Hyacinthe Digbeugby Bley§
&
Noël Okobé Datro
Résumé : Le multipartisme en 1990, en Côte d’Ivoire, est marqué par des rivalités sociopolitiques vives, avec le rôle important des guides musulmans. Ainsi, est-t-il établi l’engagement personnel de certains imams dans la création et l’implantation du Rassemblement Des Républicains (R.D.R). Ces guides se présentent comme les symboles d’une société civile émergente à travers le discours religieux. Généralement, ils deviennent des médiateurs au moment où le multipartisme provoque des crises. Cet article ressort leur rôle qui consiste à apaiser les tensions sociales. Cependant, pour des intérêts personnels, ils sont également instrumentalisés.
Mots-clés : musulmans, pouvoir politique, côte d’ivoire, collaboration, instrumentalisation.
Abstract: The multi-party system in 1990 was marked by lively socio-political rivalries in Côte d’Ivoire, with the important role of Muslim guides. Thus, it is established the personal commitment of certain imams in the creation and implementation of the Rally of Republicans (RDR). These guides present themselves as symbols of an emerging civil society through religious discourse. Generally, they become mediators at a time when the multi-party system causes crises. This article shows their role in easing social tensions. However, for personal interests, they are also instrumentalized.
Keywords: muslims, power, politics, Côte d’Ivoire, collaboration, instrumentalisation
Introduction
L’année 1990, marque le retour de la Côte d’Ivoire au multipartisme. Les musulmans profitèrent de cette atmosphère politique pour lancer le projet de création d’une organisation fédérative des associations islamiques, dénommée le Conseil National Islamique (CNI). Structure aux mains d’intellectuels arabisés ou non, le CNI a joué le rôle de porte-parole des musulmans face aux autorités du pays sur des questions d’intérêt communautaire et national. Ses interventions permirent de sortir les activités islamiques du cadre purement privé, et d’ouvrir la voie à des initiatives plus ambitieuses axées sur le bien-être de la communauté musulmane (Savadogo).
Dans cette dynamique, il obtient la signature d’une convention sur l’enseignement islamique et l’autorisation d’organisation du Hadj par les musulmans dès 1993 (Traoré).
En 2011, au terme de la crise post-électorale, débutée après le second tour de l’élection présidentielle d’octobre 2010, le rôle des organisations musulmanes va se renforcer avec leur implication dans le processus de réconciliation nationale en Côte d’Ivoire, à l’instar de bon nombre d’organisations de la société civile. Cela va ainsi mettre les musulmans aux prises avec le pouvoir politique.
Ce qui nous intéresse très précisément dans cette analyse, c’est la nature des rapports que les élites politiques, ont su établir avec les musulmans devenus influents et les avantages qu’ils ont respectivement tirés de cette collaboration. Nous répondons ainsi à une question centrale : comment s’est établit le lien entre la sphère musulmane et le pouvoir politique en Côte d’Ivoire ? De cette question nodale découle des interrogations secondaires. Dans quelle mesure et par quel moyen les musulmans et le pouvoir en tirent-ils profit ? En quoi cela va-t-il impacter la vie sociopolitique en Côte d’Ivoire ?
Notre travail part de l’hypothèse de recherche suivante : nous présumons que dans le rapprochement entre le pouvoir politique et les organisations musulmanes, l’islam est un instrument parfois utilisé pour servir des causes extra-confessionnelles.
Notre postulat de départ s’articule, de manière globale, autour de trois axes bien distincts : le fait religieux, la société (ensemble d’individus), et l’espace politique. L’argumentaire de cette thèse se concentre sur les rapports des musulmans avec le pouvoir politique en Côte d’Ivoire.
En s’appuyant sur une utilisation croisée des témoignages de leaders politiques et leaders communautaires, sous le sceau de l’anonymat, d’articles de presse et de productions scientifiques, notre analyse s’organisera autour de deux axes thématiques. D’une part nous allons faire ressortir les raisons de l’implication, de façon active, des musulmans dans le jeu politique ivoirien et d’autre part leurs actions sur la scène politique.
1. Les motivations de l’implication des musulmans dans le jeu politique en Côte d’ivoire
Il s’agit dans cette partie de montrer les raisons de l’introduction de l’islam dans l’arène politique à travers les considérations partisanes, ethnosociologiques et religieuses et la manifestation d’une volonté de construction de la paix et de la cohésion sociale.
