Résumé: Représentations sociales du phénomène de « génie tchatcheur » en milieu scolaire à Zinder

Issoufou Oumarou§

Résumé : Cet article est une réflexion, quoiqu’empirique, sur le phénomène de crises collectives affectant les filles dans les écoles du Niger en général et celles de Zinder en lien avec les représentations sociales et culturelles. Ce phénomène appelé « génie tchatcheur : esprit amoureux » fait l’objet de l’analyse sociologique à travers les représentations sociales des sujets sur le phénomène du génie tchatcheur et les comportements sociaux des filles qui entrainent la manifestation du génie tchatcheur. Pour parvenir aux résultats escomptés, la démarche mixte a été mise en œuvre à savoir la recherche quantitative et la recherche qualitative. Aux jeunes filles affectées par le « génie tchatcheur », l’enquête par questionnaire a permis de découvrir leurs caractéristiques, la description de la manifestation de la crise, la facilité de la propagation, son ampleur, leur perception et celle de leur entourage. Elle a surtout permis également de comprendre l’influence des conflits de sens sur le choix de l’itinéraire thérapeutique. Ces conflits de perception se manifestent au moment de la prise de décision au sein de la famille. Les entretiens avec l’entourage (parents, personnel administratif et technique et les élèves) et les thérapeutes ont également permis de comprendre les diverses interprétations de la crise et les difficultés que le phénomène engendre par rapport à la prise de décision.

Mots-clés : Génie tchatcheur- Représentations sociales et culturelles- Itinéraire thérapeutique- Possession-Climat scolaire- Crise collectives.

Abstract: This paper is a reflection on the phenomenon of collective crises affecting girls in Niger’s schools in general and Zinder in connection with the social and cultural representations was in the school world concerns. This phenomenon called « Chatter genius » by the actors is the subject of sociological analysis. To corroborate these assumptions, the mixed approach has been implemented through quantitative and qualitative research. Girls affected by the « genius Chatter » the questionnaire survey has uncovered their characteristics, the description of the manifestation of the crisis, the severity of the ease of spreading its scale, and their perception of those around them. Above all, it permits direction of conflicts and difficulties of the therapeutic choice of route. Interviews with the entourage (parents, administrative and technical staff and students) and therapists also understand various interpretations of the crisis and the difficulties they create in relation to decision making.

Keywords: « Chatter genius », Social and Cultural Representation, Possession, School Environment, Collective Crisis.  

Introduction

Les problèmes de santé mentale en général et les crises collectives affectant les élèves et les étudiantes dans les écoles et le système des représentations sociales qui leur servent de base explicative constituent un centre d’intérêt pour les sociologues de la santé. 

Quelle que soit la maladie, il est impossible de la détacher du contexte social et culturel qui lui donne tout son sens. Chaque communauté a une vision particulière sur le choix de l’itinéraire thérapeutique et les mesures de prévention appropriées. Cette forme d’élaboration est à la fois individuelle et reliée au social et à la culture.

Cependant, les tradipraticiens et les marabouts sont investis de la fonction sociale de diagnostiquer les signes des déséquilibres en vertu des secrets qui leur sont reconnues par les populations.   

Selon Balandier, les manifestations des crises affectant les femmes des communautés sénégalaises sont semblables au phénomène hystérique, bien connu des scientifiques occidentaux. Or ces manifestations obéissent à un modèle rigoureusement dicté par la tradition. Ce qui lui donne à la fois un aspect sacré et théâtral. Cependant, les manières de voir et de se représenter ces phénomènes varient d’une société à l’autre. Ce qui peut relever du normal sous l’angle de la tradition peut être perçu comme une pathologique dans la médecine moderne. C’est dire que le processus explicatif des phénomènes psychosomatiques est largement tributaire du système des valeurs transmises de génération en génération.

Au Niger, plus précisément dans la région songhaï, les pratiques et les faits sont régis par le modèle de représentations sociales et culturelles fondées sur le sacré. En effet, les relations entre les forces surnaturelles tutélaires et les communautés servent de référence sémantique pour les phénomènes organiques, principalement les déséquilibres qui peuvent affecter les individus, les familles et la communauté. C’est à juste titre que les scènes de transes collectives qui s’emparent de jeunes filles dans les écoles sont appelées « génie tchatcheur » ou « génie séducteur ».

