Résumé : Le malaise social dans Un enfant du pays et Condamné avec souci

Djignéfa A. Agouze§

Résumé : De tout temps, le problème de restriction des libertés individuelles et ambitions a été une préoccupation majeure pour les hommes et les femmes. La sauvegarde des droits est une valeur inestimable qui s’acquiert parfois aux prix d’énormes sacrifices. La marginalisation des individus en matière de jouissance de leurs droits est source de force pour les victimes qui posent des actes irréparables reflétant la dignité longtemps niée par les plus forts de la société. Un enfant du pays de Richard Wright et Condamné avec souci de Cal Avono dépeignent respectivement une société qui produit des bombes à retardement que sont les malaises sociaux. Sous les auspices de l’approche psychanalytique, cet article met en exergue les causes profondes des déviances observées chez les victimes telles que les représentent Richard Wright et Cal Avono dans leurs romans respectifs. En d’autres termes, il s’agira d’étudier la perception des personnes marginalisées dans les contextes américain et africain puis d’analyser leur place dans la société. Par ailleurs, l’article a insisté sur les comportements rationnels des victimaires, qui défient les normes arbitraires, pour un développement soutenable.

Mots-clés : Malaise, restriction, marginalisation, victimaires, comportements

Abstract: The restriction of individual freedom and ambitions has been a major concern for men and women over time. Securing one’s rights is an unalienable value that we achieve very often through strenuous efforts. Marginalization of individuals as regards their rights is a source of strength for the victims who perpetrate crimes epitomizing their dignity they are denied by the strongest men in society. Richard Wright’s Native Son and Cal Avono’s Condamné avec souci portray respectively a society, which produces reactionary people. Taking inspiration from the Psychoanalytic criticism, this article highlights the causes of demeanors in their text. In other words, the article sought to pinpoint the perception of the marginalized people in the American and African contexts so as to analyze their place and the unavoidable behaviors they adopt challenging arbitrary norms for a sustainable development.

Keywords: Malaise, restriction, marginalization, victimhood, behaviors  

Introduction

L’homme, le genre humain considéré dans son unité, cet être doué de raison, qui est la mesure de toutes choses pour ainsi dire qu’il est au centre de toutes relations socio-économique, politique et de tout développement, ne doit pas être pris à la légère. La prise de la notion de l’homme à la légère cause la marginalisation des maillons faibles de la société par les soi-disant forts. Ce comportement qu’adoptent les plus forts de la société envers les plus faibles met en branle le tissu social qui est exposé à la dégénérescence, la détérioration des relations humaines, la régression et le recul comme le souligne Georges Canguilhem « in the long run, a malaise arises from not being sick in a world where there are sick men » (Canguilhem 286). Un malaise social s’éclate sous forme d’une sensation de trouble physique, une inquiétude ou un mécontentement latent. En d’autres termes, un malaise social est une victime qui venge sa liberté et son honneur. Un enfant du pays de Richard Wright (1988) et Condamné avec souci de Cal Avono (2016) en sont une belle illustration. Cet article problématise la marginalisation inhérente à la question de restriction des libertés individuelles et ses conséquences rationnelles sur le développement de la société.

A travers l’approche psychanalytique de Freud, nous avons procédé à une analyse textuelle de Un enfant du pays et Condamné avec souci. Sigmund Freud articule la notion de psychanalyse sur trois niveaux, tous étroitement liés :

La psychanalyse est un procédé d’investigation des processus psychiques inconscients qui autrement seraient difficilement inaccessibles. Elle est aussi une méthode de traitement des troubles névrotiques, méthode qui se fonde sur les résultats de cette investigation. Elle constitue finalement un ensemble de conceptions psychologiques acquises par ces moyens et qui, réunies, forment une discipline scientifique nouvelle.

(Sigmund Freud, Encyclopedia Britannica on https://www.britannica.com retrieved on July 24, 2018)

Cette clarification que nous donne Freud met en évidence l’ensemble du champ d’action de la psychanalyse. La conviction que les processus psychiques inconscients, sont au centre du fonctionnement humain, et à la source de multiples problèmes psychologiques, distingue la psychanalyse des autres approches. Bien que l’approche psychanalytique traite principalement des troubles mentaux et psychiques, elle a une relation intrinsèque avec la littérature notamment les auteurs et leurs productions. Elle prend en compte leur personnalité, leur conscience et leur inconscient.  Elle étudie les différentes sources d’inspiration des écrivains et leur capacité de créer les choses.  La position des critiques freudiens par rapport à la production littéraire s’offre de la façon suivante :

Freudian critics saw literature as a kind of ‘dream’ and thus a source of insight into the authors themselves. Using works of literature as symbolic representations of an author’s subconscious, Freudian critics created psychological portraits of authors […] Freudian critics also used psychoanalytic principles to analyze characters in works of literature. They looked upon characters as having motivations, conflicts, desires, and inclinations similar to those of real people. They sought psychological clues to makeup of literary characters, especially the unconscious symbolic expressions found in dreams and repeated patterns of behavior. (Griffith 141)

A travers l’approche psychanalytique, notre attention se focalise sur les concepts psychanalytiques tels que le complexe d’infériorité, la rivalité, le mécanisme de répression, la défense, et l’inconscient qu’inspire le texte pour assurer une interprétation cohérente et significative. Par ailleurs, Marie Blaise stipule que :

La littérature générale et comparée, l’histoire de la littérature et la théorie psychanalytique sont des disciplines qui ont pour méthode la liaison et pour principe l’incomplétude : mise en relation de textes et plus largement d’œuvres d’art et de cultures pour la première, de moments d’écriture des textes pour la seconde, de significations et de symptômes pour la dernière, dans le but de relever la spécificité d’une œuvre, d’un événement, d’un sujet par rapport non pas tant à une norme, inexistante dans les trois cas, qu’à l’expression d’un rapport au monde. À cela il faut ajouter que leurs naissances sont conjointes et déterminées les unes par les autres. (149)

De la position Blaisienne, il est à noter que la théorie psychanalytique, jouit d’une relation entre la littérature générale et comparée et de l’histoire de la littérature. Du coup, il est une complémentarité entre ces trois éléments pour créer une sorte de symbiose dans l’interprétation des textes littéraires. Etant donné que les auteurs, les narrateurs et les personnages ont des réalités psychologiques, nous avons donné mûre réflexion à la représentation des comportements destructifs, la peur, les besoins, les désirs malsains et les conflits intériorisés dont ils sont conscients ou pas pour en ressortir les conséquences néfastes ou positives en rapport avec « La principale différence entre la critique psychanalytique et d’autres types de théories littéraires réside dans le fait que la critique psychanalytique se concentre sur la psyché de l’auteur et des personnages et analyse les aspects psychologiques de l’œuvre » (fr.sawakinome.com/articles/language/which-type-of-theory-is-psychoanalytic-criticism-and-why.) Cet article s’articule sur la perception qu’a la personne marginalisée du monde américain comme africain et les réactions rationnelles qu’elles adoptent pour réclamer leur liberté manipulée par leurs dominateurs.

  1. La perception du monde américain par une personne marginalisée dans Un enfant du pays

L’homme, nous dit Platon, est la mesure de toutes choses. A priori, cette thèse a évidemment un sens et une pertinence. Le savoir de l’homme ne peut se constituer que là où il y a quelque chose à percevoir. Nous comprenons que chacun voit le monde à sa façon. Ainsi chaque homme est enfermé dans sa perception particulière des choses. La prétention de concevoir le monde à la place de quelqu’un d’autre et de prendre des décisions, à sa place, pose un problème.

L’homme vit temporairement ou permanemment en marge de la société à laquelle il appartient. Joseph L. White se rend compte de cette réalité que connaissent les Noirs Américains “we are culturally and psychologically deprived because our experiential black ground provides us with inferior preparation to move effectively within the dominant white culture.” (White 5-6) Pour White, les Africains Américains sont préparés dans un cadre psychoculturel qui les met mal à l’aise par rapport à la culture dominante. Le fondement alors qui leur est posé, ne peut que définir leur mode de pensée et de comportement dans le contexte américain.

