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Summary (Biography of Assou, a high-ranking dignitary in the Kingdom of Sahe (1704-1733))

Arthur Vido§

Résumé : Cet article retrace la vie et l’œuvre d’Assou, un grand dignitaire du royaume de Sahé. À partir des récits laissés par quelques voyageurs européens des XVIIe et XVIIIe siècles, l’auteur nous décrit un bel homme de grande taille, avec un esprit positif. Généreux et loyal, il est très attentif aux soins de sa famille. Pour le compte du pouvoir royal, il s’occupe des relations extérieures et est dans l’intimité du monarque. Ministre très influent, il a droit aux honneurs publics et est adulé par les négociants français. À la mort du roi Ayisan le 8 octobre 1708, c’est lui qui fait introniser de force le jeune Houffon. Cependant, miné par des divisions internes, le royaume houéda est envahi en 1727 par les soldats du Danxomè. Assou entre alors en résistance et finit par perdre la vie le 15 juin 1733. La mort du roi des Houéda, survenue quelques jours après celle d’Assou est évocatrice de la complicité qui existait entre eux et des liens qui les unissaient. Répondant ainsi aux plaintes enregistrées de nos jours du fait de la perte des valeurs dans la société béninoise, cette étude matérialise par l’écrit la mémoire d’un personnage marqué par la bravoure, le patriotisme, l’effort du progrès collectif et l’esprit d’abnégation.

Mots-clés : Biographie, Assou, dignitaire, royaume de Sahé.

Abstract: The author traces the life and work of a great dignitary of the Kingdom of Sahé named Assou. Thanks to the stories left by some European travelers of the seventeenth and eighteenth centuries, he describes a handsome tall man, with a positive spirit. Generous and loyal, he is very attentive to the care of his family. On behalf of the royal power, he deals with external relations and is in intimacy of the monarch. A very influential minister, he is entitled to public honors and is adulated by French merchants. On the death of King Ayisan on October 8, 1708, it was he who forced the enthronement of young Houffon. However, undermined by internal divisions, the Houeda Kingdom was invaded in 1727 by the soldiers of Danxomè. Assou then enters into resistance and ends up losing his life on June 15, 1733. The death of the king of the Houeda, which occurred a few days after that of Assou is evocative of the complicity that existed between them and links that united them. Responding to the complaints recorded today because of the loss of values ​​and landmarks in Beninese society, this article materializes in writing the memory of a character marked by bravery, patriotism, the effort of collective progress and the spirit of self-sacrifice.

Keywords: Biography, Assou, civil servant, Kingdom of Sahé.

Introduction

L’historiographie béninoise est riche en études portant sur la biographie de certains personnages. Dans son mémoire de Maîtrise intitulé Biographie du roi Agaja, Adolphe Houénou décrit physiquement et moralement ce roi fon de la première moitié du XVIIIe siècle, avant de faire part de ses conquêtes et de ses relations avec les négriers européens. Dans Guézo : la rénovation du Dahomey, Joseph Adrien Djivo a publié la biographie de celui qui dirigea le Danxomè de 1818 à 1858. Quant à l’article écrit par Abiola Félix Iroko et intitulé Autour de l’identité de Toussaint Louverture, il présente et explique les différents prénoms et surnoms donnés à Toussaint Louverture. L’exercice a été fait par le même chercheur sur Gbèhanzin dans Anthroponymie et royauté : le cas de Béhanzin, qui présente les différents anthroponymes dont est issu le nom fort du monarque fon de la fin du XIXe siècle. Un ouvrage a été consacré à une haute personnalité du Bénin : Mathieu Kérékou. C’est à travers le livre Le président Mathieu Kérékou : un homme hors du commun que Félix Iroko a tracé le portrait de cet homme. Il y a été également question de son enfance, de son parcours scolaire, de sa carrière militaire et de son apparition sur la scène politique à partir du 26 octobre 1972.

Si ces publications ont l’avantage de sortir des sentiers battus, elles ne traitent cependant que de personnalités bien connues, ignorant de fait que la renommée de ces dernières n’est pas due qu’à leurs seules actions et compétences. En réalité, il y a toujours des personnes dans l’ombre qui aident d’autres à être des hommes de prestige. Cette étude se propose donc de faire connaître Assou, un de ces personnages qui a été un haut dignitaire houéda de la première moitié du XVIIIe siècle.

1704 équivaut ici à l’année au cours de laquelle apparaissent les premières informations sur Assou. Quant à l’an 1733, il correspond à la fin de sa vie sur terre. Son décès est survenu à la suite de plusieurs combats de résistance qu’il dirigea aux côtés de Houffon.

Notre travail s’est effectué sur la base des comptes rendus de voyage des négriers européens des XVIIe et XVIIIe siècles. Ces documents constituent, malgré leurs limites et insuffisances, de véritables mines d’informations à exploiter dans le cadre de l’histoire précoloniale des sociétés africaines. Dans l’ensemble, il s’agit de sources de première main dont les auteurs, venus sur nos côtes pour le commerce négrier, sont des témoins oculaires doublés de leur qualité d’excellents narrateurs. Il est question ici d’analyser le regard porté par les auteurs européens sur la vie et l’œuvre d’Assou.

La collecte et l’analyse des informations nous permettent d’aborder le sujet suivant trois parties. La première présente le personnage sous ses aspects physique et moral avant de parler de sa famille. La deuxième aborde les différents rôles joués par Assou à Sahé avant et durant la conquête du royaume par Agaja, en 1727. La troisième partie fait état des luttes menées par Assou en vue de reprendre Sahé des mains de l’envahisseur fon.

1. Le personnage

L’étude biographique d’Assou passe par une bonne connaissance de ses traits physique et moral. Sur ces points, des récits laissés par quelques voyageurs européens des XVIIe et XVIIIe siècles nous livrent d’importantes informations. Nous nous en sommes servi pour tracer son portrait et parler de sa famille.

1.1. Aspects physique et moral

Plusieurs négriers européens ont visité Sahé. Par exemple, l’Anglais Thomas Philips accosta à la rade de Gléhué le 20 mai 1694 et le Hollandais Guillaume Bosman, en 1697. Ils ont laissé des notes de leurs séjours. Cependant, leurs rapports ne font aucune mention d’Assou. Suivant nos recherches, la première mention faite d’Assou nous vient du corsaire français Jean Doublet de Honfleur. Ce lieutenant de Frégate sous le roi Louis XIV fit sa première visite des côtes de Gléhué le 27 septembre 1704.

La description d’Assou commence par la signification de son nom. Que signifie donc Assou ? Le silence des traditions orales houéda sur la quasi-totalité de l’histoire de leur royaume ne nous permet pas de connaître le sens ni les circonstances ayant été à la base de ce nom. La certitude est que dans nos traditions africaines, le nom donné à un nouveau-né n’est pas fortuit. Il résulte, soit des circonstances de sa naissance, soit de sa période de venue au monde, ou encore du rang qu’il occupe parmi les enfants. Dans ce cas-ci, nous ignorons tout des évènements liés au choix du nom. L’autre axe de réflexion consiste à supposer qu’Assou ne soit pas son nom de naissance mais un nom de fonction comme Aplogan ou Gogan. Que signifierait alors Assou ? À partir de quel roi la fonction aurait-elle été créée ? Le seul élément d’appréciation que nous avons est que les premières informations sur Assou commencent à partir de 1704, au cours du règne d’Ayisan (1704-1708). Est-ce ce dernier qui aurait créé cette fonction ? Aussi, en considérant que le nom soit une création des négriers, notamment français, que signifierait-il alors dans la langue française ? Il nous paraît vraisemblable que ce nom soit typiquement africain car nous savons qu’en fongbé, Assou désigne le mari, l’époux et ce dernier signifie Ossou en houédagbé. On peut aussi considérer qu’Assou soit une déformation française d’Ossou. Mais en considérant Assou au lieu d’Ossou, comment peut-on justifier le port d’un nom fon par un Houéda surtout qu’à cette époque, Sahé n’était pas encore conquis par Agaja ? L’hypothèse la plus vraisemblable est que son nom soit Ossou ou Ossue qui est d’origine houéda et par lequel Guillaume Snelgrave le désigne (136). Ainsi, le vrai nom de notre sujet serait Ossou et Assou ne serait qu’une déformation. En définitive, nous ne savons pratiquement rien de la signification de l’anthroponyme de ce personnage. Cela ne saurait nous empêcher de tracer son portrait.

Il faut tout d’abord rappeler que la présence d’Assou à Sahé est bien antérieure à 1704 parce qu’étant probablement né et ayant grandi dans ce milieu. Nous ignorons tout de son année de naissance et de son adolescence. Les renseignements que nous avons de lui commencent à partir de son entrée au palais, lorsqu’il fut nommé ministre ou haut dignitaire. Jean Doublet qui l’appelle Asson, le présente comme un homme « très bien de taille et d’esprit ». Il précise même que Assou est « un des plus beaux noirs que l’on puisse voir ayant de beaux traits, un nez bien fait, point les lèvres grosses, grands yeux et un beau front, d’une taille de cinq pieds 8 pouces et bien proportionné de corps et très poli et gracieux » (Bréard 254 et 258). Assou est alors une personne agréable à regarder. La description faite de lui par Jean Doublet révèle qu’il a une taille de cinq pieds huit pouces. Ces données permettent de déterminer la taille approximative d’Assou. En effet, « pied » et « pouce » sont des anciennes mesures de longueur. Un pied équivaut à 12 pouces alors qu’un pouce vaut 27 millimètres. Si Assou a 5 pieds 8 pouces, il aurait en tout 5 fois 12 pouces plus 8 pouces, ce qui fait 68 pouces. En considérant qu’un pouce vaut 27 millimètres, Assou mesurerait alors 1836 millimètres, soit 1,836 mètre. La taille d’Assou serait approximativement égale à 1,84 mètre.

Au cours de l’audience accordée à Jean Doublet par le roi Ayisan, Assou était présent et se chargeait des affaires qui liaient le palais aux Français. La sincérité et la loyauté dont faisait preuve Assou dans la gestion des affaires du pays ont amené le voyageur français à dire qu’il était un homme généreux. Ces propos sont partagés par un voyageur anonyme français du début du XVIIIe siècle qui décrit Assou comme le « le plus droit et le meilleur » des Africains (28). Aux dires des auteurs-témoins, Assou était une personne de bonne moralité que Jean Doublet appelle affectueusement « Notre capitaine Asson (Assou) » (Bréard 258).

Sur le plan vestimentaire, Assou, en tant que ministre à la cour, a une manière de s’habiller qui diffère de celle d’un simple citoyen. Celle-ci est constituée de la peau de bœuf dont la tête et les pattes avant sont enlevées, celles de derrière se joignent et servent à passer autour du cou. Ainsi, la peau de l’animal côtoie le sol (Anonyme 28). Assou porte cet insigne aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du palais. En étant beaucoup plus précis sur le sujet, Jean Doublet nous renseigne que les ministres ou dignitaires s’habillent très bien car : « ils portent une peau de veau dont les extrémités en sont ôtées, et la pend avec un cordon de cuir du bout où était la queue pendue à leur col, le poil, en dehors traînant de l’épaule gauche aux genoux » (Bréard 257). C’est la marque de leur supériorité et de leur grandeur si bien que : « lorsqu’ils passent par les chemins, les peuples se croupissent sur leurs talons et joignent leurs mains qu’ils frappent l’une contre l’autre très doucement en baissant la tête et se relèvent lorsque ce ministre (ces ministres) les a dépassés » (Bréard 257). 

C’est grâce à cette marque qu’on identifie l’homme dont certains membres de sa famille ont vécu, tout comme lui, à Sahé.

Portrait n° 1 : Le haut dignitaire Assou

Source : Portrait réalisé par Cyr Raoul Sehou-Houindo (2018).

1.2. Sa famille

            L’étude de la généalogie d’Assou commencera par ses géniteurs car les informations sur ses ascendants directs existent. Ces dernières portent uniquement sur son père. En effet, le Chevalier des Marchais nous informe qu’Assou offrit des sacrifices d’hommes et d’enfants afin d’obtenir la guérison de son père (Labat 274). Nous ne connaissons ni le nom du père ni sa fonction dans le royaume.

Son frère est le deuxième membre de sa famille dont nous parlerons. Les observations le concernant ont été faites par Jean Doublet de Honfleur. Le corsaire nous indique que le frère d’Assou est le grand sacrificateur du royaume : « Son frère n’est pas si bien fait ni poli quoique grand marabout » (Bréard 258-259). À Sahé, c’est le grand sacrificateur qui s’occupe de tout ce qui est religieux. Quel est son nom ? Des Marchais nous renseigne qu’il s’appelle Beti. C’est donc Beti, le frère d’Assou qui s’occupe des sacrifices faits aux divinités du royaume et c’est lui qui les invoque, sous la demande du roi, pour la prospérité du pays. Aussi, cette fonction, à Sahé, fait partie de celle ministérielle. Beti était, tout comme son frère, un ministre de la cour. Cela dénote de la place et de l’importance de la famille d’Assou au sein du royaume houéda.

La famille d’un homme n’est pas confinée dans les bornes de ses géniteurs et de ses frères. Ainsi, que sait-on par exemple de la vie matrimoniale d’Assou ? Combien de femmes avait-il eu ? Nul ne le saura avec exactitude. Cependant, la certitude est qu’il était un polygame car : « La coutume du pays autorise la polygamie à l’excès. Il est assez ordinaire aux Grands (capitaines ou ministres) d’y avoir plusieurs centaines de femmes et de concubines » (Snelgrave 3). De cette observation, il est clair que la polygamie était la norme à Sahé. Assou, en tant que ministre, était sans doute, un polygame. Le fruit d’une union polygamique ou monogamique est la mise au monde d’enfants. Et parlant d’enfants, Assou devrait en avoir eu un certain nombre. Cependant, les informations dont nous disposons ne parlent que d’un seul appelé Favory (Gayibor 906).

2. Le dignitaire et sa place dans le royaume

Assou a exercé plusieurs fonctions à la cour de Sahé. Il était toujours au service des rois dont il militait pour l’intronisation et luttait pour la protection du royaume. Il en a tiré profit en bénéficiant d’un statut prisé à l’époque. Cette partie du travail s’intéressera aux différentes tâches qu’il a exercées auprès des souverains avant la conquête de leur royaume.

2.1. Ses fonctions

À l’époque où Jean Doublet visitait Gléhué, Assou était déjà au Conseil de gouvernement du roi Ayisan. Il est donc possible de faire remonter sa présence dans les arcanes du pouvoir avant cette date. L’historien nigérian Isaac Akinjogbin nous indique qu’Assou avait été le leader du clan des ministres ayant soutenu l’intronisation d’Ayisan, qui était le fils cadet au détriment de son frère aîné (40). Pour y arriver, notre personnage avait reçu l’aide du ministre Aplogan et des négriers européens installés à Gléhué (Sogbossi 26). S’il est donc évident qu’il a soutenu et milité pour l’accession d’Ayisan au pouvoir, c’est dire qu’il a probablement appartenu au Conseil de gouvernement de son père et prédécesseur. Ainsi, Assou a été ministre sous au moins trois monarques houéda : Agbangla, Ayisan et Houffon. Il est donc clair que ses fonctions au sein du royaume remontent à une période antérieure à la venue du corsaire en 1704, même si nous ne saurions la dater ni préciser les fonctions qu’il a exercées. Nous ne savons pas avec exactitude les rôles joués par Assou du temps du roi Agbangla, mais il nous paraît évident qu’ils ne soient pas différents de ceux joués sous son successeur. Jean Doublet nous présente le personnage étudié comme le ministre de la marine (Bréard 254). Comme déjà mentionné plus haut, il se chargeait de recevoir et d’introduire les négriers européens au palais pour une audience avec le roi. À la suite de la visite du corsaire, le roi le convia à un dîner pour le lendemain. Là encore, intervint Assou qui le fit entrer au palais pour le repas. Cela dénote de la présence effective et de la fréquence d’Assou à la cour. C’est dire qu’il est très proche du souverain et l’assiste. Sa place régulière aux côtés du roi Ayisan ne souffre d’aucune contestation et elle est confirmée par un autre fait, qui prouve également toute l’importance de ce dignitaire dans le royaume. En effet, au cours du dîner, Assou était à table avec le roi et ses invités. Or Bosman nous dit qu’hormis les reines, aucune personne ne doit voir le roi manger (383). Seules ses épouses ont ce privilège. Pourtant, le corsaire fit remarquer qu’Assou avait partagé le repas avec eux. C’est un grand statut dont a bénéficié Assou sous Ayisan. Nonobstant, cette place ne le soustrayait pas du respect qu’il devait au souverain car il s’adressait à lui en étant toujours à genoux.

Assou s’exprimait agréablement en français sans être sorti du pays. Cette langue apprise aux côtés des négriers européens lui permettait de servir d’interprète à la cour royale (Bréard 254). En outre, il était chargé de prélever, pour le compte du roi, des coutumes et droits auprès des Français désireux de mener à bien leurs activités commerciales dans le royaume (Anonyme 28). Négociant avec probité pour les marchands européens auprès de son roi, Assou était considéré par des Marchais comme le protecteur de la nation française (Labat 71-72).

L’importance du personnage se retrouve également à travers la résidence qu’il possédait. Des Marchais nous renseigne que les habitations de la capitale n’avaient généralement qu’un seul niveau (Labat 232). Elles étaient construites en terre battue et couvertes de paille. Tous les sujets du roi avaient de telles résidences. Mais en dehors du roi, seul Assou avait une maison à deux niveaux et un canon devant celle-ci pour la protéger. C’était un privilège dont il bénéficiait en raison de son importance et son implication dans le développement des affaires du royaume. Son implication dans l’intronisation de Houffon pourrait aussi justifier ce privilège à lui accordé.

À la mort d’Ayisan le 8 octobre 1708, Houffon était encore un mineur et ne pouvait donc pas accéder au trône, conformément aux lois coutumières (Anonyme 33). En fait, ces lois prévoyaient qu’en cas de non désignation du prince héritier par le roi avant son décès, l’intérim devait être assuré par le Gogan jusqu’à ce que le Conseil du gouvernement n’élise le nouveau souverain. Elles ne statuaient pas sur l’accession d’un mineur au trône. Les ministres n’étaient pas unanimes quant à la solution à adopter. Assou et Aplogan militèrent pour l’intronisation du jeune Houffon. Deux clans apparurent donc et s’opposèrent. Pour faire passer son vœu, chaque clan usait de ses forces. Ainsi, le Gogan réunit 12 à 13 mille soldats derrière lui alors qu’Assou fut aidé par environ huit mille soldats et des marins européens. C’est fort de cela qu’Assou et ses partisans parvinrent à faire de Houffon le roi de Sahé (Akinjogbin 39-41). Tout cela confirme son rôle non moins négligeable et sa place dans le Conseil du gouvernement.

Ces oppositions et divergences d’intérêts au sein du pouvoir, conjuguées à d’autres évènements ne manquèrent pas d’ébranler le royaume qui fut conquis par Agaja en 1727.

2.2. La prise de Sahé en 1727

Les luttes intestines désorganisèrent le royaume de Sahé et le rendirent vulnérable. En effet, Snelgrave nous raconte que le jeune âge de Houffon lors de sa prise du pouvoir, fait qu’il ignorait tout des affaires du pays (4-6). Celles-ci étaient donc gérées par ses ministres durant plusieurs années. Chacun d’eux se comportait comme un « petit roi » et ne s’intéressait qu’à ses propres affaires, laissant ainsi de côté le bien-être du royaume. Cela entraîna la division au sein du Conseil et du peuple, puis permit la conquête du royaume. Dans le même ordre d’idées, Valère Sogbossi parle de l’attitude d’Aplogan, ministre et administrateur de la province de Gomè (28). Ce dernier a soumis son territoire à Agaja en 1726. Mais, il faut noter que les Houéda ont défendu leurs terres avant d’abdiquer. En effet, le sieur Ringard, capitaine du navire le Mars de Nantes, qui accosta à Gléhué le 3 mars 1727, assista à la résistance houéda dirigée par Assou. Selon le voyageur, Assou et deux autres dignitaires continuaient de lutter malgré la désertion d’un grand nombre de soldats devant l’ennemi (Law 321-328). Assou continua de défendre la capitale avant de fuir à son tour à cause de la supériorité militaire de l’adversaire. Ainsi, Agaja s’empara de la capitale, étape primordiale pour la prise de Gléhué. Quel fut le comportement des Houéda à la suite de la conquête de leur royaume ?

3. Assou et la résistance post conquête

La conquête fon a causé la destruction de la capitale du royaume houéda et la mort d’un grand nombre de personnes. Néanmoins, certains ont réussi à s’enfuir avec le jeune roi. D’après les recherches (Gayibor 898 ; Pliya 527 ; Soglo 71-73), Houffon ne dut la vie sauve qu’à une fuite précipitée vers l’ouest, traversant le lac Ahémé, accompagné d’un groupe important. Parvenus sur l’îlot boisé de Mitogbodji, les fugitifs installèrent les reliques de leurs ancêtres et les précieux objets de leurs cultes. L’endroit devint alors un véritable sanctuaire au milieu du lac. Mais son exiguïté et le souci de pureté autour des temples religieux conduisirent à la fondation de nouvelles localités comme Agatogbo, Akodéha, Houéyogbé, etc. Assou fut aux côtés de son roi en exil. En août 1729, Guillaume Snelgrave, de retour sur les côtes africaines, apprit que le roi déchu et Assou étaient dans les environs de Grand-Popo (131-132). D’après le voyageur anglais, les Houéda en fuite prirent des dispositions sécuritaires pouvant leur permettre d’être à l’abri de toute attaque. Le lac Ahémé derrière lequel ils s’étaient réfugiés les mettait hors de danger et leur permettait de mettre en place des stratégies pour reprendre leur royaume.