C’est est un phénomène de crises collectives qui se manifeste dans les écoles.  Les sujets sont pris dans une sorte de crise d’épilepsie caractérisée par des cris, alors que la bouche écume et parfois par l’évanouissement. Le climat scolaire, en tant que trame de relations sociales et émotionnelles que les élèves mènent entre eux et ou entre eux et les enseignants, est fait de diversité en termes de provenance des élèves, d’angoisse et de conflits de plusieurs natures entre les différents acteurs. Dans les collèges, la crise d’adolescence s’accompagne également de tensions, d’actes de violences, de difficultés d’adaptation pour certaines catégories de personnes, voire de frustrations pour certains élèves, en particulier les filles eu égard à la concurrence au sujet des relations amoureuses. Plusieurs questions se posent sur la nature des scènes de transes qui affectent ces filles au sein des écoles.

  1. Problématique de la recherche

À Zinder, le phénomène a pris une très grande ampleur depuis 2010. Les établissements scolaires d’enseignement général sont les plus affectés par les crises collectives. Ce sont par exemple le CES Zengou, le CEG V, le CEG VIII.  Des écoles professionnelles comme l’ENSP ont connu des scènes de transes au moment des cours.  Les étudiantes du département de sociologie de l’Université de Zinder ont été affectées par des transes lors d’une sortie pédagogique en 2015.  A l’ENSP, ce sont surtout les élèves du niveau moyen de première année ASB[1] qui en sont affectées au moment des cours pratiques, à savoir l’apprentissage des techniques de soins. En effet, le phénomène de « génie tchatcheur est méconnu du public, cela dénote son incompréhension. Cependant, les autorités administratives régionales ont tenté d’élucider ce mystère en engageant une étude parrainée par l’Hôpital National de Zinder qui a permis de décrire le phénomène à travers plusieurs séries de symptômes dénommés « syndrome psychogène »[2].Chaque année, des collèges et lycées enregistrent des victimes. Les situations anxiogènes incriminées par les psychiatres de l’Hôpital National de Zinder révèlent au-delà des facteurs liés à la personnalité des sujets, les conditions socio environnementales telles que l’origine familiale de ces élèves, les conflits sous-jacents au sein des familles (divorce des parents, difficultés d’adaptation au sein de la fratrie pour les sujets issus des familles polygames…). A cela s’ajoutent les problèmes de tutorat pour certains élèves provenant d’autres contrées, de vulnérabilité économique des parents pour d’autres, des frustrations en milieu scolaire telles que interrogations surprises, des attitudes traumatisantes liées aux humiliations et insultes entre les élèves et ou entre un élève et un enseignant. Ces phénomènes font partie des facteurs incriminés, entre autres, favorisant la survenue des crises collectives. Ce phénomène n’est pas sans conséquences sur le bien être psychologique et social des élèves :

-leur personnalité soumise aux manifestations du « génie séducteur » étant réduite vis-à-vis des autres élèves en entrainant un sentiment de frustration lié à l’insatisfaction des besoins d’estime de soi et d’épanouissement, un profil dépressif et accompagné de troubles de mémoire (Hanus et Marchal 15-16) ;

-le déclenchement brusque de la crise se fait à tout moment et les filles tombent à des endroits inappropriés (sur des tables bancs, sur des escaliers,). C’est pourquoi certaines victimes présentent des déchirures, des crampes douloureuses ;