Cette vie en marge de la société dont Joseph L. White a fait mention, n’est souvent pas provoquée par la victime mais par les personnes qui supposent qu’elles sont les plus fortes de la société, les détenteurs du pouvoir. Se vantant de détenir le pouvoir, qui, dans leur pensée et égoïsme, ne peut leurs être arraché, ils exploitent les plus faibles comme ils veulent. Ils ne donnent aucune chance aux faibles d’émerger. Dans Un enfant du pays, le style de Richard Wright, a consisté, dès la première page, à imprégner le lecteur de l’exiguïté de la pièce de Mme Thomas. “Tournez la tête, que j’m’habille’’, fit-elle. Les deux adolescents se tournèrent et fixèrent leurs regards sur le coin opposé. La femme dépouilla précipitamment sa chemise de nuit et enfila une combinaison-culotte.” (Wright 9). A travers l’exécution de l’ordre de la mère par les adolescents et l’habillement de cette dernière dans la même pièce, le lecteur comprend qu’ils habitent une seule pièce. Si tel n’est pas le cas, elle allait s’habiller tranquillement sans avoir dit un seul mot à qui que ce soit. Le comportement de la femme et ses deux fils montre que la particularité de cette pièce, qui est exiguë, infectée par les rats et située à la lisière de Chicago tandis que les Blancs vivent dans des maisons aérées que voit Bigger Thomas avant de se rendre chez Mr. Dalton. Bigger Thomas, un jeune homme noir de 19 ans, qui incarne la race noire, ne comprend pas pourquoi il partage la même pièce avec sa mère, sœur et son frère :

Mais tandis qu’il traversait le quartier silencieux et aéré des blancs, les choses n’évoquaient pas en lui cette impression attirante et mystérieuse qu’il avait éprouvée au cinéma. Il passait devant les gigantesques maisons hérissée de pieux en fer; des lumières éclairaient doucement les fenêtres. Les rues étaient désertes ; à part quelques rares voitures qui filaient sur leurs pneus tournoyants. C’était un monde froid et distant ; un monde de secrets blancs soigneusement gardés. Il sentait dans ces rues et dans ces maisons, de fierté, de l’assurance, de la sécurité.

Il atteignit Drexel Boulevard et se mit à chercher le numéro 4605. Quand il l’eut trouvé, il resta debout devant une haute clôture noire hérissée de pieux en fer ; il se sentait les entrailles nouées. (Wright 60)

Le rapprochement ou mieux encore la comparaison que fait Bigger Thomas de leur pièce et celle de Dalton montre déjà la difficulté à laquelle sa famille est confrontée. En logeant quatre personnes dans une même pièce bien étroite, et la famille Dalton dans des chambres larges et aérées, Richard Wright révèle les conditions qui forgent la perception qu’a Bigger Thomas du monde dans lequel il se retrouve. Eu égard à ce rapprochement, le lecteur peut se poser un certain nombre de questions suivantes : comment se fait-il que les Blancs vivent dans des maisons aérées alors que Bigger Thomas vit avec sa mère et son frère dans une pièce exigüe ? Pourquoi ne peut-il pas faire des études normalement tout comme les autres le font et est condamné à vivre dans la rue avec les autres Noirs pour perdre son temps ? Le lecteur se demande quel crime Bigger Thomas a perpétré pour ne pas vivre dans l’aisance tout comme les Blancs bien qu’il soit un citoyen à part entière de Chicago. Il n’arrive pas à cerner la raison pour laquelle les Blancs lui ont formellement interdit d’approcher une fille blanche quoique les Noirs et les Blancs vivent dans une même société. Dans la perspective psychanalytique, le lecteur de Richard Wright qui, dissèque le personnage de Bigger Thomas, se rend vite compte du mécanisme de pensée d’une personne marginalisée. Cette pensée profonde de Bigger Thomas, le personnage marginalisé, nous parvient en ces termes :

Si un agent le voyait errer dans un pareil quartier il croirait certainement qu’il avait l’intention de de voler ou de violer quelqu’un. Il commençait à s’énerver. Qu’est-ce qui lui avait pris de venir prendre cette foutue place ? Il aurait mieux fait de de rester parmi les gens de son espèce que d’être là à ressentir cette impression de peur et de haine. Ce monde-ci n’était pas le sien ; il avait été idiot de s’imaginer qu’il pourrait l’aimer. (Wright 60)

 Il insinue par cette réflexion que la personne qui est condamnée à mener sa vie en marge de la société de surcroît dans une pièce exiguë alors que d’autres vivent dans des pièces aérées, et jouissent pleinement de leurs droits, ne peut pas s’empêcher de poser un acte qui révèlerait sa visibilité.

Nul ne dira que cette série de questions que s’est posée le lecteur plus haut, ne taraude pas l’esprit de Bigger Thomas, le personnage construit par Richard Wright, dans le but d’aider le lecteur en proie aux disparités sociales à déceler la cause de son malheur. Quant à Bigger Thomas, il est parvenu à connaître la cause de son malheur. Cette cause n’est que le racisme qu’ont construit les impérialistes blancs puisqu’il n’est signifié nulle part dans le passage de notre réflexion que sa famille a commis un crime quelconque. Le racisme est une construction sociale qui se veut la séparation des races dont l’objectif est de traiter injustement la race noire. Il n’admet pas la cohabitation des deux races. Dans le contexte de Un enfant du pays, la race noire et la race blanche ne peuvent pas vivre ensemble comme l’on peut le noter par rapport à la famille de Thomas et de Dalton. La preuve en est la situation géographique de la pièce de la famille de Bigger Thomas, située à la périphérie de Chicago et la maison bien bâtie et meublée de la famille Dalton au centre-ville. Les impérialistes, qui, veulent dominer et imposer leur pouvoir aux autres faibles maillons de la société et le reste du monde en voie de développement, soutiennent toutes les tendances qui militent en leur faveur pour les garder dans une précarité criarde.

Au nom de la précarité « Dans ses emplois en mention, le mot précarité est présenté comme d’usage courant, et c’est donc son inscription dans la norme sociale qui est signifiée, de manière plus ou moins polémique, pour l’opposer à un point de vue minoritaire seul à même de rendre compte de l’extension de la notion, en référence aux expériences vécues ou groupes concernés » (Devriendt 2) qu’impose la discrimination raciale, une vie peut être totalement vouée à l’échec et détruite complètement. Un monde ainsi nivelé par la discrimination raciale cause beaucoup de torts aux maillons faibles de la société. Il ressort qu’il prive les opprimés de leurs droits de vivre, faire des études et travailler à bon escient tout comme les dominateurs et leurs enfants. Bigger Thomas, le chauffeur de la famille Dalton, au regard de la vie d’aisance que mène Mary Dalton à Chicago en ayant sa propre voiture et faisant le travail qu’elle veut, ne peut que se morfondre et avaler des couleuvres. De ce fait, quand les autres qu’on côtoie sont libres de manifester leurs choix des choses qu’ils estiment salutaires à l’instar de Marie alors que Bigger Thomas se voit empêché par les principes racistes qui le briment, il cherchera à manifester sa liberté tout comme les autres humains que sont les Blancs. Le désir inassouvi de vivre décemment tout comme les autres, va alors créer, tout à fait, des tensions dans la société en ce que Bigger cherchera à afficher son identité.

