Résumé (Se déplacer pour se soigner des personnes sourdes à Abidjan,un vrai parcours du combattant)

Se déplacer pour se soigner des personnes sourdes à Abidjan, un vrai parcours du combattant

Maïmouna Ymba§

Résumé :L’accès aux soins est un droit fondamental, mais en Côte d’Ivoire une grande disparité dans l’accessibilité réelle aux services de santé pour les personnes sourdes. Leur handicap étant invisible, cette population est marginalisée et est plus à risque aux maladies chroniques. Le gouvernement ivoirien a réagi en mettant en place une politique nationale pour améliorer leur condition. Cependant, faute est de constater que le dispositif sanitaire n’est toujours pas adapté aux besoins des personnes sourdes. De plus, le personnel médical n’est pas formé pour accueillir les personnes sourdes et leur prodiguer les soins nécessaires alors que les besoins de demande de soins sont une réalité. L’objectif de cet article est d’étudier le parcours de soins des personnes sourdes d’une part et d’autre part d’identifier les obstacles associés à ce parcours. A partir d’une enquête par questionnaire auprès des personnes sourdes âgées de 16 et 60 ans. Nos résultats montrent que quatre-vingt-cinq pourcent (85%) ont recours tardivement aux services de santé. Elles utilisent premièrement l’automédication car elle est plus accessible pour eux financièrement. Les services de santé sont utilisés en cas de maladie grave ou chronique par seulement 25 %. Les personnes sourdes rencontrent des difficultés pour accéder aux soins de santé, qui s’expliquent en autres par leurs conditions socio-économiques et une communication inadaptée entre le personnel médical et les personnes sourdes. Dans cette étude, on constate malheureusement que le recours aux structures de soins se fait rare auprès des personnes sourdes où les besoins en soins de santé sont les plus importants.

Mots-clés : Handicap, service de santé, personne sourde, parcours de soins, obstacle aux soins, Abidjan

Abstract: Access to health care is a fundamental right, but it is sad to note that in Côte d’Ivoire there is a great disparity in the real accessibility to health services for deaf people. Because the disability is invisible, this population is marginalized and is more at risk for chronic diseases. The Ivorian government has reacted by putting in place a national policy to improve their condition. However, the health system is still not adapted to the needs of deaf people. Moreover, the medical staff is not trained to welcome the deaf people and to provide them with the necessary care whereas the needs for care are a reality. The goal of this article is to study the care pathway of deaf people on the one hand and to identify the obstacles associated with this pathway on the other hand. Based on a questionnaire survey of deaf people aged between 16 and 60 years, our results show that 85% of them use health services late. They primarily use traditional medicine because it is more accessible to them financially. Health services are used in cases of serious or chronic illness. Deaf people encounter difficulties in accessing health care, which can be explained by their socio-economic conditions and inadequate communication between medical personnel and deaf people. In this study, we unfortunately note that the use of health care structures is rare among deaf people where the health care needs are the greatest.

Keywords: Disability, Health Service, Deaf Person, Care Pathway, Barrier to Care

Introduction

La surdité est classée parmi les handicaps sensoriels les plus répandu au monde et est plus représenté dans les pays à faible revenu (OMS 14). En Côte d’Ivoire les personnes malentendantes et sourdes représentaient au dernier recensement général de la population plus de 90 000, soit 2,22% de la population ivoirienne (RGPH-INS 61). La Société Ivoirienne d’Oto-rhino-laryngologie (SIORL) fixait, en 2006, le taux de prévalence de la surdité à 13,8%. Ces chiffres, ne reflètent pas la réalité du terrain d’une part à cause des crises politico-militaires qui ont profondément ébranlé les populations ces dernières années et d’autre part, à cause des séquelles de l’ulcère de Burili qui sévit dans certaines régions, notamment Daloa, Danané (Zouan Hounien), etc. (Konan 10).

La surdité est la conséquence de l’affaiblissement ou la perte plus ou moins totale de l’audition. Ce qui justifie les quatre types de surdité : léger, moyen, sévère et profond selon le monde médical (Jean 5). Elle peut être congénitale ou survenue au cours du cycle de vie (Maud 11).

Les personnes sourdes, ne se considèrent pas comme des personnes malades, mais comme membres de la communauté sourde avec leurs propres spécificités et leur propre culture dans laquelle le mode de communication est essentiellement visuo-gestuel (Jean 9, 11). Ils pratiquent préférentiellement ou exclusivement la langue des signes française (LSF).

La particularité de ce handicap limite ainsi de façon partielle ou totale l’accès à toutes informations, notamment l’accès aux soins de santé en raison de difficultés de communication (Konan 16).

L’accès aux soins est pourtant un droit fondamental, mais en Côte d’Ivoire, une grande disparité dans l’accessibilité réelle aux services de santé pour les personnes sourdes.

Leur handicap étant invisible, cette population est marginalisée et est plus à risque de morbidité et de prévalence de maladie chronique. La « sur-prévalence » de facteurs de risques cardiovasculaires au sein de la population sourde est rapportée par plusieurs auteurs. En effet, 84,4% des patients sourds ont au moins un facteur de risque cardiovasculaire, contre 64% de la population générale, 34,2% des patients sourds sont obèses contre 26,6% de la population générale, seuls 42% des hypertensions sont traitées de manière adéquate chez les Sourds contre 62% dans la population générale (Chastonay 772).

