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Résumé (Opinions et attitudes des populations abidjanaises face à la vaccination contre la Covid-19)

Georges Gaulithy§

Résumé : La pandémie de la Covid-19 a fait de nombreuses victimes dans le monde entier. La découverte de différents vaccins a suscité une lueur d’espoir dans cette bataille contre cette maladie. Toutefois, malgré la disponibilité des vaccins, les populations ivoiriennes ne se sont pas fortement mobilisées pour se faire vacciner. Pourquoi une telle réaction de la part de celles-ci ? L’objectif de cette étude est d’analyser et expliquer les opinions et attitudes des populations abidjanaises à l’égard de la vaccination contre la COVID-19. L’étude documentaire associée à un questionnaire et des entretiens semi-dirigés ont constitué les techniques de recueil de données de cette étude. Une approche mixte (quantitative et qualitative) a été privilégiée pour l’analyse de ces données. Les résultats indiquent une influence des réseaux sociaux et des communications interpersonnelles sur les opinions et attitudes des populations dans la non adoption des vaccins contre la Covid-19.    

Mots-clés : Opinions et attitudes, vaccination, populations abidjanaises, COVID-19, résistance.

 

Abstract: The Covid-19 pandemic has claimed many lives around the world. The discovery of different vaccines has sparked hope in the battle against this disease. However, despite the availability of vaccines, the Ivorian populations did not strongly mobilize to be vaccinated. Why such a reaction from them? The objective of this study is to analyze and explain the opinions and attitudes of the Abidjan populations with regard to vaccination against COVID-19. The documentary study associated with a questionnaire and semi-structured interviews constituted the data collection techniques for this study. A mixed approach (quantitative and qualitative) was favored for the analysis of these data. The results indicate an influence of social networks and interpersonal communications on the opinions and attitudes of populations in the non-adoption of vaccines against Covid-19.

Keywords: Opinions and Attitudes, Vaccination, Abidjan Populations, COVID-19, Resistance.

 

Introduction

Les concepts d’opinions et d’attitudes ont été abondamment définis, surtout par la psychologie sociale. En effet, l’opinion est un point de vue, une position intellectuelle, une idée ou un ensemble d’idées que l’on a dans un domaine déterminé (Grand Robert de la Langue Française). En outre, il est un jugement que l’on porte sur un individu, un être vivant, un fait, un objet, un phénomène… Dans le cas de notre étude, c’est le jugement que porte les populations abidjanaises sur le phénomène de la vaccination contre la Covid-19.

Par ailleurs, la définition de Rosenberg et Hovland (1-44) sur les attitudes prend en compte trois dimensions qui constituent des composantes. Une composante affective (émotions positives ou négatives, favorable ou défavorable à l’égard de l’objet attitudinal), une composante cognitive (connaissances et croyances présentes et passées concernant l’objet) et une composante conative (comportements passés et présents de l’individu face à cet objet et à ses intentions comportementales (futur)). Certes, l’attitude est un ensemble de prédispositions qui permettent à un individu de réagir favorablement ou défavorablement en présence d’un objet. Elle est surtout interne à l’individu. De ce fait, pour nous, c’est surtout un état d’esprit, une intention et n’est donc pas directement observable. Ici, il s’agit d’analyser l’intention à agir des populations abidjanaises face à la vaccination. Après avoir défini ces concepts, quel est le point des travaux scientifiques sur la question des opinions et attitudes face à la vaccination contre la Covid-19 dans le monde en général et en Côte d’Ivoire en particulier ?    

Dans le cadre de la lutte contre la pandémie de la Covid-19, les grandes puissances économiques et scientifiques ont dégagé d’importants moyens financiers afin que des recherches puissent être menées ou accélérées afin d’aboutir à la découverte de vaccins. Conformément au protocole en matière de recherche vaccinale, il a fallu recourir aux essais cliniques. C’est ainsi que Detoc et al. (7003-7005), dans le cadre de leurs travaux, ont pu déterminer que 48% des personnes de leur échantillon d’enquête (3259 personnes) seraient disposées à participer aux essais cliniques dans le cadre de l’élaboration d’un vaccin contre la Covid-19 en France, tandis que 75% seraient favorables à la vaccination contre ce virus. Cette intention vaccinale contre la Covid-19 concerne les personnels de la santé, acteurs de premières lignes dans cette lutte. Aussi, pour Dereje et al. (8-10), à Addis-Abeba, près de la moitié (46,7%) des participants à leur enquête présentaient un faible niveau de connaissances sur la Covid-19 ce qui induisait une attitude négative envers elle (Covid-19) et ses mesures préventives. De telle sorte qu’une personne sur cinq, parmi les interviewées, n’envisageait pas se faire vacciner contre la Covid-19. A contrario, des niveaux de connaissances élevées sur la Covid-19 et les vaccins développés pour lutter contre elle, favorisent une intention vaccinale beaucoup plus importante comme le soulignent les travaux d’Al-Qerem et Jarab (632914).

En outre, le niveau de connaissance influence voire détermine la confiance ou non dans le vaccin. Évaluant le niveau de confiance que les populations ont dans les vaccins en général, De Figueiredo et al. (900-906) ont comparé ce niveau dans 149 pays du monde entre 2015 et 2019. À cet effet, six pays se distinguent par le désaccord de leur population face à l’innocuité des vaccins (Afghanistan, Azerbaïdjan, Indonésie, Nigéria, Pakistan et la Serbie). De même, la confiance du public placée dans les sources d’information (institutionnelle) influence leur volonté de se faire vacciner comme le souligne les travaux de De Freitas et al. (100051). Qu’en est-il de cette confiance, surtout lorsque ces sources d’informations émanent d’autres sources non institutionnelles ? C’est le cas des médias sociaux qui, globalement, impactent négativement la volonté des personnes de se faire vacciner. Ce refus vaccinal suscité par les informations en provenance des médias sociaux est révélé par les travaux de Lyu et al. (8-12), Luo et al. (101712), ainsi que ceux de Manby et al. (5-9). Cette désinformation et ses conséquences sont mis en avant par Roozenbeek et al. (201199). La désinformation, aussi brève soit elle, peut s’ancrer dans la mémoire à long terme selon Zhu et al. (303-306).          

Au-delà de l’impact globalement négatif des médias sociaux sur l’adoption de la vaccination contre la Covid-19, la question des croyances influence l’adoption ou non de la vaccination. En effet, cette question des effets des croyances sur la non adoption de la pratique vaccinale est ancienne. Chongwang montre les croyances qui sous-tendent le refus de faire la vaccination dans certaines régions du Cameroun. Ainsi, les contraintes culturelles, les légendes urbaines et la désinformation alimentent ces croyances contre les vaccins de façon générale. Cette conception est partagée par De Figueiredo et al. (900-906) qui ont perçu un lien entre les croyances religieuses des individus et leurs attitudes hostiles vis-à-vis des vaccins. Fridman et al. (e0250123) pensent pour leurs parts que la perception du risque et le comportement (attitudes moins favorables à l’égard d’une vaccination contre la Covid-19) sont en lien avec la perception du fait que le virus est moins dangereux qu’on ne le fait croire. Cette perception rejoint celle de Sallam et al. (42). Toutefois, ces croyances n’ont pas qu’un impact négatif sur l’adoption de la vaccination. Ainsi, Sherman et al. (1615-1618) pensent que l’intention de se faire vacciner est associée à des croyances et attitudes générales plus positives sur la vaccination contre la Covid-19.