1.1. Les considérations partisanes, ethnosociologiques et religieuses
Le retour de la Côte d’Ivoire au pluralisme politique, en effet, s’est accompagné d’une multiplication d’organisations de la société civile. C’est dans cette dynamique que naît le CNI le 09 janvier 1993. Cette organisation a impulsé les activités des musulmans face au pouvoir politique. Plusieurs autres organisations musulmanes voient le jour. Ici, l’Islam est utilisé parfois comme un instrument par ces organisations pour servir des causes extra-confessionnelles. Ces propos sont corroborés par certains de nos enquêtés qui sont des leaders politiques.
Par désespoir, une majorité d’ivoiriens qui n’attendent plus rien de l’Etat se sont réfugiés auprès des mouvements religieux sur lesquels ils ont reporté leur confiance, c’est le cas des musulmans. Il s’est ainsi noué une forme de partenariat entre le religieux et le politique. Cette alliance, eu égard au rôle que jouent les associations musulmanes dans les processus électoraux, démontre qu’elles ont pour objectif de connecter leurs membres (les électeurs) aux leaders politiques et candidats qu’elles choisissent. Ces leaders religieux jouent un rôle décisif dans le processus d’accès au pouvoir de certains acteurs politiques, à travers une analyse sur leurs agissements en périodes d’élections.
En effet, lorsque le 07 décembre 1993, meurt Félix Houphouët-Boigny premier président de la République de Côte d’Ivoire, une crise éclate entre Alassane Ouattara, premier Ministre et Henry Konan Bédié, président de l’Assemblée Nationale et dauphin constitutionnel. Le premier soupçonné d’opérer un coup d’Etat constitutionnel prit la tête du Rassemblement Des Républicains (RDR) crée en 1994, soit un an après la mort d’Houphouët. Les rapports conflictuels entre les deux hommes entrainent une fracture sociale. La communauté musulmane qui jusque-là jouaient la carte de la prudence sur la scène politique, se sent concernée quand un de ses membres, Alassane Ouattara affirme : « Parce que je suis musulman on m’empêche d’être Président », (Binaté). Cette phrase a fait sensation au sein de la communauté, surtout parmi les originaires du Nord du pays. Ils feront partie un peu plus tard du nombre des membres les plus actifs[1] du RDR. Ainsi, des ivoiriens se réclamant de la même confession religieuse (musulman) et région du (Nord) que lui se considèrent désormais victime d’injustice (Dozon), (le Pape et Vidal), (Akindès). Ce problème identitaire est utilisé à des fins politiques autours de « l’ivoirité ». Cela entraîne désormais des clichés comme par exemple : « musulman = nordiste = étranger », (Binaté). Ce non distinguo ou confusion provoquera des réactions au sein de la communauté musulmane qui réagit à travers des conférences publiques, sermons et déclarations à la presse (Savadogo). Les musulmans dénoncent la politique de l’ivoirité et ses dérives identitaires, de « délit de faciès », et trouvèrent « inique et aberrant »[2] le processus Electoral de 1995 qui éliminait des candidats dans la course à la Présidence. Cette position de la communauté musulmane a valu à son leader, Idriss Koudouss Koné, d’être pris pour cible par des hommes en armes jamais identifies (Binaté). Même avec l’avènement de la junte militaire au pouvoir après le coup d’Etat de décembre 1999, la vision des questions politiques du CNI n’a pas évolué.
Puisqu’il continue de dénoncer les dérives identitaires en condamnent le référendum organisé en juillet 2000. A ce propos voici ce qu’il a déclaré : « la nouvelle constitution comportait des germes qui allaient diviser les populations ivoiriennes », (Binaté). Cet engagement politique continue jusqu’à la crise postélectorale qui voit la prise de pouvoir de Alassane Ouattara au détriment de Laurent Gbagbo. Ce changement à la tête du pays a ouvert une nouvelle ère dans les rapports entre les musulmans et le pouvoir politique. Cette réorientation des rapports a établi un cadre de rencontres et un pont de sympathie entre les musulmans et les autorités nouvellement établies.
En plus de ces raisons évoquées de l’avènement des musulmans sur la scène politique, il y a la manifestation d’une volonté de la construction de la paix et de la cohésion sociale.
