Résumé (Le couple « patriotisme/armes propres » : le nœud gordien de la liberté politique chez Machiavel)

Séa Frédéric Pléhia§

Résumé : Le trait d’occurrence perceptible dans la quasi-totalité des systèmes politiques, c’est que la survie de l’État ne saurait se concevoir sans la non-moins importante question de son indépendance. Ceci expliquerait pourquoi les États antiques gréco-romains, aient notamment envisagé le rapport de l’État à la liberté avec le plus précieux soin. Pour N. Machiavel qui se situe ouvertement dans cette quête dynamique du prestige lumineux et de l’honneur sauf de l’État, il n’y a que par le recours diligent et récursif aux armes dissuasives que la liberté de l’État pourrait s’acquérir de façon pérenne ; laquelle liberté s’investit dans son agenda politique comme une exhortation au patriotisme, qui prend ses assises solides dans la maîtrise des armes dites propres. En toile de fond, le projet que vise à réaliser la présente exégèse, c’est de démontrer que l’État ne peut assurément jouir de son autonomie que, par la maîtrise d’un art militaire révolutionnaire dont le Florentin esquisse l’ossature à travers l’Ordinanza de 1506, sorte de milice essentiellement constituée de soldats-patriotes, et visant à défendre les principautés italiennes.

Mots-clés : Armes auxiliaires – Armes mercenaires – Armes propres – Guerre – Liberté politique – Patriotisme

Abstract: The trait that can be seen in almost all the political systems is that the survival of the state cannot be conceived without the no less important question of its independence. This would explain why the ancient Greco-Roman states, in particular, considered the relationship of the state to freedom with the most precious care. For N. Machiavelli, who is openly situated in this dynamic quest for luminous prestige and the safe honor of the State, it is only through the diligent and recursive recourse to dissuasive weapons that the freedom of the State could acquire in a sustainable way; which freedom is invested in its political agenda as an exhortation to patriotism, which takes its solid foundations in the mastery of so-called clean weapons. In the background, the project that the present exegesis aims to achieve is to demonstrate that the State can certainly only enjoy its autonomy, through the mastery of a revolutionary military art of which the Florentine outlines the framework through the Ordinanza of 1506, a kind of militia essentially made up of patriot soldiers, and aimed at defending the Italian principalities.

Keywords : Auxiliary weapons – Mercenary weapons – Clean weapons – War – Political freedom – Patriotism

Introduction

« Le cri de « liberté et égalité » n’a pas excité les esprits seulement dans les rues de Paris, mais déjà dans l’Athènes de Périclès. C’est en pays grec qu’on a dit pour la première fois que l’homme est né pour la liberté ». (Pohlenz 7).Autant dire, pour briser les liens de la servitude dans laquelle le joug politique voudra le maintenir, l’homme-citoyen s’est-il depuis toujours donné les moyens pour défendre héroïquement sa liberté. Ceci expliquerait que pour les États antiques, la question de la guerre ait été abordée comme le versant de la pensée qui prend la liberté comme fondement. Envisager la possibilité pour un peuple de quêter sa liberté, revient pour ainsi dire à prendre pour centre d’intérêt le pouvoir politique dans sa relation omniprésente avec la question des armes parce qu’on ne peut aimer la liberté sans toutefois se donner les moyens de la protéger jalousement.

Contre cette vision autonomiste de l’autorité de l’État, va se développer avec les Princes italiens, un recours assidu au mercenariat guerrier qui s’apparenterait à l’exhortation à la défense de la patrie par la sollicitation quasi-suicidaire de l’expertise des condottières. Toute conception de la liberté politique qui n’est guère du goût de Machiavel pour qui, la liberté relevant du domaine du non-négociable, seuls les citoyens-soldats pourraient l’assumer avec panache. Sous ce prisme, l’exact pendant du patriotisme demeure sans nul doute sa fameuse théorie des armes propres. Mais, que devons-nous entendre par ce concept pionnier d’“armes propres” dans son philosopher, et en quoi ce modèle de défense pourrait-il impacter notoirement la liberté politique ?

La motivation nodale qui sous-tend la présente étude, c’est d’établir que la défense de la liberté politique coïncide indubitablement avec la défense de la patrie d’autant que le dogme machiavélien articulé autour du binôme « patriotisme/armes propres » constitue le véritable nœud gordien qu’il serait vain de vouloir démêler, à moins de souhaiter la servitude volontaire ou non de l’État.

1. Le patriotisme machiavélien comme quête de la liberté politique 

Ce que le Florentin admire à satiété chez les Antiques reste de loin l’amour abyssal dévolu à l’État tant pour le défendre que pour en assurer l’auto-détermination. Si les Anciens célébraient de façon ostentatoire ce penchant démesuré pour la patrie, c’est que l’acte de fondation de Rome qu’accomplit symboliquement Romulus à travers le rituel sacré qui consista à creuser une petite fosse dans la terre, pour y jeter une motte de terre qu’il avait rapportée d’Albe, la cité de ses aïeuls, c’était une façon bien authentique pour lui de dire à sa postérité : « Ceci est encore la terre de mes pères, terra patrum, patria ; ici est ma patrie, car ici sont les mânes de ma famille. » (de Coulanges 154) D’où l’attachement viscéral des Antiques à la terre de leurs pères.