En Côte d’Ivoire, les premières doses de vaccins ont été inoculées le 01 mars 2021. Cependant, il faut indiquer que le nombre de personnes contaminées était de 32791, dont 193 morts et 31712 guéries à ladite date selon les chiffres communiqués par le Ministère de la santé et de l’Hygiène publique. Pour lutter contre cette pandémie, les autorités étatiques avaient pris, dès le 24 mars 2020, un certain nombre de mesures visant à protéger les populations et à éviter la propagation de cette maladie. À cet effet, des mesures classiques telles que le lavage régulier des mains, le port du masque facial, la distanciation physique ont été édictées à l’endroit des populations. Aussi, au titre des mesures exceptionnelles, l’état d’urgence a-t-il été décrété par le chef de l’Etat dès l’apparition des premiers cas dans le pays. De même, la fermeture des frontières aériennes et terrestres, des établissements scolaires et universitaires, des lieux de loisirs et de culte, l’instauration d’un couvre-feu, l’interdiction des déplacements non autorisés entre le district d’Abidjan et les villes de l’intérieur du pays, la limitation à un seuil fixé du nombre de personnes autorisées à être dans une même salle s’ajoutent à l’état d’urgence. Ces mesures ont été diversement reçues par les populations. Elles ont essayé tant bien que mal de s’y conformer souvent sous le regard coercitif des forces de sécurité publique chargées de veiller au respect desdites mesures. Cependant, dans un pays où une partie de la population est pauvre[1] et se retrouve à exercer quotidiennement de petits métiers pour vivre, il semble difficile qu’elle puisse respecter scrupuleusement toutes ces mesures barrières. Aussi, la découverte des vaccins a suscité de nombreux espoirs à travers le monde. L’accès à ces vaccins, comme dans de nombreux pays du Tiers monde, surtout africains, est tributaire de certaines initiatives (COVAX[2], AVAT[3]…) et dons de pays développés. Toutefois, leurs usages suscitent des interrogations. En effet, les nombreux appels du gouvernement ivoirien aux populations, à aller se faire vacciner, semblent indiquer une certaine méfiance voire réticence de celles-ci vis-à-vis desdits vaccins (N’Guessan, Kaglan). Les cibles prioritaires que sont les personnels du corps de la santé, de l’enseignement et des forces de sécurité publique ne se sont pas bousculés pour se faire vacciner, à telle enseigne que le gouvernement l’a rapidement élargi à toute la population. Ces données statistiques obtenues, à la date du 21/11/2021, indiquent qu’en Côte d’Ivoire, 1,18 millions de personnes sont complètement vaccinées soit 4,5% de la population (ONU Info). Le chef de l’Etat a mentionné, lors de sa traditionnelle adresse à la nation en date du 31/12/2021, qu’à ce jour, environ 7 millions de doses de vaccins avaient été administrées sur un total d’environ 15 millions de doses disponibles. Dès lors, quelles sont les opinions et attitudes des populations abidjanaises face à la vaccination contre la Covid-19 ? Quelles sont les logiques et les rationalités qui sous-tendent de tels comportements au sein des populations ? Pourquoi une telle “résistance” face à la vaccination ?

Cette étude vise à expliquer les opinions et attitudes des populations abidjanaises à l’égard de la vaccination contre la COVID-19. Nous émettons l’hypothèse que l’influence des médias sociaux combinée à la communication interpersonnelle négative à l’endroit de la vaccination est un obstacle à une acceptation et une vaccination massive des populations contre la Covid-19. Cette étude repose sur les théories de la diffusion de Rogers (221-232) et le modèle séquentiel du comportement d’autoprotection de Dejoy (6-15). La première théorie part du principe que les personnes en relations s’influencent mutuellement quand vient le temps d’adopter une innovation. Dans ce cas présent, cette communication négative faite autour du vaccin contre la Covid-19 va influencer les attitudes de certains abonnés de ces réseaux sociaux qui finiront par ne pas adopter la vaccination. La seconde théorie repose sur un modèle qui servait à l’origine à la prévention des accidents du travail, basé sur quatre étapes : l’appréciation du danger, la prise de décision, l’initiation d’une action et l’adhérence (adoption) à un comportement de sécurité. Dès lors que la situation n’est pas perçue comme une menace sérieuse, l’individu ne prend pas de mesure de protection. Ici, si le virus de la Covid-19 n’est pas perçu comme une menace pour leur vie, les populations ne percevraient pas, par conséquent, l’intérêt de se faire vacciner contre la Covid-19.   

Nous allons, d’abord, évaluer les connaissances des populations abidjanaises sur la COVID-19 et la vaccination à travers un questionnaire. Ensuite, nous nous efforcerons de présenter leurs opinions et attitudes vis-à-vis de la vaccination. Enfin, nous analyserons les facteurs explicatifs de cette réticence à se faire vacciner contre la Covid-19.

 

  1. Méthodologie

1.1. Terrain d’étude, population et échantillon

Deux (02) communes du district d’Abidjan (Yopougon et Cocody) ont constitué les sites où se sont déroulés nos travaux. Le choix de ces communes d’Abidjan se justifie par le fait que la commune de Yopougon est une cité dortoir densément peuplée. La dernière est une commune résidentielle où l’on retrouve de nombreux habitants de la classe moyenne, les résidences des principales représentations diplomatiques ainsi que l’élite politique et administrative du pays.

 En outre, c’est la méthode d’échantillonnage non aléatoire notamment l’échantillon de commodité que nous avons choisi parce que nous ne disposions pas de base de données exacte concernant cette population et aussi parce que ces personnes étaient facilement atteignables et disposées à participer à l’enquête. Toutefois, dans un souci de représentativité, nous avons reparti les répondants dans tous les sous quartiers de ces quartiers cités. Aussi, avec l’échantillonnage non probabiliste, le chercheur n’a aucun moyen de calculer dans quelle mesure son échantillon représente la population dans son ensemble. Dans le cas de notre étude, l’échantillon de la population enquêtée porte sur 85 personnes (50 habitants pour la commune de Yopougon (quartier de Niangon Sud à Gauche) et 35 habitants pour la commune de Cocody (quartier de Blockhauss)), ce, en prenant en compte la taille de la population de chacune de ces deux communes. La taille de l’échantillon a été déterminée en fonction de certaines contraintes financières et de temps. 

1.2. Techniques de recueil des données

Il nous a paru opportun dans le cadre de cette recherche de retenir l’étude documentaire et l’enquête-interrogation comme les principales techniques de recueil des données. Ainsi, pour ce qui concerne l’étude documentaire, nous avons eu recours à toutes les sources d’information (presse écrite et en ligne, les réseaux sociaux, les sites officiels du gouvernement ivoirien et des organismes onusiens, les ouvrages et articles scientifiques). A travers cette documentation diversifiée, nous avons voulu avoir le maximum d’informations sur le sujet. Que celles-ci soient officielles ou non, qu’elles émanent des internautes ou des journalistes, qu’elles soient le résultat de recherches scientifiques. En outre, nous avons collecté toutes les statistiques qui nous semblaient utiles pour mieux expliquer le sujet. Quant à l’enquête-interrogation, elle a consisté à administrer un questionnaire qui visait principalement à évaluer leurs connaissances de la maladie et de la vaccination. Aussi, avons-nous eu recours à des entretiens semi-dirigés axés sur leurs opinions et attitudes à l’égard de la maladie à coronavirus et la vaccination contre la Covid-19. En outre, au niveau de l’analyse des données, nous avons retenu l’analyse quantitative à travers l’usage des statistiques descriptives pour présenter de façon chiffrée les informations contenues dans les données recueillies auprès des enquêtés. Quant à l’analyse qualitative, elle nous permettra de mettre l’accent sur le discours des enquêtés. Ces discours devraient nous aider à mieux comprendre et analyser les opinions et attitudes qui en découlent et qui induisent l’acceptation ou non de la vaccination contre la Covid-19. Certaines questions utilisaient une échelle de type Likert en 5 points, allant de « tout à fait d’accord » à « tout à fait en désaccord » afin de déterminer les opinions et attitudes des participants face à la vaccination contre la Covid-19. 