Face à cette situation, le gouvernement ivoirien a réagi en mettant en place depuis 2005 une politique nationale d’orientation des actions intégrées de prise en compte du handicap par les pouvoirs publics et la société civile. Plusieurs années après la mise en place de cette politique, faute est de constater que cette politique nationale s’est plus focalisée sur les plans, les projets et les programmes d’insertion socio-économique en faveur des personnes handicapées, que sur leur santé.

Cette réalité n’est pas unique à la Côte d’Ivoire. En effet, peu de gouvernements s’efforcent de mettre en œuvre des programmes sanitaires spécifiques dans le but de faciliter l’accès aux soins aux personnes sourdes. C’est pourquoi nombre d’entre eux sont complètement privés de suivi médical (Humanium 26). Le Professeur Stephen W Hawking déclare à cet effet : « Les gouvernements du monde entier ne peuvent plus oublier les centaines de millions de personnes handicapées à qui on dénie l’accès à la santé » (OMS 22).

En effet, le dispositif sanitaire n’est toujours pas adapté aux besoins des personnes sourdes. De plus, le personnel médical n’est pas formé pour accueillir les personnes sourdes et leur prodiguer les soins nécessaires alors que les besoins de demande de soins sont une réalité (Tigane 17). En outre, les personnes handicapées représentent la couche sociale plus pauvre et la plus fragile de la population e t constituent un important groupe très souvent marginalisé et victime de discrimination sociale. Le taux de chômage est estimé à 60% à 65% ce qui les rend très vulnérable (Yerim 20). L’objectif de cet article est d’étudier le parcours de soins des personnes sourdes d’une part et d’autre part d’identifier les obstacles associés à ce parcours.

1. Matériels et méthodes

1.1. Présentation de la zone d’étude

La ville d’Abidjan est située au Sud de la Côte d’Ivoire (Figure n°1). Capitale économique, elle s’étend sur une superficie de 2 119 km², soit 0,6 % du territoire national et compte 4 395 243 habitants (INS 64). La population sourde et malentendante s’estime à 4336 personnes (RGPH-INS 33).

Par ailleurs, la ville d’Abidjan compte plus 280 quartiers. Ces quartiers sont composés à la fois de zonesrésidentielles huppées (Cocody au nord, Marcory au centre) et des quartiers populaires  pauvres et délabrés (communes d’Abobo (nord), d’Attécoubé (centre), de Yopougon (ouest) et de Port-Bouët (sud)). Abidjan est divisé en deux grandes régions sanitaires (Abidjan1 et Abidjan 2) qui comprend les districts sanitaires de : Abobo-ouest ; Abobo-est ; Anyama; Yopougon-est ; Yopougon-ouest-Songon et d’Adjamé-plateau-Attécoubé ; Cocody-Bingerville ; Treichville-Marcory ; Koumassi ; et Port Bouët- Vridi. Cette morphologie géographique a des conséquences sur l’accès géographique aux services de santé spécialisés car les distances sont parfois très longues pour atteindre les structures de deuxième et de troisième niveau de santé du nord ou du sud (Ymba 103). Elle regroupe également trois grands Centres hospitaliers universitaires (CHU), CHU de Cocody, CHU de Treichville et le CHU d’Angré ce sont des centres de troisième niveau. Nous avons aussi 10 hôpitaux généraux, et des centres de santé de base. Ainsi qu’une multitude d’offres de soins privée.

Figure 1 : Localisation de la zone d’étude

1.2. Méthodes

1.2.1. Collecte de données

Pour atteindre les objectifs de cette étude, quatre techniques de collecte de données ont été utilisées: la recherche documentaire, l’entretien semi-dirigé, l’enquête par questionnaire auprès des ménages ainsi que l’observation participative.

La recherche documentaire a permis de consulter les documents scientifiques, des rapports, et des documents gouvernementaux dans les bibliothèques et à partir de moteurs de recherche spécialisés tels que Google scholar, en français et en anglais, sur plusieurs mots ou thèmes clés (handicap, accès aux soins, personne sourdes, etc.). La fin de la recherche documentaire a été très bénéfique parce qu’elle a permis de clarifier la définition des mots clefs et rédiger la problématique.

Au cours de cette recherche documentaire, la base de données de la Direction de l’Informatique et de l’Information Sanitaire (DIIS) de 2020 sur les coordonnées géographiques (longitude et latitude) des centres de santé de base de la ville d’Abidjan a été consultée.

Aussi, des entretiens semi-dirigés ont été réalisés à l’aide d’un guide d’entretien avec les responsables des structures sanitaires que fréquente les sourds, et les soignants qui ont déjà reçu en consultation un patient sourd. L’entretien dans les centres de santé a permis de connaître la politique sanitaire de prise en charge médicale des patients sourds.

De même un focus groupe avec les personnes sourdes a été réalisé. Les points abordés étaient : les difficultés rencontrées à l’hôpital, compréhension des soins, niveau d’utilisation des soins etc. Nous avons fait appels à des interprètes en langues des signes pour l’interprétation. Le focus group et les entretiens ont été réalisé en septembre 2021.

Par ailleurs, le questionnaire élaboré pour les besoins de l’étude a permis la collecte quantitative auprès des personnes sourdes. Il était relatif aux caractéristiques démographique et socio-économique (âge, sexe, niveau d’instruction et d’alphabétisation, emploi,), la consultation médicale (mode de communication utilisé, maîtrise de l’écrit, compréhension de la syntaxe française, compréhension de la consultation médicale), l’utilisation des services de soins (niveau d’utilisation des services de soins, capacité à s’acquitter des frais des prestations de soins).