-les sujets sont victimes de frustrations car les autres élèves ne les considèrent pas comme des malades ordinaires mais plutôt comme les « montures de génie ». En effet, ces filles possédées deviennent aux yeux de leur entourage comme des sujets totalement contrôlés par le djinn. L’ensemble des acteurs de l’école notamment l’administration, les enseignants, les élèves et les parents d’élèves s’interrogeaient sur les conséquences académiques de ce phénomène social. Il faut aussi ajouter qu’à chaque fois, le phénomène refait surface, il entraine des suspensions d’activités.  Les parents éprouvent des inquiétudes au regard des congés de maladies recommandés à leurs enfants et surtout des conséquences résultant de la diversité de discours sur le problème. A cet effet, les interrogations qui préoccupent l’entourage et la population sont : s’agit-il d’un génie tchatcheur ou d’une invasion par des génies ? Est-ce la violation du tabou vestimentaire entrainant l’exhibition du corps aux forces surnaturelles ? Le développement des comportements déviants fréquents chez les jeunes adolescents en est-il la cause ? Sommes-nous en présence des troubles psychologiques dont la survenue est favorisée par le milieu scolaire ? Pour certains, il est perçu comme la possession par un « génie séducteur ». En effet, dans l’imaginaire collectif, les jeunes filles victimes de la possession deviennent les « montures »[3] du génie tchatcheur qui exerce son emprise sur elles et contrôle totalement leur corps et leur esprit. Pour d’autres il s’agit d’un trouble psychologique passager. Les leaders d’opinion, les acteurs de l’école et même les médias en parlent mais sans jamais être à même de faciliter la compréhension de ce problème.

Les marabouts et les tradipraticiens[4]  sont les seuls recours des parents d’élèves. C’est pourquoi l’idée de possession fait allusion au « cheval ». Ce phénomène inédit engendre des interprétations de tout genre, faute d’une véritable explication pouvant conduire à un protocole de prise en charge efficace.

  Au CEGVIII de Zinder, les enseignants, les élèves et les surveillants constatent de foules féminines entières prises de malaises, de sensation d’étouffement, d’évanouissement et d’hurlements pour certaines filles. D’autres se jettent brutalement par terre tout en présentant des convulsions. A chaque fois que la crise refait surface dans cet établissement, les interrogations que posent l’entourage des sujets (parents, personnel administratif et technique des écoles et les élèves) sont les mêmes. Du fait de la méconnaissance du problème et des mesures d’urgence à prendre, les filles sont évacuées chez elles.

 Ces crises collectives constituent un centre d’intérêt sociologique afin d’établir le lien entre les représentations sociales de la crise et les pratiques thérapeutiques. Eu égard aux diverses interprétations et perceptions des sujets et de leur entourage, il est important de trouver un cadre explicatif à ces aspects. Bien que la question de perception des maladies et le choix des registres de soins a servi de champ de réflexion sociologique, il n’en demeure pas moins que le phénomène du « génie tchatcheur » constitue un fait récent qui mérite un véritable décryptage.

  • Méthodologie de la recherche

La méthodologie utilisée est mixte. Elle englobe l’approche quantitative et qualitative et les outils utilisés sont le questionnaire et le guide d’entretien. Pour l’enquête par questionnaire, elle a permis d’obtenir des données sur le phénomène étudié et surtout la possibilité de les quantifier et d’envisager la perspective d’analyser les relations entre les variables. Cette procédure répond au souci de la recherche des régularités statistiques, la présentation des caractéristiques sociodémographiques des filles affectées par le génie tchatcheur. Toutefois, des questions ouvertes au sujet des perceptions de la crise par les filles et leur entourage ont été insérées dans le questionnaire.

Par ailleurs, il a été procédé la collecte des données sur la base des méthodes d’entretien ou de réunion de groupes approfondis avec différentes catégories de population. Selon Raymond Quivy et Luc Van Campenhoudt, la méthode d’entretien permet d’instaurer « un véritable échange au cours duquel l’interlocuteur du chercheur exprime ses perceptions d’un évènement ou d’une situation, ses interprétations et ses expériences….. » (Quivy et Campenhoudt 184). Les entretiens sont faits à l’aide des guides d’entretien semi-structurés respectivement adressés aux parents des victimes, au personnel administratif et technique du CEG VIII. Deux (2) réunions de groupes ont été organisées avec les élèves pour recueillir leur témoignage sur le déroulement du problème dans l’école. Nous avons aussi interviewé un tradipraticien et un marabout eu égard aux cas qu’ils ont pris en charge.Ce procédé nous a permis de dégager et d’analyser les éléments qui échappent à une quantification, à savoir les représentations sociales du phénomène (attitudes, croyances et opinions).