  1. Résultats

Les résultats de ce travail sont articulés, d’abord, autour des connaissances des populations sur la Covid-19 et la vaccination. Ensuite, nous aborderons leurs opinions et attitudes face à la vaccination et enfin nous chercherons les facteurs sous-tendant l’adoption de ces opinions et attitudes.  

2.1. Connaissances des enquêtés sur la Covid-19 et la vaccination

Les connaissances des populations ont été évaluées à travers un questionnaire qui leur a été soumis et dont les principales réponses sont contenues dans le tableau ci-dessous.

 

Tableau 1 : Connaissances des populations sur la Covid-19 et la vaccination

Connaissances sur la Covid-19 et le vaccin

Oui

Non

Je ne sais pas

N

%

N

%

N

%

Avez-vous déjà entendu parler de la Covid-19 ?

85

100

0

0

0

0

La Covid-19 est-elle une infection mortelle ?

83

98

1

1

1

1

Est-elle mortelle pour le personnes âgées (+ de 50 ans) ?

80

94

4

5

1

1

Est-elle mortelle pour les jeunes et les enfants ?

3

4

81

95

1

1

Connaissez-vous les modes de transmission ?

84

99

0

0

1

1

Connaissez-vous les modes de prévention ?

84

99

0

0

1

1

Peut-on guérir sans traitement ?

78

92

7

8

0

0

Existe-t-il un traitement ?

0

0

85

100

0

0

Savez-vous qu’il existe un vaccin ?

85

100

0

0

0

0

La vaccination est-elle un moyen efficace pour prévenir et contrôler la maladie ?

44

52

40

47

1

1

Les vaccins sont sûrs et sans danger ?

34

40

50

59

1

1

Source : Notre enquête Septembre-Octobre 2021

Il ressort de ce tableau que les connaissances de nos enquêtés sur la Covid-19 et le vaccin développé pour y faire face sont importantes. La quasi-totalité des enquêtés connait l’existence de la maladie (100%), sait que c’est dangereux (98%), connait les modes de transmission et de prévention (99%). En outre, ces enquêtés savent tous qu’il existe un vaccin et qu’il n’existe pas de traitement (100%) contre la Covid-19. Toutefois, à peine la moitié (52%) est convaincue que ce vaccin est efficace pour prévenir la maladie, tandis que pratiquement 60% des enquêtés ne sont pas rassurés par l’innocuité de ces vaccins.

 

2.2. Sources d’information sur la maladie et la vaccination

2.2.1. Sources d’information sur la maladie

Les sources d’information de la population sur la maladie sont contenues dans le graphique suivant :

Source : Notre enquête Septembre-Octobre 2021

La lecture de ce graphique nous permet de nous apercevoir que la Télévision (35%), Internet (les réseaux sociaux) (31%) et les Communications interpersonnelles (20%) sont les principaux moyens privilégiés par nos enquêtés pour avoir accès aux informations sur la maladie à coronavirus (Covid-19). 

2.2.2 Sources d’information sur la vaccination

Les sources d’information de la population sur la maladie sont contenues dans le graphique suivant :

Source : Notre enquête Septembre-Octobre 2021

Au regard de ce diagramme à secteurs, il convient de noter que l’Internet (médias sociaux) est la première source d’information sur la vaccination contre la Covid-19 (41%), suivi par les communications interpersonnelles (26%). Ces deux sources captivent plus de 2/3 des enquêtés en leur fournissant des informations sur la vaccination. Ces sources d’information « non officielles » semblent être privilégiées au détriment des sources d’information « officielles » que sont la télévision, la presse écrite et la radio (33%). 

En somme, nous constatons que les enquêtés, que ce soit sur la maladie et la vaccination, font globalement confiance aux sources « non officielles » que sont les réseaux sociaux et la communication interpersonnelle (Pourcentage cumulé de 51% pour la maladie et 67% pour la vaccination) au détriment des « sources officielles » (Télévision, Radio et Presse écrite). Cela pourrait s’expliquer par le fait que ces « sources officielles » ne sont plus dignes de confiance car elles ne font que relayer les informations émanant des autorités politiques au pouvoir, critiquées elles aussi pour leur manque de transparence dans la communication et la gestion de nombreuses affaires. Mais au-delà, cette suspicion (manque de transparence) pèse sur de nombreux gouvernements dans le monde, et ce, dans un contexte de « village planétaire » où une communication à outrance est exercée à travers divers canaux.

 

 

 

2.3. Opinions et attitudes face à la vaccination

Les opinions et attitudes de nos enquêtés sur la vaccination sont aussi diverses que variées. Ces opinions sont plus ou moins liées aux opinions sur la maladie. Ainsi, si pour certains de nos enquêtés, leurs opinions sur la maladie à coronavirus, et précisément le virus sont conformes aux données scientifiques actuelles, il n’en pas ainsi pour de nombreux autres enquêtés. En effet, pour les premiers ce virus et très dangereux, donc il vaut mieux se conformer aux consignes des autorités sanitaires. K.K.F (65 ans), fonctionnaire à la retraite dans la commune de Yopougon témoigne : 

Moi, je pense que les informations que nous donnent nos autorités compétentes sur la Covid-19 sont exactes. Il y a des gens qui connaissent et qui font bien leur travail, quelle opinion ai-je à donner pour dire que c’est une invention des blancs pour tuer des noirs. Ceux qui parlent ainsi, ne voient-ils pas les conséquences de cette maladie sur leurs frères noirs des Caraïbes ?

Toutes ces personnes qui ont une opinion conforme aux connaissances sanitaires actuelles sont favorables à la vaccination. Ainsi, elles ont toutes une attitude positive vis-à-vis du vaccin. S.L. (38 ans) résidant à Yopougon et chauffeur auprès d’un homme d’affaires se confie :

Nous, on travaille beaucoup avec différents partenaires. Donc, quand ça commencé, on était angoissé car on pouvait rencontrer partout ce virus. Dès que les vaccins sont arrivés à Abidjan et qu’on nous a dit qu’on pouvait le faire, je n’ai pas hésité un seul instant à me faire vacciner.

C.L. (48 ans), cadre dans une banque de la place et résidant dans la commune de Cocody, ne dit pas autre chose :

Moi, je suis complètement vacciné. Le coronavirus, je le connais parce que je l’ai contracté. J’étais à deux doigts de la mort puisque j’ai été entubé, ici, au CHU de Cocody. Il faut que les gens arrêtent de plaisanter avec ce virus qui est très dangereux. Qu’ils se fassent vacciner.

Toutefois, ces opinions sont prises à revers par d’autres enquêtés qui ont d’autres opinions contraires à celles-ci. Ainsi, il n’est pas rare d’entendre lors des différents entretiens que cette maladie a peu d’effets sur les jeunes, encore plus sur les africains. Ainsi K.K.B. (22 ans), menuisier dans la commune de Yopougon affirme : « Cette affaire de coronavirus-là c’est une affaire des blancs. Ça ne peut rien contre les nous les africains. Regarde comment ça les a tués là-bas !!! Chez nous ici, ça tué combien de personnes ? Leur affaire-là (virus) n’est pas aussi dangereux que ça. ». Ce type de raisonnement est partagé par de nombreux enquêtés. P.C., (30 ans) tenancier de maquis (bistrot) à Cocody ajoute : « Le virus ne supporte pas la chaleur, surtout notre climat. Affaire de corona-là, c’est maladie des blancs et puis ça ne tue pas les plus jeunes. Ce sont les vieux et puis les gens malades là que ça tue, c’est ce que j’ai vu à la télé ». Les opinons de certains enquêtés vis-à-vis de la vaccination sont défavorables, car ils estiment que cela ne vaut pas la peine. Aussi, d’autres enquêtés nous ont-ils confié que le vaccin serait à l’origine de la mort de nombreuses personnes vaccinées (personnalités célèbres). S.L. (43 ans) instituteur à Cocody de s’interroger

Regarde, la majeure partie des célébrités décédées dernièrement de la Covid-19 étaient toutes vaccinées. Pourquoi, malgré le vaccin sont-elles décédées ? C’est bizarre, moi, je ne suis pas favorable à cette vaccination et je ne compte pas la faire. 