Lorsqu’Agaja conquit Sahé, non seulement il y installa une garnison mais pensa aussi pouvoir avoir un accès facile à Gléhué. Ce ne fut pas le cas car cette ville était protégée par les forts européens (Sogbossi 30). Cette situation permit au capitaine Assou et à plusieurs Houéda de mener la résistance. Ils reçurent l’aide des Sahouè avec qui ils formèrent une coalition (Gayibor 97). Après l’échec des différentes tentatives de réoccupation de Sahé menées par Assou, Houffon fit appel à l’alafin d’Oyo. Ne voyant pas d’un bon œil les conquêtes d’Agaja dans la région, celui-ci envoya ses troupes contre le Danxomè à partir de mars 1728. Face à un ennemi devant lequel il ne pouvait résister, Agaja se retirait régulièrement dans des cachettes sûres aménagées dans la brousse. À partir de 1729, les cavaliers yoruba firent de Kana leur quartier général d’où ils lançaient des attaques en direction des cachettes du roi fon (Gayibor 899-901). Affaibli, Agaja ne put donc plus contrôler ses possessions et affronter efficacement la résistance menée par les Houéda. Assou et ses partisans profitèrent pour faire des incursions régulières sur la ville de Gléhué. Voici le témoignage de Guillaume Snelgrave à ce sujet :

Peu à peu l’armée (fon) se trouva diminuée considérablement, ce qui encouragea le capitaine Ossue à quitter les îles, et à venir s’établir, avec beaucoup de ses gens, tout proche du fort français, qui est à environ quatre miles de Sabée (Sahé) : croyant que la grosse artillerie de la place serait bien capable de les protéger contre les insultes de ceux de Dahomè, au cas qu’ils osassent tenter quelque chose contre eux. (Snelgrave 135)

Mais, dès que le roi Agaja fut informé du retour des Houéda, il dépêcha une armée contre eux. Face à la menace fon, Assou et sa suite paniquèrent et décidèrent de se réfugier dans l’enceinte du fort. Un jour après, les troupes d’Agaja arrivèrent à Gléhué et assiégèrent aussitôt le fort. Malheureusement pour les réfugiés houéda, le toit de chaume qui couvrait les bâtiments du fort prit feu. L’incendie causa d’importants dégâts humains et matériels. Assou eut le temps de prendre la fuite et trouva asile chez les Anglais :

Cet accident alarma les Blancs, qui sachant qu’il y avait une grande quantité de poudre dans leur magasin, et ne voyant aucun moyen d’éteindre ni d’arrêter le feu, prirent le parti de s’enfuir au fort anglais (…) Mais les Noirs, qui ne connaissaient pas si bien dans quel danger ils étaient, souffrirent beaucoup quand le magasin vint à sauter : il y en eut plus de mille de tués, et une grande quantité de blessés, par ce malheur imprévu. Cependant, à la faveur de la fumée, et dans la confusion, le capitaine Ossue, et plusieurs de ses gens, gagnèrent le fort anglais. (Snelgrave 137)  

Assou et les autres survivants furent ainsi accueillis par le directeur du fort anglais d’alors, Testefole, qui les fit évader la nuit suivante. Pour s’être immiscé dans les affaires politiques locales, ce directeur fut enlevé par les soldats fon et mourut de façon tragique (Cornevin 259). D’autres affrontements ne manquèrent pas d’arriver. Suivant les écrits de Snelgrave, Assou était toujours à la tête de la résistance : 

Les autres à la tête desquels était le capitaine Ossue avec les troupes de Popo, voulaient hazarder (hasarder) une bataille. Pendant cette contestation, l’armée de Dahomè avançait toujours fièrement, mais le capitaine Ossue et le Général Popoe marchèrent à eux, avec une contestation aussi fière et aussi brave : ils attaquèrent même avec tant de vivacité leur aile droite, qu’ils le firent plier et ils les chassèrent devant eux, pendant quelques temps. (Snelgrave 149)   

Mais en 1730, un traité de paix fut signé entre Agaja et l’Alafin d’Oyo (Gayibor 905). Ce qui freina les ambitions de la coalition. Les raids d’Oyo sur le Danxomè furent interrompus. Le roi fon s’activa alors à protéger ses possessions houéda. En 1731, Houffon voulut négocier avec Agaja afin de réoccuper son territoire mais il se ravisa sur les conseils de Mynheer Hendrick Hertog, alors directeur du comptoir hollandais de Jèkin, qui lui promit son soutien. Plusieurs autres tentatives de réoccupation du royaume, conduites par Assou furent menées, mais échouèrent. Ces combats de résistance ont cependant ralenti le commerce négrier à Gléhué à cause de l’instabilité qui y régnait. L’intention d’Agaja de mener directement la traite avec les négriers blancs ne se concrétisa pas de sitôt. Il dut attendre l’affaiblissement de la résistance menée par Assou. Les négriers ont aussi subi les affres de cette résistance. En effet, d’après Joâo Basilio, directeur du fort portugais de Gléhué de 1728 à 1743, les troupes d’Assou, aidées par Hertog, ont pillé et tué deux négriers portugais qui allèrent vers le lieu de refuge de Houffon. Un autre qui alla accoster à la rade de Gléhué, fut également massacré (Verger 41).

C’est dans ce contexte d’affrontements armés qu’Assou décède le 15 juin 1733 (Gayibor 906-907). D’après une lettre datant du 29 novembre 1733 laissée par M. Levet qui assurait la direction du fort Saint-Louis de Grégory, le personnage étudié perdit la vie une vingtaine de jours après être tombé malade (Verger 166). Les documents consultés ne donnent pas d’informations relatives à sa maladie. Quant à Houffon, il mourut deux jours ou six semaines après Assou. La mort du roi des Houéda, survenue quelques jours après celle d’Assou est évocatrice de la complicité qui existait entre eux et des liens qui les unissaient.

Conclusion

Cette étude a permis de mettre en lumière le personnage Assou. Beau et mesurant environ 1,84 mètre de taille, il s’était toujours conduit en gentleman envers les négriers européens, qui ne tarissaient point d’éloges à son égard. Son engagement aux côtés des chefs locaux    a permis à son royaume d’être compté parmi les entités politiques de renom au début du XVIIIe siècle. Il a été ministre de la marine, interprète et défenseur de la cause des Français. Ces différentes fonctions lui ont permis d’avoir un statut enviable dans la société. La conquête du milieu houéda, à partir de 1727, n’émoussa pas ses ardeurs de toujours servir son jeune souverain Houffon. Pendant la guerre, il n’abandonna pas son roi. Il mena la lutte jusqu’à l’épuisement de sa force physique avant d’abdiquer. Suite à la prise de Sahé, il a suivi Houffon dans sa fuite et l’a aidé à mener la résistance dans le but de reconquérir son trône. Son engagement aux côtés de son roi est la preuve de son courage et surtout de sa grande loyauté.

Bien souvent, les personnalités les plus connues ne le sont que grâce à l’action de leur entourage constitué de gens peu ou mal connus. Une étude sur ces hommes et femmes de l’ombre constitue un terrain fertile en données utilisables sur lequel les historiens doivent s’aventurer.

Works quoted

Akinjogbin, Isaac Adeagbo. Dahomey and its neighbours 1708-1818, Cambridge: Cambridge University Press, 1967.

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How to cite this article:

MLA : Vido, Arthur. « Biographie d’Assou, un haut dignitaire du royaume de Sahé (1704-1733). »  Uirtus 1.2. (décembre 2021): 487-501.


§ Université d’Abomey-Calavi (Bénin), [email protected]

Abstract (Le corps des agents de maintien de l'ordre au Togo :création, réorganisations, rôles (1884-1946))

The objective of this article is to show how the emergence and
the formation of this socio-professional category accentuated the colonial
domination in Togo from 1884 to 1946. Indeed, it appears that to mark
their presence and to keep in obedience the colonized populations of
which one could fear an uprising, the colonial powers created a security
force on the spot that could allow them to dominate and exercise their
authority over the African populations. In Togo, the situation was not
different either. Although initially their role was almost limited to the
internal and external protection of the colony, law enforcement and
security agents eventually established themselves as an indispensable
force.
Keywords: dark force, war, troops, authority, security

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Abstract (Les musulmans et le pouvoir politique en Côte d’Ivoire : entre collaboration et instrumentalisation (1990-2011))

The multi-party system in 1990 was marked by lively socio-
political rivalries in Côte d’Ivoire, with the important role of Muslim

guides. Thus, it is established the personal commitment of certain imams
in the creation and implementation of the Rally of Republicans (RDR).
These guides present themselves as symbols of an emerging civil society
through religious discourse. Generally, they become mediators at a time
when the multi-party system causes crises. This article shows their role in
easing social tensions. However, for personal interests, they are also
instrumentalized.
Keywords: muslims, power, politics, Côte d’Ivoire, collaboration,
instrumentalisation

Abstract (Biographie d’Assou, un haut dignitaire du royaume de Sahé (1704-1733))

The author traces the life and work of a great dignitary of the
Kingdom of Sahé named Assou. Thanks to the stories left by some
European travelers of the seventeenth and eighteenth centuries, he
describes a handsome tall man, with a positive spirit. Generous and loyal,
he is very attentive to the care of his family. On behalf of the royal power,
he deals with external relations and is in intimacy of the monarch. A very
influential minister, he is entitled to public honors and is adulated by
French merchants. On the death of King Ayisan on October 8, 1708, it
was he who forced the enthronement of young Houffon. However,
undermined by internal divisions, the Houeda Kingdom was invaded in
1727 by the soldiers of Danxomè. Assou then enters into resistance and
ends up losing his life on June 15, 1733. The death of the king of the

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Abstract (Invention scientifique et responsabilité humaine dans Frankenstein : une perspective techno-éthique)

Man’s responsibility towards a scientific invention is one of the
central themes of Mary Shelley’s novel, Frankenstein. In a kind of trial, the
English novelist confronts the scientist and his invention on the issue of
responsibility. The pleadings of the two main characters (Victor
Frankenstein and the Monster) suggest the urgency of establishing
responsibilities as to a number of murders and injuries committed by the
Monster invented by Victor. My analysis proceeded as follow: first I
explored the semantics of responsibility from a legal-ethical perspective.
Then I showed the responsibility of the scientist through Victor, the
protagonist. Finally, I discussed the responsibility of the Monster, as a
scientific invention, in the various murders with the purpose of justifying
the collective responsibility of the human community.

Keywords: human intelligence, invention, murder, responsibility and
scientist.

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Prince Fama in Ahmadou Kourouma's Les soleils des indépendances: From honors to horror

Introduction             

In many cases, Ahmadou Kourouma's works mobilize the eyes and senses. His heroes are subjected to a kind of visual and sensitive capture, under which they embody either a laudatory image, or an abracadabra, even unhealthy figure, depending on whether they are presented in a positive or negative light. The analyst thus strives to grasp the significant aspect or affect of these characters, whose appearances make no secret of a militant ideology. In Les soleils des indépendances, the world of independence appears as the end of an authentic universe, where honors and the solemnity of insignia seem to have given way to horror.

Here, the meaning of "honor" is confusingly polysemous. Nevertheless, Furetière's dictionary and the Dictionnaire de l'Académie française agree that it designates any social recognition of a virtuous attitude.[1]. This recognition can take the volatile form of public esteem and reputation, or that of the granting of honors, i.e. the awarding of offices of authority and power, entailing the granting of material privileges and increased rights of precedence.

According to Le Grand Robert de la langue française, horror is "a violent impression caused by the sight or thought of something that frightens or repels (often accompanied by a shudder, a shudder, a recoil). (https ://www.lerobert.com)  

This contribution is based on the observation that notions of honor and horror are present in African novels such as Les soleils des indépendances. From this point on, essential questions guide and structure the reflection: Is honor a principle that governs the life of the hero-character in the novelistic textual universe? Should this principle be understood in terms of its link to deviance? Can honor only be thought of in terms of its relationship with horror? If this relationship is established, what are the mechanisms chosen in the novel to create the horror effect?

Drawing on narrative semiotics and sociocriticism, the study will explore some of the major features of honor and horror. It will establish that the schema of honor is integrated into the diegesis as a principle that governs the life of the hero-character. It will also show how Fama prospers on the altar of a duty of honor that the novelist alienates in the tragicization of the horrible.

  1. Honor: a principle that governs the hero-character

Although it applies to satellite characters in Les Soleils des indépend ances , it remains a primordial moral principle for Fama. The hero character's relationship with his era, "l'ère des Indépendances (les soleils des Indépendances, disent les Malinkés)" (Kourouma 7-8), has a strong moral bent.Fama, who neither understands nor accepts his era, does not vouch for any political, historical, economic or sociological analysis. He insults, condemns or enthuses. He approaches history as a moralist, according to moral criteria derived from the traditional values of the Malinké people.

  1. Fama and honors: between conservatism and jactance

As Barthes wrote: "The essence of narrative is not action, but the character as proper name" (13), at least we can recognize both the fact that there is no novel without a proper name, and, empirically, a reading function, the decisive role of names in what Jouve called "L'Effet-personnage". Fama (the name means "king", "chief") has a vital need for consideration and admiration. A few days before his death, he shouted this need to the men: "Look at Doumbouya, the prince of Horodougou! Admire me...! (Kourouma 199). This is not a personal fault of pride: this feeling is the chief's, the hero's, to see himself honored, celebrated. The plot shows the hero seizing with relish the postures or scenarios of valorization: "[...]; he had the palaver, the right and an audience of listeners [...]" (Kourouma 13) and he enjoys with voluptuousness the greetings of his vassals: "Fama trônait, rengorgeait, bombait. Did he look at the greeters? Hardly" (Kourouma 113).

Fama's feelings of esteem and consideration correspond to a principle, that of the dignity of the human person and, above all, of social belonging. "Whatever his birth or vacation, no one can escape the feeling of the value of his own social being; nor can anyone escape the concern to preserve it [...] no traditional society can be conceived without bonds of honor between its members. The concern for shared honor is consubstantial with any viable and lasting social bond". (Drevillon and Venturino, www.pur-editions.fr ).

However, in the diegesis, this is called into question by a less-than-praiseful metadiscourse: "Un prince presque mendiant, c'est grotesque" (Kourouma 11), "sous les soleils des Indépendances, les Malinkés honnissaient et même giflaient leur prince" (Kourouma 15) or "Cette vie-là n'était-elle pas un soleil éteint et assombri dans le haut de sa course?" (Kourouma 29). Fama's honor and respectability are scorned by disrepute, contempt, humiliation, dishonor and lowliness. He goes to great lengths to protect his integrity, his self-respect and his "ideal sphere" from external threats. Yet Fama cannot guarantee the inviolability of his honor without referring to otherness: "[...] as a good Malinke, what else could he seek? He [...] moved [...] paved himself so that everywhere he was seen". (Kourouma 13). The writer uses the verbs of movement "se déplacer" and "se pavaner", the adverb "partout" and the verb of perception "voir", preceded by the conjunctive locution "de sorte que". They highlight Fama's desire for elevation, especially if we consider the semantics surrounding the words in quotation marks. Belorgey deduces that "Honor is then inseparable from the public space" (197); it corresponds to "face", to " the staging of oneself " (Goffman), "it is to make us believe as we are [with a view to being recognized]". (Billacois 79).

Through this attachment to the rules of being together, Fama claims the attention or devotion of Malinke and non-Malinke alike. This is why, according to Green, "honor is closely linked to social existence". (39) . The positive opinion of the group is an important piece of the puzzle. The honors of Fama, an authentic Doumbouya prince, are then equivalent to the honor felt, demanded and witnessed. Dilmaç points out that "Honor then appears as a principle turned towards the self: it constitutes a set of values, but also a morality chosen by people in order to give meaning to their actions, but above all to protect their integrity" (346). Fama, in fact, rejoiced "when [...] the griots and griottes sang of the Doumbouya's durability and power" (Kourouma 19). Animated by these sentiments, Fama is in harmony with his chiefly persona, "for the hero feeds on poems and music that exalt him, otherwise he softens and commits suicide". (Kourouma Act I).

To merit these honors, Fama usually pays close attention to the nobility of her bearing. "With [...] royal gestures and majestic salutes" (Kourouma 106), even if it is sometimes derisory, "too bad the boubou was dusty and wrinkled!"(Idem). 

Fama never loses his keen sense of his family's dignity. On several occasions, we see him marking what is and isn't appropriate for a Doumbouya: "a Doumbouya, a real one, doesn't give his back to danger, he boasts"; (Kourouma 164). That's why he's so upset when "the little customs officer, fat, round, paunchy, all bundled up, from chest to toe, with his belt and his molletières" (Kourouma 104), doesn't show him the expected consideration:

The last village on the Ebony Coast arrived, followed by the customs post separating the Socialist Republic of Nikinai. There, Fama piqued the kind of anger that clogs a snake's throat with insults and slime, and imparts the quivering of leaves. A bastard, a real one, unbridled by the offspring of the forest and a mother who has surely never known the slightest strip of cloth, nor the dignity of marriage, dared, standing on his two testicles, to come out of his mouth that Fama foreigner couldn't cross without an ID card! Did you hear right? Fama foreigner knew this land of Horodougou! (Kourouma 103-104).

He immediately calms down when someone knows "how to distinguish gold from copper" (Kourouma 104) and recognizes in him "the descendant of the Doumbouya"(Idem). Recognition earns Fama "the appropriate honors and apologies"(Idem).

According to Biard 2009, Fama's honors can be summed up as "civic honor". It includes all civilities, but also legal elements (such as respect for the Other, respect for the dignity of the hero-character). Far from being unreasonable or excessive, this honor could then be envisaged as "promoting virtue" (Billacois 79). This so-called "civic" honor, borne by the so-called "honorable" individuals (Kourouma 100) of whom Fama is the prototype, would have its antithesis characterized by another type of honor, rather based on deviance.

  1. The honor of the prince or the paradox of deviance

In the words of Ahmadou Kourouma, the world of independence appears as the end of an authentic universe. It is a degradation of the traditional universe. For example, Fama, the prince of yesteryear, known as the honorable, no longer finds himself; not only do they dispossess him, but independence abolishes traditional chieftaincies and reduces princes to "a pack of hyenas" (Kourouma 9), beggars in search of pasture. "Fama Doumbouya, father Doumbouya, mother Doumbouya, last and legitimate descendant of the Doumbouya princes of Horodougou, panther totem, was a vulture [...] Ah! the suns of Independence" (Kourouma 9). Fama is reduced to crisscrossing anonymous crowds, from funeral to funeral, in search of his substance. "He walked with the redoubled step of a diarrhea sufferer" (Kourouma 9), jostled by onlookers, "onlookers planted as in Papa's hut" (Kourouma 9). He sweats, threatens, curses, covered in an incredible din of "horns, engines backfiring, tires beating, shouts and calls from passers-by and drivers". (Kourouma 10). So-called "civilized" honor is relegated to the back burner, and civic norms are disavowed: they take shape in the restraint of behavior. Designated honor, on the other hand, is "barbaric", vile. It refers to deviant behavior, a pure paradox. Hence the parallel between the description and Kourouma's famous line: "He, Fama, born in gold, food, honor and women! Educated to prefer gold to gold, to choose food among others, and to bed his favorite among a hundred wives! What had he become? A scavenger...". (Kourouma 10). By analogy, the term "scavenger" gives rise to a lexical register of Fama's attributes. Now poor, he lives off the largesse of friends of the deceased, whose funerals are celebrated. The illustration opposite is supported by a metanarrative commentary.

   

hyenacemetery

Fama carrion →scavenger Fama vultureback of huts

Hyenas live in the vicinity of cemeteries, while vultures hover behind huts. Here and there are places of decomposition, deposits of "detritus". Hyena, vulture and scavenger connote Fama, just as cemetery, back of huts and carrion connote both places of celebration for funerals or births, Fama's favorite places. The attributes are both zoological and mineral. Fama is therefore condemned to marginality, a "bastard" in contemporary society. No one feels they owe him respect. Here he is, arriving late at a funeral ceremony: Fama is taunted by a griot who associates the Doumbouya, panther totem, with the Keita, hippopotamus totem. In proportion to the reaction of the griot, a symbol of the Malinké people, Boadi provides some edifying explanations:

This decline, this sort of unfornunate end or bad end , profoundly mars the itinerary of the novelistic hero [...]. He loses his glorious artifice. His madness and limitations self-destruct him, for he lacks the science of great men that generates the mystique of superhumanity. Between him and the people, there is always a sudden break, a break that comes at a crucial moment and produces the incommunicability that accelerates failure, creates setbacks and fuels setbacks (87-88).