  • Caractéristiques des enquêtés
  • L’âge des filles souffrant de la crise du « génie tchatcheur »

Graphique : Répartition des enquêtés selon l’âge

Les données du graphique I indiquent que 96,2% des enquêtés ont un âge compris entre 15-19ans et 3,8% ont un âge compris entre 20-24 ans. Mais aucun des sujets ne dépasse 24ans. Il ressort également du tableau que l’âge moyen des enquêtés est de 17 ans et la classe modale est 15-19ans. Les deux paramètres de position obtenus à savoir la moyenne et l’âge modal sont respectivement 17ans et 51ans. Autre constat est que la tranche d’âge 15-19 ans constitue une étape importante dans le processus de la maturation biopsychologique[5] chez les filles.Donc, la majorité des filles possédées par le génie tchatcheur sont des jeunes adolescentes. Cet âge de la maturation physique et psychologique est souvent accompagné de perturbations chez certains sujets. Selon Poitevineau, chez certaines filles, cette phase décisive du développement est aussi accompagnée de tensions psychologiques auxquelles s’ajoutent l’influence des déterminants sociaux tels que le niveau socioculturel de la famille, la position sociale des parents dans la société et les relations interindividuelles développées au sein de l’école.  Les relations au sein de l’entourage familial et scolaire sont souvent accompagnées d’émulations, de tensions et de conflits au sein de la fratrie, de groupes d’amis. (Poitevineau 19).

  • Identification des enquêtés selon leur niveau d’étude

Tableau 1 : Répartition des enquêtés selon le niveau d’étude

Niveau d’étudeEffectifFréquence%
Sixième916,9
Cinquième1833,9
Quatrième1630,1
Troisième1018,8
Total53100

Source : Données de l’enquête réalisée en 2015

Il ressort du tableau 2 que 33,9% des sujets enquêtés sont des élèves du niveau cinquième. Ils sont ensuite suivis par ceux du niveau quatrième avec une fréquence de 30,1%. Le troisième groupe est constitué par les sujets du niveau troisième avec une fréquence de 18,8% et enfin les élèves de la sixième avec une fréquence de 16,9%. Il est important de souligner à ce niveau précis qu’il est possible d’établir un lien entre l’âge de la maturité et le déclenchement de la crise.

  • Identification des enquêtés selon leur situation matrimoniale

Tableau 4 : Répartition des enquêtés selon leur situation matrimoniale

Situation matrimonialeEffectifFréquence%.
Mariées47,5
Divorcées00
Célibataires4992,4
Veuves00
TOTAL53100

Source : Données de l’enquête réalisée en 2015

Les données du tableau 4 indiquent que 92,4% des enquêtés ne sont pas mariées. Seuls 7,5% ont des conjoints. En effet, la majorité des jeunes filles ne se marient qu’après avoir passé les examens du BEPC. Toutefois, l’adolescence est une période d’effervescence psychophysiologique car les sujets sont tentés de mettre à l’épreuve des relations amoureuses. L’adolescent, dans cette période de bouleversement et de remise en question, est au cœur de tensions : le jeune est comme pris en étau entre l’exigence familiale et sociale dans laquelle il veut avoir une place et être reconnu, et l’exigence intrapsychique. La puberté dévoilant les caractères sexuels secondaires des jeunes filles, celles-ci doivent apprendre à accepter ces changements corporels tout en appréhendant le regard des autres ainsi que les normes et représentations sociales associées à la féminité. La jeune fille non mariée est objet de convoitises surtout pour leurs pairs garçons. Ce phénomène, toléré par la société, est source d’estime pour les jeunes.

  • Description de la manifestation de la crise du génie tchatcheur

Ce qui caractérise ce phénomène, c’est le mode de propagation rapide car à chaque fois qu’un cas apparait, d’autres élèves s’évanouissent subitement.