S’agissant du choix des personnes à enquêter, nous avons procédé par un échantillonnage par quotas, en appliquant la formule mathématique de FISHER suivante :

N= t² × p (1-p)/m2 avec N : Taille de l’échantillon, t : niveau de confiance à 95 % (valeur-type 1,96), p : Proportion de personnes sourdes supposées avoir les caractères recherchés. Cette proportion variante entre 0,0 et 1 est une probabilité d’occurrence d’un événement et m : marge d’erreur à (5 % (valeur-type 0,05). Ainsi défini, le nombre de personnes à interroger s’élève à 384. Nous avons réparti proportionnellement au poids démographique de chaque association, en tenant compte du critère déterminant. La méthode de calcul utilisée pour la détermination du nombre de personnes à interroger par association, est la règle de trois :

Exemple de calcul pour l’association ANAFESOCI : 353 personnes.

1164 → 384

  353 → X

  X= 383*353/1164= 116

Tableau 1 : Répartition des personnes sourdes à interroger par association

CommuneAssociationsUnité totale recenséeNombres enquêtés
YopougonANAFESOCI      353   116
YopougonGEESCI      131   43
MarcoryMUTSCI      139   46
AboboASCOB      114   38
AdjaméASCA      55   18
AttécoubéASOCA      59   19
Port-BouëtASOPB     123   41
CocodyUNASCO     34   11
KoumassiUNASOK     143   47
TreichvilleASOCOT     13   4
 Total     1164383

  Source : ANASOCI, 2021

  Avec la méthode utilisée, 383 personnes devraient être interrogées. Cependant, seulement   130 personnes ont pu être interrogées à cause de l’indisponibilité et du refus de certaines personnes sourdes de  répondre aux questionnaires et de participer à l’enquête.

A partir d’un questionnaire, des informations qualitatives et quantitatives ont été collectées auprès de 130 personnes sourdes choisis par quotas issue de la base de données de l’association nationale des sourds de Côte d’Ivoire. Pour être représentatif, nous avons pris une association dans chaque commune de la ville d’Abidjan, soit 10 associations. Les données ont été collectées d’août à septembre 2021.

Chaque enquêté a été interrogé sur les caractéristiques démographique et socio-économique (âge, sexe, niveau d’instruction et d’alphabétisation, emploi,) le mode de déplacement, lieu de résidence, la consultation médicale (mode de communication utilisé, maîtrise de l’écrit, compréhension de la syntaxe française, compréhension de la consultation médicale), l’utilisation des services de soins (niveau d’utilisation des services de soins, capacité à s’acquitter des frais des prestations de soins).

En plus des données de population d’enquête, d’autres types de données démographiques ont été collectées. Les données recueillies sont celles du recensement général de la population et de l’habitat de l’Institut Nationale de la statistique (INS) de 2014; et de la Direction de la Promotion des Personnes Handicapées (DPPH). Ces données concernent le nombre de populations handicapées auditives à Abidjan et la liste des différentes associations de personnes sourdes. Ensuite d’autres informations ont été recueillies auprès des associations des personnes sourdes, il s’agit de la répartition des associations de personnes sourdes dans la ville d’Abidjan et le nombre de personnes par association.

Pour terminer, l’observation participative a consisté à observer le parcours de soins d’une personne sourde depuis le service d’accueil jusqu’à la consultation avec le médecin. Dans le but d’identifier les modes de communication utilisés avec le patient sourd, d’évaluer leur niveau de connaissance de la langue des signes ; d’identifier les éléments barrières qui constituent des obstacles à la prise en charge des personnes sourdes. En effet, il a été observé une capacité d’adaptation de la personne sourde.

1.2.2. Traitement des données

Les questionnaires renseignés relatives à l’enquête transversale auprès des personnes sourdes ont été soumis à un contrôle de qualité. Les données ont ensuite été saisies dans un masque de saisie élaboré dans Epi Data puis transférées vers le logiciel sphinx v5 et Excel pour le traitement statistique et les analyses descriptives. Un apurement des données a été effectué afin de renforcer la qualité de celles-ci. L’exploitation de la double saisie (25 %) y a contribué et a permis de juger la qualité de la saisie comme très satisfaisante.

Dans un premier temps, une analyse descriptive des données portant sur les caractéristiques des enquêtés, les recours thérapeutiques a été faite pour étudier les pratiques spatiales de santé des personnes sourdes  interrogées.

Les données ont été traitées et analysée avec les logiciels sphinx v5 et Excel. Il a été procédé à un tri à plat avec calcul de proportion pour les principales variables de l’étude. Quant aux données issues des entretiens, elles ont été transcrites avec le logiciel Word puis interprétées. Les données de la DIIS ont été traitées et représentées sous forme de cartes à l’aide du logiciel ArcGIS 10.2.

2. Résultats

2.1. Répartition des structures de soins au regard des besoins de soins, un obstacle à l’accessibilité aux soins

La ville d’Abidjan est un espace privilégié car elle regroupe la majeure partie des structures de soins de la Côte d’Ivoire. On y dénombre 1045 établissements repartie sur de faible distance soit 20% de l’offre de soins moderne. Cette offre se caractérise par sa densité et est composée à la fois de l’offre de soins publique et privée avec une diversité de soins. On a selon l’organisation sanitaire, les structures de soins de premier niveau, second et troisième niveau (Figure 2).

Figure 2. Localisation des structures sanitaires par niveau de soins à Abidjan  

Les structures de soins se répartissent davantage sur l’espace loti estimé à 262 Km² si l’on soustrait les espaces non habités, tels que la lagune Ébrié et la forêt du banco. La densité de l’offre de soins est donc d’une structure pour 5 747 personnes et de 3,98 établissements de soins par Km² habité.