Le développement des stratégies de survie émanera de la personne marginalisée qu’est Bigger Thomas. Il va devoir se trouver dans les rues qui lui serviront de cadre approprié pour former son club en vue d’avoir sa dignité. Forgé par la société dans laquelle il vit, il doit sa vie de tous les jours aux endroits de tensions et aux rues de Chicago. Rebelle à sa mère et sa sœur Vera, Bigger Thomas ne les considère pas dans le passage suivant :

Bigger chassa leurs voix de sa pensée. Il en voulait aux siens parce qu’il savait qu’ils souffraient et qu’il était incapable de les soulager. Il savait que dès l’instant où il consentirait à réaliser pleinement toute la honte et l’abjection de leurs existences, la terreur et le désespoir le rendraient enragé. Alors il adoptait à leur égard une attitude de réserve glaciale ; il vivait avec eux, mais derrière un mur, un rideau. Et il était encore plus exigeant pour lui-même. Il savait qu’à la minute où il ouvrait volontairement les yeux sur ce que signifiait son existence, il se tuerait ou bien il tuerait quelqu’un d’autre. (Wright 17)

Une bonne compréhension du psychisme de Bigger Thomas nous presse de faire recours à Joël Bernat, qui, dans « Freud, entre littérature et psychanalyse » note :

Voici donc la littérature qui prend une place égale à celle de l’expérience clinique avec les patients dans l’exploration du fonctionnement psychique humain. Et c’est important de le souligner : les études de Freud ne sont pas tant des essais d’application de la psychanalyse à la littérature que des explorations d’une œuvre littéraire, ou de son écoute, dans le but de se saisir de ce que l’auteur a pu entendre ou pressentir du fonctionnement psychique. (www.dundivanlautre.fr/sur-freud/joel-bernat-freud-entre-litterature-et-psychanalyse/2)

Du point de vue psychique, la haine émane du psychisme de Bigger pour sa famille qui git dans une souffrance atroce et misère insoutenable. Il nourrit le désir de se suicider ou de tuer quelqu’un. Epris de souffrance et de misère qui atteignent leur paroxysme dans la vie d’une personne marginalisée, il prendra sa vie à la légère et la condamnera aux désastres et crime contre l’humanité. Au demeurant, la haine et le crime qu’éprouvent certains membres pour leur famille et société résultent en partie de la souffrance et la perte de dignité dans un monde où certains en ont et d’autres n’en ont pas.  

De surcroit, le sentiment d’injustice et de marginalisation laisse croire à certaines couches sociales qu’elles sont les laissés pour compte des impérialistes et des politiques. Ces dernières vont se constituer en collectifs d’autodéfense pour réclamer plus de justice sociale. En substance, Richard Wright nous présente Bigger Thomas qui noue une amitié temporaire avec d’autres garçons notamment Gus, G.H. et Jack de la société ou la communauté noire pour se rendre au cinéma où ils définissent des stratégies de vol comme suit :

Bigger respira profondement et les regarda l’un après l’autre. Il lui semblait que les explications étaient superflues.

“Ecoutez. Ce sera simple comme bonjour. Et il n’y a pas de quoi avoir peur. Entre trois et quatre, le vieux est tout seul dans la boutique. Le flic de service est tout à l’aut’ bout du pâté de maisons. L’un de nous restera dehors à faire le guet. Les trois autres entreront, vous comprenez ? Y en aura un qui pointera son revolver sur le vieux Blum ; un autre sautera sur le tiroir-caisse qu’est sous le comptoir ; l’autre ira directement dans le fond ouvrir la porte, de façon qu’on puisse se tirer en vitesse par la ruelle, derrière… C’est tout. Ça ne prendra pas trois minutes. (35)

    La pénétration du texte conduisant à son interprétation soutenue se fait par plusieurs entrées à savoir historique, biographique, thématique, linguistique ou sémiotique. Ces différentes entrées circonscrivant l’environnement contextuel, peuvent prendre en compte des orientations culturelle, sociale, politique, religieuse voire philosophique. Pour une étude centrée sur l’histoire de la lecture, le praticien augmente ses chances de saisir la pensée des Noirs américains à l’instar de Gus, G.H., Jack surtout Bigger Thomas.  La discrimination raciale est un problème majeur depuis les époques coloniale et esclavagiste. Elle accorde aux Américains blancs des droits et privilèges refusés aux Noirs américains, amérindiens, Asio-Américains et aux Latino-Américains.  De facto, Richard Wright, issu de la race noire, crée des personnages qui porteront la flétrissure de cette idéologie. Les quatre Noirs réfléchissent sur la méthode appropriée à adopter pour voler le vieux Blum, un Blanc. Par cette réflexion que mènent les quatre Noirs dans le passage susmentionné, le lecteur réalise que le vol planifié est souvent l’objet du mode de pensée des personnes marginalisées, brimées et abandonnées par la société. Ce problème de marginalisation se pose avec acuité sous un autre angle dans Condamné avec souci

  • La perception du monde africain par une personne marginalisée dans Condamné avec souci

Le fondement de la perception de Bill Rawgers se pose dans la première partie de Condamné avec souci intitulée « Ça va commencer ». Cal Avono, de son vrai nom Komla M. Avono, enseignant-chercheur et écrivain togolais, donne l’opportunité à Bill Rawgers d’engager une discussion, à la veille de son départ pour l’étranger, avec Bertille dans son salon. À la question de Bertille à Bill Rawgers de savoir ce que sa mère lui a fait de spécial pour son départ, il répond :

Ma mère, pour les rares fois que je discutais avec elle, me parlait souvent de la justice. Elle aimait me raconter comment son père l’avait empêchée d’étudier le droit des médias qui l’intéressait beaucoup. Je ne sais pas pourquoi elle aimait me parler de la justice. Chaque fois qu’elle le faisait, elle devenait différente et sérieuse. Elle avait une histoire particulière qu’elle adorait me raconter à propos de la justice. Pour son père, la justice se trompait beaucoup et faisait beaucoup plus de victimes que l’on ne pouvait penser. Elle me l’avait encore racontée la veille. C’était ce que ma mère m’avait fait. (Avono 11)

 De ce dialogue entre Bill Rawgers et Bertille, Cal Avono introduit le lecteur au système éducatif très manifeste de la mère de Bill Rawgers. Il met en exergue le soubassement de la justice dont la mère veut que son fils soit investi. Elle lui montre que dans la vie, il doit être juste dans toutes ses relations avec les autres. Inculquant une éducation de justice à son fils, elle évoque le dégout qu’a le grand-père de Bill Rawgers pour ceux qui sont censés faire justice aux autres.  Pour lui, les autorités de Stresstown s’investissent de la dictature pour brimer les plus faibles. De ce récit répétitif de sa mère, Bill Rawgers va s’imprégner de la justice pour dénoncer et défier toutes injustices commises sur l’humanité.   

S’indignant de la personnalité de monsieur dieu, Bill Rawgers exprime son soulagement imminent lorsque vient le moment de quitter la ville de Stresstown pour un pays étranger « Ce qui commandait en réalité ma joie le jour du départ était le fait qu’enfin je pourrais aller rester quelque part où l’on ne parlerait plus de monsieur dieu et surtout que je ne le verrais plus, je ne sentirais plus ni lui ni sa compagnie. » (Avono 11-2) L’esthétique et la technique de l’auteur sont séduisantes et impressionnantes dans cette déclaration de Bill Rawgers. De cette déclaration, il ressort que Bill Rawgers, parle en circonlocution. Certes il dénonce les injustices que commet monsieur dieu quand bien même les médias le présentent comme un homme juste et bienveillant mais il met l’emphase sur le lieu de destination de son voyage. L’utilisation de la circonlocution par Avono à travers Bill Rawgers nous permet ainsi de voir comment la dénonciation de l’injustice sous toutes ses formes peut se faire par l’association du vice à une situation.

