Résumé (Connaissance et gestion de la maladie mentale par les tradipraticiens en pays Moba au Nord Togo)

Matiéyédou Bomboma,§

Mouftaou Amadou Sanni,

Simliwa Dassa K.,

Bili Douti

&

Faïdibe Yentaguime

Résumé : Les populations du nord Togo font beaucoup recours à la médecine alternative dans l’itinéraire thérapeutique des personnes souffrantes de malades mentaux. Cette recherche se propose de faire l’état des lieux de la connaissance et la gestion  de la maladie mentale par les tradipraticiens en pays Moba au nord Togo à travers la compréhension des aspects culturels afin de mieux concevoir la prise en charge moderne. Cette étude transversale descriptive a touché 87 informateurs dans la préfecture de Tône sur une durée de 06 mois soit du14 mars au 14 septembre 2016. Les résultats proviennent des analyses statistiques de distribution de fréquence et de la somme des entretiens et montrent que la maladie mentale est définie en pays Moba comme étant un trouble surnaturel du raisonnement et du comportement. Les causes évoquées sont d’ordre mystico-religieux, biologique et toxique. Les troubles psychotiques sont les mieux connus comparativement aux troubles anxieux et de l’humeur. Elles sont guérissables par les plantes associées à  des cérémonies sacrificielles et rituelles par les féticheurs. Les malades transitent des tradipraticiens vers les structures de santé en cas d’insatisfaction ou encore des agents de santé vers les tradipraticiens dans les situations des maladies considérées comme endogènes. La maladie mentale demeure pour les Moba une maladie d’ordre culturelle. Il apparait important pour améliorer le niveau d’adhésion en médecine moderne que les  soignants encodent cette perception traditionnelle et se l’approprier.

Mots-clés : Perception, Maladie Mentale, Moba, Nord-Togo

Abstract: This research aims to take stock of the knowledge and management of mental illness by traditional healers in Moba country in northern Togo through the understanding of cultural aspects in order to better design modern care. This is a descriptive cross-sectional study that affected 87 people carried out in the prefecture of Tône from March 14 to September 14, 2016. Mental illness is defined as a supernatural disorder of reasoning and behavior.  The causes mentioned are mystical-religious, biological and toxic. Psychotic disorders are the best known compared to anxiety and mood disorders.  They are curable by plants associated with the use of sacrificial ceremonies and rituals by witch doctors.  Patients pass from traditional healers to health facilities in the event of dissatisfaction or from health workers to traditional healers in « black disease » situations.  Mental illness remains a cultural illness for the Moba. Traditional understanding by caregivers will improve patient adherence to modern medical practices.

Keywords: Perception, Mental Illness, Moba, North-Togo

Introduction

La santé mentale est définie comme étant une atteinte du psychisme entrainant des troubles dans la manière de se conduire. Et l’Homme dans le concept africain est un organisme vivant de rapports sociaux, cosmiques et spirituels (Guigbile et Erny 44). La santé, quant à elle, est définie dans la tradition comme un équilibre proportionnel qualitatif et quantitatif entre les différents éléments de l’Homme et entre l’Homme et toutes les composantes de la communauté dans laquelle il réside ; entre l’Homme et ses relations verticales qui vont depuis l’ancêtre fondateur, jusqu’aux descendances futures (Konan 13). En Afrique, la maladie mentale soulève la question de l’influence des esprits maléfiques dans l’explication d’un phénomène ou d’un événement malheureux (OMS  16).Dans ce même sens, le concept de maladie en milieu culturel Moba, distingue la maladie dite culturelle, celle provoquée et la maladie par transgression et le trouble mental ne fait pas exception à cette règle, ce qui justifie l’itinéraire thérapeutique du malade qui passe souvent d’abord chez le tradipraticien. Même hospitalisés, les malades continuent de solliciter par l’entremise des parents l’aide des guérisseurs qui font, soit des rituels en leur faveur, soit confient aux parents des produits indigènes qui seront administrés aux patients à l’insu du personnel soignant (Yangni-Angaté 74). Cet article vise à explorer les connaissances et perceptions des communautés et des tradipraticiens sur la maladie mentale en pays Moba.