1.2. La manifestation d’une volonté de construction de la paix et de la cohésion sociale
Après plusieurs années de tensions et d’affrontements, la Côte d’Ivoire à partir de 2011 va amorcer le processus de réconciliation. Cela se manifeste par la volonté politique des nouveaux dirigeants à travers la mise en place d’un mécanisme de justice transitionnelle, la commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR) le 13 juillet 2011.
En outre, ils créent le programme national de cohésion sociale (PNCS). Les musulmans acceptent avec joie ces outils de la réconciliation en y faisant partie intégrante. En effet, après une décennie de crise, la réconciliation entre les ivoiriens devient un des défis majeurs du président de la république. Ces nouveaux mécanismes de réconciliation sont composés de personnalités issues du milieu politique et de la société civile (y compris des religieux). Le Conseil supérieur des imams (COSIM) a été sollicité pour participer à cette activité. Il a donné son approbation et y a assuré la vice – présidence[3] par le biais de Boikary Fofana, son premier responsable. Ce fonctionnaire à la retraite avait précédemment été membre de la commission d’enquête sur les évènements survenus à la cité Universitaire de Yopougon (Abidjan) en 1991[4]. La Commission Nationale pour la Réconciliation et l’Indemnisation des Victimes (CONARIV) mise en place le 25 mars 2015 a fait appel à cet homme d’expérience pour occuper le même poste (Binaté). Cette reconduction qui est un signe d’une confiance renouvelée justifie la thèse selon laquelle le pouvoir manifeste la ferme volonté politique d’associer la communauté musulmane au débat politique ivoirien.
En règle générale, les préoccupations sur l’implication des structures religieuses dans le champs politique tendent à montrer que l’Etat, institution républicaine et laïque, faiblit et se laisse prendre son territoire. S’il est vrai que les associations religieuses, en particulier islamiques, ont un poids social très important, il reste qu’en tant que groupes elles demeurent encore loin d’imprimer à l’institution étatique et à ses démembrements, aussi bien dans leur fonctionnement que dans leur forme, une orientation radicalement islamique. Dans les faits, malgré l’espace conquis et leur nombre de plus en plus croissant, les structures religieuses restent tout de même loin de commander au politique sur la base d’un agenda clair et structuré. Certes, il leur arrive de suggérer, de conseiller, d’être fortement associé à la prise des décisions ou à l’éclairage du processus de celle-ci, et même d’exiger, mais leur force de pression est encore faible.
De ce qui précède, il ressort qu’après des années de lutte pour la défense de leurs intérêts, les musulmans sont passés à une phase de rapprochement avec les autorités politiques, soit par des manipulations électoralistes, soit par leur entrée dans des institutions publiques au sein desquelles ils participent à diverses activités allant des prises de décisions aux médiations lors des tensions politico-militaires dans le pays. C’est-à-dire, le COSIM a joué un rôle de médiateur pendant la crise ayant opposé l’Etat aux militaires mécontents.
Au-delà de ce que nous avons relevé, plusieurs actions de médiation sont à l’actif des musulmans dans le jeu politique ivoirien.
2. Les actions des musulmans dans le jeu politique ivoirien
Les mosquées ont servi de cadre de communication et d’implication des communautés musulmanes dans le débat politique national.
2.1. Les mosquées, un cadre permanent de propagation d’idéologie politique
L’efficacité des actions émanant du domaine religieux, des associations islamiques, s’éclaire au travers d’un état des lieux de leurs dynamiques sociales et politiques.
La conjoncture dans les années 1990 a été une opportunité inédite pour les associations islamiques ivoiriennes d’émerger dans l’espace public. Le rôle qu’elles ont par la suite joué au sein de la société, représente un facteur important dans l’organisation des rapports qui lient les acteurs religieux aux acteurs politiques.
Avant l’avènement du pluralisme politique, les musulmans avaient adopté une position d’accommodement avec le pouvoir politique. En effet, jusqu’au début des années 1990, les principales fêtes musulmanes, la Tabaski et le Ramadan donnent lieu à de grands rassemblements de prière auxquels le Président Houphouët-Boigny se faisait représenter par un membre du gouvernement. Jusqu’à sa mort en 1993, c’est Mamadou Coulibaly, Président du Conseil Economique et Social, musulman de confession, qui représentait le chef de l’Etat aux grandes prières à Treichville. A Adjamé, c’est Lamine Fadiga qui assurait cette représentation (Savadogo).