A côté de ces deux groupes d’enquêtés, se trouvent d’autres personnes, qui quand bien même qu’elles aient des opinions conformes aux connaissances sanitaires, sont hésitantes face à la vaccination. Ces derniers émettent des doutes quand la fiabilité du vaccin. A.I. (35 ans) Informaticien résidant à Yopougon témoigne :

Je pense que la vitesse avec laquelle les vaccins ont été développés incite à la prudence. Pour le moment, je refuse de me vacciner. On ne connait pas suffisamment les effets secondaires de ce vaccin sur les personnes vaccinées.

Dans le cadre de cette étude, les enquêtés ayant une opinion favorable à la vaccination (34 personnes soit 40%) ont également une attitude positive vis-à-vis de la vaccination car ils adhèrent tous à la vaccination. Cependant, les personnes ayant une opinion défavorable à la vaccination (50 enquêtés soit 59%) ont également une attitude négative à l’endroit de la vaccination. Si le déni, l’occultation et la banalisation de la Covid-19 conduisent, souvent, à une non observance des mesures barrières voire à un refus d’adhérer à la vaccination, quid des facteurs sous-tendant une telle attitude ?     

2.4. Facteurs sous-tendant l’adoption des opinions et attitudes

Les facteurs justifiant cette hésitation voire ce refus d’adhérer à la vaccination sont en lien avec une explication factuelle bidimensionnelle. D’une part, nous avons le fait que le taux de contagion soit faible, de même que le nombre de décès des personnes atteintes par la Covid-19. D’autre part, les croyances populaires quant aux moyens de combattre la maladie qui renforcent cette réticence.

L’on note une relative faiblesse du taux de contagion et de décès dus à la covid-19 (61.581 cas de personnes contaminées dont 702 décès au 1/11/2021) en Côte d’ivoire comparés aux millions de personnes contaminées et de centaines de milliers de personnes décédées dans certains pays comme les Etats-Unis, le Brésil, l’Italie, la France… Toute chose qui semble conforter de nombreuses personnes au sein de la population sur leur intention de ne pas se faire inoculer ce vaccin contre la Covid-19. Le témoignage de M.B.T. (28 ans), commerçant à Cocody est assez éloquent : « Depuis que l’on parle de cette histoire de Covid-19, regardez les chiffres. Les contaminations et les décès sont presque inexistantes chez nous par rapport aux blancs. Dès lors, pourquoi me vacciner dans ce contexte ? » Il est un fait que les chiffres officiels semblent largement sous-estimés (faible capacité de dépistage, de nombreuses personnes asymptomatiques, les populations ne vont, généralement, à l’hôpital que quand la maladie est à un stade avancé, alors que la Covid-19, comme la grippe saisonnière, se résorbe globalement seul…). Ayant certaines similitudes avec le paludisme, largement répandu dans cette région du monde, la Covid-19 est souvent confondue à cette dernière d’où une automédication à base de produits pharmaceutiques ou phytothérapiques. Aussi, les craintes des responsables de l’OMS quant aux dégâts que cette pandémie ferait en Afrique ne se sont-elles pas réalisées, toute chose qui renforce cette volonté de certaines personnes de ne pas se faire vacciner. 

En outre, les croyances populaires sont l’un des principaux facteurs qui sont un obstacle majeur à la vaccination. Il est largement répandu dans le corps social en Côte d’ivoire, comme dans de nombreux pays africains et même du monde, que certains remèdes de grand-mère[4] étaient efficaces pour prévenir et même pour combattre la Covid-19. Il n’est pas rare d’entendre dire que manger du piment, de l’ail et même boire de l’alcool, notamment le Koutoukou (eau de vie locale) luttent efficacement contre la Covid-19. Ainsi, C.K.T. (36 ans) tapissier dans la commune de Yopougon de dire ceci : 

Médicament de corona, nous on a ça ici. Tu manges une sauce bien pimentée et puis tu bois gbêlê (koutoukou) corona s’en va loin. Même si c’est bizarre (compliqué) tu fais un bain vapeur de “mentholateum” chinois (baume mentholé) et puis c’est fini.

De même, lorsque ces croyances populaires se combinent avec l’action de désinformation des réseaux sociaux cela génère des croyances fortement ancrées dans le psychisme de l’individu dont il devient difficile de s’en débarrasser. Ainsi, il est répandu, sur certains réseaux sociaux, que les personnes ayant fait le vaccin ont une espérance de vie qui se limiterait à 2 ans, à partir de la date de l’inoculation du vaccin. Ces croyances populaires sont pour Dedy (52) « ce savoir populaire qui conditionne plus ou moins fortement l’attitude et les comportements des individus à l’égard de la maladie et tout particulièrement, à l’égard de la prévention ».

 

  1. Discussion

Les opinions et attitudes des populations déterminent généralement le comportement qui n’est que l’expression visible de tout ce processus mental. Dans le cadre de cette étude, il est ressorti que les opinions et attitudes des populations face à la vaccination contre la Covid-19 sont influencées, en majeure partie, par les informations recueillies sur les réseaux sociaux et la communication interpersonnelle (67%). Ces résultats confirment les travaux de Lyu et al. (8-12), Luo et al. (101712) ainsi que ceux de Manby et al. (5-9).  Cette réticence voire ce refus d’adopter le vaccin est aussi tributaire des rumeurs et autres informations fallacieuses, mais surtout des croyances populaires. A ce niveau, les travaux de Fridman, Gershon et Gneezy (e0250123), Sallam et al. (42), Chongwang ainsi que ceux de De Figueiredo et al. (900-906) confirment l’impact négatif de ces croyances sur l’adoption des vaccins en général, mais spécifiquement celui contre la Covid-19. Ces résultats viennent conforter la conception de Dedy (50-55) sur la faiblesse de la conscience sanitaire en Afrique.

Nonobstant ces faits, il est aussi remarquable que la méfiance des populations vis-à-vis de la volonté gouvernementale (imposition de la vaccination) associée à certaines théories du complot (insertion de puces microscopiques dans les vaccins dans le but de contrôler la population mondiale) vient conforter, à tort ou à raison, la position de toutes ces personnes qui demeurent sceptiques vis-à-vis des vaccins contre la Covid-19 comme le révélait déjà Taïeb à propos des autres vaccins (272-285).

Conclusion

Au terme de cette étude, il convient de noter que les opinions et les attitudes des populations face à la vaccination contre la Covid-19 sont fortement influencées par le flot d’informations dans lequel elles baignent. Celles-ci émanent principalement des réseaux sociaux et des communications interpersonnelles, ce qui confirme notre hypothèse de départ. Ainsi, qu’elles soient de sources officielles ou non, elles influencent, modifient la perception et la conviction des personnes qui les suivent. Au-delà de la question vaccinale, cette étude interroge l’influence des médias, surtout les réseaux sociaux sur les conduites des populations. Ces médias sociaux ont tendance à supplanter les informations délivrées par les canaux officiels de communication.

Aussi, les limites de cette étude se perçoivent-elles par la faiblesse de l’échantillon et la représentativité des sites (un sous quartier par commune ce qui pose un problème de représentativité et le fait que ce soit deux communes qui aient été choisies sur treize que comptent le district d’Abidjan) ne permettent pas une généralisation des résultats.

