45) kόbo                               ῞argent῝

(46) haɣ́                                  ῞chien῝

(47) hέtυ                                 ῞fleur῝

(48) ɖooyú                              ῞poule῝

(49) ɛjam                                ῝handicapé῞

(50) ekpéni mʋlʋ́m                 ῞il/elle est décédé.e῞

(51) ɛvɛ́yɩ́                               ῝il/elle est décédé῞

(52) pɩsaυ tↄláa                       ῞le pagne est tombé῝

(53) ɛwɩláyɩ́ níyé                     ῞il/elle l’a réprimandé῝

Dans l’ensemble, les exemples ci-dessus confirment que les personnes âgées conservent le vocabulaire ou le lexique authentique de la langue. En considérant les données, on peut faire les binômes synonymiques suivants, en mettant en premier lieu les lexies les plus traditionnelles : (39) tɔɔ́wʋ /(27) tↄkɩyɛ pour ῞le manger῞ ; (40) hɩ́nɛ /(28) lambᾶndυ pour ῞sexe masculin῞ ; (41) awayɩ /(27) puú pour ῞matières fécales῞ ; (44) ɛsɛ́ñɩnɩŋ /(32) daák pour ῞lunettes῞ ; (45) kόbo /(33) cãtána pour ῞argent῞ ; (46) haɣ́ /(21) cuucuú pour ῞chien῞ et enfin  (47) hέtυ /(22) yeyee pour ῞fleur῝.

Il est également observé, dans l’usage des personnes mures, des expressions connotées non seulement liées aux niveaux de langues mais aussi aux tabous linguistiques comme le démontre Leonard Bloomfield (1933, p. 155). La connotation, faut-il le rappeler, désigne, selon Jean Dubois et al. (2012, p.111) “un ensemble de significations secondes provoquées par l’utilisation d’un matériau linguistique particulier et qui viennent s’ajouter au sens conceptuel ou cognitif, fondamental ou stable, objet du consensus de la communauté linguistique, qui constitue la dénotation”. Ainsi, la lexie (41) awayɩ “matières fécales” désigne littéralement “dehors”. Dans les maisons traditionnelles, les toilettes ne sont pas logées à la maison. Pour satisfaire ce besoin naturel, les membres de la familles vont donc au “dehors” pour se libérer avant de revenir. Il en est de même pour les lexies (50) ekpéni mʋlʋ́m et (51) ɛvɛ́yɩ́ dont les sens dénotés sont littéralement et respectivement “il/elle a apporté la farine” et “il n’est plus” pour signifier “il/elle est décédé.e”. 

Les autres lexies notamment (42), (43) et (45) sont pour la première une onomatopée et pour les deux autres des emprunts respectivement de l’anglais et de l’haoussa.

Conclusion

La variation diastratique en tant que phénomène de contact de langues est bien visible dans les pratiques langagières des populations togolaises, notamment dans la communauté Kabiyè. C’est indiscutablement un phénomène qui met en lumière des changements linguistiques selon le milieu social auquel appartient un locuteur (sa classe sociale, son groupe professionnel, son sexe, son âge, etc.). Elle dépend de trois facteurs généraux : intralinguistiques, interlinguistiques et extralinguistiques. Le croisement de ces facteurs nous a permis, dans le cadre de cette étude, de prendre en compte l’âge, le sexe et la classe sociale qui sont assez manifestent dans la société Kabiyè dont la langue est décrite.

L’examen des données a révélé une véritable variation entre les différentes catégories d’âges, les sexes et les secteurs socioprofessionnels. Il en ressort de part et d’autre que l’utilisation de divers procédés à la fois néologiques et stylistiques, enrichie le vocabulaire de la langue et diversifie aussi les usages. Il s’agit, entre autres, de l’onomatopée, l’emprunt, la synecdoque, le transfert de sens et la connotation.

Cet exercice fortement enrichissant et intéressant nous invite à creuser également les autres types de variations pour mieux décrire les différents contours de la variation linguistique.

Travaux cités

Bavoux, Claudine. Le français de Madagascar. Contribution à un inventaire des particularités lexicales, Bruxelles, De Boeck & Larcier, 2000.

Bloomfield, Léonard. Language, New-York, Holt, Rinehart & Winston, 1933.

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Comment citer cet article :

MLA : Mouzou, Palakyém. « Variation diastratique en kabiyè, langue gur du Togo ». Uirtus 1.2 (décembre 2021): 233-247.


§ Université de Kara / [email protected]

Abstract (Figuration de l’échec dans Les choses de Georges Perec)

The theme of failure is made current by a very prolific 20th century literature which focuses on the human condition. And Georges Perec makes it a source that allows him to explore the specificities of a contemporary society that exclusively focuses on matter and possession. A perception which leads us to question the notion of failure which exposes the social and psychological vulnerability of singular characters. To nourish this reflection, we relied on the significance of the discourse
of failure in his text Les choses; this favored the analysis of a fairly characteristic writing of objects and things.
Keywords : incapacity, inaction, fatality, loser, negation

Full Text               

Résumé (Figuration de l’échec dans Les choses de Georges Perec)

Résumé : La thématique de l’échec est rendue actuelle par une littérature du XXe siècle très prolifique qui s’attache à l’analyse de la condition humaine. Et Georges Perec en fait une source qui lui permet d’explorer les spécificités d’une société contemporaine qui se focalise exclusivement sur la matière et la possession. Perception qui nous amène à interroger la notion de l’échec qui expose la vulnérabilité sociale et psychologique de personnages singuliers. Pour nourrir cette réflexion, nous nous sommes appuyés sur la prégnance du discours de l’échec dans son texte Les choses ; ce qui a favorisé l’analyse d’une écriture des objets et des choses assez caractéristiques.

Mots-clés : impuissance, inaction, fatalité, perdant, négation

 

Abstract: The theme of failure is made current by a very prolific 20th century literature which focuses on the human condition. And Georges Perec makes it a source that allows him to explore the specificities of a contemporary society that exclusively focuses on matter and possession. A perception which leads us to question the notion of failure which exposes the social and psychological vulnerability of singular characters. To nourish this reflection, we relied on the significance of the discourse of failure in his text Les choses; this favored the analysis of a fairly characteristic writing of objects and things. 

Keywords : incapacity, inaction, fatality, loser, negation

 

Introduction

La compétition, la réussite sont les mots et/ou les maux caractéristiques d’une société contemporaine qui ne tolère pas les perdants. Cet environnement de quête de la performance constitue, à rebours, un terreau favorable de construction de la marginalisation et de la mésestime pour une catégorie sociale. Cette perception matérialiste du monde génère l’idée de l’échec qui trouve son expression dans des champs de connaissance aussi divers que la philosophie, la sociologie, la psychologie et la psychanalyse. À l’instar de ces domaines, la littérature aussi fait de cette thématique un objet d’étude par sa représentation d’un phénomène social. Elle s’en fait l’écho dans des productions qui construisent un archétype de personnages totalement désintégrés et ancrés dans un défaitisme très caractéristique.

Anne Simonin aborde la même perspective en affirmant que « La littérature consacrée au génie et au succès est importante, celle de son double malheureux, l’échec, est très réduite. L’échec fait peur. Son « roman vrai » n’intéresse pas, à l’exception notable des psychanalystes » (111).

Ainsi des romans français majeurs sont représentatifs de ce type de personnages. Dans ce cas, les personnages d’Albert Camus sont aux prises avec une existence problématique, ceux d’Olivier Adam ou encore de Primo Levi sont empêtrés dans des situations totalement deshumanisantes d’où ils ne peuvent se soustraire ou semblent s’abandonner tant ils sont annihilés. Ces écrivains définissent des personnages totalement irrationnels et désensibilisés qui se retrouvent de l’autre côté du rideau, comme s’ils étaient soumis à une fatalité. Le problème que cette situation pose est celui de la condition humaine complexe qui contraste avec une littérature contemporaine à relent humaniste qui postule la valeur et la liberté de l’homme.   

Cette perspective existentielle paradoxale a conduit à réfléchir sur le sujet : Figuration de l’échec dans Les choses de Georges Perec. Un tel thème induit des questions de recherche qui permettront d’orienter l’analyse : Comment l’échec est-il représenté ? Comment le discours de la marginalité et de la désintégration se déploie-t-il dans le texte ?

Pour répondre à ces questions nous allons convoquer les méthodes narratologique et linguistique qui permettront d’étudier d’abord la typologie du personnage perdant. Il s’agira d’analyser les personnages principaux dans une perspective qui les appréhende selon la classification d’Éric Bordas qui définit une typologie basée sur quatre éléments majeurs (162-163). Ce qui aboutira à dresser une caractérisation de l’archétype du loser, dont la marginalisation est cristallisée par une narration avec une situation finale consacrant une irréversibilité du désavantagé. Ensuite, le discours de l’échec conduit à analyser une linguistique du perdant qui est consacrée par une véritable apologie de l’échec. Elle se perçoit dans un langage et des expressions spécifiques et un champ lexical particulièrement abondant ainsi qu’un vocabulaire dédié à cette notion.    

  1. Typologie du personnage loser

Il serait illusoire d’évoquer les catégories de personnages sans définir la notion même de personnage qui intéresse la critique. Cette instance narrative, en effet, a connu des fortunes diverses avec les différentes approches qui enrichissent les travaux critiques. La plus virulente des études est certainement celle d’Alain Robbe-Grillet qui vilipende le statut du personnage. Il formule clairement le reproche suivant : « Nous en a-t-on assez parlé, du « personnage » ! Et ça ne semble, hélas, pas près de finir. Cinquante ans de maladie, le constat de son décès enregistré à maintes reprises par les plus sérieux essayistes, rien n’a encore réussi à le faire tomber du piédestal où l’avait placé le XIXe siècle. C’est une momie à présent » (31). La déchéance du personnage dont parle le critique est d’une autre façon, l’annonce de la perte d’un privilège. Dans cette étude, il est soumis à un effilochage qui est régi par des caractères qui se déclinent en trois strates : l’inaction, l’état d’esprit et le conditionnement social.

D’abord l’inaction du personnage est caractéristique. A priori, il paraît être en action, tant il est inscrit dans une dynamique évolutive. Cependant, le schéma actantiel du support textuel montre un état initial qui ne subit pas de modification substantielle puisque les personnages principaux sont toujours dans une situation végétative. Dès l’incipit, le récit présente des protagonistes et des adjuvants qui sont installés dans une léthargie. Cette situation de non action n’est pas modifiée, malgré le changement d’espace (de la France à la Tunisie), la lassitude et la prise de conscience de leur statut d’infortunés qui auraient pu créer le déclic et favoriser ainsi une réaction possible des personnages.   

Ainsi, les actions que posent les personnages ne sont pas assez importantes au point de modifier leur état général. Dès le début du texte, le narrateur décrit des personnages dépareillés qui mettent fin à leurs études de droit et exercent des emplois précaires ou très banals. Cette situation de départ ne connaît pas d’évolution, puisque la précarité ne disparaît pas dans le dénouement de l’histoire. Finalement, les personnages s’inscrivent dans une forme de résignation ou d’accoutumance à leur situation. Nous lisons cette abdication dans ce passage : «Une annonce parue dans le Monde, aux premiers jours d’octobre, offrait des postes de professeurs en Tunisie. Ils hésitèrent. Ce n’était pas l’occasion idéale. Ils avaient rêvé des Indes, des Etats-Unis, du Mexique. Ce n’était qu’une offre médiocre, terre à terre, qui ne promettait ni la fortune ni l’aventure. Ils ne se sentaient pas tentés » (Perec 121). Les personnages sont en proie à une désillusion qui les amène à accepter, mal gré, des activités de peu de valeur avec des perspectives de carrière quasi inexistantes. Il y a un oxymore qui révèle une antinomie entre une opportunité d’affaire (l’annonce d’une offre d’emploi) et un désintérêt qu’ils affichent avec ostentation. Pour ce faire, l’emploi de la locution adverbiale « terre à terre », l’adjectif « médiocre » et le verbe « hésiter » montre l’attitude de dénégation et de minimisation affichée par des personnages qui sont paradoxalement en pleine crise existentielle.

Mieux, l’auteur n’est pas dans une logique de condamnation. Pourtant, il s’emploie à représenter des êtres maudits, de véritables abonnés aux ratages et qui entament une descente dans des lieux périphériques. Ce qui fait dire qu’il y a une perception duale dans le texte : une catégorie de losers et une autre de privilégiés. La focalisation est orientée vers la première catégorie qui s’autocensure et ne lutte plus, comme si elle s’abandonnait à la fatalité. Nous lisons une attitude contraire du protagoniste du Mythe de Sisyphe. Dans ce texte, Albert Camus revisite le mythe grec et les productions homériques qui construisent la figure de Sisyphe. Sa réécriture montre un Sisyphe qui refuse sa condition. A rebours de cette perception, chez Georges Perec le défaitisme est la chose la mieux partagée, car son personnage a conscience de sa situation, mais il assume sa passivité. C’est en substance ce qu’affirme Anne Pellerin :            

         Du paumé dilettante au poète raté en passant par le poissard en série, le dernier de la classe et le mari trompé, le loser est le champion des coups foireux, du manque de bol, des rendez-vous manqués, des opportunités loupées, des petites défaites et des grands échecs. Il préfère la fuite à la conquête, recule là où il faut avancer, hésite quand il faut agir et n’est pas sans peur ni reproche. S’il part de rien, il n’arrive à rien, voire est un bon à rien. Sombrant souvent dans un état d’inertie et de stagnation, il ne suit pas la trajectoire de l’ascension sociale, mais celle de la déchéance sociale et de la descente aux enfers. (3)

Bref, la posture des personnages, au sens physique du terme, donc la position assise qui est adoptée et qui implique une mobilité réduite sinon inexistence, est une expression de la platitude qui annihile la volonté de sortir d’une situation instable ou inconfortable. Il y a une sorte d’acceptation d’un état qui ne connaît pas d’évolution. Ce qui dénote de la fixité des personnages qui ne sont pas des êtres de faire. 