1. Cadre  méthodologique

1.1. Milieu d’étude

Notre étude a eu pour cadre les lieux thérapeutiques traditionnels des Moba dans la préfecture de Tône qui est l’une des sept préfectures de la région des savanes au nord Togo. Elle couvre une superficie de 1 222 km² avec une population de 327 622 habitants en 2016 selon l’enquête démographique de santé réalisée en 2015. Nous avons choisi d’interroger les Moba, communauté majoritaire de la préfecture de Tône. Cette ethnie est en effet formée de différents clans qui ont chacun leur histoire. Les Moba croient en l’existence des puissances invisibles qui se regroupent en trois titres : l’Être suprême (Yêdu ou Yendu), les esprits et les génies et les ancêtres (Kanati 101).

1.2. Matériel et méthode

Deux profils d’informateurs à savoir : les accompagnants des malades mentaux (63) les tradipraticiens en santé mentale (24) dans  les lieux de soins de santé mentale avec l’approche traditionnelle. Au total, 12 cantons de la préfecture ont été pris en compte: Dapaong, Nioukpourma, Pana Bagou, Dalwak, Kantindi, Lotougou, Pana, Tami, Tidonti, Toaga, Warkambou et Korbongou. Cette étude  transversale descriptive était menée du 14 mars au 14 septembre 2016 soit une période totale  de 6 mois. Les participants ont été soumis à deux types de questionnaires en fonction de leur positionnement (tradipraticien- accompagnant). Les items des questionnaires ont été formulés en langues Moba et la passation pour un informateur  a duré en moyenne 35 minutes après consentement éclairé. Le questionnaire comporte les éléments suivants : informations sur l’état civil des enquêtés, leurs opinions sur la définition, les causes, les types et les moyens thérapeutiques des troubles mentaux. La fiche destinée aux tradipraticiens comporte en plus de ces éléments quelques items sur l’existence éventuelle d’un cadre de collaboration entre les acteurs de la médecine traditionnelle et la médecine moderne. L’analyse des données  quantitatives s’est basée sur  les analyses statistiques de distribution de fréquence dans le logiciel SPSS 21, après saisie dans épi-info 7. Pour ce qui est des entretiens, nous avons utilisé l’analyse du discours et l’analyse de contenu. Il faut noter que la Classification Internationale des Maladies dans sa 10ème révision (C I M 10) de l’OMS en ce qui concerne les troubles mentaux nous a servi de référence diagnostique.

  • Principaux résultats et discussion

2.1. Profil et sexe des enquêtés

Au total, 87 sujets ont été enquêtés dont 63 (72,41%) accompagnants de malades et 24 (27,59%) tradipraticiens. Dans notre étude nous avons noté une prédominance des hommes dans les deux populations cibles (sexe ratio de 1,33 chez les accompagnants de malades et 5 dans celui des tradipraticiens). Cette situation parmi les accompagnants de malades pourrait s’expliquer par le fait qu’en pays Moba, en matière de santé mentale c’est l’homme qui, en plus du pouvoir de décision, est le concerné dans les affaires culturelles. Dans la majorité des cas, la femme n’est que spectatrice. Le faible nombre (4/24) des femmes retrouvées dans notre étude corrobore l’idée de (Sow 33). Selon laquelle « les géomanciens sont souvent des hommes » ; elle expliquerait aussi la réticence des femmes à s’affirmer dans certains domaines d’activité.

2.2. Age des enquêtés

La moyenne d’âge des enquêtés était de 48,35 ans, le minimum était de 21 et le maximum de 93 ans. Ceci démontre de la maturité des personnes enquêtées car l’accompagnement et la gestion  des malades mentales est une affaire d’adulte chez les Moba.

2.3. Niveau d’instruction

Une prédominance de non scolarisés (66,70%) a été retrouvée dans le groupe des tradipraticiens et des accompagnants de malades. Par contre (Assoumatine 18), a retrouvé 47,14% et (Tona 27), 36,40% chez les tradipraticiens dans son étude réalisé en milieux Ewe. Cette différence statistique dans les trois études pourrait s’expliqué par le fait que la région des savanes qui abrite la préfecture de Tône est la moins scolarisée selon les résultats de l’enquête au Togo (MICS 39) .