La mission que le Florentin s’assigne, dans les sillages de ce modèle antique pionnier, demeure de sauver sa patrie humiliée de toutes parts,  afin de lui donner les moyens d’affirmer son leadership sur la scène internationale. Au plan militaire, les principautés devraient dorénavant renoncer à s’attaquer mutuellement, parce que l’intérêt de l’Italie devrait l’emporter sur les rentes composites des mosaïques de républiques parce qu’« il est impossible de défendre une nation contre elle-même quand ses membres sont prêts à sacrifier l’indépendance » (Freund 54). Et cette posture politique connote ouvertement l’avènement d’un patriotisme civique qui sonne comme « un appel à une restauration de la patrie, à une rédemption de l’Italie. » (Zarka 271)

1.1. Les traits de synthèse du patriotisme civique machiavélien

La gangrène politique que le Florentin reprouve tant chez les politiques italiens, c’est la poursuite des intérêts égoïstes, convaincu que les brouilles chroniques faisaient le lit aux querelles fratricides, dommageables à l’unité de la patrie. Son plaidoyer visait sous ce registre à recoudre le tissu social fortement désagrégé. Au lieu de se combattre pour des pacotilles, il propose plutôt à ces Princes malhabiles de consacrer toutes leurs énergies viriles à la défense de la prospérité de l’État italien. Or, il se trouve que les armes sont les premiers instruments dont dispose le politique dans sa quête du bien-être de tous, et que partant le triomphe des armes propres marque l’étape cruciale à la conquête de la liberté politique. Cette vision politique promeut, à contrecoups, un patriotisme revigoré qu’on ne saurait confondre à un chauvinisme plat.

Si « la défense de la patrie est toujours bonne, quelques moyens que l’on y emploie, ignominieux ou honorables » (Machiavel 707), dès lors, le résultat escompté, à savoir l’indépendance de la cité, doit primer sur toute autre considération. Pour parler en termes de droits et de devoirs, les obligations des citoyens vis-à-vis de la patrie doivent toujours l’emporter. En des propos moins ambigus, « s’il s’agit de délibérer sur son salut [celui de l’État], il ne doit être arrêté par aucune considération de justice ou d’injustice, d’humanité ou de cruauté, d’ignominie ou de gloire. Le point essentiel qui doit l’emporter sur tous les autres, c’est d’assurer son salut et sa liberté » (708). Salut et liberté sont les seuls mobiles recevables qui doivent, en tout temps et en tout lieu, motiver l’action de l’homme d’État. Ainsi la patrie demeure-t-elle l’inspiratrice de la vitalité collective, de la stabilité sans laquelle aucune continuité de l’unité politique nationale dans le temps n’est réalisable. Pour tout dire, c’est seulement autour de la patrie que doivent se fédérer les énergies précieuses en vue de l’intérêt général. Sans union sacrée autour de la patrie, il n’y a ni puissance, ni grandeur, encore moins de gloire à espérer, entendu que de l’excellente analyse ébauchée par Freund (52), « une collectivité politique qui n’est plus une patrie pour ses membres cesse d’être défendue pour tomber plus ou moins rapidement sous la dépendance d’une autre unité politique ».

Au reste, il ne servirait à rien de vouloir engranger des victoires si l’État lui-même souffre de la désunion maladive de ses membres, si le corps social est lui-même en permanente désorganisation du fait d’inutiles dissensions intérieures. Mettre fin aux querelles qui foisonnent en interne par la mise en œuvre d’une politique harmonieuse d’entente autour d’un idéal commun, voilà comment il faut déjà commencer à construire les jalons d’un État qui peut songer à rivaliser avec les autres. Bref, « (…)le patriotisme est un sentiment normal de l’être humain au même titre que la piété familiale. » (Freund 52)

En plus, la quête des bonnes armes défensives doit coïncider avec la célébration d’un patriotisme politico-militaire d’autant plus que, « là où il n’y a pas de patrie, les mercenaires ou l’étranger deviennent les maîtres » (Freund 52) absolus. Il n’existe qu’un seul moyen pour venir à bout des attaques des étrangers, si ce n’est de coaliser tous les intérêts individuels autour des besoins globaux de la patrie. Le génie politique devrait inciter, et ce malgré la diversité des intérêts en jeu, à toujours rechercher le bien de la patrie. Certes, la contingence réunit les citoyens hétéroclites, mais l’intelligence politique devrait œuvrer à la mise en commun des disparités affirmées en chaque individualité pour parvenir à l’édification d’un État fort qui fasse la fierté de tous. « Sans doute devons-nous notre patrie au hasard de la naissance, mais il s’agit d’un hasard qui nous délivre des autres » (Freund 52-53). Une liberté politique qui ne s’éprouve pas au contact d’une autre liberté souveraine ; une entité sociale qui ne s’émancipe guère des autres entités politiques, s’étiole de façon impardonnable et finit par décliner. Ce n’est que dans l’épreuve permanente de la force que les libertés contradictoires se revitalisent en acquérant davantage en notoriété. Si les Romains « ont préféré la grandeur de leur cité au salut de leur âme » (Weber 217), c’est que le choix judicieux des armes propres impose le prestige. Et en raison de « cette survalorisation de la patrie (…), tous ceux qui la mettent en danger ou risquent de la perdre pour des motifs de vengeance personnelle ou de gloire méritent la mort » (Zarka 271) ou seraient passibles de la déchéance de nationalité, d’un ostracisme pur et dur.