Quel que soit le type d’offre publique ou privée, l’offre de premier contact est la plus répandue avec 87% de l’offre de soins modernes (soit 908 structures). Le deuxième et le troisième niveau de référence, c’est-à-dire les polycliniques, les cliniques, les HG et les CHU, représentent 13% de l’ensemble, soit 137 structures.

Certes, la ville d’Abidjan possède une offre de soins dense et diversifié dans son ensemble, mais cette offre n’est pas inclusive et cache de grandes disparités au sein de la ville.

En effet, les structures de soins prennent faiblement en charge les personnes souffrant d’un handicap. C’est le cas des personnes sourdes. Sur les 1044 centres de santé. Il n’y a que six (06) structures de soins qui peuvent accueillir et prendre en charge ces personnes (Figure 3).

Figure 3 : Localisation des centres de santé fréquentés par les personnes sourdes

Ce sont uniquement les structures de soins de second et troisième niveau qui prennent en charge les personnes sourdes. Aucun établissement de premier contact n’est capable de le faire. Ce qui allonge le temps d’attente dans les salles de consultation car la demande de soins est plus fortes dans ces structures.

Ces structures sont inégalement réparties, elles se concentrent au centre au détriment des autres espaces et de la périphérie. Selon les données de l’Association National des Sourds de Côte d’Ivoire les personnes sourdes habitent les quartiers populaires des communes du nord et de l’ouest de la ville. Leur nombre est très faible dans les communes centrales ou sont concentrés les structures habilitées à les recevoir.

Cela implique pour les populations des quartiers du nord, de l’ouest et des marges de la ville un déplacement de plusieurs kilomètres pour consulter un médecin. 

2.2. Un parcours de soins semé d’embûche

2.2.1. Une mobilité limitée et difficile : conséquence pour l’accès aux soins

Les déplacements dans la ville sont une nécessité quotidienne pour la grande majorité des abidjanais, qui sont des milliers à regagner la ville chaque jour, aux moyens des transports connus sous le nom de gbaka, woro-woro, taxis, bus et bateaux bus. Les déplacements sont parfois longs et les moyens de transport ne sont pas toujours disponibles et adaptés. Ces déplacements naissent des besoins d’activités, choisies ou subies par l’individu selon sa position sociale et la santé est l’un de ces besoins fondamentaux qui engendre des déplacements.

Avant même d’accéder aux structures de soins, les personnes sourdes doivent rechercher une personne interprète pour les accompagner pendant leur visite à l’hôpital. Ce procédé est surtout pour ceux qui ont un peu de moyen financier. Trente-sept pourcent (37%) des personnes sourdes suivent ce processus. Pour les autres qui n’ont pas de finances ; elles se font accompagner par un parent ou un ami.

Parmi les personnes interrogées 85 % ne disposent pas de service de santé dans leur commune. Les structures étant toutes localisées au centre de la ville (Figure 3). Pour se rendre en consultation les habitants dépassent les frontières de leur commune et parcours plus de 25 kilomètres (Figure 4). Les flux vers ces centres de santé sont importants. Ce qui entraîne un temps d’attente long pour les patients avant d’être reçu par un médecin.

Figure 4 : Carte de la mobilité de recours aux soins des personnes sourdes

2.2.2. Un itinéraire thérapeutique complexe

Les moyens de transports utilisés dépendent de la distance à parcourir pour recourir à un service de santé. Parce que la distance est importante, ce sont les taxis compteurs qui sont privilégiés. Le taxi compteur est le moyen de transport le plus coûteux, car le prix est fixé en fonction de la distance à parcourir. Cela représente pour plus de 67% des personnes interrogées un coût important dans les dépenses de santé.

Les personnes sourdes interrogées sont localisées dans les communes populaires du nord et de l’ouest de la ville d’Abidjan. Pour se rendre dans un centre de santé, elles empruntent un taxi et sont obligées de défier les embouteillages dont souffre régulièrement la commune. Les coûts de transport sont importants pour les personnes sourdes à cause de leur faible niveau de revenu. Plus de 54 % des personnes interrogées étaient encore prise en charge par un proche.

Cette situation ramène à la question de l’accessibilité géographique des services de santé en milieu urbain où le rôle de la distance peu devenir importante si les services de santé ne sont pas à proximité et difficile pour les populations vulnérables.

Leur parcours continue, lorsque les patients, arrivent pour une demande de soins médicale, ils doivent d’abord se diriger vers la caisse centrale ouverte en permanence située au sein du bâtiment dispensaire pour payer les tarifs en vigueur, ce n’est qu’après qu’ils pourront se diriger vers le dispensaire si c’est un adulte.

Ces premières étapes sont primordiales pour le patient, s’il veut être reçu par un professionnel de la santé dans l’établissement.

En effet, les malades après avoir payé à la caisse y laissent leur carnet et attendent dans le hall. Puis la caissière se charge de répartir ses carnets dans les différents box de consultations infirmiers en fonction de la demande du patient. 

À la fin de la consultation, si une ordonnance interne lui est délivrée, le patient se rend à la pharmacie du centre de santé pour acheter ses produits. Si une ordonnance externe lui est délivrée ou si les produits de l’ordonnance interne ne sont pas disponibles au centre, le patient aura à acheter les produits dans une officine privée de la ville, généralement le plus proche de l’hôpital général.