Ensuite, l’état d’esprit général du personnage que décrit le narrateur s’exprime dans le pessimisme affiché. C’est un sentiment ambiant qui brise tout effort de transformation de la situation de départ du personnage. De ce fait, appréhender une telle psychologie altérée conduit à s’intéresser à la philosophe de Schopenhauer. Selon ce penseur allemand, « nous passons toute notre vie à poursuivre un objet puis un autre, allant du désir et de la privation à la déception que la possession engendre toujours. »[1] Georges Pérec se fait l’écho de cette philosophie en construisant des personnages dont la volonté est annihilée tant ils sont convaincus que la position qu’ils occupent ne peut changer dans le bon sens. Ils ont cessé de lutter et laissent le mal rogner leurs espérances. De façon illustrative, nous avons la construction d’une atmosphère de négativité qui affecte tout leur être :

Ils vivaient au jour le jour ; ils dépensaient en six heures ce qu’ils avaient mis trois jours à gagner ; ils empruntaient souvent ; ils mangeaient des frites infâmes, fumaient ensemble leur dernière cigarette, cherchaient parfois pendant deux heures un ticket de métro, portaient des chemises réformées, écoutaient des disques usés, voyageaient en stop, et restaient, encore assez fréquemment, cinq ou six semaines sans changer de draps. (Perec 79)

 Le mode de vie qui est adopté par les personnages est totalement misérabiliste. La description, dans ce passage, porte sur des besoins primaires qui ne sont pas satisfaits correctement. On a spécifiquement un champ lexical de l’indigence qui est mis en évidence par le verbe ‘’empruntaient’’, le groupe de mots ‘’frites infâmes’’, les adjectifs ‘’réformés, usés’’. C’est une perception négative d’un quotidien complexe. Il y a dans l’écriture de Pérec une influence hippique qui affiche le refus des valeurs d’une société de consommation caractéristique du système capitaliste. Le gaspillage et la surexploitation sont cloués au pilori par la représentation d’une attitude totalement décalée.     

Le type présenté par Georges Perec est à rebours des personnages de récits médiévaux qui présentaient des figures courageuses et victorieuses. L’auteur s’intéresse à des figures moins angulaires que sont les perdants, les ratés qui, généralement, sont loin des feux de projecteur. Cette perception est partagée par Pierre Chartier qui, parlant du point de vue de Balzac sur ce thème, affirme que « Un type […], écrit-il dans la préface à Une Ténébreuse Affaire (1842), est un personnage qui résume en lui-même les traits caractéristiques de tous ceux qui lui ressemblent plus ou moins, il est leur modèle du genre. Aussi trouvera-t-on des points de contact entre ce type et beaucoup de personnages du temps présent » (123).

Finalement, la caractérisation du type perecien se base sur une inaction qui l’installe dans une fixité qui n’évolue pas. Le personnage est inscrit dans un état d’esprit bouleversé qui révèle une résignation et une acceptation d’une condition. Ces traits de fatalité sont construits par un auteur qui aborde, de ce fait, une thématique dont l’actualité dans une société contemporaine est manifeste.

  1. Le discours de l’échec

Le concept de l’échec est prégnant dans un texte actuel par sa thématique qui porte sur la condition de l’homme. L’auteur ne pointe pas une fatalité ou une divinité, mais un système social qui engendre des inégalités sociales caractéristiques. Dans le texte, la figure du couple Gérôme et Sylvie est représentative des infortunes et de la précarité qui sont abondamment décrites sous le prisme d’une situation d’énonciation qui cristallise l’échec et un vocabulaire de l’impuissance et de la résignation très caractéristique.   

À cet effet, Emmanuel Maingueneau dans son approche, affirme que « La notion de situation d’énonciation est au cœur de toute réflexion sur l’énonciation. Il s’agit d’un système de coordonnées abstraites, de point de repère par rapport auxquels doit se construire toute énonciation » (9). Le critique interroge tout un ensemble d’éléments structurels qui sont déployés dans un discours et principalement, pour le cas qui nous intéresse, le roman. De ce point de vue, l’énonciation lève le voile sur un narrateur extradiégétique qui prend en charge la narration d’une histoire rocambolesque. En effet, nous avons une scénographie spécifique de la condition humaine qui est l’objet de l’analyse. Elle pose dès le départ, un environnement où s’épanouit aussi bien un langage spécifique qu’un mode de pensée qui définit une catégorie de personnages. L’auteur ne peint pas spécifiquement des catégories sociales. Il investit une kyrielle d’objets hétéroclites, mais qui présentent une homogénéité. Ces objets de la vie quotidienne sont présentés dans une perspective antinomique qui permet de mettre en évidence un actant qui est présenté, dans ce texte sous la forme de chose. Le terme « chose » (Levinas 137) est employé dans le sens où l’entend le critique, c’est-à-dire un phénomène participant à la jouissance d’un individu. Ainsi dans le texte, nous lisons un amoncellement des objets de plaisir :

Il existait, à côté d’eux, tout autour d’eux, tout au long des rues où ils ne pouvaient pas ne pas marcher, les offres fallacieuses, et si chaleureuses pourtant, des antiquaires, des épiciers, des papetiers. Du Palais-Royal à Saint-Germain, du Champ-de-Mars à l’Etoile, du Luxembourg à Montparnasse, de l’île Saint-Louis au Marais, des Ternes à l’Opéra, de la Madeleine au parc Monceau, Paris entier était une perpétuelle tentation. Ils brûlaient d’y succomber, avec ivresse, tout de suite et à jamais. Mais l’horizon de leurs désirs était impitoyablement boucle. (Perec 18)

Il y a un recensement de lieux et d’objets qui sont focalisés sur la jouissance des sens. Ces déictiques spatiaux présentent des topographies connues et une spatialité qui sont potentiellement chargées d’émotion. Ces milieux exercent une influence sur les sens qui les rendent attractifs. Ils ont une certaine visibilité par la richesse de ce qu’ils présentent. Cependant, ces choses qui s’adressent à la sensibilité sont inaccessibles à des individus démunis dont la satisfaction des besoins est une gageure. À ce propos, le narrateur répertorie un ensemble d’éléments qui montrent un lexique essentiellement orienté sur des manques et des désirs impossibles à assouvir.

Ils vivaient dans un appartement minuscule et charmant, au plafond bas, qui donnait sur un jardin. Et se souvenant de leur chambre de bonne – un couloir sombre et étroit, surchauffé, aux odeurs tenaces – ils y vécurent d’abord dans une sorte de d’ivresse, renouvelée chaque matin par le pépiement des oiseaux. Ils ouvraient les fenêtres, et, pendant de longues minutes, parfaitement heureux, ils regardaient leur cour. La maison était vieille, non point croulante encore, mais vétuste, lézardée. Les couloirs et les escaliers étaient étroits et sales, suintant d’humidité, imprégnés de fumées graisseuses. (18)

Nous avons dans cet extrait un champ lexical de la misère et du dénuement dont le foisonnement met en évidence un espace complètement désuet, insalubre et abject. La perception déformée de la réalité ne permettait pas aux personnages principaux de prendre conscience des conditions de vie exécrable et spartiates dans lesquelles ils baignaient. Pour présenter ce sombre tableau, le narrateur emploie des adjectifs qui relèvent la morosité d’un lieu : « vieille, sombre, vétuste » ; des adjectifs exprimant la crasse : « sale, suintant, graisseuses » ;  les adjectifs qui portent sur un cadre de vie bringuebalant : « croulante, lézardée » et des adjectifs qui montrent la restriction d’un espace : « minuscule, étroit ». Tous ces adjectifs permettent d’identifier un milieu qui n’offre pas de confort à ses pensionnaires, mieux qui lève le voile sur leur statut social.   

L’expression d’une incapacité ou d’une perte de volonté se lit par un champ lexical particulièrement foisonnant. Ainsi dans le texte perecien, le discours se comprend comme une prise de conscience d’une situation ou d’un statut de défavorisé qui ne peut être modifié, mais est mal assumé par les personnages. Le langage, dans ces conditions, se veut caustique et récriminatoire :  

Peut-être étaient-ils trop marqués par leur passé (et pas seulement eux, d’ailleurs, mais leurs amis, leurs collègues, les gens de leur âge, le monde dans lequel ils trempaient). Peut-être étaient-ils d’emblée trop voraces : ils voulaient aller trop vite. Il aurait fallu que le monde, les choses, de tout temps leur appartiennent, et ils y auraient multiplié les signes de leur possession. Mais ils étaient condamnés à la conquête. (24)

Nous avons un groupe social qui adopte le même mode de vie morne de l’étudiant et/ou du psycho-enquêteur affadi. Il s’agit d’une catégorie d’individu qui partage une filiation, un métier et une temporalité. Ces éléments d’identification intègrent ce type de personnages dans un milieu qui les conditionne à développer des besoins inextinguibles qui s’expriment singulièrement par le verbe sans l’action. L’auteur procède ainsi par la construction de deux conditions sociales mises en parallèle pour cristalliser la notion de l’échec. 

Il y a tout un langage de la matière omniprésente, mais qui échappe à une possession ou une appropriation. En effet, le procédé de la description qui est utilisé à profusion dans le texte est mis au service des éléments qui sont répertoriés dans une perspective antinomique. Ils cristallisent une société capitaliste de grande consommation stratifiée pour exprimer le non accomplissement des personnages dans cette fiction. Ce discours de paradoxe est exprimé dans le passage suivant :

De station en station, antiquaires, libraires, marchants de disques, cartes des restaurants, agences de voyages, chemisiers, tailleurs, fromagers, chausseurs, confiseurs, charcuteries de luxe, papetiers, leurs itinéraires composaient leur véritable univers : là reposaient leurs ambitions, leurs espoirs. Là était la vraie vie, la vie qu’ils voulaient connaître, qu’ils voulaient mener. (97)

Les personnages, perdent pied avec la réalité fictive, et surfent entre un mode de vie rêvé mais inaccessible, et un autre qui est celui qu’ils vivent. Le faisant, dans l’expression de ce contraste, les personnages sont installés dans une situation d’oxymore. Dans l’extrait, l’opposition sémantique affichée porte sur des propositions. Il y a un idéal de vie projeté qui s’oppose avec leur réalité morne, détestable et implacable qui attise le mal-être. Les éléments cités dans le passage représentent des privilèges qui sont destinés à une classe de nantis. Et l’expression « là était la vrais vie » montre des qualités, des valeurs, des avantages sociaux qui débouchent sur une existence comblée, de jouissance. Toutes les choses décrites conduisent à la satisfaction sensorielle. Ainsi, les plaisirs gustatifs, visuels, tactiles sont ceux qui sont mis en évidence. Leur assouvissement permet d’atteindre une jouissance qui est, malheureusement, mise à mal par l’emploi du verbe « vouloir ». Il traduit l’intention des personnages qui ne suffit pas à rendre effectif un idéal, car la volonté seule ne modifie pas une position sociale. Les personnages ne peuvent que lorgner vers cette société d’avantage impossible à atteindre.

Au demeurant, la catégorie de personnages que nous analysons est confinée dans un espace périphérique singulier qui conduit au développement d’un argotisme. Elle appartient à un milieu qui agit inéluctablement sur leur mode d’expression. Les signes qu’ils emploient éclairent certainement sur un groupe social, mais aussi sur une profession. Mais quels sont les caractéristiques de ce langage ? La réponse amène à porter un intérêt aux travaux de Denise qui affirme que

La définition courante de l’argot est une définition historique : l’argot y est caractérisé comme la langue des malfaiteurs et des mendiants utilisé à des fins cryptiques. Il est clair que, si elle s’applique bien aux origines de l’argot, cette définition ne recouvre pas la multiplicité des formes que celui-ci a pu prendre au cours des siècles. On constate, en effet, que ces formes se développent dans toutes les communautés qui, en se forgeant un langage à des fins cryptiques ou crypto-ludiques, cherchent à affirmer la solidarité de leurs membres ou, plus exactement, la connivence des initiés. (5)

Partant de ce point de vue, l’argot peut être appréhendé comme un langage spécifique à un groupe, en l’occurrence le groupe de psycho-enquêteurs, dans cette fiction, qui utilise les mêmes codes linguistes dans l’exercice de leurs activités. Et c’est l’ensemble de ces signes qui permet d’identifier ce type, mais surtout de le marginaliser dans cet environnement textuel. L’inscription des personnages principaux dans un code de référence a un revers ; elle les classe et les maintient dans une catégorie qui influence leur parcours narratif.         

De fait, le discours des personnages porte essentiellement sur le constat d’un manque ou sur la superficialité d’un mode de vie qui est toujours comparé à un autre qui est insaisissable. Ces personnages sont d’anciens étudiants qui ont abandonné leurs formations pour vivre de l’industrie de la publicité. Il s’agit de métiers mal rémunérés qui les maintiennent dans un état constant d’indigence ou dans l’illusion qu’ils ont un pouvoir d’achat. Ils affichent un langage commun tiré de leur métier absorbant de psycho-enquêteurs. Nous lisons dans le texte cette communauté : « Ils étaient tous une bande, une fine équipe. Ils connaissaient bien ; ils avaient, déteignant les uns sur les autres, des habitudes communes, des goûts, des souvenirs communs. Ils avaient leur vocabulaire, leurs signes, leur dada » (42).

Ce vocabulaire dont parle l’extrait est composé de mots techniques employés dans les enquêtes, les sondages et les questionnaires. C’est un ensemble de vocables tirés du domaine de la psychologie et qui foisonnent dans la communication des personnages. Cette spécificité langagière sort de leur cadre professionnel pour alimenter les conversations dans les différents lieux qu’ils fréquentent. Finalement, le discours de l’échec se nourrit d’un vocabulaire spécifique qui porte sur un ensemble de choses et d’objets hétéroclites dont la présence permet de lever le voile sur une condition humaine détestable qui provoque le déséquilibre des personnages de Georges Perec. 