 "These various attacks on physical (and even behavioral) integrity are part of the great modern trend of caricaturing characters, [...] of their impotent, inarticulate dreams." (Vaïs 197). The trajectory of these hero-characters, particularly Fama, ultimately shows a total demarcation from "the epic scheme of heroism" (Boadi 87), because the honor that governs the character's life is constantly undermined, defiled. Honor established through negativity leads inexorably to catastrophe.

  • "The Honourable" Fama Doumbouya: at the end of the race, the folklore of horror

Ohaegbu cruelly asserts: "Fama was made to be a failure" (260). Indeed, the hero of Les Soleils des Indépendances seems, through his clumsiness and inconsistencies, to take pleasure in facilitating the task of a destiny that persecutes him. He is lucid, but does not act consistently. The only will he shows is to cross the border and die. But Fama's death leaves a sense of horror.

  • The representation of horror: monomania and Hollywoodism

          The proleptic narration of the horror portrays with eloquence and gravity the threat hanging over Fama's life: "Fama moved towards the left side of the bridge. The parapet was not high, and under the bridge was the riverbank. The big sacred caimans were floating in the water, ready to attack the last Doumbouya descendant" (Kourouma 200).     

According to Mellier, horror features "supernatural, monstrous, excessive figures of otherness" (147) at the source of the phenomenon. TheOther is revealed as a physical and psychological threat, as evidenced by the aforementioned excerpt which, however, lacks the supernatural dimension mentioned by Mellier. In this prefigurative horror story, the aggressors are not the product of the victim's imagination: they actually exist. Horror then translates into a paranoid unconscious, as Ahmadou Kourouma transforms himself into a horror-maker and "develops a fiction in which the Other appears only in the context of explicit antagonism" (147). Consequently, threats are actualized through confrontation with a real evil entity: "the big sacred caimans".

The narrative makes use of figuration through the poetics of description. The narrative is a show, not a suggestion. Here, the folkloric, the spectacular or the spectatorial emerge. Descriptive representations seem to be realized through photography, as Mellier points out: "This visualization by the text must suffice to give [the reader] the impression of [the] actual presence" (37) of the threat, whose properties are intensified in the reader's mind. "It is in the terror produced by "monstration" (a term that plays on the action of showing the spectacular event of the monster) that the character's universe collapses and the reader surrenders to the pleasure of the pathetic" (31). From this point of view, it is possible to understand the art of horror as a device for unveiling: "Fama moved towards the left side of the bridge. The parapet wasn't high, and under the bridge there was the riverbank. The big sacred caimans were floating in the water or warming themselves on the sandbanks [...]" (Kourouma 200). 

The unveiling can be observed in certain characteristic phrases: " Fama moved towards the left side of the bridge" (1), " the parapet was not high " (2), " the big caimans were floating in the water or warming themselves on the sandbanks " (3) and the expression " in this place " (4). In element (1), the primary meaning of the verb "s'avancer" is: "to carry oneself forward", its secondary meaning is: "se hasarder" which, in turn, means "to go to a place where one may run into danger". The "left side of the bridge" (1) mentioned instead of "right side" indicates that the place specified would present risks. Hence the evocation of element (4) "in this place". In element (2), a word draws the analyst's attention: "parapet". This word has the following semantic content: "a wall at support height designed to prevent falls". The negation shows that it's not in its highest position, so the probability of damage - i.e. death - is enormous. The element (3) materialized by key terms such as "caiman", "floated" and "warmed up" are also covered in meaning. The caiman is an antediluvian, man-eating monster; flottaient, from the verb flotter, has the denoted meaning "to remain on the surface of". It is opposed to the expression "to remain in depth". The verb se réchauffaient has the infinitive se réchauffer , meaning "to warm up". Heat should be understood as "vigor" for action. The lexical field of key words and expressions taken, semiotically and semantically, overlap and complement each other in the description. They refer to death.

We have to admit that mystery has no place in an unveiling sequence. Indeed, Kourouma's task appears quite different. By altering the reader's state of expectation, the writer ensures that they no longer apprehend the denouement of the scene as an unknown event, but rather anticipate it, imagining the horror they will witness. In addition to textual strategies, rhetorical devices are used to describe the horror.

  • Telling Fama: a rhetoric of horror

Fama's death was voluntary. However, he threw himself into the river with the assurance that the caimans "would not dare attack the last representative of the Doumbouya" (Kourouma 200). Unfortunately, he was more hurt than frightened: "Fama climbed the parapet and let himself fall onto a sandbank. He got up, but the water didn't reach his knees. He tried to take a step, but saw a sacred caiman hurtling towards him like an arrow. A [horrible] scream was heard from the banks" (Kourouma 200).

          Kourouma uses comparisons in particular.

  • a sacred caiman is that which is compared: the compared,
  • an arrow the word that makes the image: the comparator,
  • as : the comparison tool,
  • the common point is not expressed, but is to be deduced from the comparator: show a direction, along the line, to attack lethally.

Thanks to the revealing clues, the author had gradually prepared the reader for a scene of horror and disgust. Indeed, the descriptive passages insist on the visibility of the elements depicted, amplifying the repugnance of the scene: "A rifle shot rang out: from a watchtower in the Republic of the Ebenes, a sentry had fired. The crocodile snarled so horribly as to shatter the earth and tear the sky; and with a swirl of water and blood, it leapt into the reach, where it continued to struggle and snarl". This explosion of blood and the criminal excitement of giant reptiles captured in a scene of macabre gluttony constitutes a scenic peak where horror and fantasy inform a tragicization.

The unveiling of things has mainly required the use of excessive terms: éclata, grogna d'une manière horrible, déchirer le ciel, tourbillon d'eau et de sang.... These amplifications convey the paroxysm of horror, and the reader becomes the helpless witness of a horrifying scene. The narrator does not hesitate to describe it: "Fama lay unconscious in the blood under the bridge. The crocodile was moaning and struggling in the turbulent water [...]. Fama was still lying under the bridge. The caiman was struggling in a whirlpool of blood and water" (Kourouma 201). These sentences feature redundant groups of words in a recurring formalization, anaphoric to the extreme: Fama gisait, sous le pont, le caïman se débattait, sang, not without omitting the semantic charge of the adverb toujours. These considerations are backed by what Mellier calls "the fantastic of representation."[2] linked here to horror, where an aesthetic of externalization and excess emerges. 

Yet the shooting had stopped. The border guards of the Nikinai republic, white flags in their hands, came to relieve Fama, who had been hit under the part of the bridge under their jurisdiction. Their brigadier examined him: he had been severely mortally wounded by the saurian. [...] . A massive, hard pain nailed his leg, his whole body had become a stone, he felt alive only in the throat where he had to push to breathe, in the nose that blew burning, in the stunned ears and in the bright eyes. Fama had finished, was finished. The head of the medical convoy was notified. (Kourouma 202-203-204).

The narrator reports the death of Prince Fama. But the brutality of his death, caused by the saurian (caiman), is softened by the use of the verb finish. The euphemism uses softened terms to designate a cruel reality: "Un malinké était mort" (Kourouma 205). "The whole of Horodougou was inconsolable, because the Doumbouya dynasty was coming to an end, and the dogs who had first predicted that the day would be evil were howling to the dead, their throats full, unconcerned by the stones thrown at them by the guards. The wild beasts roared back from the forests, the caimans growled, the women wept" (Kourouma 202).   

The horror in Les soleils des indépendances is perceived through the depiction of actions. It does not suggest the unspeakable. It relies more on the visible and tangible. Through a detailed description of events, which here can be likened to a kind of hyperrealism, the author describes Fama as a focal point, a beast of show that he takes the painful pleasure of exposing on the screen, precisely a cinema screen. To better grasp the impact of Kourouma's large-format imagery, the reader should take into account Boadi's observations: "Description is no longer mere enunciation, but becomes language, in other words, a code, a systemic montage. The abstract expressionism of words gives way to a theatrical discursivity, a kind of mise en cinéma, a spectacularization of novelistic discourse". (83-84). He adds:

This form of mise en spectacle is even more akin to hypotyposis in that it brings the scene to life through grating humor, the grotesque, the farcical, decaying irony, black comedy and so on. Assimilation to hypotyposis in fact proceeds from the enumeration of concrete, striking details that are molded into an animated folklore of vivid, scriptable words that bring the object described to life. (84).        

On the border between the Ebony Coast and the Socialist Republic of Nikinai, Fama suffers the affront of not being recognized as Prince of Horodougou. The monomania of honor has turned into a sacrificial blindness whose symbolism induces the social universality of horror.  

  • A universal tragedy

The symbolic value of Les soleils des indépendances opens up to wider dimensions. Kourouma's work infers a tragedy.     

  • Fama and the tragedy of the end

The characters have a dramatic destiny or are directly responsible for the tragic outcome: in Les soleils des indépendances, the protagonist's initiatives are the indirect cause, at first glance, of his death. But the second-degree understanding of this death is facilitated by a long-standing prophetic verve:

Fama was going to Horodougou to die as soon as possible. It had been foretold for centuries before the sun of Independence that Fama would die near the tombs of his ancestors; and it was perhaps this destiny that explained why Fama had survived the torture in the cellars of the Presidency, and the life of the nameless camp; it was this destiny that explained the surprising liberation that launched him back into a world to which he had thought he had said goodbye. (Kourouma 193)

Fama knows he's lost, but he goes through with his destiny, which is to disappear from this world that refuses him. The world he no longer wants is the one he closes his eyes to as he leaves the capital: "Fama closed his eyes and slept".(Idem 194). Fama's "jusqu'auboutisme" operates in the work as a leitmotif and a negation of the bourgeois values dominant in the era of independence. In Mayako prison, by praying deeply and very often, he had resigned himself, he had come to accept his end, whatever the circumstances. Death was thus a solution to his existential anguish. "He was ready for the rendezvous with the spirits, ready for Allah's judgment. Death had become his only companion; Fama already had death in his body, and life was nothing but an evil to him." (193).  

Clearly, Fama behaves like a true tragic hero. His end, both miserable and glorious, makes him a defeated hero. This scenario, which portrays a hero of defeat, is not excluded from contemporary African novel writing. According to Boadi, the hero-character is "totally out of step with the reading of ritual heroics" (87), as described by Martel, for whom "the hero comes from the multitude, giving them the example of courage [...]. In return, the hero receives from the multitude a fantastic power " (11) that royally opens "the floodgates of glorious epiphany". (Boadi 87).

In the contemporary African novel, the scenario of sad or tragic endings, the recurrence of stories that end in a dotted line or that end badly, build up against the current anti-epiphanic heroic trajectories: here Evil prevails over Good. This downfall considerably darkens the trajectory of the novel's heroes, and comes as a shock to the African readership frustrated by the counter-publicity of the heroic. Rewriting the hero from a perspective of decanonization doesn't seem to go in the direction Bourneuf and Ouellet want: "The novel can surprise, even deceive the reader's expectations, but above all, the story has to end well to satisfy and save the moral [...]". (47-48). The novelist should write a good story that holds his reader in suspense, that lets him experience, at the end, the pleasures and vertigo of fictional immersion. The opposite epilogue is served up to the reader in Les soleils des indépendances.

Fama fought for justice and respect for others, because the advent of the new times should have enabled him to regain his power as a leader, or even to gain access to power in some way. He gets nothing of the sort. His story brings to the fore material, psychological and even religious difficulties that make the character's maladjustment to the realities of the new age all the more apparent.

  • Fama's hypostasy seen as maladjustment to a world of contingencies and improbability

Fama is a hero who comes up against an incomprehensible world. He doesn't recognize himself in the new Africa. This feeling is a factor of tragic disarray: "As long as there is a feeling of alienation, the writer will recall the old days, the mythical times, so to speak, when man felt himself to be in a coherent world devoid of antagonisms." (sic) (Ohaegbu 116).

Faced with the new realities, Fama is a man on the run. Fama embodies the image of a character disconnected from the new political order, symbolically behind the times. "At the seventh-day funeral of the late Koné Ibrahima, Fama was late. He was still hurrying, walking at the doubled pace of a diarrhea sufferer. He was at the other end of the bridge linking the white city to the Negro quarter at the hour of the second prayer; the ceremony had begun". (Kourouma). Fama's odyssey is nonsense, an eschatological dystopia:

From there, his odyssey begins through a world he doesn't understand, right up to the border imposed by the barrier that stands absurdly before him, the Prince of Horodougou, and whose meaning he can't understand either:

A bastard, a real one, a dehorned scion of the forest and of a mother who has surely known neither the slightest strip of cloth, nor the dignity of marriage dared, to come out of his mouth that Fama foreigner couldn't cross without an ID card! Did you hear what she said? Fama foreigner on this land of Horodougou! [Is the world turned upside down?] (Kourouma 103-104).    

Finally, the tragedy of maladjustment is a collective one, that of an entire population. In Les soleils des indépendances, Fama is the hypostasized figure of the mal de vivre and the impossible alchemy of change, the difficulties of living through the mutations of the independence era. The tragedy suffered by Prince Fama is a reminder of the social contradictions of an era that are reflected in the lives of the people of the Côte des Ebènes, whose representatives in the novels could include Okonkwo, Mélédouman and others.

Through the destiny of Okonkwo, a prominent member of his clan, Chinua Achebe evokes the cultural shock represented for the natives by the arrival of the British. Almost cut off from the outside world, the inhabitants of the equatorial forest could imagine a world in their own image, made up of multiple gods, ancestor worship, rites and taboos. The arrival of the Europeans and their religion, Christianity, overturned all traditional beliefs, hence the title of the novel The World Collapses.       

Mélédouman, in Jean-Marie Adiaffi's La Carte d'identité, is an Agni prince required to report to the office of the circle commander, Kakatika, to attest to his identity because of a doubt about the document produced. Unable to provide proof of his identity, the prince was molested and thrown into prison in irons. The arrest and imprisonment of this prince, who embodied obvious authority and power in his cultural milieu, aroused the dismay and consternation of his people, who venerated royalty. In the end, Prince Mélédouman was exonerated. But beyond the African microcosm, the malaise extends to the macrocosm, i.e. the universe outside the small world, indeed all traditional societies faced with modern and contemporary constraints and experiencing a similar fate.  

Conclusion

Ahmadou Kourouma ultimately assigns Fama's problematic heroism a narrative trajectory whose ideological credentials stem from the material bulimias, psychological tensions and religious radicalisms of an African society resistant to the socio-political innovations of the post-independence era. In Les Soleils des indépendances , the reader's emotions are subject to the tragedy of "disarticulated" characters, the cultural fundamentalism of the Ancients and collective disillusionment. Above all, Kourouma reinvents the opposition between tradition and modernism, disavowing the monolithism and clichés of acting. In particular, the story focuses on political (new powers), sociological (new social classes) and philosophical (new values) dividends.

A sense of honor is now a mere figment of the imagination, and dignity is no longer a school subject. Fama abandons his eulogistic posture and alienates his existence in a macabre wandering. The hero loses his insignia of essence and opts instead for moral nihilism and irreverent slingshot. The heroic figure of which Fama is the embodiment takes its strength from a scenography of horror where descriptions are vivid, amplified and raised to a high level of cruelty.  

Textual and narrative strategies and rhetorical devices are at the service of representation. They have been forged by the writer as the appropriate instruments for expressing himself in a sincere and heartfelt way. Similarly, the visual and realistic art of description and the expressiveness of discourse are subordinated to the desire to describe accurately and bear witness to a universal tragedy: "Fama is an authentic tragic hero insofar as an entire society rich in tradition dies with him [...]". (Kourouma 185). In this way, Kourouma's novel joins André Malraux's "universal human condition".[3]     

Works quoted

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Ano Boadi, Désiré. "Postcolonial African novel and new forms of heroism: between caricatured hyperrealism and anti-epic backlash." journal de Littérature & d'Esthétique Négro-Africaines. 2. 16 (2016) : 76-90.

Barthes, Roland. L'analyse structurale du récit. Paris: Seuil, "Points", 1981. 

Belorgey, Jean-Michel. "Grandeurs et servitudes de la transgression", in Gautheron M. (dir), L'honneur. Image de soi ou don de soi: un idéal équivoque. Paris, Autrement (1991): 190-199.

Biard, Michel. "Anne Simonin, Le déshonneur dans la République. Une histoire de l'indignité 1791-1958", Annales historiques de la Révolution Française, 2009 [Online], 357 July-September, online December 09, 2009, URL:http://journals.openedition.org/ahrf/10665; DOI :https//doi.org/10.4000/ahrf.10665, accessed January 15, 2021.

Billacois, François. "Baroque flare and classical embers". Gautheron M (dir), L'honneur. Image de soi ou don de soi: un idéal équivoque. Paris, Autrement (1991): 69-81.

Bourneuf, Roland and Ouellet, Réal. L'univers du roman. Paris: PUF, 1972.

Drevillon, Hervé and Venturino, Diego. "Penser et vivre l'honneur à l'époque moderne". Rennes: Presses Universitaires de Rennes, 2011, www.pur-editions.fr, accessed February 3, 2021.

Goffman, Erving. The Staging of Everyday Life. Paris: Les Editions de Minuit, Volumes 1 and 2, 1973. 

Green, André. "L'honneur et le narcissisme", in Gautheron M (dir), L'honneur. Image de soi ou don de soi: un idéal équivoque. Paris, Autrement (1991): 37-52.

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Kourouma, Ahmadou. Le diseur de vérité, Act I. 1999

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Littré, Emile. Dictionary of the French language. Paris: Hachette, t. 2040-2043, 1874.

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Vaïs, Michel. L'écrivain scénique. Paris: PUQ, 1978.

How to cite this article:

MLA : Danho, Yayo Vincent. "Prince Fama in Ahmadou Kourouma's Les soleils des indépendances: Des honneurs à l'horreur." Uirtus 1.1 (August 2021): 34-50.


[1] For Furetière, the term honor means, among other things, "testimony of esteem or submission that one renders to someone by one's words, or by one's actions"; "is said in general of the esteem that is due to virtue & merit"; "applies more particularly to two kinds of virtue, to valour for men, & to chastity for women"; "is also said of the thing that honors, that gives glory", etc. (Furetière A., Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots français tant vieux que modernes, La Haye-Rotterdam, 1690, article Honneur). In the Dictionnaire de l'Académie française : honor is: "action, external demonstration by which one makes known the veneration, the respect, the esteem that one has for the dignity, or for the merit of somebody"; honor "also means, Virtue, probity"; "is also taken for the glory which follows virtue, for the esteem of the world, & for reputation"; "is also taken for Dignity, Charge; but in this sense it has use only in the plural"(Le dictionnaire de l'Académie française, Paris, 1694, article Honneur).

[2]- In his book La littérature fantastique, Denis Mellier takes up this categorization, replacing the fantastic of representation with the fantastic of presence. Although the analysis of these categories remains much the same, Mellier renames some of the elements studied in relation to each of these trends: the textual strategy or program in the fantastic of representation becomes the stakes in the fantastic of presence, and the writing in the first type of fantastic is now called the poetics in the second.

[3]- La Condition humaine is a novel by André Malraux. In this novel, Malraux defines his characters as heroic types in whom culture, lucidity and aptitude for action are united. But aren't they also permanently immersed in the mire of the human condition, alternating between greatness and decay? Kyo commits suicide in the hope of a brotherly fusion. But this hope is illusory. This is the tragedy of the human condition. Eschatological anguish is doubled by the impossibility of surpassing oneself, by apprehension in the face of one's own conscience. Life is absurd, and man is incapable of knowing who he is. Is there not a correlation between the facts described and Fama's story? (Emphasis added).

Prince Fama in Ahmadou Kourouma's Les soleils des indépendances: From honors to horror

Yayo Vincent Danho§

Summary: This paper examines Les Soleils des indépendances from the angle of honor and horror. Centered around Prince Fama, the scenography of honor is essentially a principle that governs the hero's life. The honor and prestige he so authoritatively wears leads to the wanderings, inconsistencies and viral deviationism of the new world, embodied by independence and its escorting trappings. Individual and collective decay ruins the vanities and vacuums of honor, giving voice to a spectacularization of horror. The description bases its relevance and force on textual and narrative rhetoric, combined with an aesthetic intelligence that informs a kind of large-format mise en image. The concrete expressionism of words cannot absolve the hero's tragedy.

Keywords: Fama, prince, honor, deviance, horror, tragedy  

 

Abstract: The present reflection examines Les Soleils des indépendances from the perspective of honour and horror. Centred around Prince Fama, the scenography of honour is essentially a principle that governs the life of the hero. The honour which he authoritatively wears in his finery and prestige leads to the wanderings, inconsistencies and viral deviation of the new world, embodied by the independence and its escorting trappings. Individual and collective decay ruins the vanities and vacuums of honour to give voice to a spectacularisation of horror. The description bases its relevance and strength on a textual and narrative rhetoric to which it associates an aesthetic intelligence that informs a kind of large-format image setting. The concrete expressionism of words cannot ultimately absolve the tragedy of the hero.