Dans la perspective psychanalytique, son état d’âme se révèle au lecteur. Cal Avono le place à l’antipode de monsieur dieu. C’est comme il oppose un homme à un dieu. L’auteur, cependant, reconnait que l’on ne peut pas se passer de la culture que le monde présent nous donne. C’est pourquoi il crée un personnage-culte, voire allégorique du nom de « monsieur dieu » pour que Bill Rawgers puisse en donner mûre réflexion. Cette technique que déploie l’auteur nous permet de formuler des questionnements qu’un homme pourrait adresser à un dieu. Comme « Les mots possèdent une charge sociale, affective, politique ou culturelle certaine » (Simard 31) de par son patronyme, il est clair que monsieur dieu est une figure redoutable semant ainsi la terreur dans Stresstown. C’est un monsieur qui se prend pour Dieu. Il se croit intouchable et imbattable. Ses décisions restent irrévocables par rapport aux habitants de Stresstown surtout les plus faibles qui n’ont personne sur qui ils peuvent compter. Il rend ainsi la ville stressée par son autorité. Face à cette tyrannie qui se note dans l’identité même de monsieur dieu, Bill Rawgers, un jeune instruit dans la petite ville de Stresstwon, s’interroge sur les raisons pour lesquelles certains dictateurs comme lui ont cette influence notoire dans la société. Il peut aussi se demander comment il a fait pour acquérir une telle notoriété dans la ville de Stresstwon. Il se demande également pourquoi personne ne s’oppose à lui. Selon Bill, il est un être humain tout comme les autres. Par ricochet, le départ de Bill pour l’étranger est un soulagement pour lui. Le départ planifié de Bill Rawgers par Cal Avono nous laisse le choix de découvrir comment l’intimidation, l’étouffement, la suffocation et la torsion affectent les personnes marginalisées par monsieur dieu, à Stresstown.

Les dictateurs et les méchants ont toujours des rejetons. Un rejeton de monsieur dieu ne peut pas prétendre vivre autrement. N’est-il pas dit que tel père, tel fils ? Karina qui est la fille de monsieur dieu porte ses germes :

Karina est la fille unique suraimée de monsieur dieu, qui se tenait debout près d’un berceau, produit qui, à l’instar de centaines d’autres, sortait de l’Ecole Supérieure des artisans non-voyants de Stresstown. […] Ce matin-là, le bébé du berceau à côté duquel se trouvait Karina répondait candidement à son sourire humecté d’un panaché de méchanceté, vantardise et fierté génétiques. Sans décourager son sourire, elle avança les mains vers le bébé et son toucher accentua cette entreprise de lèvres […] De la main gauche elle pressa le nez du bébé et en boucha aisément les deux petits orifices, et de l’autre, elle ferma son petit trou de bouche. Je ne pouvais pas me rendre tout de suite compte de la dramatique tragédie. Le sourire plus nourri de Karina l’emportait sur toute autre réalité, tant le jeu l’amusait […] La porte de la salle du meurtre s’ouvrit sur sourire, mains, nez, bouche, puis sur petit pas lunaire. Le paternel entra et cette entrée commanda beaucoup plus l’interminable sourire qui finalement défait tout sens. Il sursauta néanmoins face à ce spectacle et ses yeux prirent visiblement du volume. Je m’attendais à un sentiment de répulsion de la part de cet homme mais il accueillit plutôt sans reproche la nouvelle fille de main qu’il venait d’avoir dans sa prestigieuse famille. (Avono 13-5)

Comme le dirait cet adage « Tel père tel fils », l’inverse du fils de l’adage s’applique à une fille dans Condamné avec souci. Tel père, telle fille.   Karina tient génétiquement de son père la vantardise et la méchanceté qui sont les résultantes de l’abus de pouvoir répandu par son père à Stressetown. Ses chromosomes porteraient la méchanceté et le meurtre auxquels elle ne peut pas se soustraire dès son enfance. Sous le prisme de la dictature, elle malmène un bébé très tôt le matin et en finit avec lui dans la clinique de sa mère.  A ce niveau, il faut dire que Karina est plus terrible et méchante que son père. Elle ne supporte pas de les voir grandir avant de leur priver du droit à la vie. Orgueilleuse qu’elle soit, elle donne une empreinte qu’est le sourire à son exploit. Elle commence à éliminer les personnes marginalisées à leurs bas-âges que représente ce bébé, car, après sa mort, le comportement de sa mère en dit tant : « La mère du bébé, les femmes et tout le monde ont pu se calmer peu après que le bébé a été découvert mort. Ils ont pu rapidement trouver refuge dans les divers sermons du philanthrope et de son ami le prêtre qui les convièrent à accepter de tels événements comme des clés à un bonheur futur » (Avono 16).  Le silence absolu de la mère de l’enfant mort qui se réfugie dans la philanthropie de monsieur dieu, amène le lecteur à comprendre que l’enfant est issu d’une famille marginalisée sinon sa mère porterait plainte. Comme la mère de l’enfant mort n’a porté aucune plainte contre Karina, il revient de dire qu’elle attend une consolation de la part de monsieur dieu. Ce qui est étonnant est que son père ne lui reproche rien et l’accueille chaleureusement dans ses bras. Il est dit que Karina est unique et suraimée de monsieur dieu. Le qualificatif suraimée dévoile une exagération, une figure de style, qui montre le côté négatif d’une chose. L’utilisation de cette figure de style dans l’extrait ci-dessus, donne au lecteur, de croire que Karina est choyée au point qu’elle peut poser n’importe quel acte mais elle ne sera jamais réprimandée et punie par son père. Par conséquent, le meurtre que Karina a perpétré sur le bébé est une évidence que la clinique de la femme de monsieur dieu est stratégiquement construite pour permettre à leur fille Karina d’en finir avec certains bébés. De plus, l’accueil chaleureux que son père lui réserve montre en clair que la maltraitance des personnes marginalisées dans Condamné avec souci a atteint son paroxysme.

Dans cette effroyable situation, la population de la ville de Stresstown est prise en étaux entre les abus de Karina et de monsieur dieu. Pendant que Karina étouffe les enfants le matin, son père se charge des personnes adultes pour les torturer à dessein. De toute évidence, l’enfant à qui Karina a ôté la vie vient d’une famille qui ne peut en aucun cas soutenir la comparaison avec la sienne. Si la petite Karina a pu éliminer cet enfant sans remords, nous pouvons dire qu’elle fera plus de victime que son père en grandissant. Le traitement cruel que subissent les personnes marginalisées dans les contextes américain et africain va les inciter à défier toute autorité explicitement ou implicitement pour réclamer leur dignité dont ils sont privés pour un certain temps.

  • La réaction des personnes marginalisées envers les bourreaux dans Un enfant du pays et Condamné avec souci

L’existence des personnages brimés dans Un enfant du pays et Condamné avec souci s’offre d’une manière atroce. Ces personnages vont définir des réactions systématiques qu’ils vont projeter dans le monde pour attirer l’attention des tyrans sur la dignité qu’on leur méconnaisse. Pour cerner l’existence collective et individuelle de l’homme, Philippe Sabot, propose en reprenant la pensée de Michel Foucault une analyse du sujet qu’est l’homme dans le monde avant une quelconque interprétation de ses actions et réactions :

[Le] dépassement de la psychologie se fait vers une anthropologie qui tend à une analyse de l’existence humaine dans ses structures fondamentales. Ressaisir l’homme comme existence dans le monde et caractériser chaque homme par le style propre à cette existence, c’est, pour L. Binswanger, pour H. Kunz, atteindre, au-delà de la psychologie, le fondement qui lui donne sa possibilité et rend compte de ses ambiguïtés : la psychologie apparaît comme une analyse empirique de la manière dont l’existence s’offre dans le monde ; mais elle doit reposer sur l’analyse existentielle de la manière dont cette réalité humaine se temporalise, se spatialise, et finalement projette un monde. (293)

Abondant dans le même sens que Sabot, Jean-Paul Sartre dans son L’existentialisme est un humanisme (1946), nous dit que l’homme est un projet et il n’existe que dans la mesure où il devient un homme accompli. Sartre donne une chance au lecteur de Un enfant du pays et Condamné avec souci d’assister à la réalisation des projets que sont Bigger Thomas et Bill Rawgers. Ne pouvant plus supporter le poids de la domination impériale, Bigger Thomas, dans Un enfant du pays, commet le crime contre Mary Dalton après l’avoir violée.

 Bigger Thomas, engagé comme un chauffeur par Mr. Dalton, l’incarnation et l’influence de la race blanche, décide de mettre fin à la vie de Mary Dalton pour voir transparaitre le malaise dont il est pour la société sur d’autres. Le meurtre que commettra Bigger Thomas sur Mary, se nourrit de la pression, la rage, et la haine constantes sous lesquelles il vit, et que révèle le dialogue entre Max et lui :

‘‘Comment t’imaginais-tu le bonheur ?’’