Quand nous expliquons la procédure pour être reçue par un médecin, cela paraît simple, mais pour 85 % des patients ce n’est pas évident, c’est un vrai parcours du combattant surtout quand ces derniers ne savent pas communiquer. Pour les patients qui viennent accompagnés, ils laissent le soin à l’accompagnant de prendre le ticket pour eux pendant qu’ils attendent sur un banc dans le hall pour gagner du temps.

L’itinéraire thérapeutique des personnes sourdes est caractérisé par sa complexité, sa durée et sa diversité (Figure 6). En effet, trois comportements de recours aux soins ont été identifiés. Pour la première action thérapeutique, c’est seulement 22% des personnes interrogées qui sont allées consulter un professionnel de santé, 61% ont eu recours à l’automédication et 17% n’ont rien fait. Par la suite, La proportion des personnes ayant eu recours à un service de soin moderne est importante. Chez les personnes sourdes, les maux doivent durer et se répéter pour être considérés comme sérieux et nécessiter un recours à un service moderne (Figure 5). Dans de nombreux cas, avant un recours réel et officiel, les personnes sourdes vont épuiser les ressources qu’elles ont pu mobiliser dans leur entourage : des conseils, des médicaments traditionnels, etc. Le recours à une structure de soins doit vraiment se justifier et le plus souvent l’incapacité à aller travailler sera un élément déclencheur.

L’automédication moderne a été privilégiée. Les médicaments provenaient principalement des pharmacies privées (51,8%). Peu de médicaments ont été achetés directement au dépôt de médicaments essentiels génériques. En revanche, les personnes interrogées ont plus souvent eu recours aux vendeurs de médicaments de rues (14,5%). Les médicaments sont mal connus par les personnes qui les consomment. Or, dans les officines privées d’Abidjan, avoir une ordonnance n’est d’ailleurs pas nécessaire pour la délivrance de médicaments dont le mauvais dosage peut être fatal aux patients tels les antibiotiques.

Figure 5 : Schéma de l’itinéraire thérapeutique des personnes sourdes

Source : Nos enquêtes terrain d’août à septembre 2021

Ce schéma nous présente le parcours de soins des personnes sourdes en cas de besoin de soins. Lorsque la personne sourde est malade son premier recours aux soins c’est l’automédication moderne et traditionnelle ; par l’achat des médicaments vendus par les femmes dans la rue. Certaines personnes sourdes qui ont les moyens financiers utilisent le service de pharmacie pour répondre à leur besoin de soins. Et la majorité des personnes sourdes interrogées utilisent l’automédication traditionnelle en se traitant avec des feuilles médicinales. Au cours de la troisième à quatrième semaine de la maladie, lorsque ces pratiques de soins ne leur ont pas apporté la guérison, ces personnes se tournent vers les structures de soins de santé avec aggravation de la maladie.

Le manque de moyens financiers est l’argument principal avancé par les adultes pour justifier le renoncement aux soins, devant l’absence de gravité du problème (28%) et sa guérison spontanée (13%). L’autre raison avancée par les personnes sourdes était l’incapacité des structures sanitaires à leur prendre en charge. Selon une personne sourde interrogée « quand je vais à l’hôpital, comme le médecin ne me comprend pas; il ne peut pas me poser des questions, il prescrit des médicamentes comme ça. Donc ça me fait rien quand je prends ces médicaments puis que le médecin me les a prescrit sans véritablement savoir de quoi je souffrais ».

Pour cette autre personne « je préfère me débrouiller par moi-même, quand je vais à l’hôpital je perds du temps et de l’argent. Ça devient très chère pour moi ».

Les préjugés sont un frein aux recours aux services de santé. Les services de santé incriminés sont du secteur public. Le secteur privé et les autres recours extérieurs ne sont pas pointés du doigt ici. Le regard critique des malades vers les services de santé est presque supporté par une expérience personnelle ou familiale passée ou du témoignage de voisin.

L’accessibilité des services de santé, plus particulièrement leur éloignement est également invoqué pour expliquer le recours aux autres soins plutôt qu’aux soins d’un spécialiste.

Les entretiens que nous avons effectués avec les personnes sourdes montrent la volonté qu’ils ont à vouloir prendre en charge leur maladie avant de consulter un professionnel de santé.

La proportion des personnes qui ont recherché des soins dans un service de santé est croissante avec la gravité de la maladie. Cette recherche apparaît à partir de la deuxième action thérapeutique et s’intensifie à la troisième action thérapeutique et plus.

On pourrait penser que c’est parce que la maladie est devenue beaucoup plus grave ou sérieuse que les personnes sourdes  consultent les services de santé, en tout cas, c’est ce que nous montrent les taux élevés (41%).

Parmi les personnes sourdes qui ont choisis d’utiliser les services de santé, elles se sont davantage orientées vers les structures de soins publiques, plus spécifiquement les centres hospitaliers universitaires (CHU). La pyramide sanitaire avec son système de référence n’est donc pas respectée ici dans le recours thérapeutique, posant de nouveau le problème de la mauvaise utilisation des ressources de santé. Même si ces derniers en connaissent l’existence, ils n’en voient pas l’utilité, puisque pour eux, la base si elle est fonctionnelle, elle n’est pas efficace et adaptée à leur besoins et ne peux pas les prendre en charge.

