Résumé:Approche anthropologique de la compréhension de l’infanticide rituel en milieu yom au Bénin

Kouami Auguste Takpe §

&

Mora Abdoulaye Bénon

Résumé : L’infanticide estsouvent pratiquée par la communauté Yom. C’est un phénomène qui consiste à tuer les nourrissons jugés enfants sorciers. Aucun autre groupe socioculturel n’en est la source même si elle existe sous d’autres formes ailleurs. La présente recherche vise à analyser la problématique de la persistance du phénomène de l’infanticide rituel dans la communauté Yom. De nature qualitative, une approche méthodologique basée sur la recherche documentaire, l’observation et l’entretien avec 51 individus a été utilisés sur la base de la technique de choix raisonné et de boule de neige. Les approches stratégiques fonctionnalistes de B. Malinowki et le déterminisme de la sociologie de la déviance de A. Ogien ont servi à analyser les données. La recherche révèle que les enfants nés à huit mois par les fesses, la face tournée vers le ciel, commençant la dentition par la mâchoire supérieure, présentant des malformations visibles à la naissance sont considérés comme source de malédiction par la communauté. Il faut alors les éloigner par extermination physique pour que la paix règne dans la communauté.

Mots-clés : Pratiques, infanticide, enfants sorciers, communauté Yom, Copargo.

Abstract: Infanticide is often practiced by the Yom community. It is a phenomenon that consists of killing infants deemed to be witch children. No other socio-cultural group is the source of this practice, even if it exists in other forms elsewhere. The present research aims to analyze the problem of the persistence of the phenomenon of ritual infanticide in the Yom community. A qualitative methodological approach based on documentary research, observation and interviews with 51 individuals was used, using the technique of reasoned choice and snowballing. The strategic functionalist approaches of B. Malinowki and the determinism of the sociology of deviance of A. Ogien were used to analyze the data. The research reveals that children born at eight months by the buttocks, face up, beginning dentition through the upper jaw, with visible birth defects are considered a source of curse by the community. They must then be removed by physical extermination so that peace reigns in the community.

Keywords: Practices, infanticide, child witches, Yom community, Copargo.

Introduction

À un moment de leur histoire, les communautés Yom ont connu des pratiques qui portent atteinte aux droits fondamentaux de l’être humain dont l’infanticide rituel. Depuis des décennies, il a été écrit que l’infanticide est une pratique qu’on retrouve dans toutes les civilisations (Toko Maman 39). Les pratiques d’infanticide rituel persistent et violent de façon flagrante les droits humains, notamment le droit à la vie. 

Dans nombre de communautés septentrionales du Bénin, des individus transgressent les libertés fondamentales de l’homme, précisément ceux des enfants nouveau-nés ou ceux qui ne respectent pas les normes sociales en grandissant, sont exécutés » (Gbégnonvi 16). Ainsi, dans les communautés yom, certains enfants sont éliminés au nom d’une certaine tradition ancestrale selon laquelle « un bébé né puis grandissant de manière étrange, menace sa famille, son village, en apportant maladies et maléfices de toutes sortes pouvant entraîner la mort » (Avimadjessi 3).

Leur laisser la vie sauve, c’est méconnaître les règles et les normes de l’au-delà et encourir par conséquent la colère des ancêtres. Le remettre au bourreau pour lui permettre, par l’exécution de se réincarner, est donc un acte salvateur pour tout le village (Bio Samou 20). Le fondement de cette pratique réside dans la manière de percevoir et d’expliquer les phénomènes incompris au sein de ces communautés. C’est une perception renforcée par l’orgueil social en vigueur dans la hiérarchie familiale et développé dans certaines localités. « La pratique de l’infanticide est née dans les communautés aussi bien baatombu que yom. Aucune autre culture ou groupe socioculturel n’en est la source même si elle existe sous d’autres formes ailleurs » (Bio Bigou17).

La pratique de ce phénomène constitue un véritable crime contre l’espèce humaine. Selon lui, l’infanticide est pratiqué dans un souci de préservation de la paix, de la quiétude, fondée sur la superstition. Les enfants représentent un danger pour la société. « L’infanticide rituel n’est pas fait pour honorer un dieu comme c’est le cas dans les royaumes africains. Il s’agit plutôt de conjurer le mauvais sort qui menace la vie de la société à la naissance d’un enfant sorcier » (Mohamed 18). Malgré le fait que l’infanticide prive les enfants de leurs droits fondamentaux, peu d’actions d’envergure sont engagées pour éradiquer le phénomène.

Cette recherche vise à analyser la problématique de la persistance du phénomène de l’infanticide rituel dans la communauté Yom. De ce fait, il convient de faire ressortir les déterminants de l’infanticide et analyser les stratégies des ONG dans la lutte contre le phénomène.

  1. Cadre physico-social et méthodologique de la recherche

Les travaux de recherche sur le terrain ont été menés dans la communauté yom de la commune de Copargo. Les religions qui y sont pratiquées sont les religions traditionnelles, l’islam, le catholicisme, le protestantisme et autres assimilées au christianisme (Copargo). En effet, d’une superficie de 876 km2, la commune de Copargo est limitée au nord par les communes de Natitingou et de Kouandé., au sud-ouest par la commune de Ouaké, au Sud-Est par la commune de Djougou, à l’Ouest par la République de Togo. Sa population totale est d’environ 75.665habitants. Les principaux groupes socioculturels rencontrés dans la commune de Copargo sont Tanéka, Lokpa, Kabrè, Nyammi, Dendi Otamari, Bariba, et Yôm qui constitue les populations cibles de la recherche.