Durant cette période, les actions et les activités des musulmans dans les mosquées portaient la marque du pouvoir politique. Les différents présidents du CSI ont été suscités et soutenus par le pouvoir à travers le ministre de l’intérieur[5].
Cette accommodation des musulmans, de l’indépendance à l’avènement du pluralisme politique, s’explique par le fait que le paysage politique était fortement sous l’emprise du parti unique. Selon certains leaders, il n’y avait aucune raison de « contester » car le président Houphouët-Boigny leur était reconnaissant et leur offrait toute la quiétude dans leurs activités quotidiennes (Savadogo).
L’accommodation des musulmans continue jusqu’à la mort d’Houphouët-Boigny. Son dauphin Henry Konan Bédié a utilisé Moustapha Diaby, plus connu sous le nom de Diaby “Koweït“, président du CSI, également député, membre du Bureau Politique et Secrétaire général de la section de Samatiguila du PDCI-RDA, pour faire des dons dans les mosquées acquises à la cause du pouvoir (Treichville, Adjamé et Abobo) et dans le nord au nom du président de la République. En contrepartie, des prières sont dites dans les mosquées contrôlées par le Conseil Supérieur Islamique (CSI). Les leaders de ces musulmans sont donc instrumentalisés par le pouvoir public et politique. Cependant tout cela changera suite à la multiplication des organisations confessionnelles, avec la création du Conseil Supérieur des Imams (COSIM) en 1987, du Conseil National Islamique (CNI), en 1993, de la Confédération Islamique du Développement de la Côte d’Ivoire (CID-CI), en mars 1998, avec Babily Dembélé, du Front de la Oumma Islamique (FOI), le 30 avril 1995, avec Chérif Bakary. Tout ceci coïncide avec la reconfiguration de la scène politique ivoirienne avec le retour au pays au multipartisme. Désormais, le pouvoir politique est critiqué et souvent accusé de vouloir briser le dynamisme de l’islam et faire des musulmans des citoyens de seconde zone. Cela se justifie par les propos d’un de nos enquêtés, un guide musulman, qui affirme « les réactions des gouvernants face à l’évolution de l’islam sont de nature à nous diviser et nous opposer ». Dans les mosquées, les grands rassemblements sont les moments de prise de position. C’est ainsi que pendant les fêtes comme le Mawlid, les imans dénoncent le code électoral, la constitution. Nous pouvons citer comme exemple Idriss Koudouss qui lance un appel lors du Mawlid de 1995 en faveur de la paix. Dans ce message, il attaque le régime du président Bédié pour son manque de justice et d’équité. Il critique le code électoral et demande la révision de certains points, tels que les conditions d’éligibilité ou de la nationalité du code, qui sont contestés (Savadogo). Cette prise de position ouverte amène de nombreux observateurs à voir une collusion entre le rassemblement des républicains et les musulmans.
En outre, lors de la forte controverse entre le Et ou le Ou sur le référendum de la constitution de la deuxième République en 2000, qui visait essentiellement à permettre à Alassane Ouattara de se présenter ou non aux élections présidentielles de la même année, le CNI et le COSIM se sont clairement prononcés, notamment le président du CNI, en s’insurgeant contre ce projet, affirmant que le « texte divise les ivoiriens au lieu de les rapprocher » (Le jour, 21 juillet 2000).
En Côte d’Ivoire depuis quelques années une élite socioculturelle s’est progressivement portée à la tête de la communauté islamique. Ce groupe est composé d’une nouvelle génération d’intellectuels et de cadres musulmans qui ont étudié à la fois dans le système éducatif laïc et dans les universités du monde arabe. Ces élites vont donc centrer leur énergie sur la création de nouvelles associations pour redynamiser la communauté islamique (Mira). C’est ce dynamisme que nous résumons à travers la figure ci-dessous.
Evolution des dynamiques musulmanes en Côte d’Ivoire
À travers l’évolution de ses dynamiques, l’Islam ivoirien se positionne comme l’un des interlocuteurs sérieux du pouvoir politique, soit en collaborant à travers des actions concrètes, soit en se laissant instrumentaliser.