Keywords: Fama, Prince, Honour, Deviance, Horror, Tragedy

 

 

 

Introduction             

In many cases, Ahmadou Kourouma's works mobilize the eyes and senses. His heroes are subjected to a kind of visual and sensitive capture, under which they embody either a laudatory image, or an abracadabra, even unhealthy figure, depending on whether they are presented in a positive or negative light. The analyst thus strives to grasp the significant aspect or affect of these characters, whose appearances make no secret of a militant ideology. In Les soleils des indépendances, the world of independence appears as the end of an authentic universe, where honors and the solemnity of insignia seem to have given way to horror.

Here, the meaning of "honor" is confusingly polysemous. Nevertheless, Furetière's dictionary and the Dictionnaire de l'Académie française agree that it designates any social recognition of a virtuous attitude.[1]. This recognition can take the volatile form of public esteem and reputation, or that of the granting of honors, i.e. the awarding of offices of authority and power, entailing the granting of material privileges and increased rights of precedence.

According to Le Grand Robert de la langue française, horror is "a violent impression caused by the sight or thought of something that frightens or repels (often accompanied by a shudder, a shudder, a recoil). (https ://www.lerobert.com)  

This contribution is based on the observation that notions of honor and horror are present in African novels such as Les soleils des indépendances. From this point on, essential questions guide and structure the reflection: Is honor a principle that governs the life of the hero-character in the novelistic textual universe? Should this principle be understood in terms of its link to deviance? Can honor only be thought of in terms of its relationship with horror? If this relationship is established, what are the mechanisms chosen in the novel to create the horror effect?

Drawing on narrative semiotics and sociocriticism, the study will explore some of the major features of honor and horror. It will establish that the schema of honor is integrated into the diegesis as a principle that governs the life of the hero-character. It will also show how Fama prospers on the altar of a duty of honor that the novelist alienates in the tragicization of the horrible.

 

  1. Honor: a principle that governs the hero-character

In Les Soleils des indépendances, honor garners the reader's highest praise. Although it applies to satellite characters in Les Soleils des indépendances, it remains a primordial moral principle for Fama. The hero character's relationship with his era, "the era of Independence (the Suns of Independence, as the Malinke say)" (Kourouma 7-8), is firmly rooted in morality. Fama, who neither understands nor accepts his era, does not vouch for any political, historical, economic or sociological analysis. He insults, condemns or enthuses. He approaches history as a moralist, according to moral criteria derived from the traditional values of the Malinké people.

 

  • Fama and honors: between conservatism and jactance

As Barthes wrote: "The essence of narrative is not action, but the character as proper name" (13), at least we can recognize both the fact that there is no novel without a proper name, and, empirically, a reading function, the decisive role of names in what Jouve called "L'Effet-personnage". Fama (the name means "king", "chief") has a vital need for consideration and admiration. A few days before his death, he shouted this need to the men: "Look at Doumbouya, the prince of Horodougou! Admire me...! (Kourouma 199). This is not a personal fault of pride: this feeling is characteristic of the chief, the hero, to see himself honored, celebrated. The plot shows the hero seizing with delight the postures or scenarios of valorization: "[...]; he had the palaver, the right and an audience of listeners [...]" (Kourouma 13) and he enjoys with voluptuousness the greetings of his vassals: "Fama trônait, rengorgeait, bombait. Did he look at the greeters? Hardly" (Kourouma 113).

The esteem and esteem in which Fama is held correspond to a principle, that of the dignity of the human person and, above all, of social belonging. "Whatever one's birth or vacation, no one escapes the feeling of the value of his or her own social being; nor does anyone escape the concern to preserve it [...] no traditional society is conceivable without bonds of honor between its members. The concern for shared honor is consubstantial with any viable and lasting social bond". (Drevillon and Venturino, www.pur-editions.fr ).

However, in the diegesis, this is called into question by an unflattering metadiscourse: "Un prince presque mendiant, c'est grotesque" (Kourouma 11), "sous les soleils des Indépendances, les Malinkés honnissaient et même giflaient leur prince" (Kourouma 15) or "Cette vie-là n'était-elle pas un soleil éteint et assombri dans le haut de sa course?" (Kourouma 29). Fama's honor and respectability are scorned by disrepute, contempt, humiliation, dishonor and lowliness. He goes to great lengths to protect his integrity, his self-respect and his "ideal sphere" from external threats. Yet Fama cannot guarantee the inviolability of his honor without referring to otherness: "[...] as a good Malinke, what else could he seek? He [...] moved [...] paved himself so that everywhere he was seen". (Kourouma 13). The writer uses the verbs of movement "se déplacer", "se pavaner", the adverb "partout" and the verb of perception "voir", preceded by the conjunctive locution "de sorte que". They highlight Fama's desire for elevation, especially if we look at the semantics surrounding the words in quotation marks. Belorgey deduces that "Honor is then inseparable from the public space" (197); it corresponds to "face", to " The staging of oneself " (Goffman), "is to make us believe as we are [with a view to being recognized]". (Billacois 79).

Through this attachment to the rules of being together, Fama claims the attention or devotion of Malinkés and non-Malinkés alike. This is why, according to Green, "honor is closely linked to social existence". (39) . The positive opinion of the group is an important piece of the puzzle. The honors of Fama, an authentic Doumbouya prince, are then equivalent to the honor felt, demanded and witnessed. Dilmaç points out that "Honor then appears as a principle turned towards the self: it constitutes a set of values, but also a morality chosen by people in order to give meaning to their actions, but above all to protect their integrity" (346). Indeed, Fama was jubilant "when [...] the griots and griottes sang of the Doumbouya's durability and power" (Kourouma 19). Animated by these sentiments, Fama is in harmony with his chiefly persona, "for the hero feeds on poems and music that exalt him, otherwise he softens and commits suicide". (Kourouma Act I).

To merit these honors, Fama usually pays close attention to the nobility of her bearing. "With [...] royal gestures and majestic salutes" (Kourouma 106), even if it is sometimes derisory, "too bad the boubou was dusty and wrinkled!"(Idem). 

Fama never loses his keen sense of his family's dignity. On several occasions, we see him marking what is and isn't appropriate for a Doumbouya: "a Doumbouya, a real one, doesn't give his back to danger, he boasts"; (Kourouma 164). That's why he's so upset when "the little customs officer, fat, round, paunchy, all bundled up, from chest to toe, with his belt and his molletières" (Kourouma 104), doesn't show him the expected consideration:

The last village on the Ebony Coast arrived, followed by the customs post separating the Socialist Republic of Nikinai. There, Fama piqued the kind of anger that clogs a snake's throat with insults and slime, and imparts the quivering of leaves. A bastard, a real one, unbridled by the offspring of the forest and a mother who has surely never known the slightest strip of cloth, nor the dignity of marriage, dared, standing on his two testicles, to come out of his mouth that Fama foreigner couldn't cross without an ID card! Did you hear right? Fama foreigner knew this land of Horodougou! (Kourouma 103-104).

He immediately calms down when someone knows "how to distinguish gold from copper" (Kourouma 104) and recognizes in him "the descendant of the Doumbouya"(Idem). Recognition earns Fama "the appropriate honors and apologies"(Idem).

According to Biard 2009, Fama's honors can be summed up as "civic honor". It includes all civilities, but also legal elements (such as respect for the Other, respect for the dignity of the hero-character). Far from being unreasonable or excessive, this honor could then be envisaged as "promoting virtue" (Billacois 79). This so-called "civic" honor, borne by the so-called "honorable" individuals (Kourouma 100) of whom Fama is the prototype, would have its antithesis characterized by another type of honor, rather based on deviance.

 

  • The honor of the prince or the paradox of deviance

In the words of Ahmadou Kourouma, the world of independence appears as the end of an authentic universe. It is a degradation of the traditional universe. For example, Fama, the prince of yesteryear, known as l'honorable, no longer finds himself; not only do they dispossess him, but independence abolishes traditional chieftaincies and reduces princes to "a pack of hyenas" (Kourouma 9), beggars in search of pasture. "Fama Doumbouya, father Doumbouya, mother Doumbouya, last and legitimate descendant of the Doumbouya princes of Horodougou, panther totem, was a vulture [...] Ah! the suns of Independence" (Kourouma 9). Fama is reduced to crisscrossing anonymous crowds, from funeral to funeral, in search of his substance. "He walked with the redoubled step of a diarrhea sufferer" (Kourouma 9), jostled by onlookers, "onlookers planted as in Papa's hut" (Kourouma 9). He sweats, threatens, curses, covered in an incredible din of "horns, engines backfiring, tires beating, shouts and calls from passers-by and drivers". (Kourouma 10). So-called "civilized" honor is relegated to the back burner, and civic norms are disavowed: they take shape in the restraint of behavior. Designated honor, on the other hand, is "barbaric", vile. It refers to deviant behavior, a pure paradox. Hence the parallel between the description and Kourouma's famous line: "He, Fama, born in gold, food, honor and women! Educated to prefer gold to gold, to choose food among others, and to bed his favorite among a hundred wives! What had he become? A scavenger...". (Kourouma 10). By analogy, the term "scavenger" gives rise to a lexical register of Fama's attributes. Now poor, he lives off the largesse of friends of the deceased, whose funerals are celebrated. The illustration opposite is supported by a metanarrative commentary.

 

  

 

 

 

                 hyenacemetery

Fama carrion →scavenger Fama vultureback of huts

 

Hyenas live in the vicinity of cemeteries, while vultures hover behind huts. Here and there are places of decomposition, deposits of "detritus". Hyena, vulture and scavenger connote Fama, just as cemetery, back of huts and carrion connote both places of celebration for funerals or births, Fama's favorite places. The attributes are both zoological and mineral. Fama is therefore condemned to marginality, a "bastard" in contemporary society. No one feels they owe him respect. Here he is, arriving late at a funeral ceremony: Fama is taunted by a griot who associates the Doumbouya, panther totem, with the Keita, hippopotamus totem. In proportion to the reaction of the griot, a symbol of the Malinké people, Boadi provides some edifying explanations:

This decline, this sort of unfornunate end or bad end , profoundly mars the itinerary of the novelistic hero [...]. He loses his glorious artifice. His madness and limitations self-destruct him, for he lacks the science of great men that generates the mystique of superhumanity. Between him and the people, there is always a sudden break, a break that comes at a crucial moment and produces the incommunicability that accelerates failure, creates setbacks and fuels setbacks (87-88).

 "These various attacks on physical (and even behavioral) integrity are part of the great modern trend of caricaturing characters, [...] of their impotent, inarticulate dreams." (Vaïs 197). The trajectory of these hero-characters, particularly Fama, ultimately shows a total demarcation from "the epic scheme of heroism" (Boadi 87), because the honor that governs the character's life is constantly undermined, defiled. Honor established through negativity leads inexorably to catastrophe.

  

  1. "The Honourable" Fama Doumbouya: at the end of the race, the folklore of horror

Ohaegbu cruelly asserts: "Fama was made to be a failure" (260). Indeed, the hero of Les Soleils des Indépendances seems, through his clumsiness and inconsistencies, to take pleasure in facilitating the task of a destiny that persecutes him. He is lucid, but does not act consistently. The only will he shows is to cross the border and die. But Fama's death leaves a sense of horror.

 

  • The representation of horror: monomania and Hollywoodism

          The proleptic narration of the horror portrays with eloquence and gravity the threat hanging over Fama's life: "Fama walked towards the left side of the bridge. The parapet wasn't high, and under the bridge there was the riverbank. The big sacred caimans were floating in the water, ready to attack the last Doumbouya descendant" (Kourouma 200).     

According to Mellier, horror features "supernatural, monstrous, excessive figures of otherness" (147) at the source of the phenomenon. TheOther is revealed as a physical and psychological threat, as evidenced by the aforementioned excerpt which, however, lacks the supernatural dimension mentioned by Mellier. In this prefigurative horror story, the aggressors are not the product of the victim's imagination: they actually exist. Horror then translates into a paranoid unconscious, as Ahmadou Kourouma transforms himself into a horror-maker and "develops a fiction in which the Other appears only in the context of explicit antagonism" (147). Consequently, threats are actualized through confrontation with a real evil entity: "the big sacred caimans".

The narrative makes use of figuration through the poetics of description. The narrative is a show, not a suggestion. Here, the folkloric, the spectacular or the spectatorial emerge. Descriptive representations seem to be realized through photography, as Mellier points out: "This visualization by the text must suffice to give [the reader] the impression of [the] actual presence" (37) of the threat, whose properties are intensified in the reader's mind. "It is in the terror produced by "monstration" (a term that plays on the action of showing the spectacular event of the monster) that the character's universe collapses and the reader surrenders to the pleasure of the pathetic" (31). From this point of view, it is possible to understand the art of horror as a device for unveiling: "Fama moved towards the left side of the bridge. The parapet wasn't high, and under the bridge there was the riverbank. The big sacred caimans were floating in the water or warming themselves on the sandbanks [...]" (Kourouma 200). 

This unveiling can be seen in a number of characteristic phrases: " Fama went forward to the left side of the bridge" (1), " the parapet was not high " (2), " the big caimans were floating in the water or warming themselves on the sandbanks " (3) and the expression " in this place " (4). In element (1), the primary meaning of the verb "s'avancer" is: "to carry oneself forward", its secondary meaning is: "se hasarder" which, in turn, means "to go to a place where one may run into danger". The "left side of the bridge" (1) mentioned instead of "right side" indicates that the place specified would present risks. Hence the evocation of element (4) "in this place". In element (2), a word draws the analyst's attention: "parapet". The semantic content of this word is "a wall at support height designed to prevent falls". The negation shows that it is not in its highest position, so the probability of the damage - i.e. death - occurring is enormous. The element (3) materialized by key terms such as "caiman", "floated" and "warmed up" are also covered in meaning. The caiman is an antediluvian, man-eating monster; flottaient, from the verb flotter, has the denoted meaning "to remain on the surface of". It is opposed to the expression "to remain in depth". The verb se réchauffaient has the infinitive se réchauffer , meaning "to warm up". Heat should be understood as "vigor" for action. The lexical field of key words and expressions taken, semiotically and semantically, overlap and complement each other in the description. They refer to death.

We have to admit that mystery has no place in an unveiling sequence. Indeed, Kourouma's task appears quite different. By altering the reader's state of expectation, the writer ensures that they no longer apprehend the denouement of the scene as an unknown event, but rather anticipate it, imagining the horror they will witness. In addition to textual strategies, rhetorical devices are used to describe the horror.

 

  • Telling Fama: a rhetoric of horror

Fama's death was voluntary. However, he threw himself into the river, confident that the caimans "would not dare attack the last representative of the Doumbouya" (Kourouma 200). Unfortunately, he had more trouble than fear: "Fama climbed the parapet and let himself fall onto a sandbank. He stood up, but the water didn't reach his knees. He tried to take a step, but saw a sacred caiman hurtling towards him like an arrow. A [horrible] scream was heard from the banks" (Kourouma 200).

          Kourouma uses comparisons in particular.

  • a sacred caiman is that which is compared: the compared,
  • an arrow the word that makes the image: the comparator,
  • as : the comparison tool,
  • the common point is not expressed, but is to be deduced from the comparator: show a direction, along the line, to attack lethally.

Thanks to the unveiling clues, the author had gradually prepared the reader for a scene of horror and disgust. Indeed, the descriptive passages insist on the visibility of the elements depicted, amplifying the repugnance of the scene: "A rifle shot rang out: from a watchtower in the Republic of the Ebenes, a sentry had fired. The crocodile snarled so horribly as to shatter the earth and tear the sky; and in a whirlpool of water and blood, it leapt into the reach, where it continued to struggle and snarl". This explosion of blood and the criminal excitement of giant reptiles captured in a scene of macabre gluttony constitutes a scenic peak where horror and fantasy inform a tragicization.

The unveiling of things has mainly required the use of excessive terms: éclata, grogna d'une manière horrible, déchirer le ciel, tourbillon d'eau et de sang.... These amplifications convey a paroxysm of horror, and the reader becomes the helpless witness to a horrifying scene. The narrator is quick to describe the scene: "Fama lay unconscious in the blood under the bridge. The crocodile was moaning and struggling in the turbulent water [...]. Fama was still lying under the bridge. The caiman was struggling in a whirlpool of blood and water" (Kourouma 201). These sentences feature redundant groups of words in a recurrent, anaphoric formalization that borders on : Fama gisait, sous le pont, le caïman se débattait, sang, not without omitting the semantic charge of the adverb toujours. These considerations are backed up by what Mellier calls "the fantastic of representation."[2] linked here to horror, where an aesthetic of externalization and excess emerges. 

Yet the shooting had stopped. The border guards of the Nikinai republic, white flags in their hands, came to relieve Fama, who had been hit under the part of the bridge under their jurisdiction. Their brigadier examined him: he had been severely mortally wounded by the saurian. [...] . A massive, hard pain nailed his leg, his whole body had become a stone, he felt alive only in the throat where he had to push to breathe, in the nose that blew burning, in the stunned ears and in the bright eyes. Fama had finished, was finished. The head of the medical convoy was notified. (Kourouma 202-203-204).

The narrator reports the death of Prince Fama. But the brutality of his death, caused by the saurian (caiman), is softened by the use of the verb finish. The euphemism uses softened terms to designate a cruel reality: "Un malinké était mort" (Kourouma 205). "The whole of Horodougou was inconsolable, because the Doumbouya dynasty was coming to an end, and the dogs who had first predicted that the day would be evil were howling to the dead, their throats full, unconcerned by the stones thrown at them by the guards. The wild beasts roared back from the forests, the caimans growled, the women wept" (Kourouma 202).   

The horror in Les soleils des indépendances is perceived through the depiction of actions. It does not suggest the unspeakable. It relies more on the visible and tangible. Through a detailed description of events, which here can be likened to a kind of hyperrealism, the author describes Fama as a focal point, a beast of show that he takes the painful pleasure of exposing on the screen, precisely a cinema screen. To better grasp the impact of Kourouma's large-format imagery, the reader should take into account Boadi's observations: "Description is no longer mere enunciation, but becomes language, in other words, a code, a systemic montage. The abstract expressionism of words gives way to a theatrical discursivity, a kind of mise en cinéma, a spectacularization of novelistic discourse". (83-84). He adds:

This form of mise en spectacle is even more akin to hypotyposis in that it brings the scene to life through grating humor, the grotesque, the farcical, decaying irony, black comedy and so on. Assimilation to hypotyposis in fact proceeds from the enumeration of concrete, striking details that are molded into an animated folklore of vivid, scriptable words that bring the object described to life. (84).       

On the border between the Ebony Coast and the Socialist Republic of Nikinai, Fama suffers the affront of not being recognized as Prince of Horodougou. The monomania of honor has turned into a sacrificial blindness whose symbolism induces the social universality of horror.  

  1. A universal tragedy

The symbolic value of Les soleils des indépendances opens up to wider dimensions. Kourouma's work infers a tragedy.     

 

  • Fama and the tragedy of the end

The characters have a dramatic destiny or are directly responsible for the tragic outcome: in Les soleils des indépendances, the protagonist's initiatives are the indirect cause, at first glance, of his death. But the second-degree understanding of this death is facilitated by a long-standing prophetic verve:

Fama was going to Horodougou to die as soon as possible. It had been foretold for centuries before the sun of Independence that Fama would die near the tombs of his ancestors; and it was perhaps this destiny that explained why Fama had survived the torture in the cellars of the Presidency, and the life of the nameless camp; it was this destiny that explained the surprising liberation that launched him back into a world to which he had thought he had said goodbye. (Kourouma 193)

Fama knows he's lost, but he goes through with his destiny, which is to disappear from this world that refuses him. The world he no longer wants is the one he closes his eyes to as he leaves the capital: "Fama closed his eyes and slept".(Idem 194). Fama's "jusqu'auboutisme" operates in the work as a leitmotif and a negation of the dominant bourgeois values of the Independence era. In Mayako prison, by praying deeply and often, he had resigned himself to accepting his end, whatever the circumstances. Death was thus a solution to his existential anguish. "He was ready for the rendezvous with the spirits, ready for Allah's judgment. Death had become his only companion; Fama already had death in his body, and life was nothing but an evil to him." (193).   

Clearly, Fama behaves like a true tragic hero. His end, both miserable and glorious, makes him a defeated hero. This scenario, which portrays a hero of defeat, is not excluded from contemporary African novel writing. According to Boadi, the hero-character is "totally out of step with the reading of ritual heroics" (87), as described by Martel, for whom "the hero comes from the multitude, giving them the example of courage [...]. In return, the hero receives from the multitude a fantastic power " (11) that royally opens "the floodgates of glorious epiphany". (Boadi 87).

In the contemporary African novel, the scenario of sad or tragic endings, the recurrence of stories that end in a dotted line or that end badly, build up against the current anti-epiphanic heroic trajectories: here Evil prevails over Good. This downfall considerably darkens the trajectory of the novel's heroes, and comes as a shock to the African readership frustrated by the counter-publicity of the heroic. Rewriting the hero from a perspective of decanonization doesn't seem to go in the direction Bourneuf and Ouellet want: "The novel can surprise, even deceive the reader's expectations, but above all, the story has to end well to satisfy and save the moral [...]". (47-48). The novelist should write a good story that holds his reader in suspense, that lets him experience, at the end, the pleasures and vertigo of fictional immersion. The opposite epilogue is served up to the reader in Les soleils des indépendances.