Conclusion

L’analyse de la thématique de l’échec a permis d’appréhender, plus que les dimensions sociales et psychologiques soumises à une contrainte dans le texte de Georges Perec, une écriture des objets et des choses dont le foisonnement est assez particulier. Cette étude a permis de caractériser le type du personnage loser. Il est ancré dans une posture qui ne le satisfait pas, mais il  ne pose pas d’action pour faire évoluer sa situation. C’est un personnage statique et fataliste qui s’inscrit dans une spatialité périphérique. Aussi, le discours de l’échec est essentiellement porté par un lexique qui s’attache à définir une catégorie sociale. Elle est figurée par un argotisme qui exprime l’impuissance, l’insuffisance, l’insatisfaction et l’amertume. Au total, plus que la focalisation d’un langage pour exprimer l’échec, l’auteur montre la spécificité d’un monde déterminé par un système capitaliste qui stigmatise les perdants.

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 « Pessimisme », Philosophie magazine, philomag.com/philosophes/arthur-schopenhauer, page consultée le 15 juillet 2021.

 

Comment citer cet article :

MLA : Aka, Adjé Justin. « Figuration de l’échec dans Les choses de Georges Perec. » Uirtus 1.2. (décembre 2021) : 221-232.

[1] https://www.philosophie magazine, philomag.com/philosophes/arthur-schopenhauer/

Abstract (Praxéologie des affiches de la COVID-19 : le cas de Ouagadougou)

The advent of COVID-19 has plunged the world into
manifestly surprising vulnerability. The consequences extend to almost all

walks of life. In the face of this deleterious climate, humanity is trying to
react. Consequently, measures are being taken both globally, notably
through the WHO, and nationally. Burkina Faso, like other countries, has,
among other things, developed response strategies to try to contain the
pandemic. This concerns in particular the declination of gestures or barrier
measures and the exhortation to respect them, supposed to put an end in
the long or short term to the chain of contamination of the disease. To
achieve wide dissemination of these measures, several media supports
have been used, among which can be cited, TV, radio, Internet, billboards.
Among these media, television, display but also the Internet, in many cases,
have the particularity, in their content (s) on COVID-19, of showing
simultaneously, concomitant and interactive image and linguistics. The
reflection initiated within the framework of this article is, in doing so, to
ask whether such a configuration, which brings together image and
language, does not have a particular added value in terms of effective
« means of action » on the public.
Keywords: Pragmatics, semiotic practices, urban displays, COVID-19

Full Text                       

Résumé (Praxéologie des affiches de la COVID-19 : le cas de Ouagadougou)

Ibraogo Kabore§

Résumé : L’avènement de la COVID-19 a plongé le monde dans une vulnérabilité manifestement surprenante. Les conséquences s’étendent à tous les secteurs de la vie. Face à ce climat délétère, l’humanité tente de réagir. Dès lors, des mesures sont prises aussi bien à l’échelle mondiale notamment par le canal de l’OMS, que nationale. Ainsi, le Burkina Faso, à l’instar des autres pays, a entre autres développé des stratégies de riposte pour tenter d’endiguer la pandémie. Il s’agit notamment de la déclinaison des gestes ou mesures barrières et de l’exhortation à leur respect censé mettre fin à long ou court terme à la chaine de contamination de la maladie.  Pour parvenir à une large diffusion de ces mesures, plusieurs supports médiatiques ont été mis à contribution parmi lesquels peuvent être cités, la télé, la radio, l’internet, l’affiche. Au nombre de ces supports, la télévision, l’affiche mais également l’internet, dans bien de cas, présentent la particularité, dans leur(s) contenu(s) sur la COVID-19, de donner à voir de façon   simultanée, concomitante et interactive le signe iconique ou l’image et le signe ou lettrage linguistique[1]. La réflexion engagée dans le cadre de cet article est, ce faisant, de se demander si une telle configuration faisant cohabiter image et lettrage linguistique n’a pas une plus-value particulière en termes de « moyens d’action »[2] efficace sur le public.             

Mots-clés : Pragmatique, pratiques sémiotiques, affichages urbains, COVID-19

Abstract: The advent of COVID-19 has plunged the world into manifestly surprising vulnerability. The consequences extend to almost all walks of life. In the face of this deleterious climate, humanity is trying to react. Consequently, measures are being taken both globally, notably through the WHO, and nationally. Burkina Faso, like other countries, has, among other things, developed response strategies to try to contain the pandemic. This concerns in particular the declination of gestures or barrier measures and the exhortation to respect them, supposed to put an end in the long or short term to the chain of contamination of the disease. To achieve wide dissemination of these measures, several media supports have been used, among which can be cited, TV, radio, Internet, billboards. Among these media, television, display but also the Internet, in many cases, have the particularity, in their content (s) on COVID-19, of showing simultaneously, concomitant and interactive image and linguistics. The reflection initiated within the framework of this article is, in doing so, to ask whether such a configuration, which brings together image and language, does not have a particular added value in terms of effective « means of action » on the public.

Keywords: Pragmatics, semiotic practices, urban displays, COVID-19

Introduction

Depuis 2019, le monde entier est frappé de plein fouet par la pandémie de la COVID-19. Le Burkina Faso, pour y faire face, a pris un certain nombre de mesures[3] et développé des stratégies de riposte[4] pour tenter de l’endiguer. Pour y parvenir, plusieurs supports médiatiques ont été mis à contribution parmi lesquels l’affiche matérialisant la particularité, dans son contenu sur la COVID-19, de donner à voir de façon simultanée, concomitante et interactive le signe iconique et le signe ou lettrage linguistique. L’on peut alors se demander si une telle configuration faisant cohabiter les deux types de signes, iconique et linguistique, a une plus-value particulière en termes de « moyens d’action »[5] efficace sur le public.            

Au demeurant, la matérialisation singulière de l’occupation spatiale de l’affiche, sa configuration hétérogène dans l’espace urbain, etc. ne semblent pas neutres, anodines. Ce faisant, il ne paraît pas fortuit d’analyser ses configurations morphosyntaxiques, ses modifications (mutations) et les interactions entre elle et les lecteurs[6].

Dans cette perspective, les questions spécifiques ci-après peuvent être posées : les supports médiatiques alliant le signe iconique et le lettrage linguistique ne manifestent-ils pas une stratégie axée sur l’accentuation redondante ?  Ne prennent-ils pas en compte, sur le plan culturel, tous les types de publics ? Leur emplacement spatio-temporel stratégique[7] ne fait-il pas d’eux des canaux de large diffusion ? 

Ce travail s’inscrit de façon englobante dans la sémiotique ouverte [8] et de manière spécifique dans la sémiotique des pratiques[9]. De façon générale, cette dernière appréhende les « corps », les objets en qualité « de médiateur entre l’habitus et la praxis énonciative ». Un des intérêts de cette approche théorique est qu’elle permettra d’appréhender les éléments aussi bien linguistiques, iconiques, que plastiques de l’affiche comme un tout cohérent, signifiant et stratégiquement articulé.

 Dès lors, le décryptage de cette entité signifiante devra permettre d’accéder à ses différentes configurations stratégico-pragmatiques manifestes et implicites. Prenant théoriquement appui sur la sémiotique des pratiques, ce travail se fonde sur les hypothèses ci-après : les supports médiatiques alliant le signe iconique et le signe linguistique manifestent une stratégie axée sur l’accentuation redondante ; ils prennent en compte, sur le plan culturel, tous les types de publics ; leur emplacement spatio-temporel stratégique les érige en des canaux de large diffusion ; 

Se basant sur ces hypothèses, il s’agira pour nous d’essayer d’appréhender les effets illocutoires et perlocutoires des supports retenus sur le public, en l’occurrence, le public construit par le texte et les actes de langage indirects y configurés pragmatiquement. Ces effets pragmatiques sont d’autant importants qu’ils conditionnent les résultats escomptés de l’affichage. Dès lors, nous tentons de contribuer à une utilisation efficiente des affiches dans la sensibilisation et la lutte contre la COVID-19 dans le contexte du Burkina, un pays à fort taux d’analphabétisme.

Pour ce faire, nous avons parcouru la ville de Ouagadougou[10] et avons photographié toutes les affiches liées à la COVID-19. La ville de Ouagadougou a été choisie pour plusieurs raisons.  Primo, après que les premiers cas de malades de la COVID-19 y sont déclarés, la ville a connu une floraison d’affiches ayant trait aux mesures barrières. Secundo, elle trône en tête des villes les plus contaminées au Burkina Faso, etc.

Se moulant théoriquement dans la sémiotique des pratiques, ce travail s’articulera suivant l’architecture ci-après : dans un premier temps, nous mettrons le curseur sur la médiation entre le linguistique et l’image et sa portée ; dans un deuxième temps, nous chercherons à mettre au-devant de la scène la gamme de publics configurés ; dans un troisième temps, nous nous pencherons sur les enjeux stratégiques des emplacements spatio-temporel de ces supports de communication.

Ce qui précède tient lieu d’aspectualisation schématique du plan de ce travail. Les lignes qui suivent consacreront l’amorce de notre analyse.

1. Aspectualisation pragmatico-énonciative des affiches 

Dans cette rubrique, nous nous emploierons à l’analyse des différentes configurations signifiantes des différentes affiches du corpus. Le point inaugural se focalise sur l’emplacement du signe linguistique par rapport au signe iconique et vice versa dans l’espace du cadran de l’affiche.

1.1. Linguistique-iconique : localisation sur le cadran et ostentation

            L’essentiel des affichages ayant trait à la COVID-19 matérialise par la cohabitation le signe linguistique et le signe iconique. Ces deux types de lettrage s’amalgament de manière symbiotique pour faire office de texte de chacune des affiches concernées. Sur le cadran de l’affiche, ils figurent dans des configurations diversifiées et se prêtent à la lecture tant sur l’axe syntagmatique que paradigmatique[11] ; activant, ce faisant, des jeux de vedettisation. La mise en emphase se fait principalement autour des couples /avant/arrière/ ; /haut/bas/, où les places /avant/ et /haut/ sont celles en vedette. Le lexème /avant/ employé en solidarité sémantique avec le terme /paradigmatique/ aura valeur sémantique de /haut/ dans les lignes ci-après consacrées à l’analyse statistique des différents contenus des affiches dévolues à ce travail.

Au demeurant, de manière pratique, sur seize (16) affiches que compte le corpus de cet article, il y a deux qui mettent en /avant/ le signe linguistique, et ce, sur le double plan syntagmatique et paradigmatique. Toutefois, il y a trois affiches qui sont impliquées dans ce faire. Et chacune de ces dernières englobe plusieurs lettrages linguistiques. Elles totalisent cinq lettrages linguistiques emphatiques en syntagmatique et trois occurrences linguistiques en paradigmatique.  Il en émane que le signe ou lettrage linguistique est mis en vedette aussi bien syntagmatiquement que paradigmatiquement avec une légère préférence pour le plan syntagmatique.

Cependant, toutes les affiches photographiées n’articulent pas un tel schéma. D’autres matérialisent une architecture inverse : le signe iconique est positionné /avant/ le signe linguistique et se hisse dès lors en posture vedette. A l’instar du signe linguistique, cette posture se déploie aussi bien syntagmatiquement que paradigmatiquement. 

Sur le plan syntagmatique, sur les 16 affiches photographiées, douze (12) vedettisent le signe iconique. Il se constate par ailleurs que six (06) affiches parmi les seize contiennent plus de deux signes iconiques. Dans cette dynamique, il apparaît que le total des affiches comptabilise vingt-huit (28) figurations en vedette du signe iconique.   

Sur l’axe paradigmatique, sur les seize (16) affiches que compte le corpus, onze (11) emphatisent le signe iconique. À cela s’ajoute le fait que sur les onze (11) qui vedettisent paradigmatiquement le signe iconique, sept (07) matérialisent plusieurs signes iconiques vedettisés. En conséquence, sur ce même total de onze (11), quarante-et-un (41) signes iconiques sont mis en relief ; situation rendue possible évidemment par le fait que certaines affiches contiennent plusieurs signes iconiques mis en emphase[12]. Il en découle que les affiches du corpus, pour l’essentiel, privilégient la mise en vedette bâtie autour du signe iconique.

Pour récapituler, sur les affiches, le signe iconique et le signe linguistique se partagent les positions vedettes sur l’axe syntagmatique avec une prégnance de l’iconique. Le même scenario se répercute sur l’axe vertical avec le couple /haut/bas/. Cependant, la médiation entre le signe iconique et le lettrage linguistique ne se borne pas à cet aspect. Elle se définit par ailleurs par la nature de leur(s) lien(s).

1.2. Linguistique-iconique : types d’interactions

Au-delà des types de configurations données à voir ci-dessus et portant sur l’interaction du signe linguistique et du signe iconique, notamment sur leur posture spatiale, l’un par rapport à l’autre, il existe d’autres types d’interactions toujours focalisées sur le lettrage linguistique et le signe iconique.  En effet, dans bien des cas, à chacune des mesures barrières édictées, correspond un signe iconique. Dans une large mesure, c’est la charge sémantique du signe iconique qui se trouve à l’identique répercuté au niveau du linguistique. Ce qui met le signe linguistique dans une situation de redite. Le signe linguistique réitère le message véhiculé par le signe iconique.

Ainsi, sur les seize (16) affiches du corpus, il se donne à voir cinquante-et-un (51) cas de redite du lettrage linguistique contre quatorze cas du signe iconique. Il en émane qu’il y a une prégnance de cas tautologique du signe linguistique. Ces résultats peuvent être davantage détaillés. Dans cette perspective, ils revêtent l’architecture ci-après.   Sur le total des affiches, le signe linguistique présente vingt-sept (27) cas de pléonasme syntagmatiquement contre vingt-trois (23) cas paradigmatiquement. Il se perçoit que le plan syntagmatique est plus utilisé que celui paradigmatique.

Quant au signe iconique, il est dévolu à la redite dans neuf (09) cas sur le plan syntagmatique contre cinq (05) cas sur le plan paradigmatique. Ici, à l’instar du lettrage linguistique, le plan syntagmatique est plus sollicité.