Nous retenons de ce qui précède que les mosquées, lieux de prière des musulmans par excellence deviennent quelquefois des lieux de propagation d’idéologies politiques. Dès lors nous assistons à l’effritement des valeurs islamiques au profit de la politique qui permet à tout musulman de se rapprocher davantage de son leader et son idéologie politique.
2.2. L’effritement des valeurs de l’islam au profit de la politique
Les rapports entre les musulmans et le pouvoir politique ont évolué au fil du temps. Inspirées de la politique musulmane appliquée dans les colonies, les relations ont toujours été complexes dans la mesure où elles se confondent aux liens personnels entretenus par le président Houphouët – Boigny et des responsables religieux musulmans (Miran). Sous les régimes de ses successeurs, les rapports vont connaitre une évolution sensible dans un contexte marqué par l’incursion des musulmans dans l’arène politique.
Cette incursion se manifeste à travers des prises de positions contre le pouvoir politique. Les prises de position traduisent quelquefois le reflet de leur ras-le-bol, mais la plupart du temps elles conduisent souvent ces musulmans à l’instrumentalisation par les politiques. En prenant faits et causes d’un leader politique au détriment d’un autre, les guides religieux musulmans conduisent la communauté à la division, au désordre car il est clair qu’ils ne feront pas l’unanimité d’où l’effritement des valeurs de l’islam qui prône la paix, la cohésion et l’amour.
Certains guides musulmans, au gré de leur volonté et de leur obédience politique, transgressent les réalités de la religion pour des intérêts lucratifs ou régionaux. En effet, ces guides en retour de leur soutien aux politiques espèrent l’appui de ceux-ci pour conforter leur position au sein des organisations musulmans qui sont, elles aussi traversées par des crises. D’ailleurs leur foisonnement est le signe d’une absence d’unanimité autour d’un seul chef et surtout de la division de la communauté entre Sunnites, chiites, wahhabites, soufistes, etc.
Ainsi, l’Islam devient un islam du pouvoir, lui-même polysémique et contradictoire (Coulon C.). Cet Islam peut dans certaines circonstances traduire aussi les émotions et les intérêts des groupes subordonnés, évoluer vers des formes nouvelles et donner bien à des dépassements.
Dès lors, l’Islam apparait pesant, étranger, lorsqu’il brise les solidarités acquises, qu’il cherche à mettre la main sur les habitudes, les coutumes, les façons d’être des musulmans, pour constituer son ordre propre.
Il ressort de ce qui précède que l’Islam, au contact de la politique, perd de sa crédibilité et se détourne de ses objectifs. Il devient un Islam soumis au pouvoir public, oubliant ainsi les intérêts des musulmans, d’où l’effritement de ses valeurs fondamentales, notamment l’entraide, la solidarité, l’amour du prochain et la fraternité.
Conclusion
Au terme de notre analyse, nous retenons qu’avec le retour au multipartisme en Côte d’Ivoire en 1990, on assiste à une impulsion de la dynamique au niveau des relations entre les musulmans et le pouvoir politique. Souvent instrumentalisés pour servir la cause du pouvoir politique, les musulmans, quoiqu’on dise, semblent peser lourds dans la balance au niveau de la société civile. S’il est vrai que, certains politiciens se sont servis d’eux pour arriver ou se maintenir au pouvoir d’Etat, il est d’autant plus vrai qu’ils ont été des canaux de réconciliation et de cohésion sociale en Côte d’Ivoire, après la crise postélectorale en 2011.
Sources et travaux cités
Sources orales
N° | Nom et prénoms | Statut/Fonction des enquêtés | Dates et lieux des enquêtes |
1 | AFFI N’Guessan Pascal | Président légal du Front Populaire Ivoirien (FPI) | 15 Mars 2019 à Abidjan |
2 | BLÉ Guirao | Cadre du Rassemblement des Houphouetistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP) | 19 Mars 2019 à Abidjan |
3 | EHIVET Simone Ggagbo | Première vice- présidente du FPI, tendance Laurence Gbagbo | 25 Mars 2019 à Abidjan |
4 | GBAGBO Michel | Vice-président chargé de la question pénitentiaire du FPI | 4 Avril 2019 à Abidjan |
5 | IDRISS Koudouss | Guide religieux musulman/ Fondateur de la communauté musulmane Bilal | 6 Mai 2019 à la mosquée Idriss Koudouss |
6 | KOUADIO Konan Bertin | Membre du Bureau politique du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA) | 10 Avril 2019 à Abidjan |
7 | MEITE Souleyman | Secrétaire chargé de l’enseignement et de la formation dans le Bureau national de la Ligue Islamique des Prédicateurs en Côte d’Ivoire (LIPSCI) | 19 Mai 2019 au siège de la structure |
8 | TRAORE Mariam | Secrétaire Générale du Conseil National Islamique (CNI) | 25 juin 2019 au siège du CNI |
Travaux cités
Akindes, Francis Augustin. Les racines de la crise militaro-politique en Côte d’Ivoire, Dakar : CODESRIA-Karthala, 2006.