2.4. Pratique de la religion

La religion traditionnelle a été celle pratiquée par 79,17% des tradipraticiens et 46,00% des accompagnants de malades. Cette pratique concorderait avec les moyens thérapeutiques mystiques parfois utilisés par les praticiens de la médecine traditionnelle en relation avec leurs croyances ancestrales Moba. Ces résultats correspondent à ceux trouvés par de tradipraticiens (59,10%) en pays Ewé au sud Togo Tona (26).  Le deuxième groupe religieux est celui des musulmans (10%). La pratique thérapeutique traditionnelle semble incompatible avec les approches spirituelles relevant du christianisme.

2.5. Origine de la profession

Trois types d’acquisition de la profession ont été retrouvés dans notre étude. Il s’agissait pour 50% des cas du pouvoir inné, découvert lors du premier épisode de maladie mentale, suivi de 37,50 % par la famille et de 12,50 % par apprentissage. (Tona 29), avait trouvé que 40,9 % des cas de pratiques traditionnelles étaient transmises de père en fils et acquise dans 27,3 % des cas. Ces résultats confirment la réalité africaine en matière de transmission de connaissances ancestrales qui reste d’actualité en pays Moba. Ces résultats correspondent également à ceux de (Collomb 11), qui a trouvé que les pratiques traditionnelles sont acquises auprès des maîtres qui forment pendant de longues années, au prix de sacrifices et de souffrances leurs assistants. Dans d’autres cas comme dans  notre contexte, ce sont les maladies en lien avec les rites initiatiques qui leur a permis d’accéder, toujours au prix de la souffrance, à cette vérité cachée que tout le monde porte en soi.

  • Définition ou explication de la maladie mentale

Toutes les personnes enquêtées ont défini la maladie mentale comme étant un trouble surnaturel du raisonnement et du comportement du sujet. Ils ont également déclaré qu’il s’agissait d’une maladie honteuse. Cette définition est conforme à celle donnée par (Assoumatine 20), dans son étude en milieu Lamba. (Mukau et al 7), ont souligné dans cette logique que abordé dans le même sens en disant que les malades mentaux vivent en marge de la société pour la simple raison qu’ils constituent un fardeau, une honte qui atteignent le prestige social de la famille ; ces personnes sont exposées à toutes sortes d’intempéries (pluies, vent, chaleur, froid, etc…).

2.7. Dénomination des troubles mentaux

Les personnes enquêtées ont à l’unanimité donnée une dénomination commune à chaque trouble mental.

– Troubles psychotique : « war’enm » littéralement signifie « folie ». En pays Lamba, ce trouble se dénomme « Kponne » ce qui signifie « folie » a fait remarquer également (Assoumatine 20).

– Troubles anxieux : « Yam-poud-tchiam », ce qui veut dire « excès de peur ». En pays Lamba le trouble anxieux est encore désigné sous le vocal de « amaasse » pour signifier le saut du cœur (Assoumatine 21).

2.8. Types de maladies mentales

Les enquêtés à  l’unanimité ont déterminé deux types de maladies mentales. Un type oὺ les personnes atteintes sont agitées, agressives et violentes et un autre oὺ le malade est calme, pensif et isolé. Tona (31), a aussi trouvé le même résultat dans son travail. Mukau et al (8) quant à eux ont trouvé quatre types de maladie mentale chez les Ntandu au Congo : trouble hallucinatoire, trouble avec crise épileptiforme manifeste, comportement déviant dès l’apparition de la lune, difficulté importante d’adaptation sociale.

2.9. Manifestations des troubles mentaux

2.9.1. Troubles psychotiques

Ce type de trouble est désigné chez les lamba « kponne » en milieu Lamba (Assoumatine 20) et en milieu moba « warm». Tous les enquêtés ont évoqué des symptômes de comportements bizarres, une personne qui marche nu et seul dans les rues et dépotoirs, difficultés à communiquer avec les autres, parle seul avec les « esprits » « les génies », isolement, tenues salles, débraillées, agressivité, isolé parfois, alimentation bizarre, manque de sommeil comme étant les manifestations des troubles psychotiques. Dans l’étude de Tona (33) en pays Ewè, tous les tradipraticiens ont affirmé que le malade mental est quelqu’un qui se promène sur les dépotoirs, nus dans la rue, qui parle seul, quelqu’un qui ne raisonne pas bien et comme test on lui donne un panier pour aller puiser de l’eau ajoutent 2 personnes, ce qu’il ferait s’il est réellement malade. Dans celle réalisée par Mukau et al.(7) chez les Ntandu en République Démocratique du Congo qui a touché 50 personnes, 26 (52%) ont affirmé que la personne atteinte vivait en marge de la société (lu zingu lu bu kaka), et 24 (48%) que celles-ci sont déshumanisées (lu zingu lu mpasi).Ces résultats sont conformes à la nôtre et confirment la réalité quotidienne que vivent les malades mentaux en Afrique à savoir l’opprobre, la stigmatisation, le sentiment de rejet de la part de la famille et de la société.