Toujours dans la médiation entre le lettrage linguistique et le signe iconique, une autre configuration se livre à la perception. Il s’agit du cas de tautologie du signe linguistique où dans chacune des occurrences, deux signes iconiques ont été mis à contribution pour égaler le contenu sémantique du signe linguistique.

Dans cette optique, le corpus compte sept (07) cas repartis entre trois affiches : trois s’articulent syntagmatiquement et quatre, paradigmatiquement. L’analyse du contenu du corpus a permis de s’apercevoir également qu’il y a des cas de redite du signe iconique où dans chacune des occurrences deux signes iconiques ont été mis à contribution pour égaler le contenu sémantique du signe linguistique que ceux-ci reprennent. Sur ce plan, trois cas entrent en ligne de compte, en l’occurrence, deux syntagmatiquement et un, paradigmatiquement.   

Un autre type d’interaction se donne à percevoir en marge de celui qui vient d’être évoqué. Il s’agit d’un cas de figure où le contenu sémantique du signe linguistique, contrairement au cas précédent, intervient en termes de complément d’information par rapport à la charge sémantique de l’iconique : ce n’est non plus une redite, mais une plus-value, une information additive.  

En la matière, il se dégage dix-sept cas de figure où le signe linguistique est porteur d’information additive dans sa cohabitation avec le signe iconique alors qu’il se donne à observer trois (03) cas pour le signe iconique. On le voit, la redite est essentiellement dévolue au signe linguistique.       

Il en découle que le signe linguistique est dévolu à un emploi multiple et multiforme sur le cadran des différentes affiches. La rubrique d’analyse suivante se penchera sur la distribution spatiale des affiches en milieu urbain qu’est la ville de Ouagadougou.

1.3. Emplacement des affiches dans l’espace urbain  

Nous écrivions plus haut que l’enquête réalisée dans le cadre de cet article a consisté en une double opération : l’observation participante et la photographie des affiches ayant trait à la COVID-19 dans la ville de Ouagadougou. Il en a découlé que les espaces ci-après se partageaient les sites d’affichage ou d’implantation des différentes affiches du corpus.

Il s’agit essentiellement des voies notamment bitumées de la ville de Ouagadougou, de l’entrée des pharmacies, des cliniques, des centres d’imagerie médicale, des sièges d’opérateurs de téléphonie mobile, des institutions financières et des Gabs. La grande majorité des affiches photographiées l’ont été sur ces lieux.

Illustrativement, une des affiches du corpus, à contenu portant évidemment sur la COVID-19 et accolée à plat sur un panneau d’affichage, a été photographiée dans la ville de Ouagadougou notamment au bord de la voie bitumée passant devant l’entrée du bâtiment abritant le ministère des affaires étrangères et se dirigeant vers l’archevêché de Ouagadougou. Géographiquement, c’est une route qui se trouve quasiment au centre-ville. Plusieurs autres affiches du même type existent sur la même voie, en l’occurrence, du côté de la voie opposée à l’emplacement du ministère ci-dessus cité. Une observation attentive permet d’avancer que cela est dû au fait que ce côté de la voie recèle de plus d’espace et donc plus propice à l’implantation des panneaux que les différentes affiches ont pour support.  Ce sont de grosses affiches occupant tout le cadran de ces panneaux géants.  Comme on le voit, les affiches ont été essentiellement implantées à des lieux précis dans la ville de Ouagadougou. À travers cette séquence d’étude et avant elle, les deux premières portant respectivement sur l’interaction entre le lettrage linguistique et le signe iconique dans l’espace du cadran, suivi du type de liens qui les lient, il a été procédé à l’aspectualisation des différentes facettes des affiches du corpus. L’étape ci-après sera une tentative d’explicitation des implicites, des actes de langage indirects arrimés aux différents aspects du corpus décrit et les enjeux praxéologiques qui en découlent.

2. De l’encodage au décodage des affiches

Il s’agira ici de cerner les implications profondes des différentes séquences décrites précédemment.

2.1. Jeux de prégnance iconique/linguistique et public(s) configuré(s)

Au niveau de la première rubrique d’analyse de cet article, il a été relevé que la plupart des affiches du corpus apparaissaient dans des combinaisons variées. Par la suite, il a été noté dans un premier temps que sur les seize affiches du corpus, il y a deux qui vedettisaient le signe linguistiqueLes deux plans, syntagmatique et paradigmatique, ont respectivement bénéficié de deux mises en emphase. Nous précisions finalement que cette parité s’expliquait par le fait que ce sont trois affiches qui sont concernées par la vedettisation du lettrage linguistique sur les deux axes donnés. 

Ce bilan partiel qui vient d’être fait concernant le lettrage linguistique a trait à chaque affiche prise individuellement et globalement, en l’occurrence, les trois affiches valorisant le lettrage linguistique. Or, comme nous l’écrivions, la quasi-totalité des affiches, en l’occurrence quinze sur seize, contiennent au moins deux signes iconiques et deux lettrages linguistiques. Dans cette lancée, et toujours avec les trois affiches en propos, il a été retenu en termes de bilan que le signe linguistique est vedettisé tant sur le plan syntagmatique que paradigmatique à hauteur respectivement de cinq lettrages linguistiques emphatiques et trois occurrences linguistiques vedettisés. Ce qui matérialise une légère longueur d’avance pour le plan syntagmatique. 

Dès lors, il est à retenir deux aspects. Le premier est que quinze affiches sur seize englobent au minimum deux signes iconiques et deux lettrages linguistiques. Autrement dit, une seule affiche se borne à un signe iconique et un lettrage linguistique.  Le second point à ne pas perdre de vue est que sur les seize, et dans une appréhension englobante n’entrant pas dans les détails, deux affiches sont en tout mises en emphase syntagmatiquement et deux autres, paradigmatiquement, lorsque focalisation est uniquement faite sur le signe linguistique.

Il en émane en première instance que l’ensemble des affiches, du fait de la présence du signe linguistique, configure un public, un lectorat lettré.  En effet, un public ne sachant pas lire et/ou écrire ne pourra pas en principe accéder à la charge sémantique de l’affiche portée par sa dimension linguistique.

Toutefois, la minoration statistique de la vedettisation de la linguistique donne à entendre que ce public lettré n’est pas celui qui est privilégié. Et quand est pris en compte le détail du cadran de ces trois affiches, en rappel, il se constate que cinq lettrages linguistiques sont vedettisés syntagmatiquement et trois paradigmatiquement.  Ce qui constitue une poussée statistique dans la vedettisation du lettrage linguistique. Toutefois cette progression reste marginale eu égard à l’effectif des affiches qui s’élève à seize. Ce qui confirme ce qui a été dit précédemment à savoir que, certes le public lettré est visé, mais il n’est pas le privilégié.

Nous parlions sous peu de cinq lettrages emphatiques pour le plan syntagmatique contre trois pour le paradigmatique et nous en avions conclu que cela manifestait une préférence relative pour le plan syntagmatique. Si cet axe est le plus dominant ici, trajectoire classique voire dominante de la lecture en français, cela insinue que les destinateurs de ces affiches sont restés dans le schéma populaire, plus connu, non sophistiqué et à la portée non seulement du lecteur lettré mais également du lectorat alphabétisé et censé être en termes de compétence linguistico-culturel du niveau du lecteur basilectal. Ce faisant, il se trouve configuré et privilégié les lecteurs lettrés et les lecteurs alphabétisés.    

Ce qui précède a trait au linguistique utilisé syntagmatiquement et paradigmatiquement. Toutefois, on l’a vu, les affiches n’abritent pas que le signe linguistique de manière manifeste.  Ce dernier partage l’espace du cadran de l’affiche avec le signe iconique. Plus exactement, il a été conclu que certaines affiches, a contrario du schéma ci-dessus évoqué, mettent en posture emphatique le signe iconique. Un déploiement qui se projette sur le double plan syntagmatique et paradigmatique.

Sur l’axe syntagmatique, en rappel, douze affiches sur seize mettent en exergue d’un point de vue global le signe iconique contre onze sur le plan paradigmatique. Il est détectable que c’est la quasi-totalité des affiches du corpus qui optent pour la mise en emphase du signe iconique, qui lui font la part belle.  Il est largement plus mis en vedette que le signe linguistique dans leur cohabitation.

Il en découle que l’occurrence du signe iconique en tant que séquence du texte configure un public illettré. En d’autres termes, à travers le signe iconique est contextuellement lorgné un public illettré et le canal utilisé ici pour parler à cette couche est l’analogie. Le signifiant partageant certaines qualités du référent permet au lecteur illettré de reconnaître à travers ce signifiant le référent concerné.  Myriam Dumont parle d’iconique fonctionnel[13] 

On le voit, l’affiche à travers le signe iconique configure un public illettré. Or le corpus dans sa quasi-totalité met en emphase le signe conique.  Ce qui pousse à la compréhension que les affiches du corpus privilégient un lectorat illettré par la vedettisation statistiquement prépondérante du signe iconique.

Privilégiant le signe iconique, il y a comme une volonté doublée d’une stratégie de ratisser large en termes de lectorat. La stratégie se comprend bien et semble prendre en compte le contexte africain et burkinabè où la population est essentiellement analphabète.

2.2. Linguistique-iconique : redondance et complémentarité 

La séquence précédente a gravité autour de la posture spatiale du signe linguistique et du signe iconique et vice versa sur le cadran de l’affiche. En marge de cela, d’autres types d’interaction existent entre les deux comme il a été vu dans la séquence de l’analyse. Là, il en est ressorti que, dans nombre de cas, à chacune des mesures barrières énoncées, était arrimé un signe iconique. Pour l’essentiel, c’est le contenu sémantique du signe iconique qui est à l’identique repris linguistiquement. 

Concrètement, il est apparu que sur les seize (16) affiches du corpus, il a été dénombré cinquante-et-un (51) cas de figure où le lettrage linguistique reprend la charge sémantique du signe iconique. L’inverse s’exprime dans quatorze (14) cas. Il en émane que le signe linguistique est le plus dans la redite. Syntagmatiquement, il en affiche vingt-sept (27) contre vingt-trois (23)paradigmatiquement. Quant au signe iconique, il en comptabilise neuf (09) syntagmatiquement et cinq (05) paradigmatiquement. Dans ce dernier cas, à l’exemple du signe linguistique, l’axe syntagmatique est le plus usité. Il y a dès lors indication que certes tout type de lectorat est lorgné, mais manifestement c’est le lecteur illettré et analphabète qui sont avant tout privilégiés.

Les redites évoquées ci-dessus portent le nom de fonction de redondance chez Barthes[14] et de fonction autonymique chez V. Lucci[15] : le lettrage linguistique ou le signe iconique « vient doubler l’appellation »[16] du message transmis. Il y a une sorte de massification du contenu informatif ; un désir de mise en vedette, de pousser au-devant de la scène l’information. Ce qui tend à reléguer au second plan la description identitaire du virus agent pathogène. Il y a davantage insistance sur le message transmis.  Cette catégorie d’iconicité ou de signe linguistique, en l’occurrence autonymique, est sans ambages la matérialisation d’un vouloir de mettre le curseur avant tout sur l’information, une quête de vedettisation redondante : « Elle fonctionne un peu comme une sorte de soulignage d’un genre particulier […]. »[17] Il en émane que l’iconicité ou le signe linguistique autonymique pousse à percevoir l’information et à y adhérer.

En résumé, dans leur interaction sur le cadran de l’affiche, le signe linguistique et le signe iconique se partagent la fonction de redondance avec une nette prégnance du signe linguistique et de l’axe syntagmatique. Cette redondance n’a pas une configuration homogène sur toutes les affiches.

Il s’observe[18] des cas de redite du signe linguistique où dans chacune des occurrences, deux signes iconiques sont mobilisés pour égaler le contenu sémantique du signe linguistique. Le corpus en matérialise sept (07) cas partagés entre trois affiches. L’axe syntagmatique recèle trois cas et le plan paradigmatique, quatre. Si la redite avec mobilisation de deux signes iconiques concerne ici le lettrage linguistique, le signe iconique n’est pas en reste. Autrement dit, il y a des cas où c’est le signe iconique qui est dans une posture de redite et à l’instar du cas précédent, il y fait figure sous la forme de deux signes iconiques et réédite le contenu sémantique du signe linguistique. Totalisant trois cas, deux se déclinent syntagmatiquement et un, paradigmatiquement.

Dans cette séquence où deux signes iconiques sont sollicités pour matérialiser le contenu sémantique du lettrage linguistique, il y a une volonté de faire en sorte que chacune des mesures barrières édictées linguistiquement, et lorgnant de ce fait les lettrés et les alphabétisés, soient de façon précise et maximale, exhaustive comprises des illettrés et des analphabètes. La condensation se bornant par principe aux traits saillants, il a été jugé plus efficient de recourir à deux signes iconiques dans une perspective méthodico-pédagogique pour rendre compte du contenu sémantique du lettrage linguistique portant sur chacune des mesures barrières.  Ce besoin dénote de l’ampleur de l’enjeu qui est de briser la chaîne de contamination de la COVID-19 au sein d’une population essentiellement analphabète.

Au regard de ce qui précède, le lettrage linguistique mais également le signe iconique assument la fonction de redondance sur nombre d’affiches. Dans son rôle de redite ou non, le signe iconique se mue en deux pour sémantiquement rendre compte du contenu du signe linguistique. À côté de cette forme de médiation entre le signe iconique et le signe linguistique, une autre d’un tout autre aspect prend corps entre les deux.

Il s’agit d’une figuration où la charge sémantique du lettrage linguistique, a contrario des cas précédents, se matérialise sous forme de complément d’information à la charge sémantique du signe iconique : ici il ne s’agit plus d’une redite, mais d’une plus-value, une information additive. Dix-sept (17) cas ont été comptabilisés dans le corpus au niveau de l’analyse où le lettrage linguistique ne répercute pas le contenu sémantique du signe iconique qui le précède et avec lequel il partage l’espace du cadran ; il est plutôt porteur d’une information additive, supplémentaire à la charge sémantique du signe iconique.  Il y a trois (03) autres cas où c’est le signe iconique qui est dans ce rôle d’apport d’information additive au contenu sémantique du lettrage linguistique.