Enfin de compte, aimer sa patrie, c’est la débarrasser de tous les parasites qui inhiberaient son développement, et des pires dégénérescences qui constitueraient un frein à son rayonnement. Concrètement, il s’agira de combattre la corruption, périlleux vice, qui inhibe gravement l’affermissement du patriotisme étant donné que « l’opposition des factions introduit l’inimitié et la désunion qui affaiblissent la patrie. » (Zarka 276) La vérité politique à inférer, c’est que « hors de la patrie, l’individu perd ses déterminations proprement civiques. » (278) Et, si l’Italie faisait tant l’objet de crises internes continues, de convoitises et d’attaques répétées, c’est parce qu’elle n’était pas dotée d’une armée digne, susceptible de faire front face aux invasions. La leçon politique qui s’impose dès lors, c’est que les Républiques n’auront leur véritable salut que dans le maniement habile des armes.

En vérité, Machiavel est un fervent patriote italien qui se dresse contre les appétits immodérés des prédateurs étrangers. En témoigne ce qu’il écrit hardiment dans l’une de ses abondantes correspondances à Francesco Vettori (262) : « J’aime ma patrie plus que mon âme ». En sa qualité de penseur iconoclaste de rupture, il exprime son patriotisme en réaction contre l’humanisme classique. Contre Cicéron, il atteste que, pour ce qui est de la patrie, il est de l’impérieux devoir de tout citoyen qu’« il ne doit être arrêté par aucune considération de justice ou d’injustice, d’humanité ou de cruauté, d’ignominie ou de gloire. Le point essentiel qui doit l’emporter sur tous les autres est d’assurer son salut et sa liberté ». (Skinner 88-89). C’est au nom de la liberté politique que l’indépendance de l’Italie devient l’enjeu principal de la pensée politique du Florentin, et ce par l’institution d’une milice citoyenne revigorée.

1.2. La mobilisation des citoyens-soldats à la défense de la patrie

De toutes les batailles politiques que Machiavel exhorte à engager sans relâches et sans artifices, celui de la défense de la patrie reste hors d’atteinte. Voyant l’Italie envahie de toutes parts par les puissances impérialistes, et succombant elle-même à ses stupides imprécations, il a estimé que la panacée politique au mal transalpin, résidait d’abord dans son unité. C’est au nom de ce penchant outrancier dévolu à sa patrie qu’il va élaborer une politique réaliste d’auto-défense et de conservation de sa nation. Toutefois, comme chez lui la guerre est inséparable de la politique, qui n’est que luttes interminables et permanentes entre des groupes d’intérêts divergents, il apparaît nécessaire pour le Prince qui veut assurer l’indépendance de son territoire, d’avoir de bonnes armes et de cultiver à la perfection l’art de la guerre puisqu’indubitablement, il n’y a rien qui soit plus glorieux pour un citoyen que la défense des intérêts vitaux de sa patrie, surtout quand elle a maille à partir avec des envahisseurs perfides. « Le soldat qui combat pour sa patrie ne fait que traverser le danger. Il a pour perspective ultérieure le repos, la liberté, la gloire. Il a donc un avenir : et sa moralité, loin de se dépraver, s’ennoblit et s’exalte. » (Constantin 141)

À l’intention des Princes italiens longtemps abonnés à la couardise et à la félonie, Machiavel n’avait de cesse d’inculquer que, quand « une guerre est menée, sa fin est la victoire, tous les moyens sont permis ; mais la victoire est dans l’intérêt de l’Italie. » (d’Arcais 23) C’est seulement par une détermination féroce à vouloir se libérer de tout joug pesant qu’adviendra la réelle souveraineté politique, et non en continuant de plier l’échine devant l’agresseur. C’est à force de volonté qu’on arrive toujours à bout des pires prisons. « Pour le bien-être futur, il faut savoir accepter et ingurgiter dans le présent d’“amères médecines” » (d’Arcais 20), pour profiter plus tard d’excellentes et paisibles jouissances. C’est à force de sacrifices suprêmes qu’on arrive à se libérer des dominations qui embastillent notre existence. À travers ce modèle de soldat-citoyen qu’il échafaude, il s’agira dorénavant d’apprendre à vaincre avec témérité, sinon on se condamnerait soi-même à périr lâchement.

C’est surtout au nom de l’amour phénoménal de la patrie que Machiavel éprouve une certaine répulsion pour le mercenariat. Ce sont autant de raisons plausibles qui ont motivé Machiavel à organiser une milice nationale pour défendre Florence des invasions.  