Dans l’ensemble, les patients sourds interrogés ne sont pas satisfaits du cadre, du contexte et de l’accueil au sein des structures de soins fréquentées. Pour 85% d’entre eux, le personnel de santé n’est pas aimable et l’accueil n’est pas chaleureux. La même proportion d’enquêtés a aussi eu l’impression d’être mal reçue. Plusieurs d’entre eux trouvent le protocole de prise en charge du patient dans les structures publiques très lourd et rigide. Il n’y a eu aucun contact physique entre le patient et le personnel soignant. Cette situation est très problématique quand on sait que dans un contexte sanitaire de restrictions techniques et financières, l’examen clinique constitue l’élément de base de l’élaboration du diagnostic. Pour les patients sourds, plusieurs facteurs handicapent clairement la prise en charge du malade. La barrière de la langue, la complexité du parcours de l’usager, le manque de considération pour les malades sont quelques exemples mais bien d’autres doivent être abordés.

2.2.3. Un recours tardif aux services de soins de santé

La précédente session a montré la complexité des comportements de recours aux soins chez les personnes sourdes. À présent, nous allons étudier la façon dont se déroule à proprement parler le recours à une structure de soins moderne. Quels ont été les critères qui ont motivés le recours à la sphère moderne des soins ? Comment a été pris en charge le problème de santé ? Le malade a-t-il été satisfait des soins qu’il a reçus ?

Les personnes sourdes dans leur grande majorité utilisent très tardivement les services de soins de santé pour recourir à un professionnel de la santé que lorsqu’ils perçoivent que la maladie devient grave.

Plusieurs raisons sont avancées par les personnes interrogées pour justifier cette situation. La première raison décriée est leur mauvaise relation avec les professionnels de santé.

En effet, la relation médecin-patient au sein des établissements de santé nous a interpellé : Comment inciter la population à consulter lorsque le médecin ne montre pas d’empathie envers le malade souffrant d’un handicap? Nous avons pu constater que les malades sourds étaient très sensibles à la manière dont on  s’adresse à eux, aux explications qu’on leur donne sur leur pathologie tout en s’assurant de leur bonne compréhension. Malheureusement, ces malades sont souvent perçus comme des acteurs passifs devant subir l’action des soignants. Ils se sentent frustrés parce qu’ils n’arrivent pas à se faire comprendre par le personnel médical. Cela s’illustre par le tableau ci-dessous.

Tableau 2 : Frustration des personnes sourdes face à l’incompréhension des soins

Ressentis des personnes sourdes   Structures de soinsJe suis frustréJe me mets en colèreJe ne suis pas respectéEffectif général
Eff%Eff%Eff%Eff%
CHU de Cocody11000233,3314,3
CHU de Treichville001200014,8
Hôpital général de Abobo Nord002400029,5
Hôpital général d’Abobo Sud11000116,729,5
Hôpital général Attécoubé11000116,729,5
Hôpital général de Marcory110120116,7314,3
Hôpital général Yopougon0000116,14,8
Dispensaire Wassakara001200014,8
Clinique privée Crystalide6600000628,6
Total101005100610021100

Source : Nos enquêtes terrain, d’août à septembre 2021

Pour plus de 23,8 % de personnes interrogées, leur relation avec les professionnels de santé est souvent conflictuelle, suite à un manque de communication et des rapports axés sur la délivrance de soins ou de conseils, dont le déroulement est imposé par le praticien à cause du fait que le patient sourds ne puissent pas parler et que seul l’interprète du malade est l’intermédiaire avec le médecin. Ainsi plusieurs patients se sont déjà mis en colère.

Par ailleurs, il nous a été notifié que les consultations pouvaient être interrompues à tout moment pour des raisons diverses, plus ou moins objectives. Le soignant impose donc son point de vue au patient qui, même s’il n’est pas d’accord, est contraint d’obtempérer. Il ne peut contester le point de vue du médecin « détenteur du savoir ». Le malade se trouve, dans une position d’« assisté », et cette prédisposition du malade à se mettre dans le rôle du demandeur encourage le praticien à considérer son activité comme un service rendu plutôt qu’un devoir, dans le sens où ce service peut être rendu ou refusé au malade.

De plus, 56,1 % des personnes sourdes trouvent le service d’accueil des structures de soins mauvais contre 33,3 % qui le trouvent bon. 43,9 % des personnes sourdes ont affirmé être stigmatisé, et 58,5 % des personnes sourdes enquêtées affirment patienter plus de 2 heures avant d’être reçu par le soignant. La consultation est jugée courte par les personnes sourdes (58 %) et pour d’autres, trop longs (37 %).

Le droit de personnes sourdes à accéder aux soins de qualité est quelque peu bafoué comme le montre ces témoignages.

Le témoignage des personnes sourdes enquêtées présente une population qui ne bénéficie pas des soins de bonne qualité. Enquêté 1 : « Le médecin me prescrit des médicaments lorsque je ne recouvre pas la santé il me prescrit d’autre, il ne cherche pas à comprendre le véritable problème. Je suis comme un cobaye pour eux. » Enquêté 2 : « Le médecin me prescrit des médicaments qui ne correspondent pas à mon mal, je ne recouvre pas la santé et c’est difficile pour moi. » Enquêté 3 : « je connais une femme sourde qui est morte il n’y a pas longtemps, parce qu’elle a reçu de mauvais traitements. » Enquêté 4 : « les médecins ne font pas d’effort avec nous, ils prescrivent de mauvais médicaments. Moi j’ai peur d’aller à l’hôpital lorsque je suis malade. Mais je suis obligé d’y aller. » Enquêté 5 : « j’avais une Carrie dentaire que le médecin dentiste devait arracher. Elle m’a piqué l’anesthésie, mais n’a pas laissé le temps pour quelle face effet. Elle m’a arraché la dent tellement violemment, j’avais très mal et j’ai saigné de manière abondante toute la journée. »