Il apparaît dès lors que le rôle de supplément d’information est principalement l’apanage du signe linguistique.Cette fonction porte le nom de relais ou de complémentarité chez R. Barthes. La fonction de complémentarité conjoint ici au signe linguistique vise à pallier les insuffisances inhérentes au signe iconique. En effet, le signe conique fait montre souvent de plusieurs faisceaux sémantiques, de plusieurs parcours sémémiques et dans ce cas le signe linguistique vient canaliser et diriger le lecteur vers le sens voulu et virtualiser du même coup les autres parcours sémémiques restants. Il en émane que cela répond à des objectifs d’efficience et d’efficacité dans la lecture des affiches dans un contexte de pluralité de publics lorgnés et modes de communication.
Au demeurant, il émerge que le signe linguistique est par excellence le mode d’expression des subtilités et le signe iconique, celui qui permet de s’adresser aux illettrés et aux analphabètes et permet par conséquent d’atteindre un large public.

2.3. Implantation spatio-urbaine des affiches : un déploiement stratégique

L’enquête réalisée dans le cadre de cette étude a consisté en la photographie des affiches portant sur la COVID-19 dans la ville de Ouagadougou. Ce travail d’enquête a permis de dresser un certain nombre de constats. Au nombre de ces derniers, on pourrait noter le fait que l’implantation des affiches dans l’espace urbain fait la part belle à un certain nombre de lieux. Il s’agit notamment des artères[19] de la ville de Ouagadougou, de l’entrée des pharmacies, des cliniques, des centres d’imagerie médicale, des sièges d’opérateurs de téléphonie mobile, des institutions financières et dérivés, en l’occurrence, des Gabs. La quasi-totalité des affiches photographiées l’ont été sur ces lieux.

Cela peut être expliqué en partie par le fait que ce sont des lieux assez fréquentés par les citadins. On le sait, dans l’espace urbain, les voies constituent quasi exclusivement les canaux de mobilité des citadins. Permettant la mobilité urbaine, elles sont quotidiennement prises d’assaut par toutes les couches socioprofessionnelles de manière quasi ininterrompue et dans les deux sens. Ce qui justifie a posteriori l’implantation des affiches tout au long de ces voies pour se donner les chances d’assurer leur visibilité et par conséquent leur lecture par un grand nombre de citadins.

La présence des affiches à l’entrée des pharmacies obéit au même impératif de visibilité. En effet, les pharmacies sont des lieux habilités à la vente des médicaments de sorte que l’affluence y est toujours de mise. C’est un nombre important de citadins qui y afflue à longueur de journée et même la nuit pour y acheter des médicaments. Ce faisant, elles font office de lieu de grande visibilité pour un pan substantiel de la population urbaine. A l’instar des routes, les pharmacies sont nombreuses et disséminées à travers la ville.

Ce sont les mêmes raisons de visibilité qui sous-tendent l’implantation des affiches à la devanture des hôpitaux : les centres hospitaliers publics et privés. Certes, l’automédication est une pratique courante en Afrique noire en générale, et au Burkina en particulier. En conséquence, il arrive qu’un citadin   prenne la route d’une pharmacie sans passer par la consultation à l’hôpital. Toutefois, il est assez habituel que les patients passent d’abord par la case hôpital avant de se rendre dans une pharmacie munie généralement d’une ordonnance. Il en émane que les affiches s’implantent aux abords, voire à l’entrée des hôpitaux pour des besoins de visibilité.

Tout comme les centres hospitaliers, les sièges d’opérateurs de téléphonie mobile abritent des affiches portant sur les mesures barrières à leurs entrées. Le choix de ces lieux répond non seulement à la volonté de l’entreprise occurrente, pour autant que faire se peut, de se prémunir contre la maladie, mais également à un besoin de visibilité dû au fait que les maisons de téléphonie mobile sont des lieux de grande fréquentation.

Au nombre des lieux privilégiés par les affiches, il y a l’entrée des institutions financières. Ce fait répond non seulement à la volonté des institutions concernées de casser la chaine de contamination de la maladie, de mettre leur(s) personnel(s) à l’abris de contamination, mais également, pour des besoins de visibilité de ces affiches par un grand nombre de personnes, de citadins vu que ce sont des lieux d’affluence, des lieux assez fréquentés par les citadins pour des préoccupations gravitant autour de la téléphonie mobile. Cet état de fait est non seulement vrai pour les banques mais également pour les gabs qui font partie intégrante des banques.

Il en émane que la visibilité est une des raisons essentielles des différents emplacements cités. Une autre raison arrimée à celle de la visibilité pour une large part peut être citée : une opération de communication en lien avec l’image de marque des institutions concernées ou le gouvernement. Donner à voir qu’ils sont socialement responsables, se souciant de la santé des clients (institutions bancaires) ou de la population (gouvernement) de sorte qu’ils prennent la menace de l’épidémie qu’est la COVID-19 à bras le corps.  Un tel message se dégage sur le plan du paraître.

Conclusion

Au total, l’avènement de la COVID-19 dans le monde et au Burkina a eu pour corollaire une flopée d’implantations des affiches y afférentes dans la ville de Ouagadougou. Situées dans des lieux stratégiques, elles amalgament sur leurs cadrans respectifs, le lettrage linguistique et le signe iconique.  Une telle configuration n’est pas anodine. Elle vise l’efficience praxéologique des affiches sur les coénonciateurs et par ricochet sur la population de Ouagadougou. Cette efficacité est recherchée sur une palette d’échelles. En premier lieu, elle est portée sur le cadran par le positionnement du signe linguistique par rapport au signe iconique et vice versa activant ainsi des jeux de vedettisation à la base en partie de la configuration des différents types de coénonciateurs. En deuxième lieu, elle est manifestée par le type de lien(s), redondance ou complémentarité, existant entre signe linguistique et signe iconique sur le cadran de l’affiche offerte à la lecture et manifestant partiellement l’insistance par la redondance. En troisième lieu, elle est matérialisée par la distribution spatiale stratégique des affiches dans l’espace urbain, aspect qui par ailleurs n’est pas sans lien avec la recherche de visibilité.  Une telle recherche d’efficience dans le dire des affiches vise des effets escomptés. Ces effets perlocutoires escomptés sur les citadins se discriminent au moins en deux ordres. Le premier, à valeur d’objet modal, est de prendre en compte, de cibler toutes les couches de la population sans distinction de niveau culturel. Plus exactement, les énonciateurs des affiches s’adressent par le truchement de l’affichage aux lecteurs de tous les niveaux culturels : de l’analphabète au lecteur de niveau acrolectal en passant par les strates basilectale et mésolectale. Le second ordre est de réussir subséquemment le faire-persuader et le faire-adhérer des populations au respect des mesures barrières édictées par l’organisation mondiale de la santé (OMS) afin de stopper ou de briser la chaîne de contamination de la pandémie. Il en émane que la question fondamentale de cet article qui tâchait de savoir si la cohabitation du signe linguistique et du signe iconique sur le cadran de l’affiche avait une plus-value spécifique en termes de « moyens d’action » efficaces sur le public se vérifie avec les hypothèses y afférentes. Il est alors à retenir que l’exégèse de l’affiche faite sur la base de son aspectualisation a permis d’avoir accès à ses différentes configurations pragmatico-tactico-stratégiques manifestes et implicites. Toute chose qui donne à percevoir que les objectifs initialement fixés dans le cadre de cette étude ont été atteints. Ce qui paraît entériner du même coup la pertinence de la sémiotique des pratiques, orientation théorique choisie, pour ce sujet sur les affiches portant sur la COVID-19.

Travaux cités

Denis, Vernant. Introduction à la philosophie contemporaine du langage : du langage à l’action. Paris : Armand Colin. 2010.

 Dominique, Maingueneau. Analyser les textes de communication. Paris : Armand Colin, 2e édition. 2009.

Erik, Bertin ; Couégnas, Nicolas et alii. « Des outils sémiotiques pour la pensée stratégique », in Solutions sémiotiques. Limoges : Lambert-Lucas. 2005.

Fontanille, Jacques. « Stratégies doxtiques, Explorations stratégiques », in Actes sémiotiques-Bulletin. VI. 1983.

Fontanille, Jacques. Pratiques sémiotiques. Paris : PUF. 2008.

………… Sémiotique du visible. Paris : PUF.  1999.

Jean-Jacques, Boutaud ; Eliseo Veron. La sémiotique ouverte. Itinéraires sémiotiques en communication. Paris : Lavoisier. 2007.

Jean-Jacques, Boutaud. « Sémiotique et communication. Un malentendu qui a bien tourné », in Hermès, n° 38, 2004,  p. 96- 102.

Jean-Michel, Adam et Marc Bonhomme. L’argumentation publicitaire. Rhétorique de l’éloge et de la persuasion. Paris : Armand Colin. 1997.

Karine, Berthelot- Guiet. Analyser les discours publicitaires. Paris : Armand Colin. 2015.

Maxime, Drouet. « De ‘‘la communication’’ à ‘‘la conversation’’ : vers un nouveau paradigme en publicité ? », in communication et langage, n°169, 2011, p.39 – 50.

Patrick, Charaudeau. Le discours d’information médiatique. La construction du miroir social. Paris : Nathan. 2004.

Roger, Odin. « La question du public. Approche sémio-pragmatique », in Réseaux, Volume 18, n°99, 2000.

Roland, Barthes. « Rhétorique de l’image », in Communication, n°4. 1964.

Comment citer cet article : MLA : Kabore, Ibraogo. «Praxéologie des affiches de la COVID-19 : le cas de Ouagadougou». Uirtus 1.2 (décembr


§ Université de Ouagadougou /   [email protected]                                                                                   

[1] Les études sémiotiques portant sur les affiches distinguent deux ou trois composantes de l’icône visuelle : le signe iconique, le signe plastique et le signe linguistique.  Le signe iconique est une unité visuelle qui permet de reconnaître un objet parce qu’il a avec celui-ci des similitudes, des ressemblances. Quant au signe linguistique, il correspond au lettrage linguistique sur l’affiche. Le signe plastique réfère à la texture, à la forme des images et à la chromatique ou jeux des couleurs. Le signe plastique se mue généralement en composante du signe iconique. Pour évoquer ces signes en termes de contenu de l’affiche, Jacques fontanille parle d’« icono-texte » (Fontanille 179).

[2] Karine Bertholet-Guiet, Analyser les discours publicitaires, Paris, Armand Colin, 2015, p.9.   

[3] Entre autres, la fermeture des frontières terrestres, aériennes[3] et des marchés sur un certain temps[3], des tests de dépistage.

[4] Port des masques, utilisation du gel hydro-alcoolique, lavage des mains, etc.

[5] Karine Bertholet-Guiet, Analyser les discours publicitaires, Paris, Armand Colin, 2015, p.9.   

[6] Idem.

[7] Dans les lieux à trafic humain important doublé de leur caractère permanent (durée dans le temps). 

[8] Jacques Fontanille, Pratiques sémiotiques, Paris, PUF, 1ère édition. 

[9] Idem.

[10] Du 16 octobre 2020 à partir de 09 heures 12 minutes au 18 novembre 2020 à 13 heures 58 minutes.[10]

[11] L’axe syntagmatique correspond à l’axe horizontal, l’axe de lecture le plus répandu en français. L’axe paradigmatique, quant à lui, réfère à l’orientation verticale. 

[12] Notons que quinze affiches sur les seize englobent au moins deux iconiques chacune et il en est de même du signe linguistique.

[13] Dumont (Myriam), op. cit., p. 76-78.

[14] R. Barthes

[15] Lucci (Vincent), Millet (Agnès), Billiez (Jacqueline), Sautot (Jean-Pierre).-Des  écrits dans la ville. Sociolinguistique d’écrits urbains : l’exemple de Grenoble.-Paris, Harmattan, 1998.

[16] Idem.                             

[17]  Lucci

[18]  Voire séquence de l’analyse

[19] De préférence celles bitumées.

Abstract ( Poétique et exotisme chez Victor Hugo et Koutchoukalo Tchassim.)

Poetry is, in its mystical essence, a co-birth, a meeting between
the poet’s inner world and the outside world, leading to a fruitful

metamorphosis. On the path of the exploration of the real and fictional
worlds, Victor Hugo and Koutchoukalo Tchassim stand in the field of great
work with the use of rhythm, images of an exuberant lexicon of exotic
landscape designations. Both poets have acquired a cosmic consciousness where
there is no separation between the great self, homo maximus, and the
world. On the one hand, beginning with Les plaies (2016) through Je ne suis
pas que négatif (2017) and leading to Elle (2019), Tchassim, by witnessing a
world of paradoxes, invites the reader to the table of a menu of words that
leads them in a baroque universe, reflection of postmodernity. On the
other hand, Hugo, one prominent figure of the romantic poetry, crosses
in Les orientales, the western and eastern civilizations with the painting of
the imagined oriental cultures. From a comparative perspective, Kenneth
White’s geopoetic 7

and Charles W. Morris’ semiotic approaches have

permitted to discover both authors’ cosmocultural8

perception through their

activist and humanistic poetic words.
Keywords: Comparative, Humanist, Geopoetics, Paradoxes, Poetic
Speech, Semiotics

Full Text                       

Résumé ( Poétique et exotisme chez Victor Hugo et Koutchoukalo Tchassim)

Koffi Dodzi Nouvlo§

&

Piyabalo Nabede

Résumé : La poésie est, dans son essence mystique, une co-naissance, une rencontre entre le monde intérieur du poète et celui extérieur débouchant sur une métamorphose féconde. Sur le chemin de l’exploration du monde réel et fictif, Victor Hugo et Koutchoukalo Tchassim se retrouvent dans le champ du grand travail par l’usage du rythme, des images d’un lexique exubérant de désignation de paysages exotiques. Tous deux ont acquis une conscience cosmique où il n’y a pas de séparation entre le grand moi, homo maximus, et le monde. D’un côté, de Les Plaies (2016) en passant par Je ne suis pas que négatif (2017) et débouchant sur Elle (2019), l’auteure Koutchoukalo Tchassim, témoin d’un monde de paradoxes, convie le lecteur à la table d’un menu de mots  qui le conduit dans un univers baroque, reflet de la postmodernité.  De l’autre, Victor Hugo, monument de la poésie romantique croise dans Les  Orientales, les civilisations occidentales et orientales par la peinture des cultures orientales imaginées. Les approches géopoétique[1] (Kenneth White) et  sémiotique (Charles W. Morris), dans une perspective comparatiste, ont permis de découvrir la perception cosmoculturelle[2] des deux auteurs à travers leur langage poétique militante et humaniste.   