2. L’élection des armes propres : le vrai gage politique pour la défense de la patrie

Si Machiavel saisit la liberté comme « la norme en fonction de laquelle toute action politique se juge ou est jugée » (Arendt 113), c’est qu’il envisage, à l’instar des Anciens, l’art militaire comme l’horizon destinal pour tout pouvoir politique qui aspire à assurer sa pérennité. C’est dans cette relation dialectique, où s’imbriquent et s’interpénètrent guerre et pouvoir politique, que se forgent la puissance et la grandeur de l’État. C’est de l’articulation harmonieuse entre guerre et pouvoir d’État que va naître un véritable État libre et fort. Le Prince averti aurait, dès lors, tout à gagner à cultiver l’art de la guerre qui libère. Vouloir procéder autrement, ce serait s’exposer à des politiques hasardeuses dont la fin se dénoue toujours en catastrophes aux conséquences fâcheuses pour la survie de l’État. C’est d’ailleurs tout le sens du sérieux grief de Machiavel à l’égard de la Rome devenue entre-temps chrétienne : « Constantin était celui par qui le scandale arrive (…) et donc, doit être tenu pour le responsable des malheurs.» (Jerphagnon 497) C’est pour avoir négligé, soit par dilettantisme, soit par humanisme dévot, les vertus militaires des illustres fondateurs, que l’Église romaine a fait le lit à la corruption politique dans laquelle l’Italie moderne s’était empêtrée. 

Précisons à toutes fins utiles que Machiavel n’incite nullement à la guerre aveugle par tous moyens, il invite plutôt à la défense hargneuse en cas d’agression avérée. Pour l’homme politique en quête d’armes défensives idoines pour assurer la sécurité de son État, le recours aux puissances amies n’est guère envisageable. N’est-ce pas, du reste, dans cette logique dénonciatrice qu’il ne cesse d’apostropher le Prince ingénieux : « Il faut des armées à une république ; quand elle n’en a point en propre, elle en loue d’étrangères, et ce sont celles-là qui sont les plus dangereuses pour l’autorité publique ; elles sont plus faciles à pervertir ». (Machiavel 743). La rhétorique ne saurait manquer d’objet tant les exemples prolifèrent sur ce chapitre précis. L’art de la guerre apparaîtrait plus efficace et profitable pour le Prince si tant est que l’opération est conduite par une armée de nationaux, c’est-à-dire par des armes dites propres. De l’inventaire des armées éventuelles que dresse Machiavel, il ressort que « les armes qu’un prince peut employer pour la défense de son État lui sont propres, ou mercenaires, auxiliaires, ou mixtes, et que les mercenaires et les auxiliaires sont non seulement inutiles, mais même dangereuses. » (77) S’en suit son réquisitoire contre les dernières citées.

2.1. Les armes mercenaires et auxiliaires : le faîte de l’écharde en politique

Au premier rang des vices dont Machiavel accuse les armées modernes, se trouve le mercenariat dont il ne s’accommode guère, malgré ses quelques succès accumulés un peu partout en Europe. Certes H. Guineret allègue qu’il faille s’« interroger sur la valeur de ces armes, très discutées à l’époque de Machiavel puisque les armées mercenaires sont victorieuses sur les champs de bataille » (Ion et al. 130), mais comme on ne saurait se contenter de quelques exceptions pour en faire une règle générale de conduite en politique, force reste de reconnaître que « les armes mercenaires, sorte de contraire des armes propres, ne constituent pas, malgré les succès ponctuels, un outil politique fiable et efficace » (Idem) à conseiller à un homme d’État. Les victoires militaires du moment obtenues par le concours de circonstances heureuses par des troupes à forte dose de mercenaires reposeraient sur des facteurs exogènes qui ne pouvaient conduire qu’à une indépendance de façade, à une autonomie amputée.

Si la défense de l’État relève d’un acte de souveraineté, alors un Prince aspirant à l’auto-détermination, ne saurait s’embarrasser de ces pratiques d’un autre genre qui violent le principe sacro-saint attaché aux ambitions légitimes de liberté. In fine, il y aurait là une inélégance politique notoire à vouloir à la fois une chose et son contraire, car on ne saurait nourrir le désir pieux de liberté et se jeter, points et mains liés, dans les bras de l’étranger. Ou bien, on aspire vraiment à son autonomie, et on met en œuvre des stratégies émancipatrices pour y parvenir, ou bien on veut rester en éternel esclavage, et on appelle à ses soins des mercenaires pour parachever la sale besogne. Recourir aux soldats étrangers pour pourvoir à sa liberté, c’est se leurrer à tous les coups, si ce n’est poursuivre l’ombre ou l’image altérée d’une manœuvre de guerre qui ne vaille pas la peine d’être inculquée aux chantres de l’indépendantisme. « Il est difficile de penser [voire utopique] que les armes mercenaires puissent permettre d’accéder à l’indépendance» (Ion et al. 130), puisqu’on ne saurait les concevoir comme un adjuvant de premières mains. On ne peut, un seul instant, vouloir mettre en route une politique volontariste d’indépendance avec des mercenaires dans la mesure où leur fidélité est fluctuante, changeante au gré de leurs intérêts immédiats. Les victoires circonstancielles qu’elles engrangeraient sont outrancièrement exploitées à des fins purement mercantilistes. Quand occasionnellement ces armées « triomphent sur le champ de bataille, elles font du prince leur obligé.» (Ion et al. 131) Au lieu que ladite victoire soit la contrepartie légale de la rémunération perçue, elle devient l’objet d’un chantage honteux auprès du Prince bénéficiaire. Pour les mercenaires victorieux, tout sera malicieusement mis en œuvre pour soutirer au Prince-requérant davantage d’intéressements, convaincus qu’il ne peut plus se passer de leur “précieux service”.