C’est ainsi que le constat suivant a été fait par un enseignant interviewé le 26 juin 2014 par rapport aux caractéristiques de ce phénomène :  

Ce qui caractérise ce phénomène, ce sont la gravité des conséquences, la facilité de la propagation et l’ampleur ou l’étendue du fléau. Il suffit qu’un seul cas se manifeste, la crise devient collective. Personne ne peut expliquer comment se propage ce fléau. S’agit-il d’un génie ou d’une maladie mystérieuse ? Personne ne le sait. 

A ce niveau, il est important de souligner que les parents ignorent les moments du déclenchement de la crise et les symptômes qui la caractérisent du fait que c’est à l’école en général que les scènes de transes collectives se déroulent.

Cela a été confirmé par une femme interrogée le 3juillet 2020 qui disait : « Les responsables de l’école n’ont pas voulu m’appeler au moment où les scènes se déroulent. Quand la situation est apaisée, ils m’amènent ma fille à la maison. Il convient de noter que le climat scolaire peut influencer la survenue de ces crises quand on sait que les relations que les élèves mènent avec les enseignants sont souvent tendues ou conflictuelles.

Les cours d’EPS sont le moment où les filles exhibent leurs corps. Le « djinn » attiré par ces filles les entraine dans une sorte d’agitations hystériques, de crises, syncopes et transe collective.

Un des élèves témoins interrogé le 2 juillet a soutenu une telle idée : « Pourquoi jumeler des filles et des garçons pubères en tenues indécentes ? Ça provoque l’excitation. Cela peut aussi attirer les « djinns » malfaiteurs surtout chez les filles ».

Notons aussi que ces crises se déclenchent au moment des bagarres entre les filles. Les violences verbales et physiques sont aussi susceptibles de générer les troubles. A ce niveau, il convient de préciser que ces bagarres ont pour source le phénomène érotique. Ce phénomène est fréquent surtout chez les jeunes adolescents. C’est dire que le climat scolaire influence la personnalité de ces sujets en favorisant le développement des facteurs enclenchant les transes.

  • Discussion des résultats

La problématique centrée sur la question du lien entre les représentations sociales et culturelles et le phénomène du génie tchatcheur, a permis d’exposer les divers aspects d’un tel phénomène. La présente étude a permis de comprendre que le phénomène des crises collectives perçu comme un « génie tchatcheur » est caractérisé par des manifestations intenses et la facilité de la propagation. Il suffit qu’un seulcas se manifeste, la crise devient collective. Les données recueillies indiquent que 96,2% des enquêtés ont un âge compris entre 15-19ans. Ce qui prouve que la majorité des sujets sont des jeunes adolescents.

D’ailleurs, certains enseignants ont fait le lien entre la survenue de la crise et le processus du développement physique et psychologique. La sexualité est au centre d’une telle explication. Sur les quatre (4) enseignants interviewés, deux (2) ont insisté sur le thème déception liée aux faibles performances au travail. Pour certains sujets, les difficultés scolaires se manifestent au moment de la maturation à cause du désir d’émancipation, des frustrations liées aux conditions qu’exige le nouveau statut chez la fille. Il faut souligner également que chez la plupart des sujets enquêtés, la crise est présente moins d’une année. Ce qui prouve que chaque année, de nouveaux cas sont enregistrés. Il ressort également du travail que la proportion des sujets ayant manifesté plus de trois fois la crise au cours de l’année, est importante. Parmi ces cas, la majorité des filles connait ces crises à l’école, soit 84,9%.