 

Travaux cités

Al-Qerem, Walid A. et Anan S Jarab. « COVID-19 Vaccination Acceptance and Its Associated Factors Among a Middle Eastern Population. ». Frontiers in public health, vol. 9, 632914. 10 Fév. 2021. doi :10.3389/fpubh.2021.632914

Chongwang, Julien. « La vaccination face à la méfiance des populations », Scidev.net, 26 Fév. 2019. https://www.scidev.net/afrique-sub-saharienne/features/26022019-2/.

Dedy, Séri. « SIDA et Société » Revue des Sciences Sociales. Programme d’Appui stratégique à la Recherche Scientifique (RSS-PASRES), no. 1, 2013, pp. 44-56.

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Comment citer cet article :

MLA : Gaulithy, Georges. « Opinions et attitudes des populations abidjanaises face à la vaccination contre la Covid-19 ». Uirtus 2.1. (avril 2022): 33-50.

 

 [email protected]

[1] 39,5% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté selon les données fournies par la Banque Mondiale en 2018.

[2] COVAX ‟The Covid-19 Vaccines Global Access” est une initiative des Nations-Unies qui vise à collaborer pour un accès mondial et équitable aux vaccins contre le virus de la COVID-19

[3] AVAT “The African Vaccine Acquisition Trust” est une initiative de l’Union Africaine qui vise l’achat groupé de vaccins par l’Union africaine au profit des pays membres.

[4] Ensemble de connaissances basées sur le savoir faire des anciens (grand-mère) qui puisent ses sources dans les plantes et autres produits naturels utilisés pour combattre diverses maladies, et qui auraient des vertus thérapeutiques avérées.

Résumé (Biographie d’Assou, un haut dignitaire du royaume de Sahé (1704-1733))

Arthur Vido§

Résumé : Cet article retrace la vie et l’œuvre d’Assou, un grand dignitaire du royaume de Sahé. À partir des récits laissés par quelques voyageurs européens des XVIIe et XVIIIe siècles, l’auteur nous décrit un bel homme de grande taille, avec un esprit positif. Généreux et loyal, il est très attentif aux soins de sa famille. Pour le compte du pouvoir royal, il s’occupe des relations extérieures et est dans l’intimité du monarque. Ministre très influent, il a droit aux honneurs publics et est adulé par les négociants français. À la mort du roi Ayisan le 8 octobre 1708, c’est lui qui fait introniser de force le jeune Houffon. Cependant, miné par des divisions internes, le royaume houéda est envahi en 1727 par les soldats du Danxomè. Assou entre alors en résistance et finit par perdre la vie le 15 juin 1733. La mort du roi des Houéda, survenue quelques jours après celle d’Assou est évocatrice de la complicité qui existait entre eux et des liens qui les unissaient. Répondant ainsi aux plaintes enregistrées de nos jours du fait de la perte des valeurs dans la société béninoise, cette étude matérialise par l’écrit la mémoire d’un personnage marqué par la bravoure, le patriotisme, l’effort du progrès collectif et l’esprit d’abnégation.

Mots-clés : Biographie, Assou, dignitaire, royaume de Sahé.

Abstract: The author traces the life and work of a great dignitary of the Kingdom of Sahé named Assou. Thanks to the stories left by some European travelers of the seventeenth and eighteenth centuries, he describes a handsome tall man, with a positive spirit. Generous and loyal, he is very attentive to the care of his family. On behalf of the royal power, he deals with external relations and is in intimacy of the monarch. A very influential minister, he is entitled to public honors and is adulated by French merchants. On the death of King Ayisan on October 8, 1708, it was he who forced the enthronement of young Houffon. However, undermined by internal divisions, the Houeda Kingdom was invaded in 1727 by the soldiers of Danxomè. Assou then enters into resistance and ends up losing his life on June 15, 1733. The death of the king of the Houeda, which occurred a few days after that of Assou is evocative of the complicity that existed between them and links that united them. Responding to the complaints recorded today because of the loss of values ​​and landmarks in Beninese society, this article materializes in writing the memory of a character marked by bravery, patriotism, the effort of collective progress and the spirit of self-sacrifice.

Keywords: Biography, Assou, civil servant, Kingdom of Sahé.

Introduction

L’historiographie béninoise est riche en études portant sur la biographie de certains personnages. Dans son mémoire de Maîtrise intitulé Biographie du roi Agaja, Adolphe Houénou décrit physiquement et moralement ce roi fon de la première moitié du XVIIIe siècle, avant de faire part de ses conquêtes et de ses relations avec les négriers européens. Dans Guézo : la rénovation du Dahomey, Joseph Adrien Djivo a publié la biographie de celui qui dirigea le Danxomè de 1818 à 1858. Quant à l’article écrit par Abiola Félix Iroko et intitulé Autour de l’identité de Toussaint Louverture, il présente et explique les différents prénoms et surnoms donnés à Toussaint Louverture. L’exercice a été fait par le même chercheur sur Gbèhanzin dans Anthroponymie et royauté : le cas de Béhanzin, qui présente les différents anthroponymes dont est issu le nom fort du monarque fon de la fin du XIXe siècle. Un ouvrage a été consacré à une haute personnalité du Bénin : Mathieu Kérékou. C’est à travers le livre Le président Mathieu Kérékou : un homme hors du commun que Félix Iroko a tracé le portrait de cet homme. Il y a été également question de son enfance, de son parcours scolaire, de sa carrière militaire et de son apparition sur la scène politique à partir du 26 octobre 1972.

Si ces publications ont l’avantage de sortir des sentiers battus, elles ne traitent cependant que de personnalités bien connues, ignorant de fait que la renommée de ces dernières n’est pas due qu’à leurs seules actions et compétences. En réalité, il y a toujours des personnes dans l’ombre qui aident d’autres à être des hommes de prestige. Cette étude se propose donc de faire connaître Assou, un de ces personnages qui a été un haut dignitaire houéda de la première moitié du XVIIIe siècle.

1704 équivaut ici à l’année au cours de laquelle apparaissent les premières informations sur Assou. Quant à l’an 1733, il correspond à la fin de sa vie sur terre. Son décès est survenu à la suite de plusieurs combats de résistance qu’il dirigea aux côtés de Houffon.

Notre travail s’est effectué sur la base des comptes rendus de voyage des négriers européens des XVIIe et XVIIIe siècles. Ces documents constituent, malgré leurs limites et insuffisances, de véritables mines d’informations à exploiter dans le cadre de l’histoire précoloniale des sociétés africaines. Dans l’ensemble, il s’agit de sources de première main dont les auteurs, venus sur nos côtes pour le commerce négrier, sont des témoins oculaires doublés de leur qualité d’excellents narrateurs. Il est question ici d’analyser le regard porté par les auteurs européens sur la vie et l’œuvre d’Assou.

La collecte et l’analyse des informations nous permettent d’aborder le sujet suivant trois parties. La première présente le personnage sous ses aspects physique et moral avant de parler de sa famille. La deuxième aborde les différents rôles joués par Assou à Sahé avant et durant la conquête du royaume par Agaja, en 1727. La troisième partie fait état des luttes menées par Assou en vue de reprendre Sahé des mains de l’envahisseur fon.

1. Le personnage

L’étude biographique d’Assou passe par une bonne connaissance de ses traits physique et moral. Sur ces points, des récits laissés par quelques voyageurs européens des XVIIe et XVIIIe siècles nous livrent d’importantes informations. Nous nous en sommes servi pour tracer son portrait et parler de sa famille.

1.1. Aspects physique et moral

Plusieurs négriers européens ont visité Sahé. Par exemple, l’Anglais Thomas Philips accosta à la rade de Gléhué le 20 mai 1694 et le Hollandais Guillaume Bosman, en 1697. Ils ont laissé des notes de leurs séjours. Cependant, leurs rapports ne font aucune mention d’Assou. Suivant nos recherches, la première mention faite d’Assou nous vient du corsaire français Jean Doublet de Honfleur. Ce lieutenant de Frégate sous le roi Louis XIV fit sa première visite des côtes de Gléhué le 27 septembre 1704.