Ambitieuses, elles le sont du fait que leurs motivations premières ressortent du pécuniaire. Profitant souvent de la situation avantageuse dans laquelle les installe les quelques victoires sporadiques, elles peuvent, à l’envi, faire ou défaire les Princes à leur gré. Sinon, en dehors des gains qu’elles amasseraient, les armées mercenaires n’ont aucunes raisons objectives qui les inciteraient à livrer bataille de façon désintéressée et acharnée. Indisciplinées, elles le sont aussi du fait que ce ne sont en réalité qu’un agrégat hétéroclite de soldats venus d’horizons divers et dont le dénominateur commun demeure la chasse abusive aux primes. Le seul lien véritable qui les rattache formellement les uns aux autres reste de toute évidence l’amour immodéré pour les trésors de guerre. Leur fidélité laisse tout aussi à désirer, entendu qu’elles naviguent au gré des intérêts personnels de chaque combattant. En conséquence, la fuite en avant devient leur passe-temps favori, parce qu’il s’agit pour elles de toujours gagner et de ne jamais trop risquer leurs vies pour des Souverains qui n’en valent pas la peine.

À bien considérer les rapports liant les différents contractants, toujours est-il que le Prince qui les emploie perd toujours au change, c’est-à-dire se trouve désavantagé dans une convention léonine où les termes du contrat sont largement en faveur exclusif des mercenaires. Leur couardise n’est pas, non plus, à démontrer parce qu’ils sont prêts à prendre la poudre d’escampette à la moindre difficulté sur le théâtre des opérations militaires. Les vitupérant, Machiavel dit : « Ils veulent bien être soldats tant qu’on ne leur fait point la guerre ; mais sitôt qu’elle arrive ils ne savent que s’enfuir et déserter » (77) en emportant uniquement leurs butins de guerre. Spécialistes des escapades soudaines et des levées de bouclier, quand les traitements connaissent un petit retard, elles ne sont point courageuses comme pourraient le laisser présager ceux qui les adulent. Leurs ardeurs à géométries variables ne sont pas faites pour espérer profiter de leurs prétendues compétences martiales.

La renommée dont se prévalent pompeusement les commandants de ces armées reste une gloriole, parce qu’en vérité, ils la recherchent pour juste obnubiler les Princes couards. Car, quand leur courage vient à faire défaut, le Prince-employeur est contraint de se payer encore le service d’autres combattants professionnels. D’une façon ou d’une autre, les Princes qui recourent aux mercenaires tombent inévitablement dans le cercle vicieux du perpétuel recommencement du recrutement de condottières dont ils ne pourraient désormais plus se passer. Dans un cas de figure comme dans l’autre, l’effondrement des Princes-embaucheurs tant au plan financier que militaire est toujours inéluctable.

Si les capitaines mercenaires poursuivent trop souvent les honneurs personnels, les simples soldats qui composent leurs armées ne peuvent qu’être défaillants et incompétents à tous égards. D’un capitaine vénal, on ne peut avoir qu’une troupe malhabile et incapable. « La raison en est qu’ils n’ont d’autre amour ni d’autre raison qui les retienne au camp qu’un peu de solde, ce qui n’est pas suffisant à faire qu’ils veuillent mourir pour toi ». (Machiavel 118). Leur engagement dans le combat n’est nullement sincère et rude, entendu que les objectifs qu’ils s’assignent sont notamment ailleurs que dans la victoire qu’on acquiert avec bravoure. Les vertus militaires demeurent chez eux, de bien traitres mots dont l’usage leur est étranger. Ils n’ont que faire de la pratique du courage guerrier puisqu’ils restent persuadés que la guerre dans laquelle ils sont engagés n’est pas la leur. Ils ne gagneraient ainsi rien à faire montre d’un zèle inutile qui peut leur coûter stupidement la vie. « C’est pourquoi un prince sage, toujours, a évité ces armes-là et s’est tourné vers celles qui lui sont propres ; et il a plutôt voulu perdre avec les siennes que vaincre avec les autres, jugeant que ce n’est pas une vraie victoire que celle qu’on acquerrait avec les armes d’autrui. » (Machiavel 124) C’est pourquoi, critiquant l’Italie sur ce chapitre du mercenariat dont elle faisait son hobby, F. Hegel, ne peut s’empêcher d’écrire (134) : « Elle confiait sa défense à l’assassinat, au poison, à la trahison, ou passion d’une racaille étrangère» passée maîtresse dans l’art de la déloyauté. Il revient aux Princes-refondateurs de se détourner de cette voie, sans quoi ils ne connaîtront jamais la paix, seul gage de la liberté politique. En toile de fond, un État devient faible et servile dès lors qu’il opère politiquement le choix hasardeux « de ne pas former ses peuples à la guerre. » (Machiavel 744) Mais qu’en est-il du jugement que le Florentin émet sur les armes auxiliaires ?