‘‘Je ne sais pas. En tout cas, pas comme ça.’’

‘‘Tu devrais tout de même avoir une idée de ce que tu voulais, Bigger.’’

‘‘Eh ben, monsieur Max, si j’avais été heureux, j’aurais pas tout le temps eu envie de faire des choses que j’savais bien n’avoir pas le droit de faire.’’

‘‘Et pourquoi avais-tu tout le temps envie de les faire ?’’

‘‘C’était plus fort que moi. Ça doit êt’ pareil pour tout le monde, je suppose. Alors j’étais pareil aux autres. C’aurait peut-êt tout arrangé si j’avais pu faire ce que j’voulais. Je n’aurais plus eu peur. Et je n’aurais peut’êt’ plus été tout le temps en rage, tout le temps en train de maudire les gens ; et peut-êt que je me serais senti dans mon assiette, comme qui dirait. (Wright 440)

Dans le passage ci-dessus, le lecteur se rend à l’évidence que Bigger Thomas ne connais pas le bonheur pendant sa vie. Il en est privé par la race blanche. Il a constamment peur de ses oppresseurs. Dans la suite du dialogue, il s’avère que Max dévoile l’intention de Mr Dalton en l’negageant comme chauffeur. Il veut maintenir Bigger Thomas sous son autorité comme le signifie les discussions suivantes :

‘‘Bigger, j’ai quelque chose à te demander au sujet de ta race. As-tu de l’affection pour les tiens ?’’

‘‘Je ne sais pas, monsieur Max. on est tous des noirs et les blancs nous traitent tous pareil.’’[…]Je n’ai pas besoin de te dire ce qu’ils éprouvent pour toi, Bigger. Tu es un noir, ne l’oublie pas. N’espère pas trop. C’est un vrai raz de marée de haine que tu as déchainé et je vais essayer de le repousser en partie. Ils demandent ta vie ; ils crient vengeance. Ils croyaient t’avoir bien encagé pour t’empêcher de faire ce que tu as fait. (Wright 442 ; 444)

Bigger Thomas est sous contrôle comme le contient l’expression ‘‘bien encagé’’. Il subit tout à fait l’abus d’autorité de la part de Mr. Dalton. Il n’est pas libre de mouvements.  Mr. Dalton tient ainsi, selon les termes de Max, l’avocat blanc de Bigger, l’épée de Damoclès sur lui. De plus, dans le contexte américain, aucun homme noir n’a le droit d’approcher une fille blanche sans risquer d’être blamé. Quand on le voit à côté d’une fille blanche, on le traite d’un violeur quand bien même il ne lui a rien fait. Or Bigger Thomas vient de ramener Mary Dalton, soûlée et déséquilibrée dans sa chambre à coucher. Pris de peur, la pression qu’a Bigger Thomas le conduira à étouffer Mary Dalton pour que personne ne sache qu’il est avec elle dans la chambre. Il procède de la façon suivante :

Il sentit que Mary essayait de se lever et repoussa sa tête sur l’oreiller.

“Elle doit dormir”, murmura Mme Dalton.

Il aurait voulu s’éloigner du lit, mais il avait peur de trébucher sur un obstacle et que Mme Dalton l’entende, qu’elle sache que Mary n’était pas seule dans la pièce. Complètement affolé, il mit sa main sur la bouche de Mary et pencha la tête de façon à pouvoir porter son regard ou sur Mary ou sur Mme Dalton, en roulant simplement des pupilles. Mary bredouilla quelque chose et chercha encore à se lever. Comme un fou, il attrapa un coin de l’oreiller et l’appliqua sur sa bouche. Il fallait la réduire au silence, sinon il était pincé. Mme Dalton s’avança lentement vers lui et il eut l’impression qu’il allait éclater, tant il était tendu et gonflé. Mary lui fonçait sauvagement ses ongles dans les mains, alors il saisit l’oreiller et lui recouvrit fermement tout le visage. Le corps de Mary se raidit dans un effort pour se relever et il appuya de tout son poids sur l’oreiller, déterminé à l’empêcher de bouger ou d’émettre le moindre son susceptible de le trahir. (Wright 111-112)

Le rapprochement de Bigger et de Mary par Richard Wright n’est pas aléatoire. L’analyse de ce rapprochement met à la lumière le degré de peur que ressent Bigger Thomas dans la chambre de Mary Dalton. Mais il faut dire que la peur qu’éprouve Bigger Thomas près du lit de Mary Dalton n’a rien d’incomparable. Cette peur le tourmente à cause de la présence de la femme de Mr. Dalton dans la chambre. La découverte de ce jeune homme dans la chambre causerait sa mort. Sa situation peut être décrite comme une agonie à laquelle il ne peut ne pas se soustraire. Il se résout à étouffer la fille avec un oreiller qui lui donnera un soulagement, car il est coincé. Il achève sa victime avec une forte pression sur l’oreiller qui l’étouffe. Ne voulant laisser quelque trace de la mort de Mary Dalton pour que la famille de Mr. Dalton ne l’inculpe de quoi que ce soit, il juge bon de  morceler son corps qu’il incinère. Après avoir mis en feu sa victime, il tire ses grègues vers Bessie.

 Il résulte ce meurtre que Bigger Thomas vient de commettre sur Mary Dalton,  qu’il est forgé par la société qui s’acharnait à tuer les  Indiens et Noirs américains par feu et lynchages aux dix-neuvième et vingtième  siècles. Ce comportement violent et affreux qu’incarne Bigger Thomas symbolise les tensions, violences et exécutions qui se commettaient dans ces siècles susmentionnés. Sous ce rapport, le lecteur a de quoi donner raison à Blaise Pascal qui nous fait comprendre que l’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature mais un roseau pensant que personne ne doit écraser ou brimer. Ce roseau pensant que les détenteurs du pouvoir pensent terrasser, se vengera d’eux comme nous le voyons dans le cas de Bigger Thomas envers Mr. Dalton. Il lui rend la monnaie de sa pièce. Il fait goûter à Mr. Dalton le malaise qu’il provoque par ses actes et décisions envers les Noirs de Chicago au vingtième siècle. Il reçoit certainement un grand choc au fond de tout son être par la disparition de sa fille. Tout bien pesé, les oppresseurs risquent de récolter le crime et le meurtre qu’ils projettent contre les sans voix de la société.  

En ce qui concerne Bessie, Bigger Thomas la tue pour garder à lui seul le secret de son assassinat de Mary Dalton puisqu’il a peur. Il voit de même en elle le potentiel dominateur qui lui mettrait encore la pression qu’il ne veut en aucun cas recevoir dans sa vie :

Bigger était brisé, désemparé. Ses lèvres s’entrouvrirent. Il se sentait glacé, engourdi. Il avait complètement oublié Bessie durant l’enquête concernant Mary. Il comprit ce qui se passait. En se servant du corps de Bessie comme témoignage et preuve du meurtre de Mary, on le présentait comme un monster ; la haine du public ne ferait que s’accroître. La mort de Bessie n’avait pas été évoquée durant l’enquête et tous les visages blancs dans la salle exprimaient une surprise totale. Ce n’était pas parce qu’il estimait moins Bessie qu’il l’avait oubliée, mais c’était la mort de Mary qui lui avait fait le plus peur ; pas sa mort en soi, mais ce qu’elle signifiait pour lui, qui était noir. (Wright  410)

Dans la perspective psychanalytique, Bigger Thomas en tant que « …personnage est une projection de la psyché de l’auteur.» (fr.sawakinome.com/articles/language/which-type-of-theory-is-psychoanalytic-criticism-and-why.) Prenant appui sur cet instrument d’analyse que nous donnent les psychanalystes, le passage susmentionné mérite toute notre attention. Il outille le lecteur à scruter l’état psychologique de Bigger Thomas dans un sens plus précis que celui qu’on lui attribue d’ordinaire.  Son crime contre Bessie nous a permis de saisir les motivations derrière le comportement de certains criminels qui tuent souvent les gens dans la société.  Pris de peur d’être découvert et mis en prison comme Bigger, elles le font pour se protéger et se libérer momentanément du poids de la détresse et de la souffrance atroce qui les hante. Aussi cherchent-ils un remède contre leur dénigrement et brimade. Cependant, aucune raison ne peut justifier la tuerie d’une personne puisque personne n’a le droit de vie et de mort sur son prochain. La rétribution du mal par le mal ne participerait pas à un développement soutenable dans le contexte américain au vingtième siècle.