Aussi, il a été constaté que les représentations sociales et culturelles au sujet de ce phénomène entrainent diverses explications et interprétations de l’entourage. Le concept de « génie tchatcheur » unanimement admis, n’exclut pas la diversité des perceptions. Ces perceptions sont fonction de la multitude de discours lié à l’existence des réseaux sémantiques des différentes médecines, de la différence par rapport à la position sociale des parents et de la complexité de la maladie. Etant donné que ce phénomène est recent car apparu entre 2004-2005, il n’y a pas eu jusqu’à ce moment des recherches pluridisciplinaires pour mieux l’appréhender. Parmi les sujets enquêtés 96,2% soupçonnent la possession par un génie. Les perceptions sont similaires au sein de l’entourage familial. Les entretiens ont permis de comprendre qu’un conflit de perception persiste au sein de la famille. Cependant, certains enseignants orientent leur regard vers la question de la crise d’adolescence, les relations amoureuses conflictuelles. Cette étape du développement, communément appelée « folie de puberté » est source de tensions diverses et de l’explosion des désirs que les parents sont appelés à gérer. Le déclenchement de la crise intervient à des moments précis surtout pendant les cours d’EPS, pendant les cours théoriques, aux heures de récréation ou suite à une bagarre entre les filles pour cause de jalousie. Le climat scolaire et la crise d’adolescence sont perçus parmi les causes de ces crises. En effet, la pléthore des élèves dans les classes, les relations interindividuelles que les élèves mènent entre eux et ou entre eux et les enseignants souvent conflictuelles, les conditions d’apprentissage combinées aux difficultés socioéconomiques agissent sur la personnalité de ces élèves pour provoquer une telle situation. Selon certains enseignants, ces facteurs expliquent la survenue des scènes théâtrales à l’école. Ainsi, le phénomène de « génie tchatcheur » est diversement apprécié par les filles, leurs parents, le personnel administratif et technique de l’école et les élèves. Ainsi, 67,9% des filles ont affirmé la présence d’une pluralité de perception dans la famille. Cela confirme notre première hypothèse : « Les représentations sociales des sujets et de leur entourage par rapport au phénomène du génie tchatcheur sont une source de difficulté par rapport à la compréhension du phénomène de « génie tchatcheur »

Les conflits de perception et de sens dans les familles n’ont pas rendu facile la prise de décision en vue du choix d’une voie de recours la mieux indiquée. En effet la multitude de discours, la différence par rapport à la position sociale des parents et surtout la complexité de la maladie ont suscité des divergences par rapport au choix d’un itinéraire thérapeutique. Cet état de fait constitue une source de difficulté pour les familles selon 79,2% des enquêtés. En dehors de la thérapie des « boris », presque toutes les voies de recours ont été citées par les enquêtés. Les parents étaient dans l’obligation d’appliquer divers traitements comme la pratique d’exorcisme appelée « rouqya » à travers des incantations religieuses, les fumigations, les ports d’amulettes, les décoctions de plantes médicinales. Certains parents ont recouru à la médecine moderne pour pallier aux troubles du sommeil. Des cas de rechute ont été enregistrés eu égard aux difficultés de choix d’un itinéraire thérapeutique efficace. Tous ces traitements n’ont pas été choisis sur la base d’une véritable connaissance des crises. Les raisons qui sont invoquées sont principalement la croyance à la religion musulmane et subsidiairement la conviction par rapport à l’efficacité du traitement, la croyance à la tradition ancestrale, l’accessibilité de la voie de recours et enfin l’imitation des autres parents. 

 Ce qui confirme la seconde hypothèse : « Les représentations sociales par rapport au génie tchatcheur rendent difficiles le choix d’un itinéraire thérapeutique ».

 Donc, les représentations sociales et culturelles sont des sources de difficultés par rapport à la compréhension de ce phénomène et au choix d’un itinéraire thérapeutique.

La vérification des deux hypothèses a permis de faire le lien entre les représentations sociales des sujets et de leur entourage par rapport au phénomène du génie tchatcheur et la compréhension du phénomène de « génie tchatcheur » d’une part et le choix d’un itinéraire thérapeutique d’autre part. Passons à la conclusion de ce travail.

Conclusion.

Cette étude rentre dans le cadre de la thématique globale des représentations sociales et culturelles. Elle, a permis de comprendre que le phénomène des crises collectives perçu comme un « génie tchatcheur » est caractérisé par la gravité de ses conséquences, la facilité de la propagation et de son ampleur.

En dépit du concept de « génie tchatcheur » qui a permis de donner une dénomination unanime sur ces crises, il ressort de ce travail que les perceptions varient d’une personne à une autre ou d’une famille à une autre. Cependant, parmi les sujets enquêtés et leurs parents, la majorité soupçonne la possession par un génie. Les entretiens ont permis de comprendre qu’un conflit de perception persiste au sein de la famille. Le déclenchement de la crise intervient à des moments précis surtout pendant les cours d’EPS (Education physique et sportive), pendant la récréation ou suite à une bagarre. Le climat scolaire et la crise d’adolescence sont perçus parmi les causes de ces crises.