Parlant des armées dites auxiliaires, Machiavel reste tout aussi dubitatif sur leur prétendue efficience (82) : «Les armes de ce genre peuvent être bonnes en elles-mêmes ; mais elles sont toujours dommageables à celui qui les appelle ; car si elles sont vaincues, il se trouve lui-même défait, et si elles sont victorieuses, il demeure dans leur dépendance ». Si l’armée représente le rempart le plus assuré contre la servitude qu’un État tiers voudra exercer sur ses citoyens, alors il estime dans Le Prince que le souverain jaloux de sa liberté et de celle de son État doit proscrire plus que tout, « les armes auxiliaires, qui sont l’autre sorte d’armes inutiles. » (Machiavel 329) La délégitimation des armées alliées dans le système machiavélien tient à la raison toute simple que ces dernières ne sont, en fait, philanthropiques et avantageuses que pour leurs comptes personnels, et presque toujours préjudiciables pour celui qui les sollicite ou au service duquel elles prétendent exercer. La rengaine est bien connue depuis toujours, à travers les intentions libératrices de ceux qui envisagent de sauver des principautés en danger de disparition du fait de graves périls. Les armées alliées apparaissent encore plus nocives que celles mercenaires parce qu’avec elles, votre ruine est presque certaine, entendu qu’elles sont unies et formées à un chef autre que vous. C’est à lui seul qu’elles doivent obéissance, et rendent directement compte.

Mieux, l’interface n’est guère assurée entre le Prince-assisté et cette armée qui ne répond que de sa propre hiérarchie et de son Prince-mandant. En comparaison des armées auxiliaires, les troupes mercenaires apparaissent de l’avis du Florentin comme un pis-aller dont on pourrait facilement se contenter quand tous les horizons de recours sont obstrués. Une armée de mercenaires étrangers dépendant de votre autorité est bien préférable à un bataillon de troupes auxiliaires : « Celui donc, qui ne veut pouvoir vaincre, qu’il s’aide de ces armes » (Machiavel 329) aux intentions toujours dissimulées. Aucune victoire profitable ne peut être attendue de ces armées incontrôlables. La preuve, c’est qu’aujourd’hui encore elles continuent malheureusement de faire parler d’elles de façon pernicieuse du fait que ces unités « (…)sont la plus dangereuse espèce de troupes, puisque le prince ou la république qui les fait venir à son secours n’exerce sur elles aucun pouvoir, mais que l’autorité reste tout entière à celui qui les envoie. » (571) Leur agenda secret échappe absolument à celui qu’elles prétendent assister. L’indice patent dont Machiavel juge objectivement (Idem), c’est que « ces troupes, après la victoire, ne saccagent pas moins le voisin qui les a appelées, et cela, soit perfidie calculée de leur maître, soit pour assouvir leur cupidité ». À bien réfléchir sur l’activisme débordant des armées auxiliaires, il y a véritablement lieu de s’y soustraire par pur pragmatisme, vu que les risques encourus sont plus périlleux que les hypothétiques bienfaits qu’on pourrait en attendre. Mieux vaut mourir de la mort que l’ennemi qui nous attaque entend nous infliger que de faire allégeance aux services impertinents d’une armée dont on ne maîtrise, ni le commandement, ni les intentions. Aussi, se plaît-il à écrire emphatiquement : « Voulez-vous donc vous mettre dans l’impuissance de vaincre ; employez des troupes auxiliaires, beaucoup plus dangereuses encore que les mercenaires ». (Machiavel 82).

Si tel est que le Secrétaire florentin dénonce visiblement les armes auxiliaires et mercenaires, pour leur nocuité politique, c’est parce qu’il reste persuadé que le véritable moment éthique du raffermissement du patriotisme coïncide avec la maîtrise des armes propres. Mais pourquoi préfère-t-il les armes propres aux autres ? 

2.2. Les armes propres : le nec plus ultra de la vertu militaro-politique

Si l’Italie a besoin d’un Prince pour panser ses meurtrissures et lui édifier des fondations sûres, ce souverain providentiel que Machiavel voudrait voir libérer sa patrie doit être un homme vertueux. Mais, en plus d’un Prince prude, la patrie peut tout aussi compter sur le concours ô combien inestimable des citoyens-soldats, pour sa défense. C’est le vœu pieux du Florentin (723-724) : « À qui en effet la patrie peut-elle demander plus de fidélité qu’à l’homme qui a juré de mourir pour elle ? Qui chérira davantage la paix si ce n’est celui qui est le plus exposé aux dangers de la guerre ? » La modernité politique doit pour ce faire une fière chandelle à l’ingéniosité de Machiavel qui a brillamment esquissé l’ossature d’une armée véritablement nationale.