2.9. 2. Troubles anxieux

Les symptômes les plus cités étaient réaction de sursaut (65,07% par les accompagnants de malades et 75,00% par les tradipraticiens) et peur sans raison (60,32% des accompagnants de malades et 62,50% de tradipraticiens), ceci est conforme avec ceux retrouvés par Assoumatine (21) dans son étude qui était une peur de sortir seul la nuit, une hyper vigilance, un désir permanent de se faire accompagner d’une tierce personne. Ce qui est également en parfaite conformité avec la nosographie décrite dans la CIM 10. Ce type de trouble n’est pas facilement identifiable par l’ensemble des populations par des personnes qui ont un savoir plus spécifique.

2.9. 3. Troubles de l’humeur

Les manifestations des troubles de l’humeur qui ont été les plus évoquées par les enquêtés étaient : le suicide (84,13% des accompagnants de malades et 75% de tradipraticiens) et la tristesse (73,02% des accompagnants de malades et 83,33% de tradipraticiens). Ce résultat est en conformité avec la nosographie de la CIM 10. En milieu moba, cette maladie est désignée par « yampoug-tchiong ». Les moba reconnaissent assez facilement ces genres de genre de maladie, car ceux qui le font le manifestent clairement. 

2.10.  Causes  de la maladie mentale

Les trois principales causes évoquées par l’ensemble des personnes enquêtées étaient d’abord d’ordre mystico-religieuses (la possession/élection par les « génies », envoûtements, sorcellerie, punition « divine », d’un vol, un sort jeté par autrui, une malédiction chez 100% des enquêtés,  ensuite biologiques ou somatiques (vers, microbes, les parasites) chez 60,92% et enfin toxiques (consommation excessive d’alcool et d’autres substances psycho actives)  chez 24,13%.Tona (30)en pays Ewè au Sud Togo, dans son étude auprès des tradipraticiens a également noté les causes mystico-religieuses et toxiques chez 100% des tradipraticiens, et les causes liées à un trouble biologique ou organique chez 22,7 %.Mukau et al.(10) ont trouvé que 46% des enquêtés pensait que la maladie mentale a une cause mystico spirituelle telle la sorcellerie, la magie, le fétichisme, l’envoûtement, la transgression des lois ou normes ancestrales, la malédiction à la suite du vol de biens d’autrui une possession diabolique émanant de l’ensorcellement ou de la punition par des ancêtres mécontents. La différence entre la proportion de Mukau et al. (10) et la nôtre pourrait s’expliquer par le fait que notre étude s’étant déroulée dans les milieux ruraux ou semi-urbains et ceux-ci ne sont pas facilement ouvert sur les connaissances de la médecine moderne.Quant à Sow (120), il écrivait dans son ouvrage : les structures anthropologiques de la folie en Afrique que les relations complexes souvent ambiguës entre les humains et les génies africains; invisibles mais puissants, bons ou méchants gratifiants ou persécuteurs, en cela ils peuvent rendre fou. La représentation du trouble mental chez les Moba confirme la conception égyptienne de la maladie mentale selon laquelle la maladie vient d’une attaque extérieure et l’individu malade est considéré comme une victime de la société. Sow (134) continuait en précisant que le traitement traditionnel est toujours étiologique car toute affection mentale a une cause qui est, en même temps, une signification sociale dont la découverte permet seule, selon la tradition d’aboutir à la guérison, c’est-à-dire en fait, à la résolution des tensions ; la maladie mentale n’est qu’un appel au resserrement des liens qui existent entre les hommes et les esprits.

2.11. Moyens thérapeutiques

Les troubles mentaux étudiés dans notre étude sont guérissables par l’usage des plantes. Toutes les parties de la plante sont utilisées à l’état frais ou sec: feuilles, fleurs, fruits, graines, tronc, bois, écorce, tige, racines. Les préparations sont obtenues par macération, décoction ou infusion. Ces matières peuvent aussi être chauffées dans des boissons alcoolisées, et/ou du miel ou dans d’autres matières. Alice Konan, affirmait dans sa thèse que les plantes constituent le lot le plus important de l’arsenal thérapeutique traditionnel.