La description d’Assou commence par la signification de son nom. Que signifie donc Assou ? Le silence des traditions orales houéda sur la quasi-totalité de l’histoire de leur royaume ne nous permet pas de connaître le sens ni les circonstances ayant été à la base de ce nom. La certitude est que dans nos traditions africaines, le nom donné à un nouveau-né n’est pas fortuit. Il résulte, soit des circonstances de sa naissance, soit de sa période de venue au monde, ou encore du rang qu’il occupe parmi les enfants. Dans ce cas-ci, nous ignorons tout des évènements liés au choix du nom. L’autre axe de réflexion consiste à supposer qu’Assou ne soit pas son nom de naissance mais un nom de fonction comme Aplogan ou Gogan. Que signifierait alors Assou ? À partir de quel roi la fonction aurait-elle été créée ? Le seul élément d’appréciation que nous avons est que les premières informations sur Assou commencent à partir de 1704, au cours du règne d’Ayisan (1704-1708). Est-ce ce dernier qui aurait créé cette fonction ? Aussi, en considérant que le nom soit une création des négriers, notamment français, que signifierait-il alors dans la langue française ? Il nous paraît vraisemblable que ce nom soit typiquement africain car nous savons qu’en fongbé, Assou désigne le mari, l’époux et ce dernier signifie Ossou en houédagbé. On peut aussi considérer qu’Assou soit une déformation française d’Ossou. Mais en considérant Assou au lieu d’Ossou, comment peut-on justifier le port d’un nom fon par un Houéda surtout qu’à cette époque, Sahé n’était pas encore conquis par Agaja ? L’hypothèse la plus vraisemblable est que son nom soit Ossou ou Ossue qui est d’origine houéda et par lequel Guillaume Snelgrave le désigne (136). Ainsi, le vrai nom de notre sujet serait Ossou et Assou ne serait qu’une déformation. En définitive, nous ne savons pratiquement rien de la signification de l’anthroponyme de ce personnage. Cela ne saurait nous empêcher de tracer son portrait.

Il faut tout d’abord rappeler que la présence d’Assou à Sahé est bien antérieure à 1704 parce qu’étant probablement né et ayant grandi dans ce milieu. Nous ignorons tout de son année de naissance et de son adolescence. Les renseignements que nous avons de lui commencent à partir de son entrée au palais, lorsqu’il fut nommé ministre ou haut dignitaire. Jean Doublet qui l’appelle Asson, le présente comme un homme « très bien de taille et d’esprit ». Il précise même que Assou est « un des plus beaux noirs que l’on puisse voir ayant de beaux traits, un nez bien fait, point les lèvres grosses, grands yeux et un beau front, d’une taille de cinq pieds 8 pouces et bien proportionné de corps et très poli et gracieux » (Bréard 254 et 258). Assou est alors une personne agréable à regarder. La description faite de lui par Jean Doublet révèle qu’il a une taille de cinq pieds huit pouces. Ces données permettent de déterminer la taille approximative d’Assou. En effet, « pied » et « pouce » sont des anciennes mesures de longueur. Un pied équivaut à 12 pouces alors qu’un pouce vaut 27 millimètres. Si Assou a 5 pieds 8 pouces, il aurait en tout 5 fois 12 pouces plus 8 pouces, ce qui fait 68 pouces. En considérant qu’un pouce vaut 27 millimètres, Assou mesurerait alors 1836 millimètres, soit 1,836 mètre. La taille d’Assou serait approximativement égale à 1,84 mètre.

Au cours de l’audience accordée à Jean Doublet par le roi Ayisan, Assou était présent et se chargeait des affaires qui liaient le palais aux Français. La sincérité et la loyauté dont faisait preuve Assou dans la gestion des affaires du pays ont amené le voyageur français à dire qu’il était un homme généreux. Ces propos sont partagés par un voyageur anonyme français du début du XVIIIe siècle qui décrit Assou comme le « le plus droit et le meilleur » des Africains (28). Aux dires des auteurs-témoins, Assou était une personne de bonne moralité que Jean Doublet appelle affectueusement « Notre capitaine Asson (Assou) » (Bréard 258).

Sur le plan vestimentaire, Assou, en tant que ministre à la cour, a une manière de s’habiller qui diffère de celle d’un simple citoyen. Celle-ci est constituée de la peau de bœuf dont la tête et les pattes avant sont enlevées, celles de derrière se joignent et servent à passer autour du cou. Ainsi, la peau de l’animal côtoie le sol (Anonyme 28). Assou porte cet insigne aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du palais. En étant beaucoup plus précis sur le sujet, Jean Doublet nous renseigne que les ministres ou dignitaires s’habillent très bien car : « ils portent une peau de veau dont les extrémités en sont ôtées, et la pend avec un cordon de cuir du bout où était la queue pendue à leur col, le poil, en dehors traînant de l’épaule gauche aux genoux » (Bréard 257). C’est la marque de leur supériorité et de leur grandeur si bien que : « lorsqu’ils passent par les chemins, les peuples se croupissent sur leurs talons et joignent leurs mains qu’ils frappent l’une contre l’autre très doucement en baissant la tête et se relèvent lorsque ce ministre (ces ministres) les a dépassés » (Bréard 257). 

C’est grâce à cette marque qu’on identifie l’homme dont certains membres de sa famille ont vécu, tout comme lui, à Sahé.

Portrait n° 1 : Le haut dignitaire Assou

Source : Portrait réalisé par Cyr Raoul Sehou-Houindo (2018).

1.2. Sa famille

            L’étude de la généalogie d’Assou commencera par ses géniteurs car les informations sur ses ascendants directs existent. Ces dernières portent uniquement sur son père. En effet, le Chevalier des Marchais nous informe qu’Assou offrit des sacrifices d’hommes et d’enfants afin d’obtenir la guérison de son père (Labat 274). Nous ne connaissons ni le nom du père ni sa fonction dans le royaume.

Son frère est le deuxième membre de sa famille dont nous parlerons. Les observations le concernant ont été faites par Jean Doublet de Honfleur. Le corsaire nous indique que le frère d’Assou est le grand sacrificateur du royaume : « Son frère n’est pas si bien fait ni poli quoique grand marabout » (Bréard 258-259). À Sahé, c’est le grand sacrificateur qui s’occupe de tout ce qui est religieux. Quel est son nom ? Des Marchais nous renseigne qu’il s’appelle Beti. C’est donc Beti, le frère d’Assou qui s’occupe des sacrifices faits aux divinités du royaume et c’est lui qui les invoque, sous la demande du roi, pour la prospérité du pays. Aussi, cette fonction, à Sahé, fait partie de celle ministérielle. Beti était, tout comme son frère, un ministre de la cour. Cela dénote de la place et de l’importance de la famille d’Assou au sein du royaume houéda.

La famille d’un homme n’est pas confinée dans les bornes de ses géniteurs et de ses frères. Ainsi, que sait-on par exemple de la vie matrimoniale d’Assou ? Combien de femmes avait-il eu ? Nul ne le saura avec exactitude. Cependant, la certitude est qu’il était un polygame car : « La coutume du pays autorise la polygamie à l’excès. Il est assez ordinaire aux Grands (capitaines ou ministres) d’y avoir plusieurs centaines de femmes et de concubines » (Snelgrave 3). De cette observation, il est clair que la polygamie était la norme à Sahé. Assou, en tant que ministre, était sans doute, un polygame. Le fruit d’une union polygamique ou monogamique est la mise au monde d’enfants. Et parlant d’enfants, Assou devrait en avoir eu un certain nombre. Cependant, les informations dont nous disposons ne parlent que d’un seul appelé Favory (Gayibor 906).