Fama fought for justice and respect for others, because the advent of the new times should have enabled him to regain his power as a leader, or even to gain access to power in some way. He gets nothing of the sort. His story brings to the fore material, psychological and even religious difficulties that make the character's maladjustment to the realities of the new age all the more apparent.

 

  • Fama's hypostasy seen as maladjustment to a world of contingencies and improbability

Fama is a hero who comes up against an incomprehensible world. He doesn't recognize himself in the new Africa. This feeling is a factor of tragic disarray: "As long as there is a feeling of alienation, the writer will recall the old days, the mythical times, so to speak, when man felt himself to be in a coherent world devoid of antagonisms." (sic) (Ohaegbu 116).

Faced with new realities, Fama is a man on the run. But, like a fatality, the new face of Africa haunts his conscience, and his narrative journey suffers the martyrdom. Fama embodies the image of a character disconnected from the new political order, symbolically lagging behind events. "At the seventh-day funeral of the late Koné Ibrahima, Fama was late. He was still hurrying, walking at the doubled pace of a diarrhea sufferer. He was at the other end of the bridge linking the white city to the Negro quarter at the hour of the second prayer; the ceremony had begun". (Kourouma). Fama's odyssey is nonsense, an eschatological dystopia:

From there, his odyssey begins through a world he doesn't understand, right up to the border imposed by the barrier that stands absurdly before him, the Prince of Horodougou, and whose meaning he can't understand either:

A bastard, a real one, a dehorned scion of the forest and of a mother who has surely known neither the slightest strip of cloth, nor the dignity of marriage dared, to come out of his mouth that Fama foreigner couldn't cross without an ID card! Did you hear what she said? Fama foreigner on this land of Horodougou! [Is the world turned upside down?] (Kourouma 103-104).    

Finally, the tragedy of maladjustment is a collective one, that of an entire population. In Les soleils des indépendances, Fama is the hypostasized figure of the mal de vivre and the impossible alchemy of change, the difficulties of living through the mutations of the independence era. The tragedy suffered by Prince Fama is a reminder of the social contradictions of an era that are reflected in the lives of the people of the Côte des Ebènes, whose representatives in the novels could include Okonkwo, Mélédouman and others.

Through the destiny of Okonkwo, a prominent member of his clan, Chinua Achebe evokes the cultural shock represented for the natives by the arrival of the British. Almost cut off from the outside world, the inhabitants of the equatorial forest could imagine a world in their own image, made up of multiple gods, ancestor worship, rites and taboos. The arrival of the Europeans and their religion, Christianity, overturned all traditional beliefs, hence the title of the novel The World Collapses.       

Mélédouman, in Jean-Marie Adiaffi's La Carte d'identité, is an Agni prince required to report to the office of the circle commander, Kakatika, to attest to his identity because of a doubt about the document produced. Unable to provide proof of his identity, the prince was molested and thrown into prison in irons. The arrest and imprisonment of this prince, who embodied obvious authority and power in his cultural milieu, aroused the dismay and consternation of his people, who venerated royalty. In the end, Prince Mélédouman was exonerated. But beyond the African microcosm, the malaise extends to the macrocosm, i.e. the universe outside the small world, indeed all traditional societies faced with modern and contemporary constraints and experiencing a similar fate.  

        

Conclusion

Ahmadou Kourouma ultimately assigns Fama's problematic heroism a narrative trajectory whose ideological credentials stem from the material bulimias, psychological tensions and religious radicalisms of an African society resistant to the socio-political innovations of the post-independence era. In Les Soleils des indépendances , the reader's emotions are subject to the tragedy of "disarticulated" characters, the cultural fundamentalism of the Ancients and collective disillusionment. Above all, Kourouma reinvents the opposition between tradition and modernism, disavowing the monolithism and clichés of acting. In particular, the story focuses on political (new powers), sociological (new social classes) and philosophical (new values) dividends.

A sense of honor is now a mere figment of the imagination, and dignity is no longer a school subject. Fama abandons his eulogistic posture and alienates his existence in a macabre wandering. The hero loses his insignia of essence and opts instead for moral nihilism and irreverent slingshot. The heroic figure of which Fama is the embodiment takes its strength from a scenography of horror where descriptions are vivid, amplified and raised to a high level of cruelty.  

Textual and narrative strategies and rhetorical devices are at the service of representation. They have been forged by the writer as the appropriate instruments for expressing himself in a sincere and heartfelt way. Similarly, the visual and realistic art of description and the expressiveness of discourse are subordinated to the desire to describe accurately and bear witness to a universal tragedy: "Fama is an authentic tragic hero insofar as an entire society rich in tradition dies with him [...]". (Kourouma 185). In this way, Kourouma's novel joins André Malraux's "universal human condition".[3]     

 

Works quoted

Aloysius Umunnakwe, Ohaegbu. "Autour de l'évocation du passé dans la littérature africaine", Présence francophone, 23, (Autumn 1981): 110-120. 

---- "Les Soleils des Indépendances ou le drame de l'homme écrasé par le destin", in Présence africaine Nouvelle série, 90 (1974): 253-260.

Ano Boadi, Désiré. "Postcolonial African novel and new forms of heroism: between caricatured hyperrealism and anti-epic backlash." journal de Littérature & d'Esthétique Négro-Africaines. 2. 16 (2016) : 76-90.

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Bourneuf, Roland and Ouellet, Réal. L'univers du roman. Paris: PUF, 1972.

Drevillon, Hervé and Venturino, Diego. "Penser et vivre l'honneur à l'époque moderne". Rennes: Presses Universitaires de Rennes, 2011, www.pur-editions.fr, accessed February 3, 2021.

Goffman, Erving. The Staging of Everyday Life. Paris: Les Editions de Minuit, Volumes 1 and 2, 1973. 

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Kourouma, Ahmadou. Les soleils des indépendances. Paris: Seuil, 1970.

Littré, Emile. Dictionary of the French language. Paris: Hachette, t. 2040-2043, 1874.

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Mellier, Denis. L'écriture de l'excès: fiction fantastique et poétique de la terreur. Paris: H. Champion, 1999. 

Nicolas, Jean-Claude. Understanding Ahmadou Kourouma's Les Soleils des Indépendances. Paris: Seuil, 1985.

Roberge, Martine. L 'art de faire peur : des récits légendaires aux films d'horreur. Quebec City: Les Presses de l'Université Laval, 2004.

Vaïs, Michel. L'écrivain scénique. Paris: PUQ, 1978.

 

 

 

How to cite this article:

MLA : Danho, Yayo Vincent. "Prince Fama in Ahmadou Kourouma's Les soleils des indépendances: Des honneurs à l'horreur." Uirtus 1.1 (August 2021): 34-50.

 

 

 

[1] For Furetière, the term honor means, among other things, "testimony of esteem or submission that one renders to someone by one's words, or by one's actions"; "is said in general of the esteem that is due to virtue & merit"; "applies more particularly to two kinds of virtue, to valour for men, & to chastity for women"; "is also said of the thing that honors, that gives glory", etc. (Furetière A., Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots français tant vieux que modernes, La Haye-Rotterdam, 1690, article Honneur). In the Dictionnaire de l'Académie française : honor is: "action, external demonstration by which one makes known the veneration, the respect, the esteem that one has for the dignity, or for the merit of somebody"; honor "also means, Virtue, probity"; "is also taken for the glory which follows virtue, for the esteem of the world, & for reputation"; "is also taken for Dignity, Charge; but in this sense it has use only in the plural"(Le dictionnaire de l'Académie française, Paris, 1694, article Honneur).

[2]- In his book La littérature fantastique, Denis Mellier takes up this categorization, replacing the fantastic of representation with the fantastic of presence. Although the analysis of these categories remains much the same, Mellier renames some of the elements studied in relation to each of these trends: the textual strategy or program in the fantastic of representation becomes the stakes in the fantastic of presence, and the writing in the first type of fantastic is now called the poetics in the second.

[3]- La Condition humaine is a novel by André Malraux. In this novel, Malraux defines his characters as heroic types in whom culture, lucidity and aptitude for action are united. But aren't they also permanently immersed in the mire of the human condition, alternating between greatness and decay? Kyo commits suicide in the hope of a brotherly fusion. But this hope is illusory. This is the tragedy of the human condition. Eschatological anguish is doubled by the impossibility of surpassing oneself, by apprehension in the face of one's own conscience. Life is absurd, and man is incapable of knowing who he is. Is there not a correlation between the facts described and Fama's story? (Emphasis added).

Prince Fama in Ahmadou Kourouma's Les soleils des indépendances: From honors to horror

Abstract: The present reflection examines Les Soleils des indépendances from the perspective of honour and horror. Centred around Prince Fama, the scenography of honour is essentially a principle that governs the life of the hero. The honour which he authoritatively wears in his finery and prestige leads to the wanderings, inconsistencies and viral deviation of the new world, embodied by the independence and its escorting trappings. Individual and collective decay ruins the vanities and vacuums of honour to give voice to a spectacularisation of horror. The description bases its relevance and strength on a textual and narrative rhetoric to which it associates an aesthetic intelligence that informs a kind of large-format image setting. The concrete expressionism of words cannot ultimately absolve the tragedy of the hero.

Keywords: Fama, Prince, Honour, Deviance, Horror, Tragedy

Full Text                      

Prince Fama in Ahmadou Kourouma's Les soleils des indépendances: From honors to horror

Introduction

Par « noms de règne », nous entendons l’ensemble des désignateurs que s’attribuent les personnages des présidents, des chefs d’État ou des souverains au cours de leur exercice du pouvoir (N’Da 151-171). Dans l’œuvre littéraire de Sony Labou Tansi, La Vie et demie est le texte qui traite avec verve de la thématique des « noms de règne ». Dans les monarchies occidentales comme dans bon nombre de chefferies africaines, tout successeur au trône prend un nom de règne. Ces « noms de règne » sont souvent la traduction des projets de société, des programmes d’action ou des ambitions des nouveaux gouvernants. Mais la Katamanalasie, dans La Vie et demie, n’est ni une monarchie ni une chefferie. Selon la constitution qui la régit, elle a le statut de république. Il s’agit d’une « république communautaire » (VD 60) ainsi que la définit la loi fondamentale, et « son président fondateur (…), président à vie… » (VD 60). Or dans une république, la pratique de s’attribuer un « nom de règne » n’a pas sa raison d’être : le président élu conserve son patronyme, ou alors continue à faire valoir le pseudonyme qu’il s’était choisi et sous lequel il s’était fait connaître avant son accession au pouvoir. Dans l’histoire de l’Afrique contemporaine, le cas du premier président kenyan Jomo Kenyatta (le javelot flamboyant) est exemplaire. Autrement dit, l’accession à la magistrature suprême ne justifie aucunement le changement de nom. Aussi du fait que les guides dans La Vie et demie, en viennent, à chaque prise de pouvoir, à s’attribuer des noms de règne, indique clairement qu’il y a changement de système de gouvernement. Dès lors, la « république communautaire » de la Katamalanasie est assimilable à une royauté. En effet, bien qu’elle soit officiellement déclarée république, il n’en demeure pas moins qu’elle fonctionne comme une monarchie : les guides sont des présidents à vie et maîtres absolus des sanctions coercitives, et les trois pouvoirs que distingue le Droit public occidental, à savoir le législatif, le judiciaire et l’exécutif, sont concentrés entre leurs mains.

L’objet de cette étude est de montrer, exemples à l’appui, que les « noms de règne » dans La Vie et demie et L’État honteux ne sont pas gratuits ; ils ne sont pas non plus le fait d’attribution fantaisiste à visée ludique. Ils sont plutôt consubstantiels à l’exercice du pouvoir. Ils ne sont pas arbitraires, mais motivés au sens où l’entendent les poéticiens.

Pour mieux cerner cette problématique, nous recourons à la poétique comme à la fois théorie et approche méthodologique. L’option de la poétique se justifie du fait que le nom propre est une des propriétés intrinsèques du personnage fictionnel, sinon la plus importante. Bachir Adjil écrit sans détour que le nom d’un personnage romanesque « contribue pour beaucoup à son parcours sémiotique, et quelquefois il est même plus important que l’action du récit » (72). En somme, B. Adjil emboite le pas à Roland Barthes qui, dès la fin des années cinquante, met en exergue l’idée selon laquelle de toutes les caractéristiques qu’un auteur attribue à ses personnages, le nom se présente comme l’élément le plus significatif. De cette idée, Barthes conclut que « le propre du récit n’est pas l’action, mais le personnage comme Nom propre » (Barthes 197).

La présente contribution se propose d’analyser une catégorie de noms propres, – « les noms de règne », – dans La Vie et demie et L’État honteux. Aussi va-t-elle s’articuler autour de trois principaux axes :

  1. Présentation des deux romans du corpus ;
  2. Origines et morphologie des « noms de règne » ;
  3. Portée sémantique des « noms de règne ».

Si cette étude s’est limitée à l’analyse de La Vie et demie et de L’État honteux, c’est que ces romans sont les seuls dans la production narrative de Sony Labou Tansi, qui accordent une attention toute particulière aux « noms de règne ». Pour plus de clarté et de précision dans nos analyses, il nous paraît opportun d’en présenter les arguments.

  1. Présentation de La Vie et demie et de L’État honteux

Le premier roman de Sony Labou Tansi à être publié est La Vie et demie. L’histoire qu’il racontese déroule dans un pays imaginaire, la Katalamanasie, qui a pour capitale Yourma. Au lendemain de l’indépendance de ce pays, un « voleur de bétail » du nom d’Obramoussando Mbi s’empare du pouvoir et se fait appeler « Guide Providentiel ». Il va régner en maître absolu sur ce pays et y instaurer un régime politique tyrannique. Seul Martial, un personnage à la fois charismatique et mystique, lui oppose une résistance des plus farouches. Le « Guide Providentiel » décide alors de le réduire de ses propres mains en pâté. Malgré l’usage qu’il fait du couteau, du revolver, du sabre, du poison, il ne réussit pas à l’anéantir. « Je ne veux pas mourir cette mort », ne cesse de répéter Martial. Et le Guide Providentiel de s’écrier : « Alors, quelle mort veux-tu mourir, Martial ? » Martial continuera de vivre sous une forme spectrale et de tourmenter le « Guide Providentiel » et ses successeurs, et ce, durant plusieurs générations.

Chaïdana, à peine âgée de quinze ans, poursuit la lutte de son père, mais d’une manière que ce dernier désapprouve : elle se prostitue aux dignitaires du régime du « Guide Providentiel », tuant les uns après les autres, ministres et officiers qu’elle invite dans sa chambre n° 38 de l’hôtel « La vie et demie ». Elle s’emploie à falsifier les pièces d’identité qu’elle porte sur elle et échappe ainsi à la vigilance des sbires du « Guide Providentiel ».

Chaïdana met au monde des triplés, deux garçons et une fille, qui sont la conséquence de la « gifle intérieure » (viol) qu’elle reçoit de son père. Les deux garçons, Martial et Amendadio Layisho, meurent l’un à sa naissance, et l’autre des suites d’un empoisonnement. Seule la fille, Chaïdana Layisho, reste en vie. Grâce à sa beauté incomparable, elle ne tarde pas à séduire des hauts dignitaires de la Katalamanasie. De son union avec Jean-Oscar-Cœur-de-Père sera issu un fils du nom de Kamachou Patatra. Celui-ci succèdera à son père et prendra comme nom de règne Jean-Cœur-de-Pierre. Il donne naissance à deux mille enfants qu’il prénomme tous « Jean ». Trente d’entre eux rejoignent leur grand-mère Chaïdana Layisho surnommée Chaïdana-aux-gros-cheveux. Ils vont consacrer toutes leurs énergies à développer leur pays. Cette descendance, que le narrateur désigne par le terme « chaïdanisés », livrera une guerre sans merci aux maîtres de la Katalamanasie et finira par les éliminer.

Le deuxième roman de Sony Labou Tansi s’intitule L’État honteux. A l’instar de la Vie et demie qui conte par le menu l’histoire d’une dynastie mégalomane et ubuesque, L’État honteux reproduit le discours du pouvoir, incarné par l’abominable colonel Martillimi Lopez. Ce personnage a comme principale caractéristique son énorme « hernie ». Sa toute-puissance, sa folie de grandeur et la tyrannie qu’il exerce sans désemparer sur son peuple, sont par conséquent symbolisées par elle. Dès sa prise de pouvoir, Martillimi Lopez décide, contre toute attente et en dépit des règles en vigueur dans les relations internationales, de retracer les frontières de son pays : « La patrie sera carrée », déclare-t-il. Des tentatives répétées de coups d’Etat créent un climat de peur dans le pays. Lopez est tenté d’abdiquer mais ses conseillers l’en dissuadent. Exaspérés par le comportement de Martillimi Lopez et les décisions souvent irrationnelles qu’il est amené à prendre, les ministres, imités en cela par les officiers de l’armée et les hauts fonctionnaires, lui présentent chacun leurs démissions, car, confessent-ils, « ce pays nous devons le laisser aux enfants des enfants de nos enfants mais pas dans cet état honteux… ». Le dictateur sanguinaire reprend le dessus et remanie son gouvernement. Mais vivant toujours dans un climat de peur et de violence, il décide de connaître son avenir et fait venir le voyant Merline. Celui-ci lui fait avaler une pièce de monnaie qui l’étouffe. Lopez tombe dans un coma profond qui dure plusieurs semaines. Pendant ce temps, le colonel Jescani le déclare mort, fixe la date de son enterrement et s’empare du pouvoir. La « Maman Nationale », la mère de Martillimi Lopez, et une des femmes du dictateur sont enlevées et tuées. Mais Lopez n’est pas mort. Revenu à lui, il reprend le pouvoir.

Lors d’un voyage de Martillimi Lopez à Paris, le colonel portugais Vauban, son homme de main, s’empare à son tour du pouvoir. Il ne l’exercera pas pour longtemps, car, dès son retour au pays, Lopez le met en fuite et rétablit l’ordre. Fatigué de tout, Martillimi Lopez, après un festin offert aux diplomates et aux dignitaires de son régime, annonce sa démission.

Telle est la présentation succincte des deux romans de notre corpus. Le premier, La Vie et demie, s’illustre par un foisonnement exceptionnel des « noms de règne », témoignant de la créativité onomastique de l’écrivain congolais. Le second, L’État honteux, offre peu de cas de changement de nom au sommet de l’Etat. N’empêche que l’Etat lui-même, le pouvoir qu’il incarne ainsi que le corps de Martillimi Lopez y sont représentés par la hernie. Le terme hernie finit par désigner, au-delà de la pathologie, le personnage de Martillimi Lopez lui-même. Reste à étudier les origines et la morphologie de ces « noms de règne ».

  • Origines et morphologie des « noms de règne »

La première observation que l’on puisse exprimer dans cette étude concerne exclusivement La Vie et demie. Dans ce roman n’apparaissent à aucun moment les désignations des présidents, chefs d’État, souverains et autres empereurs, etc. En revanche tous les personnages exerçant le pouvoir suprême sont désignés par les termes de « guide » et « d’Excellence ». Mais le titre de guide que portent tous les souverains de la Katamalanasie provient, dans le roman, de celui qui, le premier, se l’attribue : le « Guide Providentiel ». Il s’agit du voleur de bétail Cypriano Ramoussa devenu Obramoussando Mbi, puis Marc-François Matéla-Péné Loanga, puis Yambo, puis, enfin, le Guide Providentiel une fois qu’il prend le pouvoir. Le narrateur rend bien compte de cette double aventure onomastique et politique lorsqu’il déclare :

Il [Le Guide Providentiel] pensait à Obramoussando Mbi, comment il avait quitté cette identité pour celle de Loanga ; Loanga devient Yambo. Il pensait comment Yambo devint le premier secrétaire du Parti pour l’égalité et la paix ou PPEP, comment le PPEP devint le PPUD (Parti pour l’unité et la démocratie) puis le PPUDT (Parti pour l’unité, la démocratie et le travail) et lui, son président fondateur donc, suivant le fin piège constitutionnel, président à vie de la république communautariste de la Katamalanasie. Yambo devint alors le Guide Providentiel Marc-François Matéla-Péné…  (VD 59-60).

Bien qu’il porte aussi d’autres noms et d’autres titres notamment Cézama 1er, celui sous lequel il va exercer ses prérogatives de chef d’État n’est autre que celui de Guide Providentiel avec des majuscules aux initiales comme pour souligner la nature extraordinaire, voire surhumaine de son pouvoir.