Binate, Issouf. « L’Islam à l’ère du pluralisme politique en CI : du militantisme religieux à l’ouverture sur le monde arabe », in Afrika’da Islamiyet : Dünü,bugünü, Istamboul, 2017, p. 1-14.
Burhang. Islam et politique, la modernité trahie, Paris, la découverte, 1994.
Coulon, Christian. Les musulmans et le pouvoir en Afrique noire, religion et contre-culture, Paris, Karthala, 1983.
Dakhlia, Jocelyne. Le divan des rois. Le politique et le religieux en Islam, Paris : Aubier, 1988.
Dozon, Jean-Pierre. Les clefs de la crise ivoirienne, Paris : Karthala, Coll. Disputatio, 2011.
……… « La Côte d’Ivoire au péril de l’Ivoirité’’, genèse d’un coup d’ETAT », in Afrique contemporaine, vol 193, n°1, 2000, p.13-23.
Le Pape, Marc et Vidal Claudine (dir). Côte d’Ivoire : l’année terrible (1999-2000), Paris : Karthala, Coll. Afrique, 2003.
Miran, Marie. Islam, Histoire et modernité en Côte d’Ivoire, Paris : Karthala, 2006.
Savadogo, Boukary Mathias. « L’intervention des associations musulmanes dans le champ politique en Côte d’Ivoire depuis 1990 » in Muriel Gomez Perez, l’islam politique au sud du Sahara : identités, discours et enjeux, Paris : Karthala, 2005, p.583- 600.
Traore, Yssouf. L’organisation du pèlerinage à la Mecque en Côte d’Ivoire : Contribution de l’Etat et des associations islamiques de 1973 à 2006, Mémoire de master, Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, 2015.
Le jour, 21 juillet 2000.
Le national, n° 280 de 1999.
Comment citer cet article :
MLA : Bley, Hyacinthe Digbeugby et Datro Noël Okobé. « Les musulmans et le pouvoir politique en Côte d’Ivoire : entre collaboration et instrumentalisation (1990-2011). » Uirtus 1.2. (décembre 2021) : 475-486.
§ Université Félix Houphouët-Boigny / [email protected];
[1] Aux élections présidentielles de 2010 et 2015, Alassane Ouattara a obtenu en moyenne plus de 90% de suffrages exprimés dans certaines régions au Nord du pays selon la Commission Electorale Indépendante (CEI) qui organise les élections en Côte D’ivoire. Ainsi le RDR est la première force politique dans cette partie du pays
[2] Kouassi Charles, 1999, « Politisation répétée du CNI : Koudouss chez Nabitou Cissé », in le national n° 280
[3] Il y avait trois postes de vice – présidents occupés par les représentations de la chefferie traditionnelle, des musulmans et des chrétiens. La présidence par Charles Konan Banny
[4] Le 17 mai 1991 à la cité universitaire de Yopougon après un mouvement de protestation étudiante, organisé à l’appel de la FESCI à 2h du matin, les parachutistes-commandos de la Force d’Intervention Rapide (FIRPac) dirigée par le commandant Faizan Bi fait une descente musclée dans les cités et se livrent à des exactions. Une commission d’enquête avait été mise sur pied pour faire la lumière sur ces évènements.
[5] Le premier président du CSI est EL HADJ Moussa Camera, ancien préfet, son successeur, EL HADJ Bakam Cherif traducteur au ministère de l’Intérieur. Il sera remplacé par EL HADJ Gaoussou Diabaté également en service au ministère de l’intérieur.