2. Le dignitaire et sa place dans le royaume

Assou a exercé plusieurs fonctions à la cour de Sahé. Il était toujours au service des rois dont il militait pour l’intronisation et luttait pour la protection du royaume. Il en a tiré profit en bénéficiant d’un statut prisé à l’époque. Cette partie du travail s’intéressera aux différentes tâches qu’il a exercées auprès des souverains avant la conquête de leur royaume.

2.1. Ses fonctions

À l’époque où Jean Doublet visitait Gléhué, Assou était déjà au Conseil de gouvernement du roi Ayisan. Il est donc possible de faire remonter sa présence dans les arcanes du pouvoir avant cette date. L’historien nigérian Isaac Akinjogbin nous indique qu’Assou avait été le leader du clan des ministres ayant soutenu l’intronisation d’Ayisan, qui était le fils cadet au détriment de son frère aîné (40). Pour y arriver, notre personnage avait reçu l’aide du ministre Aplogan et des négriers européens installés à Gléhué (Sogbossi 26). S’il est donc évident qu’il a soutenu et milité pour l’accession d’Ayisan au pouvoir, c’est dire qu’il a probablement appartenu au Conseil de gouvernement de son père et prédécesseur. Ainsi, Assou a été ministre sous au moins trois monarques houéda : Agbangla, Ayisan et Houffon. Il est donc clair que ses fonctions au sein du royaume remontent à une période antérieure à la venue du corsaire en 1704, même si nous ne saurions la dater ni préciser les fonctions qu’il a exercées. Nous ne savons pas avec exactitude les rôles joués par Assou du temps du roi Agbangla, mais il nous paraît évident qu’ils ne soient pas différents de ceux joués sous son successeur. Jean Doublet nous présente le personnage étudié comme le ministre de la marine (Bréard 254). Comme déjà mentionné plus haut, il se chargeait de recevoir et d’introduire les négriers européens au palais pour une audience avec le roi. À la suite de la visite du corsaire, le roi le convia à un dîner pour le lendemain. Là encore, intervint Assou qui le fit entrer au palais pour le repas. Cela dénote de la présence effective et de la fréquence d’Assou à la cour. C’est dire qu’il est très proche du souverain et l’assiste. Sa place régulière aux côtés du roi Ayisan ne souffre d’aucune contestation et elle est confirmée par un autre fait, qui prouve également toute l’importance de ce dignitaire dans le royaume. En effet, au cours du dîner, Assou était à table avec le roi et ses invités. Or Bosman nous dit qu’hormis les reines, aucune personne ne doit voir le roi manger (383). Seules ses épouses ont ce privilège. Pourtant, le corsaire fit remarquer qu’Assou avait partagé le repas avec eux. C’est un grand statut dont a bénéficié Assou sous Ayisan. Nonobstant, cette place ne le soustrayait pas du respect qu’il devait au souverain car il s’adressait à lui en étant toujours à genoux.

Assou s’exprimait agréablement en français sans être sorti du pays. Cette langue apprise aux côtés des négriers européens lui permettait de servir d’interprète à la cour royale (Bréard 254). En outre, il était chargé de prélever, pour le compte du roi, des coutumes et droits auprès des Français désireux de mener à bien leurs activités commerciales dans le royaume (Anonyme 28). Négociant avec probité pour les marchands européens auprès de son roi, Assou était considéré par des Marchais comme le protecteur de la nation française (Labat 71-72).

L’importance du personnage se retrouve également à travers la résidence qu’il possédait. Des Marchais nous renseigne que les habitations de la capitale n’avaient généralement qu’un seul niveau (Labat 232). Elles étaient construites en terre battue et couvertes de paille. Tous les sujets du roi avaient de telles résidences. Mais en dehors du roi, seul Assou avait une maison à deux niveaux et un canon devant celle-ci pour la protéger. C’était un privilège dont il bénéficiait en raison de son importance et son implication dans le développement des affaires du royaume. Son implication dans l’intronisation de Houffon pourrait aussi justifier ce privilège à lui accordé.

À la mort d’Ayisan le 8 octobre 1708, Houffon était encore un mineur et ne pouvait donc pas accéder au trône, conformément aux lois coutumières (Anonyme 33). En fait, ces lois prévoyaient qu’en cas de non désignation du prince héritier par le roi avant son décès, l’intérim devait être assuré par le Gogan jusqu’à ce que le Conseil du gouvernement n’élise le nouveau souverain. Elles ne statuaient pas sur l’accession d’un mineur au trône. Les ministres n’étaient pas unanimes quant à la solution à adopter. Assou et Aplogan militèrent pour l’intronisation du jeune Houffon. Deux clans apparurent donc et s’opposèrent. Pour faire passer son vœu, chaque clan usait de ses forces. Ainsi, le Gogan réunit 12 à 13 mille soldats derrière lui alors qu’Assou fut aidé par environ huit mille soldats et des marins européens. C’est fort de cela qu’Assou et ses partisans parvinrent à faire de Houffon le roi de Sahé (Akinjogbin 39-41). Tout cela confirme son rôle non moins négligeable et sa place dans le Conseil du gouvernement.

Ces oppositions et divergences d’intérêts au sein du pouvoir, conjuguées à d’autres évènements ne manquèrent pas d’ébranler le royaume qui fut conquis par Agaja en 1727.

2.2. La prise de Sahé en 1727

Les luttes intestines désorganisèrent le royaume de Sahé et le rendirent vulnérable. En effet, Snelgrave nous raconte que le jeune âge de Houffon lors de sa prise du pouvoir, fait qu’il ignorait tout des affaires du pays (4-6). Celles-ci étaient donc gérées par ses ministres durant plusieurs années. Chacun d’eux se comportait comme un « petit roi » et ne s’intéressait qu’à ses propres affaires, laissant ainsi de côté le bien-être du royaume. Cela entraîna la division au sein du Conseil et du peuple, puis permit la conquête du royaume. Dans le même ordre d’idées, Valère Sogbossi parle de l’attitude d’Aplogan, ministre et administrateur de la province de Gomè (28). Ce dernier a soumis son territoire à Agaja en 1726. Mais, il faut noter que les Houéda ont défendu leurs terres avant d’abdiquer. En effet, le sieur Ringard, capitaine du navire le Mars de Nantes, qui accosta à Gléhué le 3 mars 1727, assista à la résistance houéda dirigée par Assou. Selon le voyageur, Assou et deux autres dignitaires continuaient de lutter malgré la désertion d’un grand nombre de soldats devant l’ennemi (Law 321-328). Assou continua de défendre la capitale avant de fuir à son tour à cause de la supériorité militaire de l’adversaire. Ainsi, Agaja s’empara de la capitale, étape primordiale pour la prise de Gléhué. Quel fut le comportement des Houéda à la suite de la conquête de leur royaume ?

3. Assou et la résistance post conquête

La conquête fon a causé la destruction de la capitale du royaume houéda et la mort d’un grand nombre de personnes. Néanmoins, certains ont réussi à s’enfuir avec le jeune roi. D’après les recherches (Gayibor 898 ; Pliya 527 ; Soglo 71-73), Houffon ne dut la vie sauve qu’à une fuite précipitée vers l’ouest, traversant le lac Ahémé, accompagné d’un groupe important. Parvenus sur l’îlot boisé de Mitogbodji, les fugitifs installèrent les reliques de leurs ancêtres et les précieux objets de leurs cultes. L’endroit devint alors un véritable sanctuaire au milieu du lac. Mais son exiguïté et le souci de pureté autour des temples religieux conduisirent à la fondation de nouvelles localités comme Agatogbo, Akodéha, Houéyogbé, etc. Assou fut aux côtés de son roi en exil. En août 1729, Guillaume Snelgrave, de retour sur les côtes africaines, apprit que le roi déchu et Assou étaient dans les environs de Grand-Popo (131-132). D’après le voyageur anglais, les Houéda en fuite prirent des dispositions sécuritaires pouvant leur permettre d’être à l’abri de toute attaque. Le lac Ahémé derrière lequel ils s’étaient réfugiés les mettait hors de danger et leur permettait de mettre en place des stratégies pour reprendre leur royaume.