Les personnes sourdes sont confrontées à des difficultés à l’hôpital, surtout lorsqu’il s’agit de comprendre le mal dont elles souffrent et d’établir des traitements efficaces aux premiers contacts. Elles font face à de mauvais traitements médicaux suite à des erreurs de diagnostic, et sont traumatisées par ces situations. Frustration et peur sont monnaie courante au sein de la communauté sourde lorsqu’il s’agit d’aller voir le médecin. Face à ces difficultés, ces frustrations et l’insatisfaction du malade face à un personnel de santé peu empathique les amène à recourir à l’automédication et aux thérapies traditionnelles et ce, tant que son état de santé le lui permet et à recourir très tardivement aux services de soins.

3. Discussion

Les structures de santé habilitée en prendre en charge les personnes sourdes sont très rares dans la ville d’Abidjan qui disposent pourtant un nombre impressionnant de centre de santé. Cette situation rend très difficile le parcours de soins des personnes sourdes qui sont obligées de parcourir de longue distance pour accéder aux services de santé concentrés dans les communes centrales. Les personnes sourdes parcourent en moyenne plus de 25 km pour accéder aux services de santé. Ces résultats ont été révélés dans les études de Harang qui a souligné dans son étude que la densité des structures de soins dans la ville de Ouagadougou n’étaient pas repartis de manière à répondre aux besoins des personnes sourdes (Ymba 213 ; Harang 107). Le personnel accueillant des services de soins dans les structures de soins n’est pas formé pour assurer une bonne prise en charge médicale aux patients sourds. Seulement 1 % du personnel accueillant dans les services de soins est en mesure d’assurer une communication avec les patients sourds. La politique sanitaire ivoirienne n’est pas totalement inclusive. La prise en charge des personnes sourdes n’y est pas clairement mentionnée. Les études du (DIDR-ORPRA 18) se rapprochent du nôtre. Ils ont montré que le dispositif sanitaire n’est pas adapté à leur besoin et le personnel médical n’est pas formé pour accueillir les personnes en situation de handicap notamment les personnes sourdes.

Par ailleurs, les résultats montrent que l’itinéraire thérapeutique des personnes sourdes est caractérisé par sa complexité, sa durée et sa diversité et dominé par l’automédication. En effet, les personnes sourdes ont d’abord recours à l’automédication en cas de besoins de soins dans les premières semaines de la maladie et lorsqu’elles ne recouvrent pas la santé, elles ont recours aux services de soins de santé moderne très tardivement et en cas de gravité de la maladie. Les études menées par (Condé et Touré 17) ont montré des résultats similaires à la nôtre. Les résultats ont révélé que les personnes handicapées disent utiliser exclusivement, alternativement ou parallèlement la biomédecine, la médecine traditionnelle et l’automédication pour se soigner.

Il a été montré dans cette recherche que les difficultés de communication empêchent d’établir un diagnostic efficace par conséquent un traitement approprié. Et que les 2/3 des personnes sourdes venues en consultation sans intermédiaire ne comprennent pas la consultation médicale. La consultation des patients sourds se faire de manière feinte ou rapide, cela engendre des sentiments de frustration chez certaines personnes sourdes. 17,1 % des personnes sourdes se sentent frustrées par l’incompréhension des consultations. Et d’autres se mettent parfois en colère pendant la consultation médicale. Les personnes sourdes sont confrontées à des diagnostics impertinents et font ainsi face à de mauvais traitements médicaux dus aux barrières linguistiques entre eux et les soignants. Ces résultats se rapprochent de ceux de Dragon et de Drion ; ils relèvent la source de malentendus que représente, l’absence de maîtrise des canaux habituels de la communication chez ces patients (Dragon 9 ; Drion 10). Ces malentendus attestent d’un décalage culturel certain entre les soignants entendants et les patients sourds et soulèvent des questions d’ordre éthique. Ces problèmes de compréhension non seulement limitent l’accès à l’information pour ces patients, mais diminuent également leur capacité à prendre des décisions (Barnett 13). De plus, d’autres recherches ont montré que la communication avec les professionnels de santé étant souvent difficile, les conseils préventifs sont moins fréquemment délivrés (Tamaskar et al.15).

Aussi leur dépendance à une personne tierce ou intermédiaire complexité leur parcours de soins surtout quand la personne ne maîtrise pas la langue des signes. Les 2/3 des personnes sourdes qui se font accompagner par les intermédiaires ressentent de la gêne en leur présence. Nos résultats corroborent ceux de (Pereira et De Carvalho 10 ; Barnett 8 ; Steinberg et al. 11). Leurs travaux ont révélé que l’autonomie des patients sourds se trouve ainsi mise à mal dans la situation actuelle. Les résultats (Pereira et De Carvalho 11), ont également montré que les patients sourds sont fréquemment, voire la plupart du temps, accompagné lors des consultations, parfois par des professionnels et très souvent par des membres de leur famille. Comme nous l’avons mise en évidence dans l’étude. Autre chose, plus de 58,5 % des personnes sourdes enquêtées affirment patienter plus de 2 heures avant d’être reçu par le soignant. La consultation est jugée courte par les personnes sourdes (58 %) et pour d’autres, trop longs (37 %). L’étude de (Mauffrey et al. 217) se rapproche de la nôtre. Elle a révélé que le temps de consultation était jugé trop court et le rythme soutenu de ces consultations paraissait peu propice à l’instauration d’une communication gestuelle approfondie.