Pour plus de clarté, nous schématisons, dans le tableau ci-après, le cheminement social et politique ainsi que l’aventure anthroponymique du Guide Providentiel :

Nom à l’état civil 1er changement de nom 2e changement de nom 3e changement de nom Nom(s) de règne
Cypriano Ramoussa (caractéristique : voleur de bétail, etc.) Obramoussando Mbi (caractéristique : voleur de bétail, etc.) Loanga (Caractéristique : idem) Yambo (caractéristique : Premier secrétaire du Parti) – Le Guide Providentiel Marc-François Matéla-Péné – Cézama 1er

Cypriano Ramoussa s’illustre donc dans le vol du bétail. Il a maille à partir avec la justice. Le changement d’identité lui permet, dans un premier temps, de vivre dans la clandestinité ; il échappe ainsi aux rigueurs de la loi. Le changement d’identité lui permet, dans un second temps, d’accéder à la sphère du pouvoir politique : il devient, en effet, sous un nom nouveau Premier secrétaire du Parti. En accédant à la magistrature suprême, Yambo devient simultanément le Guide Providentiel, Marc-François Matéla-Péné et Cézama 1er. Du début à la fin du récit Cypriano Ramoussa change d’identité. Il s’attribue des noms d’emprunt ou des identités fictives comme pour échapper à l’attention de tous. En fait, il passe son temps à se camoufler pour ne pas être reconnu ni de la police ni de ceux à qui il avait volé du bétail ni de ses créanciers ni de la population. Cependant il se contente de changer de nom, mais pas d’apparence. On peut, ici, parler de ce que Frank Wagner appelle « les fluctuations diachroniques de l’étiquette du personnage » (38).

La combinaison de ces deux mots « guide » et « providentiel » donne lieu à un « nom de règne » construit sur la base de mots abstraits. Le guide est concrètement une personne qui a la mission de montrer le chemin aux autres, mais abstraitement il est aussi celui sur qui les autres doivent régler leurs conduites. Il est donc un modèle. Quant à l’adjectif « providentiel » accolé à « guide », il détermine la nature du pouvoir de Son Excellence Matéla-Péné Loanga : ce pouvoir se veut d’essence divine. En d’autres termes, l’ancien voleur de bétail n’aura pas reçu son pouvoir de son peuple, mais de Dieu.

Le recours au sacré a pour objectif de légitimer le pouvoir quelles que soient les circonstances dans lesquelles il s’acquiert ou s’exerce. En Occident, par exemple, le pouvoir a souvent eu recours à la religion pour sa légitimation. Il n’est que de se rappeler le sacre des rois ou les serments constitutionnels pour comprendre la place du sacré dans l’organisation et le fonctionnement des sociétés humaines.

En Afrique, le pouvoir traditionnel s’est toujours enveloppé d’un mystère qui lui imprime un caractère sacré. C’est que tout pouvoir pour être efficace, a besoin de légitimation ; et la légitimation pour bon nombre de chefs politiques, passe par la voie du sacré. Dès lors, le pouvoir qu’ils exercent n’est plus perçu comme émanant du peuple, mais plutôt d’un foyer à distance des hommes et, par conséquent, offrant, comme le fait observer Claude Lefort (67), « la garantie d’un accord substantiel entre l’ordre de la société et l’ordre de la nature. »

La recherche de la légitimité dans le cas du Guide Providentiel s’opère principalement par la voie du sacré en faisant du pouvoir qu’il détient une émanation divine, il ne faudra cependant pas perdre de vue qu’elle s’opère également par la voie des traditions : le guide se donne une généalogie avec des ancêtres hors du commun. Le narrateur est on ne peut plus explicite à ce sujet :

Tout le monde savait par cœur où était né le Guide Providentiel, quand, de qui, comment et pourquoi  ̶,   mais le commentateur refit les éloges de Samafou Ndolo Petar qui leur avait donné (aux Katamalanasiens, bien sûr) un fils que la providence avait rempli des meilleurs dons du monde (VD 52).

Le Guide Providentiel apparaît comme un élu des dieux. Choisi parmi mille, il est par la force des choses porté à la magistrature suprême. Son père, Samafou Ndolo Petar, un citoyen ordinaire, se voit du jour au lendemain placé sous les feux de la rampe du simple fait qu’il est son géniteur.

L’image que le narrateur veut donner de Samafou Ndolo Petar est celle de bâtisseur de dynasties. Il est le géniteur d’un grand chef. Son prénom, Petar, est significatif à cet égard. Il s’agit d’un prénom d’origine croate, voire slave. Il est l’équivalent de Pierre.

Dans les Evangiles, celui que Jésus surnomme Pierre s’appelait en réalité Simon. Il est le principal de ses douze Apôtres. En le surnommant Pierre, Jésus fait de lui le fondement de l’édifice ecclésiastique (Matthieu 16, 18). Samafou Ndolo Petar est dès lors assimilable à Pierre. Si ce dernier est bâtisseur d’église, Ndolo Petar est bâtisseur de dynastie, celle des Guides Providentiels.

En plus, on n’est pas loin de ce qui arriva à Joseph, le charpentier de Nazareth, qui se vit projeté au-devant de la scène non pas pour ses performances d’artisan et la qualité de son travail, mais pour le simple fait qu’il était l’époux de la Vierge Marie et père nourricier de l’Enfant Jésus. Une fois de plus, on reconnaît par ces allusions la dette de Sony Labou Tansi vis-à-vis des Saintes Ecritures.

Mais ce qui nous paraît particulièrement significatif à ce stade d’analyse, c’est le processus d’autocélébration et de mythisation dans lequel s’engagent sans ménagement le pouvoir et celui qui l’exerce au sommet.

Le Guide Providentiel met en effet tout en œuvre pour se construire un mythe autour de sa personne et de son pouvoir à partir de ses origines et de son parcours social et politique. Et ce mythe qui fait de lui un être exceptionnel, ses thuriféraires (les partisans, les médias, les artistes) participent à son élaboration et à son amplification.

Il en est de même de Martillimi Lopez dans L’État honteux. Personnage sans envergure, il se fait passer pour un homme exceptionnel, qui aura tiré son peuple du marasme économique et du chaos politique dans lesquels ses prédécesseurs l’avaient plongé. Il justifie ainsi sa prise de pouvoir :

 … je n’aurais pas pris votre pouvoir de merde si mon prédécesseur ne s’était pas mis à pisser sur les affaires de la patrie, s’il vous avait laissés mourir de faim au lieu de vous tuer comme des rats, s’il n’avait pas jeté septante pour cent du budget à l’achat des ferrailles russes (EH 23).

L’image que Martillimi Lopez donne de son prédécesseur est celle d’un homme sans charisme, dénué du sens de l’Etat, dépourvu de l’amour de son peuple et porté sur la gabegie et la cruauté. Ce que Martillimi Lopez dit de son prédécesseur immédiat, il le pense au sujet de tous ceux qui ont exercé le pouvoir avant lui. Il déclare en effet en se comparant à eux :

Je ne suis pas Haracho national qui touchait l’argent du pétrole en cachette et qui le jetait dans ses comptes en Suisse, ce qui ne vous a pas empêchés de le foutre père de la nation quelle honte ! Et vous avez vu comment Dascano national a dormi toutes vos femmes, vous avez vu comment il passait ses nuits au collège de Lahossia, comment il est devenu le père de seize cent onze bordels, mais vous l’avez foutu père de la nation, et maintenant dites à ma hernie combien vous allez donner de pères à cette pauvre terre ? (EH 156-157)

Il ressort de ce discours que le titre de « père de la nation » aura été galvaudé du fait qu’il a été porté par des personnes sans moralité. En posant la question de savoir combien de « pères de la nation » le peuple va donner à la république, Martillimi Lopez dénonce sans détours les coups d’Etat et autres pratiques anticonstitutionnelles de prise de pouvoir. Il décide de remettre le pays sur les rails, de réhabiliter la constitution et les institutions qui en découlent et de mettre un terme à l’anarchie qui a élu domicile dans la « patrie ».

 … non non et non, moi, Lopez national fils de maman, je dis : terminée la connerie d’inventer la merde, terminés vos jeux de hernies : plus de père de la nation, plus de marchands de mirages : vive la patrie ! à bas les cons, à bas la connerie ! (EH 157)

La première étape vers la restauration d’un État de droit est la remise en question de son propre pouvoir. La décision qu’il prend est sans appel : Je rends le pouvoir aux civils ! (EH, 157). Martillimi Lopez quitte le pouvoir et s’en retourne à Moumvouka, le village de sa mère, la « Maman-Folle-Nationale » (EH,157), d’où il était parti quelques années plus tôt. Mais avant de céder le pouvoir aux civils, il ordonne que les militaires regagnent leur caserne. Que les tirailleurs rentrent à la caserne avec ma hernie pour attendre la guerre (EH, 157).

Le vocable « tirailleurs » employé par Lopez n’a, objectivement parlant, rien de péjoratif. Le Robert explique ce mot en ces termes : « 1. Soldat détaché pour tirer à volonté et harceler l’ennemi ; 2. Soldat de certaines troupes d’infanterie coloniale, encadrées par des Français ». Cette dénomination était réservée aux fantassins de l’armée coloniale recrutés hors de la France métropolitaine. Tel n’est pas le cas ici. Quand Lopez parle de « tirailleurs », il ne s’agit pas des étrangers, mais « des enfants du pays ». Pourquoi les désigne-t-il ainsi ? L’une des particularités des tirailleurs, c’était de tirer à volonté et dans toutes les directions pour harceler l’ennemi comme l’exigeait le commandement militaire. Ce comportement donnait l’impression d’un manque de discipline alors qu’il était la résultante d’une stratégie opérationnelle rompue. Le désordre et les exactions que les soldats provoquent à la Cité sont comparables à ceux des « tirailleurs ». C’est pourquoi Lopez emploie pour les désigner la métaphore de « tirailleurs ». Et cette métaphore est chargée de connotations négatives.

Le retour des militaires dans les casernes constitue la seconde étape vers la restauration d’un État de droit. Bien que tout au long de ses quarante années de règne, il n’ait su diriger son pays conformément aux principes de gouvernance qu’il énonce, Martillimi Lopez pose néanmoins les jalons d’une véritable démocratie : le pouvoir au peuple et par le peuple ; le respect de la constitution et des institutions qui en émanent ; la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ; le cantonnement de l’armée à ses missions de défense du territoire national.

En ne relevant que les aspects négatifs de la personnalité de ses prédécesseurs, il se met lui-même en vedette et marque la différence : il sous-entend que lui est bon, juste, magnanime, démocrate, et soucieux du bon fonctionnement de la « patrie ».

Le narrateur de L’État honteux comme celui de La Vie et demie met en exergue la participation du peuple au processus de mythisation de la personne de Martillimi Lopez et de son pouvoir. Il fait remarquer, en effet, que

 … dans toutes les maisons où vous allez le soir, on raconte l’histoire de feu mon-colonel Martillimi Lopez, commandant en chef de l’amour et de la fraternité, et chacun y met son ton, sa salive, ses dates, ses lieux, chacun la fait briller à sa guise au ciel de notre imagination… (EH 23).

Le pronom indéfini neutre « on » du syntagme verbal « on raconte » réfère à une ou plusieurs personnes. Il est par ailleurs inclusif dans la mesure où il couvre, comme l’indiquent les grammairiens et autres spécialistes de la langue française, l’ensemble des pronoms personnels, du « je » aux il(s) et elle(s). Le pronom indéfini « on » renvoie certes à des êtres humains, à des sujets indéterminés, mais peut aussi évoquer des généralités, ou être employé en cas de souhait d’anonymat. Dans cet extrait de L’État honteux, il indique que le propos tenu relève du registre de la rumeur. L’émetteur n’est pas déterminé. Il n’est pas non plus identifiable. Les faits relatés ne sont guère attestés historiquement. Ils relèvent de l’affabulation. Ils sont comme toute rumeur, des déclarations destinées à être crues, se rapportant à l’actualité et répandues sans vérification officielle (Kapferer 11-12). Cela laisse toute latitude à ceux qui participent à la fabrication et la diffusion du mythe de Martillimi Lopez d’inventer les dates et les lieux en fonction des messages qu’ils entendent propager. En définitive, le narrateur met l’accent sur la créativité populaire avec ce qu’elle comporte de pouvoir d’amplification des faits constatés ou supposés.

Prenant le contrepied de la rumeur, le narrateur s’engage à donner une version supposée véridique des faits et événements entourant la vie et la mort de Martillimi Lopez.

 … mais voici la vraie histoire de Martillimi Lopez fils de Maman Nationale, telle que la racontent ceux de ma tribu, avec leur goût du mythe, au milieu des éclats de rire…  (EH 23).

La version proposée par le narrateur et qualifiée de « vraie histoire » est considérée comme véridique pour trois raisons.

La première : le narrateur est de la même tribu que Martillimi Lopez ; il est donc censé parler de ce dernier de l’intérieur et en connaissance de cause.

La deuxième raison : la version qualifiée de « vraie » est celle de la tribu de Martillimi Lopez.

La troisième raison : bien qu’elle n’échappe pas au « goût du mythe », la tribu de Lopez continue d’espérer que même mort, ce dernier ne manquera pas de la protéger contre les tyrans. Par « tyrans » il faudra entendre les prédécesseurs de Martillimi Lopez, en l’occurrence Haracho et Dascano, mais aussi ceux à venir d’autant plus qu’il quitte le pouvoir en ayant fait le vide autour de lui et sans avoir préparé de successeur.

La reconnaissance infinie que les médias et les populations katamalanasiennes vouent au géniteur du Guide Providentiel, dans La Vie et demie, s’étend aux habitants du village où ce dernier a vu le jour. Le narrateur observe en effet que le village aussi avait été loué d’avoir laissé grandir dans la joie et la simplicité le guide multidimensionnel… (VD 52).

Le Guide Providentiel François-Marc Matéla-Péné Loanga, alias Sa Majesté Cézama 1er, nous apparaît en définitive comme un fondateur de dynastie. Sa descendance jouera un rôle de premier plan en Katamanalasie en dépit des soubresauts sociaux et autres crises politiques qui vont marquer l’histoire de ce pays.

À la mort du Guide Providentiel, le colonel Mouhahantso lui succède. Il prend le nom de règne de guide Henri-au-Cœur-Tendre. On peut se poser la question de savoir si ce nom de règne correspond bel et bien à son tempérament, à son projet de société, à sa manière de gouverner. D’ores et déjà l’on sait qu’il aime « les vierges, la viande et les vins » (VD 83), c’est-à-dire une vie dissolue. Le narrateur comme par dérision met à nu une sorte de duplicité qui le caractérise. Par le nom qu’il s’attribue, il cherche à se faire passer pour ce qu’il n’est pas.

 … ici, dit le narrateur, les mots ne disaient plus ce que disent les mots, juste ce que voulaient les hommes qui les prononçaient (VD 83).

Henri-au-Cœur-Tendre meurt assassiné par « son quart de frère » [sic] Katarana-Mouchata. Celui-ci prend le nom de règne de guide Jean-Oscar-Cœur-de-Père. Il meurt sur le bûcher en ayant choisi le nom de mort de Jean-Brise-Cœurs. À sa disparition, son fils Kamachou Patatra prend le pouvoir sous le nom de Jean-Cœur-de-Pierre.

Jean-Cœur-de-Pierre est assassiné par son fils Jean-sans-Cœur, « dans un coup orchestré avec la bénédiction de la puissance étrangère qui fournissait les guides » (VD 157).

À la mort du guide Jean-sans-Cœur, le maréchal Kenka Moussa prend les laisses de la nation sous le nom de règne de Félix-le-Tropical. La « puissance étrangère qui fournissait les guides » finit par se débarrasser de lui parce que, estime-t-elle, « le goût tropical y [en lui] était encore, mais plus frappant, plus aigre que naguère » (VD 169).

À la mort de Félix-le-Tropical, la « puissance étrangère qui fournissait les guides » porte sur le trône, au dire du narrateur, « un inconnu cousin du Maréchal, appelé Souprouta » (VD 170) sous le nom de règne de Mallot-l’Enfant-du-Tigre. Ce dernier meurt en se tirant une balle dans la tête. À Mallot-l’Enfant-du-Tigre va succéder le général Mariane-de-la-Croix.

Les univers fictionnels de La Vie et demie et L’État honteux sont en fin de compte marqués par un foisonnement de « noms de règne ». On peut cependant relever que ces « noms de règne » ne sont pas dépourvus de signification et qu’ils s’ancrent dans l’histoire, la sociologie, l’imaginaire, le monde animal, le monde végétal. D’où l’intérêt, à ce stade d’analyse, d’en cerner la portée sémantique.

  • Portée sémantique des « noms de règne »

À bien examiner les « noms de règne » dans ces deux romans de Sony Labou Tansi, une première remarque s’impose. En dehors de Martillimi Lopez, dans L’État honteux, qui ne change pas de nom, tous les autres, notamment dans La Vie et demie, n’ont pas gardé leurs noms inscrits dans les registres de l’état civil en montant sur le trône.

Une deuxième remarque concerne la morphologie de ces « noms de règne ». Ils sont tous construits comme des noms composés : les éléments dont ils sont constitués, à l’exception de Guide Providentiel, sont reliés par des traits d’union et de ce fait forment chacun un tout indissociable. Les groupes nominaux (Cœur-Tendre, Cœur-de-Père, Cœur-de-Pierre, Brise-Cœur, sans-Cœur, le-Tropical, l’Enfant-du-Tigre, de-la-Croix) sont tout compte fait en fonction d’apposition, et placés à côté d’un nom (Henri, Jean, Félix, Mallot, Mariane) ils en précisent l’identité, la qualité et éventuellement le métier.

Une troisième remarque porte sur l’origine de ces « noms de règne ». Ces noms sont tous d’origine européenne. Ils s’apparentent tant par leur structure que par leurs sonorités à ceux de quelques personnages historiques qui ont marqué l’imaginaire collectif des peuples d’Europe : Louis Ier le Pieux (IXe siècle), Charles II le Mauvais (XIVe siècle), Louis VI le Gros (XIIe siècle), Louis VII le Jeune (XIIe siècle) ou Philippe IV le Bel (XIVe siècle) pour ne citer que ces quelques exemples. On remarque cependant que les emprunts que font les souverains de la Katamalanasie à l’onomastique européenne les coupent de leur propre histoire et les projettent dans l’histoire des autres. Il en résulte que leur légitimité n’a plus sa source dans leur propre histoire, mais dans l’histoire des autres.

Nous sommes bien consciente de l’importance des noms propres dans les cultures des peuples : ils situent l’individu dans sa généalogie et l’identifient à sa communauté. Anne Retel-Laurentin et Suzanne Howath montrent dans leur ouvrage sur Les Noms de naissance, que

les noms apparaissent, selon les sociétés et les interprètes, comme une partie vitale de la personnalité, comme une sorte de double (Retel-Laurentin, Howath 18).

L’importance du nom est telle que quiconque cherche à s’en défaire au profit d’un nom étranger se dépouille de son identité au bénéfice d’une identité d’emprunt. C’est l’une des expressions les plus achevées du phénomène d’aliénation culturelle à la description duquel bon nombre de penseurs ont consacré des pages significatives, notamment le Martiniquais Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs (1952).[1] Or, les guides changent d’identité en prenant des noms étrangers comme « noms de règne », ils sont par conséquent des personnages profondément aliénés, c’est-à-dire étrangers à eux-mêmes.

Une quatrième remarque porte sur le contenu sémantique de ces « noms de règne ». À l’exception de Cœur-de-Pierre, Brise-Cœur, le-Tropical, l’Enfant-du-Tigre, sans-Cœur, qui expriment d’emblée la dureté, la cruauté, l’animalité, les autres « noms de règne » (Guide Providentiel, Cœur-Tendre, Cœur-de-Père, de-la-Croix) dénotent en principe l’humanisme, la magnanimité, la grandeur d’âme. Mais ceux qui portent ces noms reflètent-ils dans leur langage et dans leurs comportements les vertus annoncées ? La réponse est négative. Les personnages qui s’attribuent « ces noms de règne » à valeur positive ne sont guère différents des autres : ils sont eux aussi caractérisés par la violence, la cruauté, la sauvagerie, l’animalité.

De ces remarques, il ressort que l’auteur use de l’antiphrase pour nommer ceux qui exercent le pouvoir au sommet. L’antiphrase, proche de l’ironie, est une figure de sens qui consiste à dire le contraire de ce que l’on pense derrière une formule faussement plaisante. Elle correspond donc, dans sa forme canonique, à la formule : « dire A pour signifier le contraire de A » (Fromilhague 105). Ni le Guide Providentiel, ni Henri-au-Cœur-Tendre, ni Jean-Oscar-Cœur-de-Père, ni Mariane-de-la-Croix n’incarnent les valeurs qu’énoncent les noms de règne qu’ils se sont attribués.

Dans son étude sur « La tradition burlesque dans ‘’La Vie et demie’’ de Sony Labou Tansi », Elo Dacy (80-81) est plus explicite encore sur le caractère ambigu de ces « noms de règne » :

Sony Labou Tansi, note-t-il, use de l’ironie burlesque pour montrer le divorce entre leur comportement criminel et l’espoir suscité par leurs noms de règne. Ces derniers se révèlent n’être en dernière analyse que des masques. La charge positive qu’ils recèlent relève d’une volonté de mystification.

C’est en fin de compte cette volonté de mystification qui transparaît dans chaque « nom de règne » et fait des personnages qui les portent des individus « en flagrante contradiction avec leur pratique sociale, faite de folie meurtrière, de cruauté, de déficit social » (Dacy 80).

Conclusion

Cette étude a eu pour objectif l’analyse de ce que nous avons appelé les « noms de règne » qui constituent un des aspects non négligeables de l’anthroponymie romanesque de Sony Labou Tansi. Nos analyses ont abouti aux conclusions suivantes : les « noms de règne », ensemble des désignateurs que s’attribuent les personnages des présidents, des chefs d’État ou des souverains dès leur prise de pouvoir, disent souvent sinon toujours le contraire de ce qu’ils sont. Ils apparaissent ainsi comme l’expression la plus achevée de leur volonté de mystification. 