Pour les troubles psychotiques, en plus de l’usage des plantes, les 24 praticiensont associé des pratiques mystiques à travers l’invocation des ancêtres/esprits par des sacrifices d’animaux et avec prononciations des paroles incantatoires dans le but de poser un diagnostic ou pour le choix d’un remède. Ces rituels consistaient à invoquer ceux-ci, avec qui, ils communiquent soit par la parole ou par l’interprétation de certains phénomènes et instruments. Les sacrifices d’animaux ont été offerts à ceux-ci afin de satisfaire leurs besoins disaient-ils à l’unanimité.

Ceci est conforme au résultat obtenu par Tona (35), qui a retrouvé que 68,20% des praticiens soit 100% des féticheurs-guérisseurs associaient les rituels et l’incantation magique aux plantes qui sont utilisées sous différentes formes. Les rituels et les incantations magiques ont pour but de désenvoûter le malade, d’enlever tous les obstacles au bon fonctionnement des herbes (ama).

2.12. Critères de guérison

Concernant les troubles psychotiques, la majorité des enquêtés (92% de praticiens et 71,43% des accompagnants ou parents de malades) avaient déclaré qu’il existe au moins deux critères de guérison qui sont : reprise normale des activités par le malade après arrêt des symptômes, consultation des génies et la conduite jusqu’au bout du traitement proposé. Les deux (2) herboristes ont soutenu que le traitement était limité uniquement à l’usage des plantes. Quant aux guérisseurs, ils ont affirmé faire aussi des consultations mystiques des fois  à l’insu de certains accompagnants et malades avant de déclarer la guérison du malade.

Par contre dans la thèse de Kona (42), les critères de guérison qui ont été évoqué étaient : l’arrêt des plantes (72%), la confirmation par des examens complémentaires de contrôle (63%) et une observance thérapeutique correcte (35%).

Pour les troubles anxieux et de l’humeur, tous ceux qui avaient affirmé que ces troubles étaient guérissables, ont soutenu qu’il suffisait d’un seul critère pour parler de guérison. C’est la reprise des activités après arrêt de la symptomatologie du patient. Ces deux troubles étaient moins connus de la majorité des enquêtés soit peut-être à cause de la rareté de la symptomatologie de ces troubles ou de la méconnaissance d’un lien entre les symptômes et les troubles sus mentionnés.

2.13. Cadre d’échange et de collaboration avec les acteurs de la médecine moderne

2.13.1. Référence des tradipraticiens vers les structures de santé

Tous les tradipraticiens ont affirmé adresser des malades vers les hôpitaux dans les cas d’échec de traitement, pour des traitements complémentaires, et par décision des génies/esprits (29,17%). Dans la thèse de Konan (56), 96% des tradipraticiens envoyaient les patients dans les centres de santé pour des cas graves, des cas hors compétences et pour la réalisation du diagnostic clinique et para-clinique. Ce qui se rapproche des résultats de notre étude.

2.13. 2. Référence des agents de santé vers la médecine traditionnelle

Dans l’autre situation des agents de santé des structures modernes vers les tradipraticiens, c’était 50% des tradipraticiens qui ont affirmé qu’ils avaient reçu des malades adressés par des agents de santé pour les motifs d’échec de traitement par la médecine moderne, sorcellerie, envoûtements, malédiction, possession/élection par les génies ou encore esprits. Cette référence se faisait verbalement soit entre soignants qui affirmaient qu’il s’agissait de « maladies de noirs » et que la médecine moderne ne pouvait rien faire pour les soigner; soit entre soignants et accompagnants de malades. Dans certains cas aussi les accompagnants à leur guise sur conseils des parents et amis sortaient leur malade des structures de santé pour les lieux thérapeutiques traditionnels. Les catégories de personnel de santé adressant les malades n’avaient pas été mentionnées par les tradipraticiens. Les résultats d’une thèse de doctorat montre que 65% des tradipraticiens ont reconnu avoir reçu des patients adressé par les personnels de santé de toute catégorie (médecins, infirmiers; sages-femmes, biologistes, les techniciens de laboratoire ou les pharmaciens (Konan 57).