Les conflits de perception et de sens dans les familles n’ont pas rendu facile la prise de décision en vue du traitement de la crise. En effet, la multitude de discours, la différence par rapport à la position sociale des parents et surtout la complexité de la maladie ont suscité des divergences par rapport au choix d’un itinéraire thérapeutique.

Toutefois, les réflexions doivent être approfondies au niveau des écoles en impliquant les divers acteurs car ces crises collectives affectent le moral des filles et au-delà entrainent souvent la suspension des activités académiques si elles se généralisent ou du moins la prescription du repos pour les cas concernés. Elles doivent surtout permettre de concevoir des protocoles de prise en charge rapide et des stratégies pour appuyer les filles en difficultés. Les questions passées au crible de l’analyse ne permettent en aucune façon une compréhension effective de ce phénomène du moment où il n’est apparu qu’à une période récente dans la Ville de Zinder en particulier et au Niger en général.

Travaux cités                                       

Bastide, Raymond. Sociologie des maladies mentales. Paris : Gallimard, 1969.

Balandier, George. Afrique ambigüe. Paris : Presses Pocket, 1983.

Durkheim, Emile. Les formes élémentaires de la vie religieuse. Paris : Le livre de poche, 1991.

———« Représentations individuelles et représentations collectives », Revue de métaphysique et de morale, Tome IV 1898

Freud, Sigmund et Breuer J. Etudes sur l’hystérie. Paris :  PUF, 1956,

Goffman, E. La mise en scène de la vie quotidienne1 : la présentation de soi. Edition de Minuit, 1973.

Hanus, M. et Marchal, V. Psychiatrie et soins infirmiers, Paris : Maloine, 2002.

Herzlich, C. Médecine, maladie et société, Mouton, Paris : La Haye.

————Santé et maladie, Analyse d’une représentation sociale, 1970

Hagenbucher-Sacripanti, F. Santé et rédemption par les génies au Congo : La médecine traditionnelle selon le mvulusi, Paris, 1982.

Jodelet, D. Les représentations sociales. Paris : PUF, 1989

Malinowski, Bronislaw. La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives. Paris : Payot, 1932.

Moscovici, S. La psychanalyse, son image et son public. Paris : PUF, 1961.

Stamm, A. Les religions africaines, Que sais-je ? France : PUF, 1995.

Tolra, L. P et Warnier J. P. Ethnologie, Anthropologie 3e édition, PUF, Février. 1997.

Quivy, R. et Van Campenhoudt, L. Manuel de recherche en sciences sociales. Paris : DUNOD, 1988.

Comment citer cet article :

MLA : Oumarou, Issoufou. «Représentations sociales du phénomène de « génie tchatcheur » en milieu scolaire à Zinder.» Uirtus 1.1 (août 2021): 134-147.


§ Université de Zinder, [email protected]

6 Il s’agit du niveau moyen où sont formés les agents de santé de base.

7 Etude sur le phénomène dit « génie tchatcheur » dans la communauté urbaine de Zinder(2010) à l’initiative de l’Hôpital National de Zinder

                                                                     

[3]  Lorsqu’une fille est possédée, on dit qu’elle est chevauchée par le génie.                                   

[4] Il s’agit d’un savant dont le fonctionnement de la méthode thérapeutique est semblable à celui du féticheur à la différence qu’il utilise le coran pour les consultations divinatoires et certains versets coraniques pour extraire la possession diabolique du patient. Quant au tradipraticiens ou radiothérapeute, il est un professionnel des soins fondés sur la tradition qui utilise les écorces et les feuilles des plantes dans la préparation des médicaments. Il réalise des décoctions ou des macérations et le médicament obtenu est prescrit principalement par voie orale, par lavement ou fumée.

[5] Le passage de l’enfance à l’adolescence est marqué par les développements physique et mental.