Cette pression démesurée qui a poussé Bigger Thomas aux crimes ne sera acceptée guère par l’oppresseur que représente M. Dalton. Cet élan de la part de Bigger Thomas lui complique davantage la vie. À ce titre, Philippe Sabot constatant ce moment amer de l’existence de l’homme confirme que « Cet aspect de contrainte de l’épistémè est encore aggravé par la description de mutations, de transformations soudaines de l’ordre des choses et du discours.» (Sabot 289) Accusé de viol et meurtre, toute la société américaine se mettra en ébullition grâce aux stratégies que mobilise Mr. Dalton. Il se confie aux publicistes qui font un travail méticuleux et Bigger Thomas se retrouve arrêté et jeté en prison. Par l’extrait ci-dessous, Richard Wright, nous présente, les conditions de son arrestation en ses termes :

Le policier sortit et revint bientôt avec une brassée de journaux.

“tiens, mon garçon. On parle de toi dans tous.”

Il ne prit les journaux que lorsque l’homme eut quitté la pièce. Puis il étala la Tribune et vit : LE NÊGRE SADIQUE S’ẺVANOUIT DURANT L’ENQUÊTE. Alors, il comprit ; on l’avait mené à l’enquête. Il s’était évanoui et ils l’avaient conduit ici. Il lut :  “Accablé à la vue des accusateurs, Bigger Thomas, “ le criminel sadique noir, s’est dramatiquement évanoui “ce matin au cours de l’enquête judiciaire du meurtre de “Mary Dalton, la fille du milliardaire de Chicago.

“Sortant pour la première fois de sa stupeur depuis sa “capture dans la nuit de lundi, le tueur noir se recroquevillait sur sa chaise, l’air terrifié, cependant que des “centaines de personnes essayaient de l’apercevoir. (346-7)  

A l’analyse de cet extrait, les journaux accusent Bigger Thomas du viol comme il le lit.  Il est pris lorsqu’il est tombé évanoui et incarcéré pour les délits qu’il a commis contre Mary Dalton notamment le viol et le meurtre. Dans cette situation, les journaux qui l’incriminent, ne parlent jamais de Bessie, la fille noire américaine aussi tuée. Certes, il purge sa peine pour les crimes perpétrés mais les dominateurs alors doivent cesser de piéger les plus faibles de la société par le sexe comme l’a fait M. Dalton. En clair, de nombreux hommes qu’on cherche à inculper et évincer à tout prix sont souvent piégés par le sexe empoisonné. Les commanditaires n’apprennent jamais de leçon dérivant des situations adverses auxquelles ils font face. Optant pour la destruction systématique des personnes brimées, Mr. Dalton exige que le victimaire soit jugé et condamné par la justice américaine. Devant la cour, pendant que M. Coroner défend Mary, décédée, ne serait-ce que pour obliger le grand jury à condamner Bigger Thomas. Max, l‘avocat de Bigger Thomas, pour sa part, démontre :

‘‘Monsieur coroner, je sais qu’il ne s’agit ici que d’un interrogatoire préliminaire. Mais les questions posées n’ont pas le moindre rapport avec la cause ou les circonstances de la mort de la victime.”

Monsieur Max, la plus large tolérance est de mise au cours de la présente audience. C’est au jury de décider si les témoignages soumis à la barre ont ou non des rapports avec l’affaire en cours.”

“Mais des questions de ce genre ne font qu’enflammer l’esprit du public.”

“Permettez, monsieur Max. Aucune des questions posées ici n’enflammera l’esprit du public autant que la mort de Mary Dalton, vous le savez très bien. (Wright 396-97)

     Dans la perspective juridique, les deux avocats en exercice dans la cour, nous invitent à démasquer le mécanisme de fonctionnement de la société américaine qui prône le développement durable. Les démonstrations de Mr. Coroner, pour soutenir sa thèse fumeuse, portent en elles-mêmes, ses propres fossoyeurs tandis que celles de Max sont salutaires pour la société. Mr. Coroner opte pour la loi du Talion consistant en la réciprocité du crime et de la peine qui doit régner dans la société américaine pour dissuader les criminels.  Quant à Max, il dénonce l’injustice dans cette même société pour que les jeunes, femmes, hommes et enfants, puissent jouir pleinement de leurs droits d’où l’instauration d’une société harmonieuse pouvant permettre aux siens et siennes d’amorcer un développement consistent. Cette même réalité n’est pas confinée au 20ème siècle. Elle annexe ses frontières donnant ainsi matière à réflexion aux penseurs, critiques, romanciers, dramaturges, et politologues qui se penchent sur les mécanismes des sociétés.  

Dans Condamné avec souci, Cal Avono place Bill Rawgers dans un cadre politique où il réagira pour manifester son désaccord par rapport au climat de terreur qui règne à Stresstwon.  En substance, Maîtres Vossaillères, connu sous le nom de monsieur dieu, invite son ami politicien à haranguer la population par un discours flatteur et démagogique. Sans doute il se comporte comme tous les politiciens. Il ouvre son discours avec une éloge de monsieur dieu en tant qu’une personne importante de son milieu : 

Le politicien fit un éloge de Maître Vossaillères pour son « grand sens de l’humanisme » qui s’est infiltré dans tous les aspects de la vie des habitants de Stresstown. Ses réalisations qui étaient innombrables continuaient d’élever l’homme bien au-delà de « l’humble position » qu’il aimait occuper sur le plan social. Le discours s’interrompit soudain et une trompette retentissante suivie de fanfare prolongea l’éloge pendant une dizaine de minutes environ. C’était la fanfare spéciale du corps des « Pyrophages », unité de sapeurs-pompiers créée et financée par la Fondation Vossaillères et qui avait fait ses œuvres partout dans la région. (Avono 97)

   L’éloge que fait le politicien de Maîtres Vossaillères dans son discours n’est pas à prendre à la légère. Cet éloge révèle la nature même des autorités qui vivent dans nos sociétés. Elles posent des actes philanthropiques pour embobiner la population peu avertie quoiqu’elles posent les actes ignobles et abominables. Pour construire cette fausse identité, elles ont recours aux médias, aux journaux et aux fanfares qui les louent pour un service qu’elles prétendent rendre souvent à la population.

Tout d’un coup, monsieur dieu interrompt le discours du politicien pour placer quelques mots. Prenant la parole, il présente Bill Rawgers au public et lui impose une mission qu’il accepte malgré lui.

Nous avons parmi nous ici un grand fils du pays. Il n’est revenu qu’hier. Je le délègue tout de suite pour qu’il donne désormais le ton de tout applaudissement avant que le reste de nous ne suive. Un ordre à respecter scrupuleusement. Alors, monsieur Bill Rawgers, à vos mains. Il sourit facilement comme s’il venait de faire quelque chose d’admirable, se retourna, murmura quelque chose à l’oreille du politicien qui revint aussitôt au micro dans un sourire presque inouï. (Avono 99)   

Le lecteur, élucidé par la théorie psychanalytique se voit outillé pour conduire une « analyse sur l’état psychologique de l’auteur ainsi que des personnages.» (fr.sawakinome.com/articles/language/which-type-of-theory-is-psychoanalytic-criticism-and-why.) Il ne s’intéressera donc qu’à l’état psychique de Bill Rawgers pendant qu’il est désigné sans aucun entretien au préalable. Il n’est pas averti pour assumer de tel rôle lors du rassemblement. C’est une surprise désagréable pour lui. Sous les auspices de l’approche psychanalytique, le lecteur se rend compte de l’état d’âme du personnage de Bill Rawgers. Il vient d’être blessé dans son amour.  Pour monsieur dieu, Bill Rawgers n’a aucune personnalité et ne mérite donc aucun respect. Comme les politiciens ne font rien au hasard, il décide de punir ainsi Bill Rawgers qui n’acclame jamais quand les autres le font pendant l’intervention des grandes personnalités. Il veut lui montrer qu’il est la seule personne qui décide dans la ville de Stresstown. Par conséquent, toute défiance de son autorité se voit punie explicitement ou implicitement en raison de ses études juridiques. Bill Rawgers qui a déjà de l’aversion pour monsieur dieu qui se croit le plus important dans sa région va chercher une occasion d’un scandale.   