Lorsqu’Agaja conquit Sahé, non seulement il y installa une garnison mais pensa aussi pouvoir avoir un accès facile à Gléhué. Ce ne fut pas le cas car cette ville était protégée par les forts européens (Sogbossi 30). Cette situation permit au capitaine Assou et à plusieurs Houéda de mener la résistance. Ils reçurent l’aide des Sahouè avec qui ils formèrent une coalition (Gayibor 97). Après l’échec des différentes tentatives de réoccupation de Sahé menées par Assou, Houffon fit appel à l’alafin d’Oyo. Ne voyant pas d’un bon œil les conquêtes d’Agaja dans la région, celui-ci envoya ses troupes contre le Danxomè à partir de mars 1728. Face à un ennemi devant lequel il ne pouvait résister, Agaja se retirait régulièrement dans des cachettes sûres aménagées dans la brousse. À partir de 1729, les cavaliers yoruba firent de Kana leur quartier général d’où ils lançaient des attaques en direction des cachettes du roi fon (Gayibor 899-901). Affaibli, Agaja ne put donc plus contrôler ses possessions et affronter efficacement la résistance menée par les Houéda. Assou et ses partisans profitèrent pour faire des incursions régulières sur la ville de Gléhué. Voici le témoignage de Guillaume Snelgrave à ce sujet :

Peu à peu l’armée (fon) se trouva diminuée considérablement, ce qui encouragea le capitaine Ossue à quitter les îles, et à venir s’établir, avec beaucoup de ses gens, tout proche du fort français, qui est à environ quatre miles de Sabée (Sahé) : croyant que la grosse artillerie de la place serait bien capable de les protéger contre les insultes de ceux de Dahomè, au cas qu’ils osassent tenter quelque chose contre eux. (Snelgrave 135)

Mais, dès que le roi Agaja fut informé du retour des Houéda, il dépêcha une armée contre eux. Face à la menace fon, Assou et sa suite paniquèrent et décidèrent de se réfugier dans l’enceinte du fort. Un jour après, les troupes d’Agaja arrivèrent à Gléhué et assiégèrent aussitôt le fort. Malheureusement pour les réfugiés houéda, le toit de chaume qui couvrait les bâtiments du fort prit feu. L’incendie causa d’importants dégâts humains et matériels. Assou eut le temps de prendre la fuite et trouva asile chez les Anglais :

Cet accident alarma les Blancs, qui sachant qu’il y avait une grande quantité de poudre dans leur magasin, et ne voyant aucun moyen d’éteindre ni d’arrêter le feu, prirent le parti de s’enfuir au fort anglais (…) Mais les Noirs, qui ne connaissaient pas si bien dans quel danger ils étaient, souffrirent beaucoup quand le magasin vint à sauter : il y en eut plus de mille de tués, et une grande quantité de blessés, par ce malheur imprévu. Cependant, à la faveur de la fumée, et dans la confusion, le capitaine Ossue, et plusieurs de ses gens, gagnèrent le fort anglais. (Snelgrave 137)  

Assou et les autres survivants furent ainsi accueillis par le directeur du fort anglais d’alors, Testefole, qui les fit évader la nuit suivante. Pour s’être immiscé dans les affaires politiques locales, ce directeur fut enlevé par les soldats fon et mourut de façon tragique (Cornevin 259). D’autres affrontements ne manquèrent pas d’arriver. Suivant les écrits de Snelgrave, Assou était toujours à la tête de la résistance : 

Les autres à la tête desquels était le capitaine Ossue avec les troupes de Popo, voulaient hazarder (hasarder) une bataille. Pendant cette contestation, l’armée de Dahomè avançait toujours fièrement, mais le capitaine Ossue et le Général Popoe marchèrent à eux, avec une contestation aussi fière et aussi brave : ils attaquèrent même avec tant de vivacité leur aile droite, qu’ils le firent plier et ils les chassèrent devant eux, pendant quelques temps. (Snelgrave 149)   

Mais en 1730, un traité de paix fut signé entre Agaja et l’Alafin d’Oyo (Gayibor 905). Ce qui freina les ambitions de la coalition. Les raids d’Oyo sur le Danxomè furent interrompus. Le roi fon s’activa alors à protéger ses possessions houéda. En 1731, Houffon voulut négocier avec Agaja afin de réoccuper son territoire mais il se ravisa sur les conseils de Mynheer Hendrick Hertog, alors directeur du comptoir hollandais de Jèkin, qui lui promit son soutien. Plusieurs autres tentatives de réoccupation du royaume, conduites par Assou furent menées, mais échouèrent. Ces combats de résistance ont cependant ralenti le commerce négrier à Gléhué à cause de l’instabilité qui y régnait. L’intention d’Agaja de mener directement la traite avec les négriers blancs ne se concrétisa pas de sitôt. Il dut attendre l’affaiblissement de la résistance menée par Assou. Les négriers ont aussi subi les affres de cette résistance. En effet, d’après Joâo Basilio, directeur du fort portugais de Gléhué de 1728 à 1743, les troupes d’Assou, aidées par Hertog, ont pillé et tué deux négriers portugais qui allèrent vers le lieu de refuge de Houffon. Un autre qui alla accoster à la rade de Gléhué, fut également massacré (Verger 41).

C’est dans ce contexte d’affrontements armés qu’Assou décède le 15 juin 1733 (Gayibor 906-907). D’après une lettre datant du 29 novembre 1733 laissée par M. Levet qui assurait la direction du fort Saint-Louis de Grégory, le personnage étudié perdit la vie une vingtaine de jours après être tombé malade (Verger 166). Les documents consultés ne donnent pas d’informations relatives à sa maladie. Quant à Houffon, il mourut deux jours ou six semaines après Assou. La mort du roi des Houéda, survenue quelques jours après celle d’Assou est évocatrice de la complicité qui existait entre eux et des liens qui les unissaient.

Conclusion

Cette étude a permis de mettre en lumière le personnage Assou. Beau et mesurant environ 1,84 mètre de taille, il s’était toujours conduit en gentleman envers les négriers européens, qui ne tarissaient point d’éloges à son égard. Son engagement aux côtés des chefs locaux    a permis à son royaume d’être compté parmi les entités politiques de renom au début du XVIIIe siècle. Il a été ministre de la marine, interprète et défenseur de la cause des Français. Ces différentes fonctions lui ont permis d’avoir un statut enviable dans la société. La conquête du milieu houéda, à partir de 1727, n’émoussa pas ses ardeurs de toujours servir son jeune souverain Houffon. Pendant la guerre, il n’abandonna pas son roi. Il mena la lutte jusqu’à l’épuisement de sa force physique avant d’abdiquer. Suite à la prise de Sahé, il a suivi Houffon dans sa fuite et l’a aidé à mener la résistance dans le but de reconquérir son trône. Son engagement aux côtés de son roi est la preuve de son courage et surtout de sa grande loyauté.

Bien souvent, les personnalités les plus connues ne le sont que grâce à l’action de leur entourage constitué de gens peu ou mal connus. Une étude sur ces hommes et femmes de l’ombre constitue un terrain fertile en données utilisables sur lequel les historiens doivent s’aventurer.

Travaux cités

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Comment citer cet article :

MLA : Vido, Arthur. « Biographie d’Assou, un haut dignitaire du royaume de Sahé (1704-1733). »  Uirtus 1.2. (décembre 2021): 487-501.


§ Université d’Abomey-Calavi (Bénin), [email protected]