Cette volonté de mystification du pouvoir qu’ils exercent, beaucoup de personnages des « chefs politiques » dans les textes de littérature africaine francophone l’incarnent.

Baré Koulé, président de la République des Marigots du Sud, dans Le Cercle des Tropiques du Guinéen Alioum Fantouré, par exemple, est désigné tantôt par « Le Sauveur », tantôt par « Le Vénérable Maître », tantôt par « Le Messie-Koï ».

Les deux premiers termes relèvent du registre religieux, ils sont ordinairement employés pour désigner Jésus-Christ venu sur terre pour sauver l’humanité du péché originel et, en même temps, apporter la Bonne Nouvelle aux hommes. En s’attribuant les titres de « Sauveur » et de « Vénérable Maître », Baré Koulé prend une figure christique, et la mission qu’il s’assigne revêt un caractère sacré.

Quant à « Messie-Koï », il procède, comme le fait remarquer Jacques Chevrier (37-38), par amalgame syncrétique de deux termes parfaitement redondants : Le Messie, d’une part, emprunté à la culture chrétienne, et le mot Koï qui, en songhay, signifie le chef. 

Dans Le Pleurer-Rire du Congolais Henri Lopes, le narrateur présente Tonton Hannibal Ideloy Bwakamabé Na Sakkadé, le personnage principal du roman, comme un individu qui a partie liée avec les dieux. Le cantique « Quand Tonton descend du ciel », exécuté à l’harmonium par le curé de la paroisse Saint-Dominique du Plateau, insiste sur son essence divine.

En définitive, les « noms de règne » dans leur diversité n’en constituent pas moins un véritable enjeu de pouvoir et le lieu par lequel celui-ci manifeste sans détours sa mainmise.

Works quoted

Adjil, Bachir. Espace et écriture chez Mohammed Dib : la trilogie nordique. Paris : l’Harmattan/Awal, 1995.

Barthes, Roland. « Proust et les noms », in Le Degré zéro de l’écriture suivi de Nouveaux essais critiques. Paris : Le Seuil, coll. Points, (1953 et 1972) : 121-134.

———–. « Analyse textuelle d’un conte d’Edgar Poe », in S. Alexandresku, R. Barthes, Cl. Bremond et al. (dir.), Sémiotique narrative et textuelle. Paris, Larousse, (1974) : 34-44.

Bourneuf, Roland et Ouellet, Réal. L’Univers du roman. Paris : Presses Universitaires de France, collection SUP, 1975.

Chevrier, Jacques. « Visages de la tyrannie dans le roman africain contemporain », La Deriva delle francofonia (Atti dei seminari annuali di Letteratura Francophone dirreti da Franca Marcato Falzoni « Figures et fantasmes de la violence dans les littératures francophones de l’Afrique sub-saharienne et des Antilles »), 1 « L’Afrique sub-saharienne », Istituto Universitario Orientale, Naples, 29-30 novembre-1er décembre 1990. Bologne Editrice CLUEB. (1991) : 33-53.

Dacy, Elo. « La Tradition burlesque dans ‘’La Vie et demie’’ de Sony Labou Tansi », in Mukala Kadima-Nzuji, Abel Kouvouama et Paul Kibangou (dir.), Sony Labou Tansi ou la quête permanente du sens. Paris : l’Harmattan (1997) : 75-86.

Fanon, Frantz. Peau noire, masques blancs, Paris : Le Seuil, 1952.

Fantoure, Alioum. Le Cercle des Tropiques. Paris : Présence Africaine, 1972.

Fromilhague, Catherine. Les Figures de style. Paris : Armand Colin, 2014

Kapferer, J.-N. Rumeurs, le plus vieux média du monde, Paris : Le Seuil, 2009, (1ère édition en 1987).

Retel-Laurentin, Anne et Howath, Suzanne. Les Noms de naissance indicateurs de la situation familiale et sociale en Afrique noire. Paris, SELAF, 1972.

Lefort, Claude. Un homme en trop. Réflexions sur ‘’L’Archipel du Goulag’’. Paris : Le Seuil, coll. Combats, 1976.

Lopes, Henri. Le Pleurer-Rire. Paris : Présence Africaine, 1982.

N’da, Pierre. « Onomastique et création littéraire. Les noms et les titres des chefs d’Etat dans le roman négro-africain ». Présence francophone. Sherbrooke (Québec), 45, (1994) : 151-171.

Sony Labou Tansi. La Vie et demie. Paris : Le Seuil, 1972.

———. L’État honteux. Paris : Le Seuil, 1979.

Wagner, Frank. « Perturbations onomastiques : l’onomastique romanesque contre la mimèsis » in Yves Baudelle (Textes réunis par), Narratologie n0 9 « Onomastique romanesque », (2008) : 17-42.

How to cite this article:

MLA : Kadima-Nzuji, Gashella Princia Wynith. «Poétique des « noms de règne » dans La vie et demie et L’état honteux de Sony Labou Tansi.» Uirtus 1.1 (août 2021): 17-33.

Poétique des « noms de règne » dans La vie et demie et L’état honteux de Sony Labou Tansi

Gashella Princia Wynith Kadima-Nzuji§

Résumé : L’œuvre littéraire de l’écrivain congolais Sony Labou Tansi présente une galerie de personnages dotés de statuts variables. Ils se singularisent par les noms qu’ils portent. La présente contribution analyse les « noms de règne » que les personnages des chefs d’État ou des souverains reçoivent ou s’attribuent dès leur prise de pouvoir, dans La Vie et demie et L’État honteux de Sony Labou Tansi. Elle montre que sous la plume de l’écrivain congolais, les noms sont consubstantiels à l’exercice du pouvoir. Pour mieux circonscrire cette problématique, nous recourons à la poétique comme à la fois théorie et approche de l’œuvre littéraire. La poétique s’intéresse, en effet, aux propriétés du texte littéraire, et le personnage en est une. Parmi les attributs du personnage, le nom est sans aucun doute celui qui en détermine le mieux le parcours sémiotique.

Mots-clés :  Noms, personnages, consubstantiels, poétique, souverains, pouvoir,

 

Abstract: The literary work of the Congolese writer Sony Labou Tansi presents a large number of characters with varying statuses. They are distinguished by the names they bear. This contribution analyzes « the names of reigns » that heads of states or sovereigns receive or attribute to themselves as soon as they take power. It shows that in the work of Sony Labou Tansi, the names are consubstantial with the exercise of power. To better circumscribe this problematic, we resort to poetics as both a theory and an approach to the literary text. Poetics is, in fact, interested in the properties of the literary text, and the character is one of them. Among the attributes of the latter, the name is undoubtedly the one which best determines its semiotic course.

Keywords: Names, Characters, Consubstantial, Poetic, Sovereigns, Power.

 

Introduction

Par « noms de règne », nous entendons l’ensemble des désignateurs que s’attribuent les personnages des présidents, des chefs d’État ou des souverains au cours de leur exercice du pouvoir (N’Da 151-171). Dans l’œuvre littéraire de Sony Labou Tansi, La Vie et demie est le texte qui traite avec verve de la thématique des « noms de règne ». Dans les monarchies occidentales comme dans bon nombre de chefferies africaines, tout successeur au trône prend un nom de règne. Ces « noms de règne » sont souvent la traduction des projets de société, des programmes d’action ou des ambitions des nouveaux gouvernants. Mais la Katamanalasie, dans La Vie et demie, n’est ni une monarchie ni une chefferie. Selon la constitution qui la régit, elle a le statut de république. Il s’agit d’une « république communautaire » (VD 60) ainsi que la définit la loi fondamentale, et « son président fondateur (…), président à vie… » (VD 60). Or dans une république, la pratique de s’attribuer un « nom de règne » n’a pas sa raison d’être : le président élu conserve son patronyme, ou alors continue à faire valoir le pseudonyme qu’il s’était choisi et sous lequel il s’était fait connaître avant son accession au pouvoir. Dans l’histoire de l’Afrique contemporaine, le cas du premier président kenyan Jomo Kenyatta (le javelot flamboyant) est exemplaire. Autrement dit, l’accession à la magistrature suprême ne justifie aucunement le changement de nom. Aussi du fait que les guides dans La Vie et demie, en viennent, à chaque prise de pouvoir, à s’attribuer des noms de règne, indique clairement qu’il y a changement de système de gouvernement. Dès lors, la « république communautaire » de la Katamalanasie est assimilable à une royauté. En effet, bien qu’elle soit officiellement déclarée république, il n’en demeure pas moins qu’elle fonctionne comme une monarchie : les guides sont des présidents à vie et maîtres absolus des sanctions coercitives, et les trois pouvoirs que distingue le Droit public occidental, à savoir le législatif, le judiciaire et l’exécutif, sont concentrés entre leurs mains.

L’objet de cette étude est de montrer, exemples à l’appui, que les « noms de règne » dans La Vie et demie et L’État honteux ne sont pas gratuits ; ils ne sont pas non plus le fait d’attribution fantaisiste à visée ludique. Ils sont plutôt consubstantiels à l’exercice du pouvoir. Ils ne sont pas arbitraires, mais motivés au sens où l’entendent les poéticiens.

Pour mieux cerner cette problématique, nous recourons à la poétique comme à la fois théorie et approche méthodologique. L’option de la poétique se justifie du fait que le nom propre est une des propriétés intrinsèques du personnage fictionnel, sinon la plus importante. Bachir Adjil écrit sans détour que le nom d’un personnage romanesque « contribue pour beaucoup à son parcours sémiotique, et quelquefois il est même plus important que l’action du récit » (72). En somme, B. Adjil emboite le pas à Roland Barthes qui, dès la fin des années cinquante, met en exergue l’idée selon laquelle de toutes les caractéristiques qu’un auteur attribue à ses personnages, le nom se présente comme l’élément le plus significatif. De cette idée, Barthes conclut que « le propre du récit n’est pas l’action, mais le personnage comme Nom propre » (Barthes 197).

La présente contribution se propose d’analyser une catégorie de noms propres, – « les noms de règne », – dans La Vie et demie et L’État honteux. Aussi va-t-elle s’articuler autour de trois principaux axes :

  1. Présentation des deux romans du corpus ;
  2. Origines et morphologie des « noms de règne » ;
  3. Portée sémantique des « noms de règne ».

Si cette étude s’est limitée à l’analyse de La Vie et demie et de L’État honteux, c’est que ces romans sont les seuls dans la production narrative de Sony Labou Tansi, qui accordent une attention toute particulière aux « noms de règne ». Pour plus de clarté et de précision dans nos analyses, il nous paraît opportun d’en présenter les arguments.

 

  1. Présentation de La Vie et demie et de L’État honteux

Le premier roman de Sony Labou Tansi à être publié est La Vie et demie. L’histoire qu’il raconte se déroule dans un pays imaginaire, la Katalamanasie, qui a pour capitale Yourma. Au lendemain de l’indépendance de ce pays, un « voleur de bétail » du nom d’Obramoussando Mbi s’empare du pouvoir et se fait appeler « Guide Providentiel ». Il va régner en maître absolu sur ce pays et y instaurer un régime politique tyrannique. Seul Martial, un personnage à la fois charismatique et mystique, lui oppose une résistance des plus farouches. Le « Guide Providentiel » décide alors de le réduire de ses propres mains en pâté. Malgré l’usage qu’il fait du couteau, du revolver, du sabre, du poison, il ne réussit pas à l’anéantir. « Je ne veux pas mourir cette mort », ne cesse de répéter Martial. Et le Guide Providentiel de s’écrier : « Alors, quelle mort veux-tu mourir, Martial ? » Martial continuera de vivre sous une forme spectrale et de tourmenter le « Guide Providentiel » et ses successeurs, et ce, durant plusieurs générations.

Chaïdana, à peine âgée de quinze ans, poursuit la lutte de son père, mais d’une manière que ce dernier désapprouve : elle se prostitue aux dignitaires du régime du « Guide Providentiel », tuant les uns après les autres, ministres et officiers qu’elle invite dans sa chambre n° 38 de l’hôtel « La vie et demie ». Elle s’emploie à falsifier les pièces d’identité qu’elle porte sur elle et échappe ainsi à la vigilance des sbires du « Guide Providentiel ».

Chaïdana met au monde des triplés, deux garçons et une fille, qui sont la conséquence de la « gifle intérieure » (viol) qu’elle reçoit de son père. Les deux garçons, Martial et Amendadio Layisho, meurent l’un à sa naissance, et l’autre des suites d’un empoisonnement. Seule la fille, Chaïdana Layisho, reste en vie. Grâce à sa beauté incomparable, elle ne tarde pas à séduire des hauts dignitaires de la Katalamanasie. De son union avec Jean-Oscar-Cœur-de-Père sera issu un fils du nom de Kamachou Patatra. Celui-ci succèdera à son père et prendra comme nom de règne Jean-Cœur-de-Pierre. Il donne naissance à deux mille enfants qu’il prénomme tous « Jean ». Trente d’entre eux rejoignent leur grand-mère Chaïdana Layisho surnommée Chaïdana-aux-gros-cheveux. Ils vont consacrer toutes leurs énergies à développer leur pays. Cette descendance, que le narrateur désigne par le terme « chaïdanisés », livrera une guerre sans merci aux maîtres de la Katalamanasie et finira par les éliminer.

Le deuxième roman de Sony Labou Tansi s’intitule L’État honteux. A l’instar de la Vie et demie qui conte par le menu l’histoire d’une dynastie mégalomane et ubuesque, L’État honteux reproduit le discours du pouvoir, incarné par l’abominable colonel Martillimi Lopez. Ce personnage a comme principale caractéristique son énorme « hernie ». Sa toute-puissance, sa folie de grandeur et la tyrannie qu’il exerce sans désemparer sur son peuple, sont par conséquent symbolisées par elle. Dès sa prise de pouvoir, Martillimi Lopez décide, contre toute attente et en dépit des règles en vigueur dans les relations internationales, de retracer les frontières de son pays : « La patrie sera carrée », déclare-t-il. Des tentatives répétées de coups d’Etat créent un climat de peur dans le pays. Lopez est tenté d’abdiquer mais ses conseillers l’en dissuadent. Exaspérés par le comportement de Martillimi Lopez et les décisions souvent irrationnelles qu’il est amené à prendre, les ministres, imités en cela par les officiers de l’armée et les hauts fonctionnaires, lui présentent chacun leurs démissions, car, confessent-ils, « ce pays nous devons le laisser aux enfants des enfants de nos enfants mais pas dans cet état honteux… ». Le dictateur sanguinaire reprend le dessus et remanie son gouvernement. Mais vivant toujours dans un climat de peur et de violence, il décide de connaître son avenir et fait venir le voyant Merline. Celui-ci lui fait avaler une pièce de monnaie qui l’étouffe. Lopez tombe dans un coma profond qui dure plusieurs semaines. Pendant ce temps, le colonel Jescani le déclare mort, fixe la date de son enterrement et s’empare du pouvoir. La « Maman Nationale », la mère de Martillimi Lopez, et une des femmes du dictateur sont enlevées et tuées. Mais Lopez n’est pas mort. Revenu à lui, il reprend le pouvoir.

Lors d’un voyage de Martillimi Lopez à Paris, le colonel portugais Vauban, son homme de main, s’empare à son tour du pouvoir. Il ne l’exercera pas pour longtemps, car, dès son retour au pays, Lopez le met en fuite et rétablit l’ordre. Fatigué de tout, Martillimi Lopez, après un festin offert aux diplomates et aux dignitaires de son régime, annonce sa démission.

Telle est la présentation succincte des deux romans de notre corpus. Le premier, La Vie et demie, s’illustre par un foisonnement exceptionnel des « noms de règne », témoignant de la créativité onomastique de l’écrivain congolais. Le second, L’État honteux, offre peu de cas de changement de nom au sommet de l’Etat. N’empêche que l’Etat lui-même, le pouvoir qu’il incarne ainsi que le corps de Martillimi Lopez y sont représentés par la hernie. Le terme hernie finit par désigner, au-delà de la pathologie, le personnage de Martillimi Lopez lui-même. Reste à étudier les origines et la morphologie de ces « noms de règne ».

 

  1. Origines et morphologie des « noms de règne »

La première observation que l’on puisse exprimer dans cette étude concerne exclusivement La Vie et demie. Dans ce roman n’apparaissent à aucun moment les désignations des présidents, chefs d’État, souverains et autres empereurs, etc. En revanche tous les personnages exerçant le pouvoir suprême sont désignés par les termes de « guide » et « d’Excellence ». Mais le titre de guide que portent tous les souverains de la Katamalanasie provient, dans le roman, de celui qui, le premier, se l’attribue : le « Guide Providentiel ». Il s’agit du voleur de bétail Cypriano Ramoussa devenu Obramoussando Mbi, puis Marc-François Matéla-Péné Loanga, puis Yambo, puis, enfin, le Guide Providentiel une fois qu’il prend le pouvoir. Le narrateur rend bien compte de cette double aventure onomastique et politique lorsqu’il déclare :

Il [Le Guide Providentiel] pensait à Obramoussando Mbi, comment il avait quitté cette identité pour celle de Loanga ; Loanga devient Yambo. Il pensait comment Yambo devint le premier secrétaire du Parti pour l’égalité et la paix ou PPEP, comment le PPEP devint le PPUD (Parti pour l’unité et la démocratie) puis le PPUDT (Parti pour l’unité, la démocratie et le travail) et lui, son président fondateur donc, suivant le fin piège constitutionnel, président à vie de la république communautariste de la Katamalanasie. Yambo devint alors le Guide Providentiel Marc-François Matéla-Péné…  (VD 59-60).

Bien qu’il porte aussi d’autres noms et d’autres titres notamment Cézama 1er, celui sous lequel il va exercer ses prérogatives de chef d’État n’est autre que celui de Guide Providentiel avec des majuscules aux initiales comme pour souligner la nature extraordinaire, voire surhumaine de son pouvoir.

Pour plus de clarté, nous schématisons, dans le tableau ci-après, le cheminement social et politique ainsi que l’aventure anthroponymique du Guide Providentiel :

 

Nom à l’état civil

1er changement de nom

2e changement de nom

3e changement de nom

Nom(s) de règne

Cypriano Ramoussa (caractéristique : voleur de bétail, etc.)

Obramoussando Mbi (caractéristique : voleur de bétail, etc.)

Loanga (Caractéristique : idem)

Yambo

(caractéristique : Premier secrétaire du Parti)

– Le Guide Providentiel Marc-François Matéla-Péné

– Cézama 1er

 

Cypriano Ramoussa s’illustre donc dans le vol du bétail. Il a maille à partir avec la justice. Le changement d’identité lui permet, dans un premier temps, de vivre dans la clandestinité ; il échappe ainsi aux rigueurs de la loi. Le changement d’identité lui permet, dans un second temps, d’accéder à la sphère du pouvoir politique : il devient, en effet, sous un nom nouveau Premier secrétaire du Parti. En accédant à la magistrature suprême, Yambo devient simultanément le Guide Providentiel, Marc-François Matéla-Péné et Cézama 1er. Du début à la fin du récit Cypriano Ramoussa change d’identité. Il s’attribue des noms d’emprunt ou des identités fictives comme pour échapper à l’attention de tous. En fait, il passe son temps à se camoufler pour ne pas être reconnu ni de la police ni de ceux à qui il avait volé du bétail ni de ses créanciers ni de la population. Cependant il se contente de changer de nom, mais pas d’apparence. On peut, ici, parler de ce que Frank Wagner appelle « les fluctuations diachroniques de l’étiquette du personnage » (38).

La combinaison de ces deux mots « guide » et « providentiel » donne lieu à un « nom de règne » construit sur la base de mots abstraits. Le guide est concrètement une personne qui a la mission de montrer le chemin aux autres, mais abstraitement il est aussi celui sur qui les autres doivent régler leurs conduites. Il est donc un modèle. Quant à l’adjectif « providentiel » accolé à « guide », il détermine la nature du pouvoir de Son Excellence Matéla-Péné Loanga : ce pouvoir se veut d’essence divine. En d’autres termes, l’ancien voleur de bétail n’aura pas reçu son pouvoir de son peuple, mais de Dieu.

Le recours au sacré a pour objectif de légitimer le pouvoir quelles que soient les circonstances dans lesquelles il s’acquiert ou s’exerce. En Occident, par exemple, le pouvoir a souvent eu recours à la religion pour sa légitimation. Il n’est que de se rappeler le sacre des rois ou les serments constitutionnels pour comprendre la place du sacré dans l’organisation et le fonctionnement des sociétés humaines.