Dans la même optique, le politicien, reprenant la parole après que monsieur dieu est intervenu, ne ménage aucun effort pour signifier à la population qu’elle a la chance d’avoir un gouvernement qui prend en compte les droits et libertés des individus. Donnant les raisons qui l’ont poussé à lutter pour la liberté individuelle, il fait part à la population de la disparition de ses parents lorsqu’il était petit :

__J’aimerais vous faire savoir par-dessus tout que j’ai connu de grands moments d’angoisse dans ma vie personnelle, ce qui me permit très tôt de choisir la lutte pour les libertés individuelles.

Il soupira comme un portefaix, promena un lourd regard sur l’assistance. Je devais lui échapper. Puis il continua en baissant brusquement les yeux et la voix. Les mots suivirent avec une peine réglée. 

__J’avais seulement quatre ans lorsque ma mère mourut tragiquement dans un accident et onze ans lorsque mon père la suivit presque de la même manière.

La pause suivit, je la remarquai puis j’applaudis. Je pensai étancher ainsi beaucoup de soifs. Les mains qui attendaient depuis ce moment n’ont pas hésité à me suivre, à suivre l’ordre donné par monsieur dieu. Mais je m’étonnai du fait que l’acclamation cette fois fut d’assez courte durée, fut saccadée comme si elle était mal commandée. (Avono 102)   

Il applaudit au moment où il ne devrait pas le faire. Ceci est un cas de figure des diverses ripostes que Bill Rawgers fomente contre son oppresseur, monsieur dieu. Cette acclamation que répond la foule au moment où le politicien mentionne la mort de ses parents très tôt revêt d’une grande importance pour le lecteur. Il applaudit sciemment pour montrer à monsieur dieu et au politicien que les personnes marginalisées ont le droit de manifester leur mécontentement. Il semble se réjouir de la disparition des parents du politicien et amène la foule à faire de même par acclamation. Cette acclamation est tragique pour le politicien, car il ne s’imaginait pas qu’il y aurait quelqu’un qui va célébrer cette situation qui a prévalu dans sa vie. Par ce comportement, le discoureur reçoit un choc dur « Le politicien, lui, rougit, fonça les sourcils, réajusta ses lunettes rondes, essaya de se réajuster dans sa sérénité. Il se hâta de clôturer son discours, fit une sorte de conclusion […] (Avono 103) qui le déboussole et le contraint à terminer son discours le plus tôt que prévu. Par ailleurs, toute la ville de Stresstown est humiliée de même que monsieur dieu sur qui repose l’entière responsabilité. Tout porte ainsi à croire qu’il est un criminel.

Face à cette situation embarrassante, monsieur dieu va en découdre avec Bill Rawgers qui l’a défié publiquement. Il lui a fait avaler des couleuvres pour la toute première fois dans sa vie depuis qu’il s’est installé à Stressetown. Pour se venger, il piège Bill Rawgers par le biais d’une jeune fille. La manœuvre consiste à décrier Bill Rawgers avec l’alibi d’un viol commis sur elle. Bien avant d’assister au discours du politicien, il a déjà invité Bill Rawgers à venir le voir le jour suivant. Une fois arrivé chez monsieur dieu, il lui brûle la politesse et quitte sa maison en hâte « « Tu vas me le payer cher » vinrent se cogner contre les vitres de la voiture qui finissait de faire son demi-tour et reprenait la voie vers Espero Hotel.» (Avono 121) Monsieur dieu, menteur professionnel, concocte l’histoire du viol de toute pièce pour avilir Bill Rawgers. Cette histoire se lit à travers les journaux :

Elle étala cinq différents journaux sur la moquette. À la une de chacune presque, il était écrit en gros caractères et en couleurs tantôt sombres tantôt agressives le mot « SCANDALE ».  Il y avait mon nom, une photo et le nom de Karina. J’avais tenté de la violer la veille ! (Avono 125)

  Tout comme Bigger Thomas dans Un enfant du pays, Bill Rawgers est accusé de viol sur Karina, la fille de monsieur dieu. Quand on le lui a demandé, il ne l’a pas nié, car il dit que « Cet homme, sa fille se croient trop au-dessus de tout. Cette fois-ci, c’est la fin. Ça se termine… » (Avono 127) En acceptant volontiers d’avoir commis le viol sur Karina, il choisit la descendre de son piédestal pour lui dire qu’elle n’est pas à l’abri des affronts que son père et elle font subir aux personnes marginalisées. Il préfère aller en prison tout comme Bigger Thomas. Le processus de son emprisonnement commence par la privation de sortir de sa ville pour un autre pays :

On frappa de deux coups la porte. Bertille partit ouvrir, puis m’appela. Un employé de l’hôtel m’amena deux hommes en uniforme. L’un d’entre eux me tendit un document, m’avertit que je devais normalement être en état d’arrestation, mais pour une grâce de Maître Vossaillères, j’étais seulement en garde à vue, mais je ne serais pas amené au commissariat. Je n’étais pas autorisé à quitter la ville sans l’accord de la police. (Avono 128-9)

Bill Rawgers est privé de sortir de sa ville pour une autre. Les restrictions lui sont imposées par la manie de monsieur dieu. Cette condamnation de Bill Rawgers sur place nous amène à vivre la réalité des décisions arbitraires que prennent les autorités étatiques et juridiques contre les plus faibles de la société en raison de leur défi de l’autorité.  En durcissant le ton vis-à-vis de Bill Rawgers, monsieur dieu oublie qu’il donne l’occasion aux gens de connaitre réellement son identité. La manipulation des policiers pour intimider Bill Rawgers informe la population sur la vraie nature de Maître Vossaillères :

Je pus retenir que les amis s’annonçaient avoir connu beaucoup plus les dessous de monsieur dieu, comment il était hypocrite mais ayant une forme de piété […] presque toute la ville connaissait finalement vraiment celui qui se faisait passer pour un dieu.

Je pensais plutôt qu’ils devaient être tous hypocrites ou cette hypocrisie leur était passée pendant tout ce temps où ils chérissaient l’homme, l’adoraient, appréciaient à l’exagération ses manières et ses dires. Ils menaient alors une vie dualiste et cela était misérable. (Avono 131)

Très souvent la population adore les hommes ou les femmes qui les trompent par certaines réalisations comme nous le notons dans la vie du personnage de monsieur dieu. Ils ou elles mènent une vie dualiste qui ne se montre jamais si quelqu’un ne décide tout comme Bill Rawgers de les dévoiler au public. Les dessous sombres de monsieur dieu que connait la population instruit le lecteur de Condamné avec souci sur les malversations, la corruption et les atrocités que commettent certains dignitaires politiques et religieux qui se font passer pour des agneaux mais qui sont en réalité des mesquins dans la société.