Conclusion

La présente  étude visait à explorer  les connaissances et  perceptions de la maladie mentale en pays Moba de la préfecture de Tône au Nord Togo. Les sites de l’étude étaient les lieux thérapeutiques que sont les maisons des tradipraticiens essentiellement féticheurs qui en majorité ont acquis leur profession par pouvoir inné. Ce travail a touché 24 tradipraticiens et 63 accompagnants de malades tous en majorité de sexe masculin dans 12 localités de la préfecture. Pour les Moba enquêtés, la maladie mentale est un trouble surnaturel et est considéré comme une maladie grave et honteuse. Le troubles psychotiques sont dénommés « war’enm », les troubles anxieux « Yam-poud-tchiam ».Les causes évoquées sont mystico-religieuses, organo-biologiques des enquêtés et toxiques. Quant aux manifestations, elles sont conformes à celles décrites dans la Classification Internationale des Maladies en sa 10ème révision pour les troubles psychotiques qui sont les mieux connus des troubles et le sont moins pour les troubles anxieux et de l’humeur. Si elles sont guérissables, elles le sont par l’utilisation des plantes sous toutes ses formes et l’usage des rituels mystiques. Il existe un système de référence non formalisé entre les acteurs de la médecine traditionnelle et ceux de la médecine moderne dans les cas d’échec de traitement, de traitement complémentaire ou de croyances sur les causes probables de la maladie. L’évolution vers une meilleure prise en charge des malades mentaux dans le contexte sanitaire togolais doit nécessairement passer par l’appropriation des connaissances et perceptions  communautaires chez les professionnels.

Travaux cités           

Assoumatine, Abbé. La conception étiopathogénique des troubles mentaux en milieu lamba, Mémoire, EAM- UL, 2016. 

Collomb, Henri. Revue Socialiste de culture négro-africaine; Éthiopiques numéro 2, 1975.

Guigbile., Dominique Banlène et Pierre Erny.  Vie, Mort et ancestralité chez les Moba du Nord Togo. Paris : L’Harmattan, ouvrage, 2001.

Kanati, Laré. Les représentations sociales du VIH/SIDA à la construction d’une identité séropositive : analyse de discours en pays Moba (Nord-Togo). Thèse de doctorat en Sociologie, Université Paris-Ouest Nanterre La Défense, 2011.

Konan, Alice. Extent of trauma exposure and PTSD symptom severity as predictors of anxiety-buffer functioning. Psychological Trauma: Theory, Research,Practice, and Policy, 4, 47-55. Rapport d’activité scientifique, Faculté de Psychologie et Sciences de l’Education, Université de Genève, 2012.

……… Place de la médecine traditionnelle dans les soins de santé primaires à abidjan (côte d’ivoire). Thèse de médecine de l’Université Toulouse III, Paul Sabatier. Février, 2012.

MICS. Rapport de l’enquête par grappes à indicateurs multiples au Togo, générer des preuves en faveur des enfants. 2009.

Mukau Ebwel, Joachim, Corneille Kinsala Kinsala et  Liesson Mbayamvula Mawula. Approche sémantique de la maladie mentale chez les NTANDU, Article in International Psychology, Pratice and Research, 3 ; 19p. 2012.

OMS : Stratégie de l’OMS pour la médecine traditionnelle : 2014-2023, OMS Genève : WHO/EDM/TRM/2014.1

Sow, Ibrahima.  Psychiatrie dynamique africaine. Payot, Paris : ouvrage In-8°, 1977.

Tona, Kodjo, Pratiques thérapeutiques traditionnelles des maladies mentales en pays Ewe au sud du Togo et du Bénin, Communication revue Psy-Cause, n°76. 2018.

……… Les lieux thérapeutiques traditionnels des maladies mentales en pays Ewe au sud du Togo, mémoire de master en santé mentale, EAM-UL, janvier 2016 ; 61p. 2016.

Yangni-Angate, Antoine. La revalorisation de la médecine traditionnelle africaine en Côte d’Ivoire. Abidjan : CEDA, ouvrage de 182p. 2004.

Comment citer cet article :

MLA : Bomboma, Matiéyédou et al. « Connaissance et gestion de la maladie mentale par les tradipraticiens en pays Moba au Nord Togo ». Uirtus 1.2 (décembre 2021): 113-124.


§ Université de Parakou / [email protected]

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