En Afrique, le pouvoir traditionnel s’est toujours enveloppé d’un mystère qui lui imprime un caractère sacré. C’est que tout pouvoir pour être efficace, a besoin de légitimation ; et la légitimation pour bon nombre de chefs politiques, passe par la voie du sacré. Dès lors, le pouvoir qu’ils exercent n’est plus perçu comme émanant du peuple, mais plutôt d’un foyer à distance des hommes et, par conséquent, offrant, comme le fait observer Claude Lefort (67), « la garantie d’un accord substantiel entre l’ordre de la société et l’ordre de la nature. »

La recherche de la légitimité dans le cas du Guide Providentiel s’opère principalement par la voie du sacré en faisant du pouvoir qu’il détient une émanation divine, il ne faudra cependant pas perdre de vue qu’elle s’opère également par la voie des traditions : le guide se donne une généalogie avec des ancêtres hors du commun. Le narrateur est on ne peut plus explicite à ce sujet :

Tout le monde savait par cœur où était né le Guide Providentiel, quand, de qui, comment et pourquoi  ̶,   mais le commentateur refit les éloges de Samafou Ndolo Petar qui leur avait donné (aux Katamalanasiens, bien sûr) un fils que la providence avait rempli des meilleurs dons du monde (VD 52).

Le Guide Providentiel apparaît comme un élu des dieux. Choisi parmi mille, il est par la force des choses porté à la magistrature suprême. Son père, Samafou Ndolo Petar, un citoyen ordinaire, se voit du jour au lendemain placé sous les feux de la rampe du simple fait qu’il est son géniteur.

L’image que le narrateur veut donner de Samafou Ndolo Petar est celle de bâtisseur de dynasties. Il est le géniteur d’un grand chef. Son prénom, Petar, est significatif à cet égard. Il s’agit d’un prénom d’origine croate, voire slave. Il est l’équivalent de Pierre.

Dans les Evangiles, celui que Jésus surnomme Pierre s’appelait en réalité Simon. Il est le principal de ses douze Apôtres. En le surnommant Pierre, Jésus fait de lui le fondement de l’édifice ecclésiastique (Matthieu 16, 18). Samafou Ndolo Petar est dès lors assimilable à Pierre. Si ce dernier est bâtisseur d’église, Ndolo Petar est bâtisseur de dynastie, celle des Guides Providentiels.

En plus, on n’est pas loin de ce qui arriva à Joseph, le charpentier de Nazareth, qui se vit projeté au-devant de la scène non pas pour ses performances d’artisan et la qualité de son travail, mais pour le simple fait qu’il était l’époux de la Vierge Marie et père nourricier de l’Enfant Jésus. Une fois de plus, on reconnaît par ces allusions la dette de Sony Labou Tansi vis-à-vis des Saintes Ecritures.

Mais ce qui nous paraît particulièrement significatif à ce stade d’analyse, c’est le processus d’autocélébration et de mythisation dans lequel s’engagent sans ménagement le pouvoir et celui qui l’exerce au sommet.

Le Guide Providentiel met en effet tout en œuvre pour se construire un mythe autour de sa personne et de son pouvoir à partir de ses origines et de son parcours social et politique. Et ce mythe qui fait de lui un être exceptionnel, ses thuriféraires (les partisans, les médias, les artistes) participent à son élaboration et à son amplification.

Il en est de même de Martillimi Lopez dans L’État honteux. Personnage sans envergure, il se fait passer pour un homme exceptionnel, qui aura tiré son peuple du marasme économique et du chaos politique dans lesquels ses prédécesseurs l’avaient plongé. Il justifie ainsi sa prise de pouvoir :

 … je n’aurais pas pris votre pouvoir de merde si mon prédécesseur ne s’était pas mis à pisser sur les affaires de la patrie, s’il vous avait laissés mourir de faim au lieu de vous tuer comme des rats, s’il n’avait pas jeté septante pour cent du budget à l’achat des ferrailles russes (EH 23).

L’image que Martillimi Lopez donne de son prédécesseur est celle d’un homme sans charisme, dénué du sens de l’Etat, dépourvu de l’amour de son peuple et porté sur la gabegie et la cruauté. Ce que Martillimi Lopez dit de son prédécesseur immédiat, il le pense au sujet de tous ceux qui ont exercé le pouvoir avant lui. Il déclare en effet en se comparant à eux :

Je ne suis pas Haracho national qui touchait l’argent du pétrole en cachette et qui le jetait dans ses comptes en Suisse, ce qui ne vous a pas empêchés de le foutre père de la nation quelle honte ! Et vous avez vu comment Dascano national a dormi toutes vos femmes, vous avez vu comment il passait ses nuits au collège de Lahossia, comment il est devenu le père de seize cent onze bordels, mais vous l’avez foutu père de la nation, et maintenant dites à ma hernie combien vous allez donner de pères à cette pauvre terre ? (EH 156-157)

Il ressort de ce discours que le titre de « père de la nation » aura été galvaudé du fait qu’il a été porté par des personnes sans moralité. En posant la question de savoir combien de « pères de la nation » le peuple va donner à la république, Martillimi Lopez dénonce sans détours les coups d’Etat et autres pratiques anticonstitutionnelles de prise de pouvoir. Il décide de remettre le pays sur les rails, de réhabiliter la constitution et les institutions qui en découlent et de mettre un terme à l’anarchie qui a élu domicile dans la « patrie ».

 … non non et non, moi, Lopez national fils de maman, je dis : terminée la connerie d’inventer la merde, terminés vos jeux de hernies : plus de père de la nation, plus de marchands de mirages : vive la patrie ! à bas les cons, à bas la connerie ! (EH 157)

La première étape vers la restauration d’un État de droit est la remise en question de son propre pouvoir. La décision qu’il prend est sans appel : Je rends le pouvoir aux civils ! (EH, 157). Martillimi Lopez quitte le pouvoir et s’en retourne à Moumvouka, le village de sa mère, la « Maman-Folle-Nationale » (EH,157), d’où il était parti quelques années plus tôt. Mais avant de céder le pouvoir aux civils, il ordonne que les militaires regagnent leur caserne. Que les tirailleurs rentrent à la caserne avec ma hernie pour attendre la guerre (EH, 157).

Le vocable « tirailleurs » employé par Lopez n’a, objectivement parlant, rien de péjoratif. Le Robert explique ce mot en ces termes : « 1. Soldat détaché pour tirer à volonté et harceler l’ennemi ; 2. Soldat de certaines troupes d’infanterie coloniale, encadrées par des Français ». Cette dénomination était réservée aux fantassins de l’armée coloniale recrutés hors de la France métropolitaine. Tel n’est pas le cas ici. Quand Lopez parle de « tirailleurs », il ne s’agit pas des étrangers, mais « des enfants du pays ». Pourquoi les désigne-t-il ainsi ? L’une des particularités des tirailleurs, c’était de tirer à volonté et dans toutes les directions pour harceler l’ennemi comme l’exigeait le commandement militaire. Ce comportement donnait l’impression d’un manque de discipline alors qu’il était la résultante d’une stratégie opérationnelle rompue. Le désordre et les exactions que les soldats provoquent à la Cité sont comparables à ceux des « tirailleurs ». C’est pourquoi Lopez emploie pour les désigner la métaphore de « tirailleurs ». Et cette métaphore est chargée de connotations négatives.

Le retour des militaires dans les casernes constitue la seconde étape vers la restauration d’un État de droit. Bien que tout au long de ses quarante années de règne, il n’ait su diriger son pays conformément aux principes de gouvernance qu’il énonce, Martillimi Lopez pose néanmoins les jalons d’une véritable démocratie : le pouvoir au peuple et par le peuple ; le respect de la constitution et des institutions qui en émanent ; la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ; le cantonnement de l’armée à ses missions de défense du territoire national.

En ne relevant que les aspects négatifs de la personnalité de ses prédécesseurs, il se met lui-même en vedette et marque la différence : il sous-entend que lui est bon, juste, magnanime, démocrate, et soucieux du bon fonctionnement de la « patrie ».

Le narrateur de L’État honteux comme celui de La Vie et demie met en exergue la participation du peuple au processus de mythisation de la personne de Martillimi Lopez et de son pouvoir. Il fait remarquer, en effet, que

 … dans toutes les maisons où vous allez le soir, on raconte l’histoire de feu mon-colonel Martillimi Lopez, commandant en chef de l’amour et de la fraternité, et chacun y met son ton, sa salive, ses dates, ses lieux, chacun la fait briller à sa guise au ciel de notre imagination… (EH 23).

Le pronom indéfini neutre « on » du syntagme verbal « on raconte » réfère à une ou plusieurs personnes. Il est par ailleurs inclusif dans la mesure où il couvre, comme l’indiquent les grammairiens et autres spécialistes de la langue française, l’ensemble des pronoms personnels, du « je » aux il(s) et elle(s). Le pronom indéfini « on » renvoie certes à des êtres humains, à des sujets indéterminés, mais peut aussi évoquer des généralités, ou être employé en cas de souhait d’anonymat. Dans cet extrait de L’État honteux, il indique que le propos tenu relève du registre de la rumeur. L’émetteur n’est pas déterminé. Il n’est pas non plus identifiable. Les faits relatés ne sont guère attestés historiquement. Ils relèvent de l’affabulation. Ils sont comme toute rumeur, des déclarations destinées à être crues, se rapportant à l’actualité et répandues sans vérification officielle (Kapferer 11-12). Cela laisse toute latitude à ceux qui participent à la fabrication et la diffusion du mythe de Martillimi Lopez d’inventer les dates et les lieux en fonction des messages qu’ils entendent propager. En définitive, le narrateur met l’accent sur la créativité populaire avec ce qu’elle comporte de pouvoir d’amplification des faits constatés ou supposés.

Prenant le contrepied de la rumeur, le narrateur s’engage à donner une version supposée véridique des faits et événements entourant la vie et la mort de Martillimi Lopez.

 … mais voici la vraie histoire de Martillimi Lopez fils de Maman Nationale, telle que la racontent ceux de ma tribu, avec leur goût du mythe, au milieu des éclats de rire…  (EH 23).

La version proposée par le narrateur et qualifiée de « vraie histoire » est considérée comme véridique pour trois raisons.

La première : le narrateur est de la même tribu que Martillimi Lopez ; il est donc censé parler de ce dernier de l’intérieur et en connaissance de cause.

La deuxième raison : la version qualifiée de « vraie » est celle de la tribu de Martillimi Lopez.

La troisième raison : bien qu’elle n’échappe pas au « goût du mythe », la tribu de Lopez continue d’espérer que même mort, ce dernier ne manquera pas de la protéger contre les tyrans. Par « tyrans » il faudra entendre les prédécesseurs de Martillimi Lopez, en l’occurrence Haracho et Dascano, mais aussi ceux à venir d’autant plus qu’il quitte le pouvoir en ayant fait le vide autour de lui et sans avoir préparé de successeur.

La reconnaissance infinie que les médias et les populations katamalanasiennes vouent au géniteur du Guide Providentiel, dans La Vie et demie, s’étend aux habitants du village où ce dernier a vu le jour. Le narrateur observe en effet que le village aussi avait été loué d’avoir laissé grandir dans la joie et la simplicité le guide multidimensionnel… (VD 52).

Le Guide Providentiel François-Marc Matéla-Péné Loanga, alias Sa Majesté Cézama 1er, nous apparaît en définitive comme un fondateur de dynastie. Sa descendance jouera un rôle de premier plan en Katamanalasie en dépit des soubresauts sociaux et autres crises politiques qui vont marquer l’histoire de ce pays.

À la mort du Guide Providentiel, le colonel Mouhahantso lui succède. Il prend le nom de règne de guide Henri-au-Cœur-Tendre. On peut se poser la question de savoir si ce nom de règne correspond bel et bien à son tempérament, à son projet de société, à sa manière de gouverner. D’ores et déjà l’on sait qu’il aime « les vierges, la viande et les vins » (VD 83), c’est-à-dire une vie dissolue. Le narrateur comme par dérision met à nu une sorte de duplicité qui le caractérise. Par le nom qu’il s’attribue, il cherche à se faire passer pour ce qu’il n’est pas.

 … ici, dit le narrateur, les mots ne disaient plus ce que disent les mots, juste ce que voulaient les hommes qui les prononçaient (VD 83).

Henri-au-Cœur-Tendre meurt assassiné par « son quart de frère » [sic] Katarana-Mouchata. Celui-ci prend le nom de règne de guide Jean-Oscar-Cœur-de-Père. Il meurt sur le bûcher en ayant choisi le nom de mort de Jean-Brise-Cœurs. À sa disparition, son fils Kamachou Patatra prend le pouvoir sous le nom de Jean-Cœur-de-Pierre.

Jean-Cœur-de-Pierre est assassiné par son fils Jean-sans-Cœur, « dans un coup orchestré avec la bénédiction de la puissance étrangère qui fournissait les guides » (VD 157).

À la mort du guide Jean-sans-Cœur, le maréchal Kenka Moussa prend les laisses de la nation sous le nom de règne de Félix-le-Tropical. La « puissance étrangère qui fournissait les guides » finit par se débarrasser de lui parce que, estime-t-elle, « le goût tropical y [en lui] était encore, mais plus frappant, plus aigre que naguère » (VD 169).

À la mort de Félix-le-Tropical, la « puissance étrangère qui fournissait les guides » porte sur le trône, au dire du narrateur, « un inconnu cousin du Maréchal, appelé Souprouta » (VD 170) sous le nom de règne de Mallot-l’Enfant-du-Tigre. Ce dernier meurt en se tirant une balle dans la tête. À Mallot-l’Enfant-du-Tigre va succéder le général Mariane-de-la-Croix.

Les univers fictionnels de La Vie et demie et L’État honteux sont en fin de compte marqués par un foisonnement de « noms de règne ». On peut cependant relever que ces « noms de règne » ne sont pas dépourvus de signification et qu’ils s’ancrent dans l’histoire, la sociologie, l’imaginaire, le monde animal, le monde végétal. D’où l’intérêt, à ce stade d’analyse, d’en cerner la portée sémantique.

 

  1. Portée sémantique des « noms de règne »

À bien examiner les « noms de règne » dans ces deux romans de Sony Labou Tansi, une première remarque s’impose. En dehors de Martillimi Lopez, dans L’État honteux, qui ne change pas de nom, tous les autres, notamment dans La Vie et demie, n’ont pas gardé leurs noms inscrits dans les registres de l’état civil en montant sur le trône.

Une deuxième remarque concerne la morphologie de ces « noms de règne ». Ils sont tous construits comme des noms composés : les éléments dont ils sont constitués, à l’exception de Guide Providentiel, sont reliés par des traits d’union et de ce fait forment chacun un tout indissociable. Les groupes nominaux (Cœur-Tendre, Cœur-de-Père, Cœur-de-Pierre, Brise-Cœur, sans-Cœur, le-Tropical, l’Enfant-du-Tigre, de-la-Croix) sont tout compte fait en fonction d’apposition, et placés à côté d’un nom (Henri, Jean, Félix, Mallot, Mariane) ils en précisent l’identité, la qualité et éventuellement le métier.

Une troisième remarque porte sur l’origine de ces « noms de règne ». Ces noms sont tous d’origine européenne. Ils s’apparentent tant par leur structure que par leurs sonorités à ceux de quelques personnages historiques qui ont marqué l’imaginaire collectif des peuples d’Europe : Louis Ier le Pieux (IXe siècle), Charles II le Mauvais (XIVe siècle), Louis VI le Gros (XIIe siècle), Louis VII le Jeune (XIIe siècle) ou Philippe IV le Bel (XIVe siècle) pour ne citer que ces quelques exemples. On remarque cependant que les emprunts que font les souverains de la Katamalanasie à l’onomastique européenne les coupent de leur propre histoire et les projettent dans l’histoire des autres. Il en résulte que leur légitimité n’a plus sa source dans leur propre histoire, mais dans l’histoire des autres.

Nous sommes bien consciente de l’importance des noms propres dans les cultures des peuples : ils situent l’individu dans sa généalogie et l’identifient à sa communauté. Anne Retel-Laurentin et Suzanne Howath montrent dans leur ouvrage sur Les Noms de naissance, que

les noms apparaissent, selon les sociétés et les interprètes, comme une partie vitale de la personnalité, comme une sorte de double (Retel-Laurentin, Howath 18).

L’importance du nom est telle que quiconque cherche à s’en défaire au profit d’un nom étranger se dépouille de son identité au bénéfice d’une identité d’emprunt. C’est l’une des expressions les plus achevées du phénomène d’aliénation culturelle à la description duquel bon nombre de penseurs ont consacré des pages significatives, notamment le Martiniquais Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs (1952).[1] Or, les guides changent d’identité en prenant des noms étrangers comme « noms de règne », ils sont par conséquent des personnages profondément aliénés, c’est-à-dire étrangers à eux-mêmes.

Une quatrième remarque porte sur le contenu sémantique de ces « noms de règne ». À l’exception de Cœur-de-Pierre, Brise-Cœur, le-Tropical, l’Enfant-du-Tigre, sans-Cœur, qui expriment d’emblée la dureté, la cruauté, l’animalité, les autres « noms de règne » (Guide Providentiel, Cœur-Tendre, Cœur-de-Père, de-la-Croix) dénotent en principe l’humanisme, la magnanimité, la grandeur d’âme. Mais ceux qui portent ces noms reflètent-ils dans leur langage et dans leurs comportements les vertus annoncées ? La réponse est négative. Les personnages qui s’attribuent « ces noms de règne » à valeur positive ne sont guère différents des autres : ils sont eux aussi caractérisés par la violence, la cruauté, la sauvagerie, l’animalité.

De ces remarques, il ressort que l’auteur use de l’antiphrase pour nommer ceux qui exercent le pouvoir au sommet. L’antiphrase, proche de l’ironie, est une figure de sens qui consiste à dire le contraire de ce que l’on pense derrière une formule faussement plaisante. Elle correspond donc, dans sa forme canonique, à la formule : « dire A pour signifier le contraire de A » (Fromilhague 105). Ni le Guide Providentiel, ni Henri-au-Cœur-Tendre, ni Jean-Oscar-Cœur-de-Père, ni Mariane-de-la-Croix n’incarnent les valeurs qu’énoncent les noms de règne qu’ils se sont attribués.

Dans son étude sur « La tradition burlesque dans ‘’La Vie et demie’’ de Sony Labou Tansi », Elo Dacy (80-81) est plus explicite encore sur le caractère ambigu de ces « noms de règne » :

Sony Labou Tansi, note-t-il, use de l’ironie burlesque pour montrer le divorce entre leur comportement criminel et l’espoir suscité par leurs noms de règne. Ces derniers se révèlent n’être en dernière analyse que des masques. La charge positive qu’ils recèlent relève d’une volonté de mystification.

C’est en fin de compte cette volonté de mystification qui transparaît dans chaque « nom de règne » et fait des personnages qui les portent des individus « en flagrante contradiction avec leur pratique sociale, faite de folie meurtrière, de cruauté, de déficit social » (Dacy 80).

 

Conclusion

Cette étude a eu pour objectif l’analyse de ce que nous avons appelé les « noms de règne » qui constituent un des aspects non négligeables de l’anthroponymie romanesque de Sony Labou Tansi. Nos analyses ont abouti aux conclusions suivantes : les « noms de règne », ensemble des désignateurs que s’attribuent les personnages des présidents, des chefs d’État ou des souverains dès leur prise de pouvoir, disent souvent sinon toujours le contraire de ce qu’ils sont. Ils apparaissent ainsi comme l’expression la plus achevée de leur volonté de mystification. 

Cette volonté de mystification du pouvoir qu’ils exercent, beaucoup de personnages des « chefs politiques » dans les textes de littérature africaine francophone l’incarnent.

Baré Koulé, président de la République des Marigots du Sud, dans Le Cercle des Tropiques du Guinéen Alioum Fantouré, par exemple, est désigné tantôt par « Le Sauveur », tantôt par « Le Vénérable Maître », tantôt par « Le Messie-Koï ».

Les deux premiers termes relèvent du registre religieux, ils sont ordinairement employés pour désigner Jésus-Christ venu sur terre pour sauver l’humanité du péché originel et, en même temps, apporter la Bonne Nouvelle aux hommes. En s’attribuant les titres de « Sauveur » et de « Vénérable Maître », Baré Koulé prend une figure christique, et la mission qu’il s’assigne revêt un caractère sacré.

Quant à « Messie-Koï », il procède, comme le fait remarquer Jacques Chevrier (37-38), par amalgame syncrétique de deux termes parfaitement redondants : Le Messie, d’une part, emprunté à la culture chrétienne, et le mot Koï qui, en songhay, signifie le chef. 

Dans Le Pleurer-Rire du Congolais Henri Lopes, le narrateur présente Tonton Hannibal Ideloy Bwakamabé Na Sakkadé, le personnage principal du roman, comme un individu qui a partie liée avec les dieux. Le cantique « Quand Tonton descend du ciel », exécuté à l’harmonium par le curé de la paroisse Saint-Dominique du Plateau, insiste sur son essence divine.

En définitive, les « noms de règne » dans leur diversité n’en constituent pas moins un véritable enjeu de pouvoir et le lieu par lequel celui-ci manifeste sans détours sa mainmise.

 

Works quoted

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How to cite this article:

MLA : Kadima-Nzuji, Gashella Princia Wynith. «Poétique des « noms de règne » dans La vie et demie et L’état honteux de Sony Labou Tansi.» Uirtus 1.1 (août 2021): 17-33.

 

[1] Dans cet essai, Fanon traite de l’aliénation de l’homme noir sous le colonialisme.