Ces genres de personnes n’ont pas pitié des personnes qui souffrent dans la société. La preuve est que monsieur dieu porte plainte contre Bill Rawgers en justice parce qu’il estime que ce dernier lui manque du respect :

Je finis par comprendre suite à une lecture que ce n’était pas Karina elle-même qui déposa la plainte mais son père. J’appris aussi que je gardais pendant longtemps une dent contre le plaignant et sa famille, cherchai à plusieurs reprises à les déshonorer, jusqu’à finalement tenter de violer leur fille unique, qui était même étonnamment en voie de mariage avec mon grand-frère. On n’oublia pas de me rappeler que j’avais déshonoré le plaignant, et lui seul, en ayant applaudi aux décès des parents du politicien, et que je lui avais brûlé la politesse le soir de ce jour-même, et m’étais moqué du prêtre qu’il voulait inviter pour une discussion en ma présence. (Avono 140-1)

Au nom de l’égoïsme et de la folie des grandeurs de certains dignitaires de la société à l’instar de monsieur dieu, qui comprennent de travers la notion de diffamation des caractères, les maillons faibles de la société, sont toujours victimes de répression et de rudoiement, quand ils ont affaire à eux. Ils comptent sur leurs relations et pouvoirs pour les enfoncer oubliant que leur égoïsme peut se retourner contre eux.  Bill comparait en justice et est condamné à la prison pour avoir reconnu le viol sur Karina, l’unique fille de monsieur dieu :

Celui-ci rappela à la fin de son discours de juge mon nom et me condamne à la prison, mais je ne pus pas retenir le temps que j’aurais à y passer. Cela d’ailleurs ne m’intéressait pas. Il déclarait le faire ainsi en attendant qu’un jour plus de lumière se fit plus sur mon cas. Il expliquait peut-être à l’assistance que beaucoup d’esprits s’étaient échauffés à cause de mon comportement destructeur et immoral et qu’il espérait vivement qu’ils se calment pendant que j’étais en prison. (Avono 144-5)

 Tout porte à croire que l’incarcération de Bill Rawgers constitue le dénouement de la crise humanitaire qui prévaut dans la vie de Stresstown. Force est de constater que cette prison que subit Bill Rawgers n’est que la suite des problèmes auxquels, le procureur, monsieur dieu et sa fille seront confrontés « Tout compte fait, monsieur Rawgers, vos accusateurs ont eu du souci après votre condamnation. Et ce problème de secret est très important. » (Avono 155) Inévitablement, la brouille entre monsieur dieu et sa fille serait l’œuvre réussie de Rawgers puisque son comportement empêche Pierre, le grand-frère de Rawgers de sceller sa promesse de mariage avec elle :

Cela a causé à la suite de cela des problèmes entre Karina et son père. Personne dans cette ville n’ignore l’amour qui les lie. Le grand amour entre parents et enfants…Mais la fille accusait fortement le père d’être responsable de cette rupture pour laquelle elle ne s’était jamais préparée […] Karina pour la première fois développait ses accès de colère et menaçait son père de quelque chose que tout le monde ne pouvait pas savoir. C’était une situation inévitable […] Le père aussi commençait à menacer la fille de quelque chose. Les deux se haïssaient mutuellement et on ne pouvait pas comprendre. (Avono 150)

De toute évidence, il y a brouille au sein de la famille. La complicité entre Karina et son père pour nuire une tierce semble se retourner contre eux-mêmes. Karina, qui, ne s’engueule jamais avec son père, a fait rougir son père en éprouvant la haine pour lui. De plus, elle ne comprend pas pourquoi son père peut forger de telle conspiration contre le petit frère de son fiancé. Ensuite la fille hait son père et ce dernier en fait de même. En clair, le tissu familial qui est la base de toute société et le premier tremplin d’un développement durable se noue, se dénoue, s’entrechoque et finalement s’effrite avec le père et la fille d’une part et entre la famille Vossaillères et la famille de Bill Rawgers d’autre part. La conspiration planifiée et exécutée pose des problèmes au tissu familial en général et la société en particulier. La preuve en est la mort de monsieur dieu que sa fille tue « J’entendis un coup de feu. On coupa ensuite le fil du téléphone. Il me narra ensuite qu’il appela la police qui vint constater le parricide. La fille ne voulait faire aucune déclaration et on entend la juger. [ …] Maintenant, me dit-il doucement, Maître Vossaillères est mort. » (Avono 151) Monsieur dieu, par sa manipulation des hommes et des femmes, détruit la joie, paix, prospérité et sérénité de sa fille, se détruit et porte atteinte au corps juridique en ce sens que le procureur général présente sa démission après avoir démenti toutes les accusations portées contre Bill Rawgers et prononce sa libération :

Je profite pour annoncer que pour des raisons personnelles, je présenterai ma démission à la cour aujourd’hui […] Après délibération, le juge conta qu’il n’avait jamais eu une affaire comme celle-là, qu’il condamnait Karina pour fausse accusation et pour meurtre. Quant à moi, il déclarait mon affaire un non-lieu, je retrouvais la liberté mais il reconnaissait des situations très embarrassantes à mon affaire. (Avono 155)

Suite à la délibération, nous pouvons aisément noter que la dictature, les coups bas et la vengeance détruisent la société africaine en général et la société togolaise en particulier que Condamné avec souci éclate aux lecteurs pour qu’ils comprennent que les acteurs politiques et civils qui clament le développement durable doivent au préalable régler le contentieux sinon, toute tentative en ce sens aboutira à une perte de temps, d’énergie et ressources financières. 

Conclusion

Au demeurant, sous le prisme de l’approche psychanalytique, notre analyse de Un enfant du pays et Condamné avec souci qui se veut être comparée, décrypte les vicissitudes et les contingences des mondes américain et africain minant leur développement durable. Les personnes opprimées tout comme Bigger Thomas et Bill Rawgers nourrissent toujours la peur, la haine, et la rage en rapport avec les dignitaires que sont les despotes qui s’enlisent dans une vie dualiste, d’hypocrisie, de méchanceté à l’instar de M. Dalton et Maitre Vossaillères, en formant des complots assaisonnés par le sexe ou n’importe quels autres pièges. La dépendance constante des personnes marginalisées de la peur, la frustration, la haine, la violence les amène tôt ou tard à remettre en cause les normes arbitraires de la société pour réclamer leurs droits et dignité en tant qu’êtres humains comme nous le voyons avec Bigger Thomas et Bill Rawgers dans leurs mondes respectifs. Les oppresseurs dans la société se rendent comptent que les opprimés qui sont les produits de leurs comportements envers eux sont capables de poser des actes gênants et horribles en rapport avec leur dignité. La perte de vies humaines par des comportements absurdes ne saurait contribuer à la réalisation de l’homme et au développement. Sans le triomphe de la justice sur toutes les formes d’injustice sociale, tout développement qui se veut être durable, crée en fait ses propres destructeurs qui sont les victimes.

Travaux cités

Avono, Cal.  Condamné avec souci. Editions Awoudy, 2016.

Blaise, Marie. “Littérature et Psychanalyse.” La recherche en Littérature générale et comparée,  2007, pp. 147-156.

Canguilhem, Georges. The Normal and the pathological. Cambridge, 1989.

Devriendt, Emile “Leur précarité n’est pas la nôtre: critiques de la norme salariale et luttes sociales minoritaires (2003-2010).” Langage et Société, Vol1, no.159, 2017, pp. 63-81.

Griffith, Kelly. Writing Essays about Literature: A Guide and Style Sheet, Sixth Edition., Thomson Wadsworth,  2002.

Sabot, Philippe. ‘‘L’expérience, le savoir et l’histoire dans les premiers écrits de Michel Foucault.’’ Archives de Philosophie, Vol 2, Tome 69, 2006, pp. 285-303.      

Sartre, Jean-Paul. L’existentialisme est un humanisme. Editions Nagel, 1946.

Simard, Jean-Paul. Guide du savoir-écrire. Les éditions de l’Homme, 1984.

Wright, Richard. Un enfant du pays. Editions Gallimard, 1988. traduit de l’anglais (des Etats-Unis) vers le français par Hélène Bokanowski et Marcel Duhamel.

Comment citer cet article :

MLA : Agouze, Djignéfa A.  » Le malaise social dans Un enfant du pays et Condamné avec souci. » Uirtus 1.1 (août 2021): 277-304.


§ Université de Lomé, [email protected]