Mots-clés : comparatiste, humaniste, géopoétique, paradoxes, parole poétique, sémiotique

Abstract: Poetry is, in its mystical essence, a co-birth, a meeting between the poet’s inner world and the outside world, leading to a fruitful metamorphosis. On the path of the exploration of the real and fictional worlds, Victor Hugo and Koutchoukalo Tchassim stand in the field of great work with the use of rhythm, images of an exuberant lexicon of exotic landscape designations. Both poets have acquired a cosmic consciousness where there is no separation between the great self, homo maximus, and the world. On the one hand, beginning with Les plaies (2016) through Je ne suis pas que négatif  (2017) and leading to Elle (2019), Tchassim, by witnessing a world of paradoxes, invites the reader to the table of a menu of words that leads them in a baroque universe, reflection of postmodernity. On the other hand, Hugo, one prominent figure of the romantic poetry, crosses in Les orientales, the western and eastern civilizations with the painting of the imagined oriental cultures. From a comparative perspective, Kenneth White’s geopoetic[3] and Charles W. Morris’ semiotic approaches have permitted to discover both authors’ cosmocultural[4] perception through their activist and humanistic poetic words.

Keywords: Comparative, Humanist, Geopoetics, Paradoxes, Poetic Speech, Semiotics

Introduction

La poésie n’est ni la simple versification ni des constructions complexes et hermétiques de phrases, elle est plutôt mélodie, suggestion, évocation et transmutation de sens des mots sous l’effet de l’inspiration et du travail. Vain est l’effort de vouloir définir la poésie, car « elle n’est jamais déjà là, elle est toujours à retrouver ou à réinventer» (Blanchot 273) Et chaque poète a son expérience originale. La saisie de la poésie écrite n’est possible que lorsqu’il y a une entente mystique ou une complicité entre le lecteur et le poète pour l’érection d’un nouveau code parallèle à celui de la langue ordinaire de communication.  D’une part, Cette forme de communication crée un cadre d’espérance de vie à ceux qui courbent l’échine sous le poids de l’ignorance et de la paresse les conduisant à une sorte  de situation d’anomie ou de mort, et, d’autre part, elle représente les espaces fictifs et réels  où se déroulent des scènes horribles ou romantiques. Ce dernier aspect de l’alternative est la quintessence de Les orientales de Victor Hugo.

Si la poésie est invention d’une autre forme de langage, cette étude se veut  une analyse comparative des formes de la construction des poèmes de Koutchoukalo Tchassim et  celles de Victor Hugo, dans Les orientales, en vue de vulgariser le langage poétique de l’auteure[5] togolaise.  Composer un poème est une façon différente d’écrire, un acte qui consiste à imposer à la langue ordinaire une rupture qui fait naître un langage qui dit plus que la communication ordinaire, un acte d’écriture qui présente un monde opposé à celui du  réel. Comment les deux auteurs sont-ils arrivés à décrire et à représenter les paysages peints ? Si la parole poétique de Koutchoukalo Tchassim sourde du sirop amer de l’existence humaine, c’est qu’elle a fait sienne, comme une mère de famille-humanité, de toutes les joies et peines, et ceci sans distinction de race, de genre, d’espace et de temps. Il nous a semblé que l’auteure, par la puissance de son verbe, a su dompter l’espace et le temps en les réduisant en des points, pour mieux transcrire des existences individuelles et des cultures. De même, à l’époque romantique, l’exotisme répond à un besoin d’évasion, à un désir de changer de cadre et de condition de vie. Victor Hugo est l’un des écrivains qui ont parlé de l’Orient sans l’avoir vu. Comment les deux auteurs ont pu représenter l’ailleurs à travers leur parole poétique ? Quel en est l’enjeu ? Pour ce faire, les approches comparatiste, géopoétique  et sémiotique nous ont servi pour ressortir la manière dont  les deux auteurs, très distants dans le temps et l’espace, décrivent leur projet  de société.

1- Désignation des civilisations

La parole est l’acte individuel par lequel s’exerce la fonction du langage, la faculté d’exprimer sa pensée par des mots à l’écrit ou à l’oral ; elle charrie notre discours mental, la succession de nos pensées, sensations, imaginations, rêves  et souvenirs. Ainsi, les paroles poétiques  des deux auteurs ont désigné  des espaces, des lieux et des endroits par l’entremise des images allégorique, métaphorique, métonymique, symbolique, voire fabulique. C’est par ces techniques stylistiques de désignation et de symbolisation qu’ils ont transcrit leurs rêves à travers la peinture des peuples et des êtres, des existences individuelles et collectives, des civilisations et des cultures de par le monde. Les personnalités et des endroits du monde (l’Orient, l’Occident  l’Afrique, Chine et  USA)  désignés à partir des noms des célébrités, des pays et villes du monde symbolisent des idéologies, des philosophies, des civilisations et  cultures. Les techniques stylistiques précitées ont permis de circonscrire des espaces géographique et historique dont l’étude dans cet article est heuristique. Toutes les techniques stylistiques offrent des opportunités de réflexion dont le dénominateur commun est l’espace, en référence à l’Espace littéraire de Maurice Blanchot.

1.1. Espace et exotisme   

 L’approche géopoétique appliquée à notre corpus résulte essentiellement de la consultation et de l’appropriation des travaux de trois auteurs[6] portant sur le traitement de l’espace dans les œuvres littéraires. La notion d’espace comme champ d’investigation scientifique en littérature, trouve ses racines dans les années 1990 à travers les écrits de Maurice Blanchot. Le terme géopoétique est un néologisme inventé par  Kenneth White. Elle est devenue un vaste champ interdisciplinaire de recherche à la suite de Bertrand Westphal, et les études littéraires ne sont pas en reste. C’est ainsi que Michel Collot  (2014 ) énonce comme concept la géographie littéraire et la subdivise en deux autres concepts : la géographie de la littérature qui étudie le contexte spatial dans lequel est produit l’œuvre (lieux ou endroits visités où  l’écrivain  a vécu et qui ont suscité la rédaction de l’œuvre) et la géographie dans la littérature qui analyse les référents géographiques réels ou imaginaires auxquels renvoie l’œuvre.

À cet effet, Michel Collot attribue même l’origine du concept géopoétique en littérature, plus précisément en poésie, au poète Michel Deguy qui lie, de façon indissociable, « ce dont lepoème est l’expérience » et le langage de cette expérience  (Collot 109). C’est pour cela que notre approche géopoétique s’intéresse à l’étude de l’espace, des lieux, des endroits et de leurs cultures, inscrits dans les poèmes des deux auteurs. Le concept géopoétique constitue alors, pour nous, un outil pour comparer Les Orientales de Victor Hugo et l’œuvre poétique de Kouctoukalo Tchassim.

Au XIXe siècle, nombreux sont des écrivains qui ont évoqué l’Orient dans leurs écrits sans l’avoir exploré ; tel est le cas de Victor Hugo. Pour une raison de satisfaction du besoin exotique, Victor Hugo se tourne vers l’Orient qu’il n’a jamais connu dans la réalité. Quant à Koutchoukalo Tchassim, elle a voyagé plusieurs fois en Chine: «ville montagneuse, Chongquing», «Beijing 12933 » «Sur le bateau Manjianhong, mon âme/Par le génie orientalemportée/Dans un songe soudain suffoqué/Pour pareils richesses sans monnaies et perles/Au pays de l’oncle Soleil.»(Tchassim 14 ; 19 ; 21). En s’appuyant sur Michel Collot)  qui considère la géopoétique  comme « une science étudiant les rapports entre l’espace et les formes/genres littéraires tout en articulant une “poétique” », « une étude des formes littéraires qui façonnent l’image des lieux», et « une “poïétique”, réflexion sur les liens qui unissent la création littéraire à l’espace», nous combinons l’approche géopoétique et l’approche sémiotique pour établir un lien entre les deux auteurs. Ces deux approches posent la problématique de la désignation de l’espace dans les œuvres de notre corpus où il s’agit de faire l’économie de mots : Victor Hugo et Koutcoukalo Tchassim ont désigné des endroits, des lieux, des régions du monde, des célébrités pour exprimer le dialogue des civilisations et des cultures à travers des symboles.

 1.2. Des symboles aux civilisations croisées

En considérant la parole poétique de Koutchoukalo Tchassim contenue dans les trois recueils de poèmes, Les Plaies (2016), Je ne suis pas que négatif (2017) et Elle (2019), on découvre qu’elle embrasse toutes les zones culturelles du monde par la technique de désignation. Pendant ce temps, l’œuvre de Victor Hugo fait dialoguer l’Occident et l’Orient. Pour mieux comprendre la technique de désignation, nous distinguons, à partir des travaux de Charles W. Morris, trois aspects ou dimensions d’un signe que nous considérons ici comme symbole[7].

L’aspectpragmatique favorise, dans notre développement, l’interprétation en contexte des mots-symboles qui désignent des philosophies, des idéologies, des immortels (des célébrités), des pays, des villes, des périodes de l’histoire universelle que nous avons considérés comme  des espaces référentiels ayant abrité et codifié des cultures. Dès lors, nous distinguons le lieu, comme  «partie déterminée de l’espace»  (Larousse de poche 472), de l’espace comme « étendue indéfinie qui contient tous les objets et étendue de l’univers hors de l’atmosphère terrestre » (Ibid.).

D’une part, le lieu se présente comme une dimension concrète de l’espace, l’espace étant pris dans sa dimension abstraite et illimitée. En conséquence, chez Koutchoukalo Tchassim, les lieux sont des pays et des villes du monde désignés: « Irak, Egypte, Ethiopie Somalie, Libye/ Le jardin d’Eden naturellement étendu /Sans racisme ni dégueulis prétendus » (Tchassim, p.68). Nous avons aussi désigné comme lieux des personnalités d’identités diverses: artistes, philosophes, écrivains religieux et spiritualistes qui ont marqué leur période en des lieux ou endroits du monde :

Mourir et vivre comme Martin Luther King Nelson Mandela /

Mourir et vivre en guide spirituel Gandhi Karamchand Mohandas/

Mourir et vivre en holocauste convaincu du sacrifice vrai mandat/

Jeanne d’Arc «La Pucelle d’Orléans sur le bucher morte en ana/

Mourir et vivre en héros solitaire comme Patrice Emery Lumumba/

Je veux mourir et vivre comme Jawaharla Nerhu le flambeau para  (Elle, p. 62)

 Aussi avons-nous, par analogie, supposé que durant leur existence individuelle, ces personnalités ont façonné la conscience de leurs contemporains et érigé, par endroits, des idéologies du quotidien (M. Bakhtine: 1977). D’autre part, le lieu, dans les vers, est aussi le terme ou le mot dans son sens dénotatif (le lieu), mais s’étend à une dimension polysémique (l’espace). Cette appréciation implique que les mots désignés peuvent avoir autant de sens par rapport à la compétence culturelle du lecteur, en dehors du sens référentiel concret dans le poème. Cela sous-entend que dans les œuvres de notre corpus, les mots désignant des endroits ou des lieux sont des symboles qui ont un sens polysémique en procédant par la métonymie, du particulier au général.

En somme, à partir des trois approches, il s’est agi de construire un cadre d’acte de lecture pragmatique selon l’orientation de Charles W. Morris. La caractéristique de cette approche est la dimension géographique de la lecture, le fait que nous avons abordé les textes à partir d’un ancrage singulier, celui d’un rapport aux endroits, aux lieux et au monde représentés, à la langue et à la culture qui lient lesdeux auteurs, même s’ils sont originaires des zones géographiques différentes. L’intérêt réside dans le projet d’aborder la problématique du dialogue des cultures. Les trois approches combinées constituent le cadre  méthodologique qui a permis de dévoiler les subtilités de l’œuvre poétique des deux auteurs.

2. La mosaïque des endroits et des lieux

Le mot mosaïque est utilisé ici dans le sens de variété ; les différentes manières de configurer les endroits et les lieux reflets des formes de civilisations et cultures. Il s’agit surtout de l’usage du matériel linguistique par métonymie, métaphore et images en général. Victor Hugo  fignole les vers en les marquant avec des rimes alternées (aa, bb) et par endroits des rimes embrassées (abba). En prenant uniquement la disposition des rimes, on peut dire que Victor Hugo a, dans ce recueil de poèmes de sa jeunesse, son projet d’auteur, rapproché les peuples, les civilisations et les cultures. Il y est mis en lumière la thématique de l’exotisme,  la découverte d’autres réalités que celles de sa culture et civilisation. Chez Koutchoukalo Tchassim, elle a pris appui sur l’idéologie de la mondialisation où aucun endroit du monde n’est plus enclavé. À travers les technologies de l’information et de la communication, tous les endroits du monde sont aisément montrés ; on est loin de l’époque de Victor Hugo et la description des endroits et des lieux qui portent des cultures représentées est fonction d’un écart historique.