La caractéristique essentielle des armes propres sur laquelle il faut dès à présent statuer, c’est qu’elles appartiennent exclusivement au Prince qui les organise de fond en comble. Elles sont l’œuvre de ses soins, et on y rencontre une proportion tolérable de soldats-étrangers, qui doivent absolument être sous les ordres d’un général dont la loyauté à l’État-employeur n’est pas suspecte. Patriotisme, loyauté et exemplarité en termes de discipline et de courage sont les traits caractéristiques des armes propres. Ici, tout procède d’une rigueur qui est à l’image de l’objectif escompté, en l’occurrence celui de défendre âprement l’intégrité du territoire national. Rien de superflu ne semble ni les préoccuper ni les distraire, si ce n’est la défense de l’honneur indemne de la patrie. Compte tenu de toutes ses particularités dont elles font preuve, les armes propres inspirent la plus grande confiance aux citoyens « au sens où elles ne viennent pas de l’extérieur. Ce type d’armes est, dans le cas qui nous occupe, l’exact correspondant de l’autosuffisance alimentaire », comme l’interprète si bien H. Guineret. (Ion et al. 133). Ce sont bien des prototypes d’armées qui ont les capacités intrinsèques de subvenir à leurs besoins de subsistance, cela sans l’apport de forces exogènes. Tous les moyens d’action, de mobilité, d’entretien et de logistique leur appartiennent en propre. Tout y repose sur des bases strictement endogènes dont aucun étranger n’a connaissance. Aux fondements de ces armées établies sur l’archétype indépendantiste, se trouve une certaine volonté autonomiste à vouloir s’accomplir intrinsèquement et à s’auto-protéger contre toute forme de mise sous tutelle.

L’autre lecture crédible qu’il faut faire de ces armées, c’est qu’il s’y établit une sorte d’arrangement ou de contrat clairement affirmé entre le citoyen-soldat et la Cité-patrie. Les clauses des tractations que l’État y propose aux gardiens de la cité restent pertinentes et très attractives. À lire la réalité politique entre les lignes, c’est comme s’il était demandé aux citoyens dans une sorte de politique de troc la chose subséquente : les citoyens-soldats assurent avec abnégation la sécurité de l’État, qui en retour pourvoit à la liberté politique de tout le corps social. C’est le type même de contrat dans lequel il apparaît manifestement que « le soldat est également un marchand ; [parce qu’] en défendant sa cité il se défend aussi lui-même ». (Ion et al. 133). Partant, défendre l’autorité de l’État, ce n’est rien d’autre que se défendre soi-même en dernier recours. Les engagements ainsi pris par l’une des parties à l’égard de l’autre imposent une sorte de saine mutualisation des intérêts. Dans ce jeu où toutes les parties au contrat sortent gagnantes, se bâtit la sécurité pour tous, à savoir le prestige de la cité et la liberté des citoyens. Mais comment se réalise dans les faits cette symbiose politique au bénéfice de l’État ?

Pour Machiavel, il vaut mieux perdre honorablement avec ses propres troupes que de gagner honteusement avec celles des autres. Au sens où il conçoit la vérité politique, il ne peut y avoir d’État véritable sans la mise en œuvre des armes propres qui pourvoient valablement à l’indépendance de la cité. À lire superficiellement l’histoire ancienne,

certains pourraient penser que Rome, à sa naissance, a eu de la chance parce que ses voisins n’étaient pas assez forts pour l’écraser. Mais la chance n’est qu’une apparence qui dissimule la virtù et les choix responsables qui ont été effectués. Rome comprend la nécessité des armes et spécifiquement celle des armes propres. Son déclin est, à juste titre, assimilé à l’usage massif des mercenaires et des armes étrangères. (Ion et al. 137)

Au lieu de parler d’une roue de la fortune qui aurait tourné en faveur de Rome, il serait plus exact d’inférer que l’ingéniositépolitique a fait l’exception de son armée. C’est de l’osmose subtile de la force, de la fortune et surtout de la virtù que ce peuple émérite est parvenu à en imposer aux autres. La force et la fortune ont été certes capitales dans la conduite des affaires de la cité, mais la virtuosité restait de loin la vertu politique qui fît la particularité foncière de Rome. Rappelons pour raviver les souvenirs que son heure de gloire se confondait effectivement avec l’expérimentation toute réussie qu’elle a faite de l’institution des armes propres dans ses rangs, tandis que son déclin avait coïncidé avec un recours exagéré aux forces mercenaires qui ont fini par la pervertir. « Dans l’horizon politique, la guerre qui n’est pas conduite par les armes propres risque de constituer une catastrophe. » (Ion et al. 140)

Eu égard à ce qui vient d’être démontré, l’homme d’État averti a tout intérêt à s’attacher les services d’une armée qui réponde exclusivement de lui, en cela seul que les soldats y sont des nationaux dévoués à la seule cause de la mère-patrie. « La guerre n’est certes pas un acte anodin. Elle engage l’État tout entier. Pour cette raison, il y a une difficulté à la conduire autrement que par les armes propres. » (Ion et al. 140) Convaincu que le terrain réel de la politique,  c’est la violence où le jeu persistant des intérêts égoïstes s’entremêlent, Machiavel pense intimement que les hommes qui y démissionnent par lâcheté ou par faiblesse n’y comprennent absolument rien, vu qu’ils foncent droit dans le mur sans possibilité de s’en tirer à bon compte. Si la guerre est inséparable de la politique, alors le Prince qui veut assurer l’indépendance de son territoire doit avoir de bonnes armes, et pour souci majeur une excellente culture de l’art de la guerre.

En somme, le génie politique commande de se soustraire à des pratiques susceptibles de corroder dangereusement le prestige de l’État. Ne pas vouloir se conformer à ces exigences minimales en tant qu’homme d’État, ce serait commettre un parjure politique. S’y dérober, c’est tout compte fait courir politiquement après l’ombre en lieu et place de la réalité ; c’est se leurrer lamentablement. Or, le politique soucieux du bien-être de sa cité doit se prémunir contre ces errements qui sont de nature à porter un coup de grâce à son autorité.