Les erreurs médicales, de diagnostic, pertes d’autonomie, peurs, embarras, malentendus sont ainsi fréquents lors des consultations médicales engageant un patient sourd (Lezzoni et al. 14). 

Les patients sourds veulent être traités avec respect. Être traité avec dignité, courtoisie, considération et prévenance, ainsi que le caractère confidentiel de toute information personnelle fait partie des déterminants majeurs de la satisfaction du patient (Forciol 15).

De nombreux auteurs s’accordent sur le rôle déterminant de l’accueil et des contacts avec le personnel de la structure dans le processus de traitement du patient (Jaffré et Olivier de Sardan 14). Si un patient s’est senti écouté, respecté, il aura plus de chance de retourner pour les épisodes de maladies suivants dans ce même service.

L’insatisfaction des individus enquêtés qui ont eu recours à un service de soins, plusieurs facteurs handicapent clairement la prise en charge du malade. La barrière de la communication, la complexité du parcours de l’usager, le manque de considération pour les malades sont quelques exemples mais bien d’autres doivent être abordés. Les comportements du personnel de santé constituent très souvent une barrière du recours aux soins (Olivier de Sardan 25 ; Bachmann 19).

Conclusion

Le parcours de soins personnes sourdes est difficile et semé ‘embûche, même si la ville d’Abidjan dispose d’une gamme variée et diversifié de structures de santé, elles ne sont pas reparties à pouvoir répondre aux besoins des personnes sourdes. Les résultats ont montré que les services de santé habilité à les prendre en charge sont rares et localisés dans les communes centrales de la ville d’Abidjan. Ce qui demande aux personnes sourdes de parcourir de longue distance coûteuse avant d’accéder aux services de santé. Cette situation met en relief la problématique de l’accessibilité géographique et économique de l’accès aux services de santé des personnes handicapées en milieu urbain.

L’étude a montré que les personnes utilisent rarement les services de santé à cause d’une part des moyens financiers et d’autre part du protocole de consultation inapproprié et inadapté entre eux et les soignants. Cette situation rend vulnérable cette population d’autant plus qu’il n’y a pas de prise en charge spéciale et une loi les protégeant ou les donnant le droit d’accéder aux soins de qualité. Les personnes sourdes veulent pouvoir se soigner au même titre qu’une personne normale, c’est leur droit. C’est pourquoi, il pourrait être intéressant de mener une étude en recherche action participative entre les personnes sourdes et les autorités ivoiriennes pour trouver des solutions intéressantes à l’amélioration de leur parcours de soins dans les structures de soins moderne.

Travaux cités

 Barnett, Steven. 2002a. « Commnicating with Deaf and Hard-of-Hearing People: A Guide for Medical Education ». Academic Medicine. 77(7). 694–700 p.

Chastonay, Oriane. Et al.. 2018. «Les Sourds : une population vulnérable méconnue des professionnels de la santé». Article. forum médical suisse 2018. p 769–774.

Cole, Pierre, Cantero, Odile. 2015. «Stigmatisation des Sourds dans les soins de santé, l’exemple de la santé mentale». Article. Revue Médical Suisse 2015. p 398-400.

Division de l’information et de la documentation des recherches de l’OFPRA. 2018. les personnes en situation de handicap, document pp 2-12.

Dagron, Jean. 2008. Les silencieux. Paris : Presse-pluriel.

Drion, Benoit. 2011. Soins et éducation à la santé en langue des signes : un défi à relever. La Santé de l’Homme. 412 (227-229) p.

Grégoire, Muriel. Jehass, Odile. 2007. « l’inégalité dans l’accès aux soins pour les personnes sourdes. » Article, santé conjuguée p.67-69

Institut National de Statisque. 2014. Recensement général de la population et de l’habitat. 214p.

Lezzoni, Lisa. Et al.. 2004. Communicating about health care: Observations from persons who are deaf or hard of hearing. Ann Intern Med.140:356-62.

Mauffrey, Violaine. Et al. 2016. Comment les patients sourds perçoivent-ils leur prise en charge en médecine générale. Enquête qualitative, Article, Santé publique volume 28 / N°2 pages 213 à 221.

Organisation Mondiale de la Santé. Rapport sur la situation mondiale sur le handicap. Genève, 28 p.

———- 2001. Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé. Genève, 279 p.

Pereira, PC. Fortes, PA. 2010. «Communication and information barriers to health assistance for deaf patients». Am Ann Deaf 155:31-7.

Sangare, Aby. 2006. Multisectorialite et multidirectionnalite dans la lutte contre le VIH-SIDA en Côte d’ivoire, Article, Institut de Linguistique Appliquée. 10 p.

Steinberg, Annie et al. 2002. «Deaf Women: Experiences and Perceptions of Healthcare System Access». Journal of Women’s Health, 11(8). 729–741. 

Tamaskar, P. Malia et al.. 2000. «Preventive Attitudes and Beliefs of Deaf and Hard-of-Hearing Individuals. Family Medicine». 9(6).

Ymba, Maimouna. 2013. Accès et recours aux soins de santé modernes en milieu urbain : le cas de la ville d’Abidjan — Côte d’Ivoire. Thèse de doctorat. 510 p.

Comment citer cet article :

MLA : Ymba, Maïmouna. « Se déplacer pour se soigner des personnes sourdes à Abidjan, un vrai parcours du combattant ». Uirtus 2.1. (avril 2022): 172-194.


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