2.1. Mode de configuration  des lieux

Charles W. Morris appelle  désignationce à quoi le signe ou le symbole se réfère. Par ce mécanisme, les endroits et les lieux sont constitués, par désignation, d’abord, des noms propres de personnalités influentes dans l’histoire,  ensuite, des noms de ville, de pays et, en fin, des faits et événements comme nous l’avons signalé en amont. Les signes étant empreints de symboles, il est pertinent de les ordonner dans le cadre de notre analyse. Ainsi les lieux sont-ils, d’abord, des pays, des villes, des endroits du monde, ensuite, des philosophies, des idéologies, des faits et événements, enfin, des noms d’écrivains, de philosophes, d’artistes et de politiciens. En termes d’illustration, nous relevons :

Irak, Somalie, Soudan, Afghannistan            

Kossovo nord, Kossovo Sud convalescents 

Des morts à bave sans mors incandescents  

Des vivants ambulants prisonniers et apatrides        

Des squelettes en vie sans vie triomphante  

Lire et vivre la mort sans entremetteur

Compter ses deux cent six os sans clameur   

Sous les obus faméliques des ustensiles creuses

D’une guerre insensée interminable et vaniteuse.

Ni basanée ni sombre n’est la barbarie

Libye, Irak, Afghanistan, Syrie ….

(Je ne suis pas que négatif, « La barbarie »76)

Empires, Royaumes, Tribus

Grand’ ouverts sur mes muscles tendus

Gbéhanzin, Guézo, Samory Touré

Askia Mohamed, Osséi Tutu

Chaka, Sony Ali Bert, Reine Pokou

(Les Plaies, ‟Mon Royaume” 29)

Dans le poème «La barbarie» la désignation de ces pays énonce deux idées :

– la première est relative aux lieux de guerre où l’Autre est considéré comme une bête qu’on assomme ; cela suggère la barbarie, l’expression de la jungle ;

– la seconde renvoie aux lieux qui rassemblent des populations Arabo-Berbères dont la vision du monde est façonnée par l’idéologie religieuse musulmane.

Enfin, ce sont des endroits en crise des valeurs humaines que dénonce Koutchoukalo Tchassim. L’ambition de l’auteure est de promouvoir l’instinct de vie contre  celui de mort relaté dans les extraits suivants : « Et je pousse, je pousse, et je pousse, je pousse fort et plus fort. / Je veux une progéniture, une progéniture féconde sans renfort/Virile, à bousculer, défendre, arracher sauvagement mes droits» (Tchassim 26). Après la dénonciation de la guerre et ses ravages, de la violence en général, l’auteure procède à la revendication des droits humains. De même, Victor Hugo, dans certains poèmes de Les Orientales dénonce certains faits réels et politiques de son temps. Dans ce recueil de poèmes, treize sur quarante-et-un sont consacrés à la guerre entre les Grecs et les Turcs. Les poèmes les plus célèbres du recueil, « Les Têtes du sérail » (III), « Navarin » (V), « L’Enfant » (XVIII), présentent un paysage de violence et de guerre. Particulièrement dans le poème « L’Enfant », Victor Hugo montre les ravages que les Turcs ont infligés à la Grèce. Il y évoque à propos de la Grèce, le souvenir d’une île grande et riche où l’on trouvait « de nombreux palais ». Ce poème évoque le désir de ressusciter le passé de cette île. « La ruine et le deuil » ont pris la place de « la beauté flamboyante ». Il en résulte que la littéraire, et la poésie en particulier, a pour mission non seulement de célébrer la vie à travers les belles formes, mais essentiellement de l’engendrer dans des espaces intérieurs appauvris par le désarroi, la violence, l’ignorance, la peur d’oser, l’immobilisme. Tout part de l’espace intérieur de l’homme. L’ambition du poète est d’instaurer l’espérance. Ainsi, dans le poème qui suit, les noms désignés des différentes personnalités énoncent des philosophies, des idéologies qui suggèrent des instances ou des modèles de vie à imiter :         

Ce poème instaure un lieu de philosophie de la non-violence, par le truchement de la spiritualité fondée sur le sacrifice suprême de soi en vue d’instaurer un cadre de bonheur collectif La philosophie pragmatiste de la non-violence a engendré, en matière d’influence sociétale, la théorie et la pratique de la communication non violente (CNV). Cet espace de CNV regroupe d’éminents praticiens de la communication sociale. Dans la deuxième strophe, les noms suggèrent successivement l’humanisme (Léopold Sédar Senghor, Jean de La Fontaine, Albert Camus et Aimé Césaire) et le travail d’individuation ou encore l’instauration du champ degrand travail[8], pour promouvoir la vie communautaire (Victor Hugo). Où pouvons-nous situer l’Orient dans Les Orientales? Est-ce un réalismeou une vérité ? Dans les faits Victor Hugo semble atteindre très tôt l’unité de son être de poète puisque, d’abord, Les Orientales paraissaient en janvier 1829. Ensuite, la description de l’Orient correspond à la mise en place de deux concepts de Carl Gustave Jung, dans la perspective de la psychologie analytique, anima et animus, la charge féminine et masculine qui sommeillent en chaque être  humain ; dans ce cas précis l’Occident est animus et l’Orient anima. Car chez Victor Hugo en ce moment-là l’Orient c’est l’Autre, une certaine ipséité selon Paul Ricœur[9]. La représentation de l’Orient est floue. Ainsi Victor Hugo à travers Les orientales sensibilise le lecteur sur des rapports anciens, intimes, complexes, que l’Europe occidentale entretient avec l’Orient et l’Afrique méditerranéens: « Au Nil je le retrouve encore/L’Égypte resplendit des feux de son aurore […] Les vieux scheiks vénéraient l’émir jeune et prudent/La tente de l’Arabe est pleine de sa gloire. » (« Lui » XL) Enfin, Les orientales constituent la quête de l’Autre ou mieux le dialogue avec l’autre comme gage de richesse culturelle. Eu égard à tout ce qui précède quant à Les Orientales de Victor Hugo et à le langage poétique de Koutchoukalo Tchassim, nous pouvons affirmer que le langage poétique des deux auteurs suggère une culturanalyse[10], la présentation ou description de l’espace, une sorte de poésie de spatialité.

2.2. Une poésie de spatialité

La spatialité, ce qui est dans l’espace ou s’y organise; c’est alorsl’expérience de l’espace et de la condition spatiale de l’existence. La parole poétique des deux auteurs constitue tout: elle couvre toutes les dimensions de l’existence humaine sur la terre et au-delà, par le fait que les deux auteurs ont su aborder les préoccupations de leur temps. Horace ne disait-il pas « ut pictura poesis ». En conséquence, à travers leur parole poétique, nous pouvons affirmer que la poésie, une expression humaine, se donne le pouvoir qui lui permet de transcender notre monde étriqué et d’exprimer l’ineffable en dehors de ce qui nous entoure.

La spatialité est circonscrite dans la forme du corpus : les images, les mots utilisés, la syntaxe et surtout dans la désignation des noms de ville, de pays, de personnalités ont  permis de décrire des endroits, des lieux  dans l’histoire. Si chez Victor Hugo sa géographie littéraire, pour une raison donnée, s’est limitée à l’Orient et à l’Afrique méditerranéens, pour Koutchoukalo Tchassim elle s’est étendue à toutes les zones culturelles par désignation métonymique. La désignation des noms de ville, de pays et de personnalités influentes qu’on pourrait appelés des immortels, artistes, écrivains, politiciens, et spiritualistes, a permis à l’auteure de faire d’économie de mots. L’auteur a voulu tout dire, mais en peu de mot ; une sorte de litote implicite qui, en réalité, est, aussi et fondamentalement, une métonymie en considérant l’axe paradigmatique. Et ceci s’est réalisé par le choix de substantifs, des noms propres et communs qui appartiennent à des civilisation et cultures précises. La mise en page des poèmes est soumise à un travail de fragmentation de juxtaposition inattendues comparables à celles qu’on rencontre dans la poésie contemporaine où la continuité typographique masque le plus souvent les discontinuités sémantiques et syntaxiques. Les blancs et les alinéas remplacent la ponctuation graphique.

La poéticité des vers libres est d’autant plus marquée quand il s’agit des métaphores ; en exemple de deux titres de poèmes avec quelque vers chacun : le premier poème intitulé « Mon temple naturel » avec les quatre premier vers qui suivent : « Le menu de ma tente naturellement onctueux, riche et embelli /Aiguiser l’appétit de grands dévoreurs de ma peau verdie /Misérablement dénuder, éroder ma charpente/Mes fondements saccagés, ruinés. » (Tchassim 72), le groupe de mots « Mon temple naturel » désigne à la fois la matrice féminine, la mère et l’Afrique mère. Du coup le tout premier vers se comprend aisément, en conséquence, le mot « dévoreurs et « fondements » signifient respectivement les colons et les richesses minières du sous-sol africain. Le deuxième titre est « L’arc-en-ciel »  et le premier vers est « Arc-en-ciel je suis, je demeurerai arc-en-ciel » (Tchassim 18) ; cette métaphore exprime à la fois le métissage culturel et le désir profond de l’auteure de n’appartenir à aucune race mais à toutes les races.

Ces métaphores sont renforcées par des recherches de rythme et de sonorité finale semblable à ceux de slam ; en voici un exemple dans le poème « La précieuse », « Elle n’est pas vile / Elle est précieuse /Elle n’est pas rugueuse/Elle est moelleuse/Elle n’est pas acre/Elle est suave… » (Tchassim55). L’auteure déshabille la langue française et  lui faire porter des habits des langues africaines qui fonctionnent par images.

En définitive, les lieux sont des endroits construits dans l’espace, des cadres de l’expérience humaine. Le caractère mosaïque de cette composition résulte de ce que nous pouvons appeler le projet de société que Koutchoukalo Tchassim et Victor Hugo veulent promouvoir et instaurer : une société arc-en-ciel (Tchassim 18-19). Cette expression est chère à Koutcoukalo Tchassim par la récurrence du mot « arc-en-ciel » dans les trois recueils de poèmes. Quant à Victor Hugo, son Orient est une région imaginée :

La sultane regarde, et la mer qui se brise,

Là-bas, d’un flot d’argent brode les noirs îlots.

[..] Se mouvoir dans leurs flancs comme une forme humaine…

La lune était sereine et jouait sur les flots. 

                                              « La lune », Les orientales.

Nous l’avons déjà suggéré, la poésie est description ; elle utilise des couleurs, des formes et des sons. Ainsi, les couleurs orientales sont venues à Victor Hugo comme des pensées et rêveries; elles l’ont emporté dans des couleurs hébraïques, turques, grecques, persanes, arabes, espagnoles et son Orient c’est l’Espagne. Consécutivement, l’Espagne est proche de l’Afrique, l’Afrique est proche de l’Asie. 

3. Poésie cosmique et militante

Cette rubrique nous permet de qualifier l’écriture des deux auteurs d’épique. Elle l’est d’un  côté, en considérant la période de publication du recueil Les orientales (1829) de Victor Hugo la thématique et la révolution au niveau de la forme et de l’envergure de la thématique et, de l’autre avec Koutchoukalo Tchassim, une écriture à rythme chevaleresque, une écriture caustique par des mots à forte résonnance vis-à-vis de la déchéance de l’homme postmoderne. Ainsi, ce qui les unit est le militantisme au service d’une nouvelle forme d’humanisme fondée sur la sensibilisation ou la promotion des valeurs cardinales de la vie dont la base est l’ouverture à l’autre : le dialogue. L’intensité de cet élan chez Koutchoukalo Tchassim a eu une influence considérable sur la forme de son langage poétique. En conséquence, les deux auteurs par leurs œuvres favorisent le dialogue entre les cultures : poésie cosmique et militante.

3.1. La poésie cosmique

La poésie cosmique repose, dans cet article, sur la poésie épique. L’écriture épique, elle se réfère à des éléments fondamentaux du monde, utilisés dans des comparaisons, métaphore et amplification touchant l’eau le feu l’air et la terre. Les occurrences de ces éléments sont nombreuses chez les deux auteurs. D’abord les quatre groupes fondamentaux d’éléments sont évoqués d’une manière subtile. La Terre est respectivement désignée par  les  monts « ville montagneuse Chongqing» (Tchassim14). L’eau, le vent  et le feu sont évoqués par un champ lexical exubérant dans les trois recueils de poèmes de Koutchoukalo Tchassim. On les retrouve aussi chez Victor Hugo dans le paysage représenté dans  « Extase » (XXXVII) :

J’étais seul près des flots, par une nuit d’étoiles.
Pas un nuage au ciel ; sur les mers pas de voiles.

Mes yeux plongeaient plus loin que le monde réel.
Et les bois, les monts, et toute la nature,
Semblaient interroger dans un confus murmure

Les flots des mers, les feux du ciel.

Après avoir célébré les grandes figures de l’histoire littéraire française du seizième et dix- septième siècle, Koutchoukalo Tchassim est passée par un assassinat symbolique pour faire dialoguer la culture littéraire française avec celle africaine pour se retrouver tout simplement  dans la francophonie :

J’assassine Montaigne

Je maudis Rabelais

Je piétine Molière

…Mon indépendance langagière exprimée 

                 Les plaies (51).

Le caractère épique de la poésie de l’auteur se lit notamment à travers la convocation des noms de célébrités d’autres domaines de la vie en dehors de la littérature. Il y a aussi la dérivation lexicale des adjectifs. Ainsi, pour marquer son désir de conquérir l’espace de la langue de communication, l’auteur passe par la composition de façon inattendue des adverbes que voici : « Des sangsues extravagamment survitaminées / Sur le dos de ma misère de franc /  […]  / Une colonisation incommensurablement implantée / […]/ En faire déshonorablement un nègre en course/ » (Tchassim 35) ; et d’autres encore : « Ma grand-mère mélancoliquement retenue/ Des manipulations rageusement orchestrées et convenues […]/Goulûment constiper égoïstement   leurs parois » (Tchassim 37). De manière implicite elle érige une autre forme de collaboration sociétale.  S’agit-il d’une nouvelle forme d’humanisme ? Nous ne saurions le dire. De toutes les façons, aucune région, aucune idéologie,  aucune zone de culture n’est laissée intouchée par la verve poétique de l’auteurepar la technique dedésignation. À travers le poème « Danube en colère » (XXXV) qui est une prosopopée, Victor Hugo, pour sa part, dénonce la manière dont les religions révélées, en l’occurrence le Christianisme et l’Islam, de manière dogmatique s’approprient de la justice universelle qui, normalement, n’est ni d’Occident ni d’Orient :

Une croix, un croissant fragile,

Changent en enfer ce beau lieu.