Tant au plan subjectif qu’objectif, un homme d’État ne peut servir les causes de l’indépendance de ses citoyens sans tout aussi aspirer à l’indépendance de la nation elle-même.

Conclusion

En philosophie politique, juger la question de la liberté sans se référer à N. Machiavel, ce serait à coup sûr commettre un impair rédhibitoire. L’affirmer, ce n’est ni plus ni moins proclamer que dans la nomenclature des théoriciens s’étant intéressés audit sujet, son interprétation aura incontestablement édifié la modernité par sa pertinence. Si sa pensée reste souvent victime à contrecoups de la clarté et de la vérité de son discours qui ne s’embarrasse outre mesure de conjectures d’ordre intellectualiste, le vrai révélateur qui nous convainc à le préférer, ce sont deux séduisants jugements qui visent à l’acquitter manifestement sur des sujets épineux. D’abord, c’est Ch. Bec qui se faisant l’écho du Citoyen genevois rapporte dans son introduction à Le Prince : « Machiavel était un honnête homme et un bon citoyen ; mais, attaché à la maison des Médicis, il était forcé, dans l’oppression de sa patrie, de déguiser son amour pour la liberté. » (Machiavel 20) Ensuite et enfin, c’est toujours J.-J. Rousseau qui asserte également dans Discours sur l’Économie politique, d’après ce qu’en restitue L. Ponton (58) : « Les plus grands prodiges de vertu ont été produits par l’amour de la patrie », ce d’autant que c’est cette inclination qui consacre la liberté politique. Et Machiavel de renchérir au Livre III des Histoires florentines : « L’amour de la patrie est lié à l’amour de la liberté, à l’exigence de bonnes institutions et au redressement des mœurs. » (Zarka 277) La véritable embellie qu’il conviendrait de juger au terme de cette brève odyssée, c’est que l’originalité de Machiavel, c’est d’avoir notamment appréhendé la liberté politique sous l’angle acéré du binôme « patriotisme/armes propres » parce que l’un ne saurait être fécondé sans l’apport profitable des autres. Si le Prince machiavélien invente sa propre intuition, il fait le choix clair de la liberté politique dont le modus operandi s’apparente à un va-et-vient permanent entre patriotisme et armes propres.

Conclure la présente étude autoriserait à tenter cet aphorisme fort sympathique : topique dynamique de la mise en œuvre du patriotisme, la théorie machiavélienne des armes propres s’expose comme l’apothéose consacrant la liberté d’État.

Travaux cités

Arcais, Paolo Florès d’. La Politique, l’existence et la liberté. Hannah Arendt, trad. C. Walter, Paris : Bordas, 2003.

Arendt, Hannah. Qu’est-ce que la politique ?, notes U. Ludz, trad. S. Courtine-Denamy, Paris : Seuil, 1995.

Constant, Benjamin. Écrits politiques, notes Marcel Gauchet, Paris : Gallimard, « Folio essais », 1997.

Coulanges, Fustel de. La Cité antique, préface F. Hartog, Paris :Champs-Flammarion, 1984.

Freund, Julien. Qu’est-ce que la politique ?, Paris : Sirey, 1965.

Hegel, Georg Wilhelm Friedrich. La Constitution de l’Allemagne, trad. Michel Jacob, Paris : Champ Libre, 1982.

Ion, Christina et al. Lectures de Machiavel, dir. Marie Gaille-Nikodimov et Thierry Ménissier, Paris : Ellipses, 2002.

Jerphagnon, Lucien. Histoire de la Rome antique. Les armes et les mots, Paris : Hachette/Littérature, 2008.

Machiavel, Nicolas. Le Prince, trad. J. Anglade, Paris : Librairie Générale Française, 1972.

………Le Prince, notes P. Dupouey, Paris : Nathan, 1982.

……….Le Prince, trad. Yves Lévy, Paris : G.F., 1992.

………..Œuvres complètes, intro. J. Giono, prés. Ed. Barincou, Paris : La Pléiade, 2005.

Machiavel, Nicolas. Le Prince, trad. Christian Bec, Paris : Pocket, 2007.

Pohlenz, Max. La Liberté grecque. Nature et évolution d’un idéal de vie, trad. J. Goffinet,Paris : Payot, « Bibliothèque historique », 1956.

Ponton, Lionel. Philosophie et droits de l’homme de Kant à Lévinas, Paris : J. Vrin, 1990.

Skinner, Quentin. Machiavel, Paris : Seuil, « Point Essais », 2001.

Weber, Max. Le Savant et le politique, trad. Julien Freund, révisé par E. Fleischmann et Éric de Dampierre, préface Raymond Aron, Paris : Éd. 10/18, 1963.

Zarka, Yves Charles. « L’Amour de la patrie chez Machiavel », in Archives de philosophie. Recherches et documentation, Revue trimestrielle, Cahier 2, Tome 62, p. 269-280, 1999.

Comment citer cet article :

MLA : Pléhia, Séa Frédéric. « Le couple « patriotisme/armes propres » : le nœud gordien de la liberté politique chez Machiavel. » Uirtus 1.2. (décembre 2021): 440-456.


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