Vous échangez la bombe agile

Pour le koran et l’évangile?

                    «  Danube en colère », Les orientales.

Enfin, concernant de la thématique, on assiste à des réseaux concentriques de thèmes. De nouveaux thèmes comme ceux de l’immigration et de la déchéance spectaculaire de l’homme sans distinction de race, de religion, d’idéologie et de culture caractérisent plus particulièrement la poésie de Koutchoukalo Tchassim sous un aspect antiphrasique comme moyen de sensibilisation.

3.2. Une poésie militante

En quoi la poésie des deux auteurs est-elle militante ? C’est d’une part, chez Koutchoukalo Tchassim par la poésie iconoclaste de défense des valeurs cardinales de l’existence humaine, de célébration de la richesse du cosmos , de dénonciation des incongruités de certaines pratiques africaines supposées être des valeurs culturelles, mais qui n’en sont pas , d’autre part Victor Hugo par la destruction des frontières artificielles entre l’Occident et l’Orient.  À la place, il instaure une altérité, altérité que le poète vit à travers le poème « Extase ». Il y a une certaine cohérence entre les poèmes du recueil qui prouve le militantisme de Victor Hugo. En effet, il est à constater que le « je » dans le poème « Extase » est un « je » à la fois « je » et « l’autre »: la communication entre le poète et le monde qui l’entoure; le poète Victor Hugo étend à l’infini cet environnement, c’est-à-dire l’inspiration du poète dépasse le paysage auquel il pense et sonde l’univers visible et invisible :

J’étais seul près des flots, par une nuit d’étoiles.

Pas un nuage, aux cieux, sur les mers pas de voiles.

Mes yeux plongeaient plus loin que le monde réel.

Et les bois, et les monts, et toute la nature,

Semblaient interroger dans un confus murmure

Les flots des mers, les feux du ciel.

                                             « Extase », Les orientales

Cet élan répond aux impératifs du romantisme : découvrir d’autres réalités de l’existence humaine par le truchement de la sensibilité et de l’imagination que de s’enfermer dans la tour de la raison qui façonnait les idéologies depuis le dix-septième siècle. Victor Hugo est le pionnier  et d’ailleurs le chef de file du mouvement romantique. Le poème ‘’Mazeppa’’ vient amplifier le caractère épique de son élan : 

Ainsi, quand Mazeppa, qui rugit et qui pleure,

A vu ses bras, ses pieds, ses flancs qu’un sabre effleure,

Tous ses membres liés

Sur un fougueux cheval, nourri d’herbes marines,

Qui fume, et fait jaillir le feu de ses narines

Et le feu de ses pieds ;

Quand il s’est dans ses nœuds roulé comme un reptile,

Qu’il a bien réjoui de sa rage inutile

Ses bourreaux tout joyeux,

Et qu’il retombe enfin sur la croupe farouche,

La sueur sur le front, l’écume dans la bouche,

Et du sang dans les yeux, »

                                         «  Mazeppa XXXIV »  Les orientales

En effet, il s’agit dans ce poème d’une allégorie désignant le poète nomade conquérant l’espace en luttant dans la contrariété, l’incompréhension comme chez Charles Baudelaire ‘Albatros’. Dans cette allégorie, le pouvoir du poète est mis en relief ; du sens le plus simple au sens le plus complexe on peut dire que le lecteur assiste à une triple conquête de l’auteur : conquête de l’espace environnementale, de l’espace textuel et de l’espace de la langue française ; pour ce dernier type d’espace ; comme on le remarque aussi chez Koutchoukalo Tchassim qui, conduite sur son cheval, la muse, elle plie l’espace du langage poétique à son désir de conquérante. Les deux auteurs se retrouvent dans les vers suivants de Victor Hugo:

Et l’homme et le cheval, emportés, hors d’haleine, […]

Volent avec les vents ![…]

Ils vont l’espace est grand.

Dans le désert immense,

Dans l’horizon sans fin qui toujours recommence,

Ils se plongent tous deux.

Leur course comme un vol les emporte, et grands chênes,

Villes et tours, monts noirs liés en longues chaînes,

Tout chancelle autour d’eux.

Et si l’infortuné, dont la tête se brise,

Se débat, le cheval qui devance la brise,
D’un bond plus effrayé,

S’enfonce au désert vaste, aride, infranchissable [.]

Mazeppa XXXIV, Les orientales

 Cette exploration n’a qu’un seul but: atteindre l’autre, communiquer avec l’autre en détruisant les barrières artificielles de l’histoire, de la géographie des civilisations des cultures, de l’idéologie et de la langue. C’est pour cela que du côté de Koutchoukalo Tchassim on  ne  peut pas parler de poésie engagée. La notion de littérature engagée comme courant littéraire a fait son temps. Le langage poétique de Koutchoukalo Tchassim est, d’abord, militante par le mode de tissage des réseaux de thèmes qui parsèment les trois recueils de poèmes, ensuite, par la forme des vers, enfin, par le choix du lexique. Ceci se remarque à travers l’énonciation. Tous les thèmes anciens sont traités et les nouveaux thèmes générés par la mondialisation, l’idéologie du genre, le capitalisme outrancier, la sexualité dévergondée, la dégradation de l’environnement, l’exercice du pouvoir social, politique et économique sous le diktat du capitalisme outrancier: l’homme est devenu un produit marchant.

Conclusion

En somme, Koutchoukalo Tchassim n’est pas le premier poète qui s’est  profondément inspiré des mœurs de son temps pour construire son langage poétique. Mais l’auteur en a fait plus en embrassant dans sa totalité, l’existence humaine dans sa complexité inouïe. C’est ce qui explique son voyage dans l’espace de différentes manières. Les approches géopoétique  et sémiotique dans une perspective comparatiste nous a essentiellement permis de cerner le langage poétique des deux auteurs. L’analyse est essentiellement focalisée sur les indices textuels qui suggèrent l’exotisme des deux auteurs. Comparer Koutchoukalo Tchassim au monument de la poésie romantique française Victor Hugo est une occasion d’évaluer sa production poétique à cette étape de son parcours d’auteure. Les deux, à travers la représentation de l’espace ont la même ambition : promouvoir homo maximus, le grand moi. De plus Koutchoukalo Tchassim a subtilement créé un mariage entre la poésie dans sa forme originelle en tant que chant et le slam un genre nouveau proche de la poésie moderne. Ce caractère composite de la parole poétique de l’auteur fait de son œuvre un drame épique dont la substance est incrustée dans les signifiants devenus symboles ; le tout donne l’aspect d’un jeu dramatique et tragique. Il s’agit d’un tragique social et des mœurs. L’auteure en a donné le ton à travers l’usage des mots symboles auxquels elle a fait subir une métamorphose dans leurs aspects de signifiant et de signifié de deux ou trois manières : changement de classe grammaticale aux mots, une formation sauvage des adverbes, c’est-à-dire de manière inattendue et les verbes sont plus à l’infinitif que conjugués. C’est un style poétique  mosaïque qui correspond au mobile de la naissance d’un poème, selon l’affirmation de Denis Diderot que nous adaptons à ce contexte: « La poésie veut quelque chose d’énorme, de barbare et de sauvage. C’est lorsque la fureur (folie) de la guerre civile ou du fanatisme arme les hommes de poignards, et que le sang coule à grands flots sur la terre, que le laurier d’Apollon s’agite et verdit.» (De la poésie dramatique, chap18 : des mœurs.)

En somme, le langage poétique de l’auteur résulte du reflet brisé des mœurs de notre temps. Désir d’évasion et réalité idéalisée, tels qu’on les trouve chez Victor Hugo. Sur cet aspect Koutchoukalo Tchassim en a fait plus que cela : son  écriture procède d’une atopie, un espace dégagé des codes, proche de la réalité.  

Travaux cités

Benac, Henri. Guide des idées littéraires, Paris, Hachette Education, 1988..

Bigeard,   Stéphane https://www.institut.geopoetique.org./fr/dictionnaire

Bouloumié, Arlette, Trivisani-Moreau Isabelle, Le génie du lieu, des paysages en littérature, Paris, Editions Imago, 2005.

Canetti, Eliias. La conscience des mots, Paris, Albin Michel, 1984.

Bisenius-Penin, Carole. Création littéraire en résidence : une approche géopoétique et géoculturelle de l’espace, Colloque international. Espaces littéraires et Territoires critiques.   Faculdade de Letras da Universidade do Porto (Portugal); Instituto de Literatura Comparada Margarida Losa (Portugal), Jun 2017, Porto, Portugal. p. 45-65, ⟨10.21747/21832242/litcomp38a3⟩ consulté le 28/11/2021

Collot, Michel. Pour une géographie littéraire, Paris, José Corti  2014, 2014. p. 280      

……« La spatialité littéraire au prisme de la géographie » dans  L’Espace géographique 2016/4.Tome 45 | p. 289-294, consulté le 28/11/2021

Joubert, Jean-Loius. La poésie, Paris, Armand Colin, 2003.

Hugo, Victor. Les Orientales, 1829.  http://fr.wikisource.org consulté le 03/03/2021 à16h16

Tchassim, Koutchoukalo. Elle, Lomé, Editions Continents, 2019.

…….Je ne suis pas que négatif, Lomé, Editions Continents, 2017.

……Les plaies, Lomé Editions Awoudy, 2016.

Westphal, Bertrand. “Lecture des espaces en mouvement : géocritique et cartographie”, Études de lettres, 1-2, 2013. [http://edl.revues.org/478 ; DOI : 10.4000/edl.478] consulté le 28/11/2021

Comment citer cet article :

MLA : Nouvlo, Koffi Dodzi et Piyabalo Nabede. « Poétique et exotisme chez Victor Hugo et Koutchoukalo Tchassim ». Uirtus 1.2. (décembre 2021): 208-226.


§ Université de Lomé / [email protected]

[1] « La géopoétique est une théorie-pratique transdisciplinaire applicable à tous les domaines de la vie et de la recherche, qui a pour but de rétablir et d’enrichir le rapport Homme-Terre depuis longtemps rompu, avec les conséquences que l’on sait sur les plans écologique, psychologique et intellectuel, développant ainsi de nouvelles perspectives existentielles dans un monde refondé », (site www.kennethwhite.org).

[2]  Interculturalité mais l’accent est mis sur les endroits au monde qui portent les cultures peintes.

[3] « Geopoetics is a transdisciplinary theory-practice applicable to all the domains of life and research. Its aim is to re-establish and enrich the Humanity-Earth relationship long since deteriorated when not totally destroyed, with consequences now well documented on the ecological, psychological and intellectual plane. Geopoetics presents new existential perspectives in an open world. » (www.kennethwhite.org)

[4] Interculturality but the focus is on places in the world that carry painted cultures

[5] Ce mot a un sens particulier dans cette étude ; ce sens provient de cette anecdote : vers la fin du 19e siècle la civilisation occidentale connaissait une grande crise, une esquisse d’une nouvelle cartographie mentale s’ébauchait et le poète Arthur Rimbaud s’écriait « Beaucoup d’écrivains peu d’auteurs » ; il employait le mot auteur au sens fort qui dérive du latin augere auctum (augmenter) augmenter la sensation de vie, la compréhension des choses, l’appréhension du cosmos.

[6] Carole Bisenius-Penin Création littéraire en résidence: une approche géopoétique et géoculturelle de l’espace. Carole Bisenius-Penin est Maître de conférences de Littérature Contemporaine à l’Université de Lorraine, elle est devenue depuis le 31 décembre 2020, chevalier dans l’ordre des arts et des lettres.        

Marta Baravalle, Michel Collot, Pour une géographie littéraire, Corti, Paris, 2014, p. 280.

[7] Pour rappel, il faut noter ; d’abord, l’aspect syntaxique qui porte sur les relations des symboles entre eux, les règles de combinaison légitimes donnant lieu à la construction de la syntaxe; ensuite, l’aspect sémantique porte sur les relations entre les symboles et les objets auxquels ils s’appliquent il l’appelle la désignation ; et enfin, l’aspect pragmatique qui porte sur les relations  de l’utilisation et de la fonction affective des symboles sur le lecteur :elle dérive de la relation que nous avons entretenue avec les symboles.

[8] Ce que j’entends par « grand travail » ? D’abord, la continuation de la « culturanalyse. Ensuite, les efforts à fournir pour arriver à un « champ » au-delà des cloisons   qui se sont établies entre la poésie, la pensée et la science. Et puis encore, à l’intérieur de ce champ, ce qu’il faut faire pour arriver à l’expression de ce que la tradition chinoise a appelé ta wo (le grand moi, tout le contraire du petit ego mégalomane) et de ce que la tradition occidentale appelle homo maximus« , Dictionnaire de géopoétique.

[9] Ricœur Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990

[10]  Culturanalyse : analyse culturelle radicale et profonde

Abstract (Résumé (Éléments pour une sémiotique du vivre ensemble en Afrique à travers le mode participe)

For about 60 years period which corresponds to the age of
independence of almost all African countries, the continent has never
ceased to be regularly shaken by socio-political crises. This social upheaval
can be observed in the linguistic field. In the Côte d’Ivoire, French
linguage, in contact with local languages, knows ab avatar from certain
idioms through which it thrives. Thus, the Ivorians appropriate French by
adapting it to their sensitivity, a means of communication essential to the
needs of the expression of an ivorian thought. Moreover, this linguistic
community, under the name of the Francophonie, has a common
denominator in its idiom. The mode participates, perceveid as a linguistic
wealth, constitutes the unifying element within this community. It is the
common good of the entire Francophone community. It impose itself by
the rigidity of its morphosyntactic canons as prescribed by the legislator

of good use. This article aims to account for this idiom which constitutes
a mark of living together in the sense of the French-speaking community.
Keywords : Participle, Standard French, Ivorian French, Nouchi, Living

Together, French Community, Morphosyntactic.