Les populations sont solidement attachées à leurs pratiques ancestrales malgré l’importation des religions révélées. Il existe un roi, des dignitaires de l’oracle Fa, un chef de terre qui officie les rites propitiatoires et les offrandes. C’est lui qui, avec l’ordre du roi, conjure d’éventuels malheurs qui surviendraient dans la communauté. Le roi incarne le pouvoir traditionnel hiérarchisé et joue un rôle non négligeable dans la prise de décisions dans le village. Les populations savent déjà ce qui peut souiller leur environnement raison pour laquelle la naissance d’un enfant dit sorcier sert d’offrande aux esprits mauvais. Chaque année, les cérémonies de prémices s’organisent et autres festivités se font pour l’équilibre de la communauté.

Pour parvenir à cette recherche, une approche méthodologique a été menée. Une recherche documentaire ayant pour une fiche de lecture indiquant les principaux ouvrages appropriés à consulter a été faite. Ensuite, l’observation directe a servi d’une grille d’observation pouvant aider à constater et de voir le phénomène. Enfin, l’entretien direct utilisant la grille d’entretien accorder l’interview aux populations ciblées pour la recherche. La recherche a couvert 51 individus avant d’atteindre le seuil de saturation. Ils sont les pères de famille, les mères d’enfants, les chefs de cultes endogènes, les chefs coutumiers, les responsables d’ong, les autorités locales, les leaders d’opinions et autres avec la technique de choix raisonné et de boule de neige. Les approches stratégiques fonctionnalistes de B. Malinowki et le déterminisme de la sociologie de la déviance de A.  Ogien ont servi à analyser les données.

  2. Résultats de recherche

2.1. Causes socio-anthropologiques de l’infanticide

Lorsqu’un enfant doit être physiquement éliminé à la naissance, il est évident qu’une telle situation constitue une grande perte pour les géniteurs. Et cette perte sera durement ressentie tant sur les plans physique, psychologique, moral qu’affectif. En effet, tout enfant est unique en son genre. Il est irremplaçable. Croire donc que des naissances futures constitueront une solution face à l’élimination physique d’un enfant n’est qu’une vue de l’esprit. Malheureusement, une telle solution n’a en réalité aucun effet sur la conscience des géniteurs qui se souviendront toujours de leur progéniture, même s’ils sont condamnés au mutisme.

Bien qu’ils en soient apparemment moins affectés par rapport aux géniteurs, les autres membres du groupe familial ne sont pas pour autant épargnés des conséquences de l’acte. L’élimination physique d’un enfant nouveau-né constitue pour eux aussi un deuil familial. Et lorsqu’on sait l’élan de solidarité qui anime tous les membres du groupe face au deuil, on ne peut pas dire qu’ils n’en sont pas affectés. Dans tous les cas, c’est une perte pour tout le groupe. Et la cause fondamentale qui sous-tend l’acte d’infanticide engendre parfois une psychose permanente sur toute la famille » (D. F. Instituteur, 41ans).

La croyance qui pousse à l’élimination physique des nouveau-nés considérés indésirables, accroît inéluctablement le taux de mortalité infantile dans toute aire culturelle relativement importante. Ainsi, à chaque cas d’infanticide, la population de la communauté diminue entraînant inéluctablement une décroissance de la population au niveau national. Aussi, comme l’ont certifié certaines personnes, « on ne connaît pas l’étoile de l’enfant qu’on vient de sacrifier. Il aurait été peut-être utile à sa communauté ou à son pays » déclare un instituteur natif de la localité.

2.2. Critères et manière d’élimination les enfants supposés sorciers

Dans les communautés yom, des critères connus permettent de déterminer les enfants sorciers à leur naissance, ou qui le deviennent à un moment donné de leur enfance. La grande partie des enquêtés connaissent les principaux critères qui font d’un enfant un sorcier. En effet, les personnes ressources constituées des responsables d’ONG, des sages et dignitaires connaissent, tous, les critères qui font d’un enfant, un être indésirable, un sorcier.

 Les enfants nés prématurément ou avec des dents, par les fesses, assis ou face contre terre est d’office qualifié de sorcier. Aussi, lorsque l’enfant commence la dentition par la mâchoire supérieure ou à huit mois est déclaré sorcier. C’est surtout la naissance prématurée à huit mois ou avec des dents et la poussée des premières dents par la mâchoire supérieure qui peuvent conduire la société à déclarer un enfant sorcier (G.K. Dignitaire de religion endogène, 71ans).

Le huitième mois est un mois dangereux ou mauvais. La communauté estime que le chiffre huit ne rime à rien. Ce chiffre correspond au mois d’août, la période d’inondation. Tous les enfants qui naîtront seront emportés par l’eau. C’est pourquoi, les enfants qui naissent ou font leur dentition à cette période sont jugés nuisibles. Ces critères ne sont pas exactement les mêmes dans toutes les régions concernées et qu’ils peuvent être légèrement nuancées d’un endroit à un autre.

2.3. Perception des acteurs sur les enfants sorciers

Le fondement pour lequel la communauté yom perpétue la pratique du rite de l’homicide est le respect scrupuleux des règles ancestrales qui stipulent que tout enfant qui ne respecte pas les normes de naissance prescrites par la société doit être absolument être mis à mort au risque de voir le malheur s’abattre sur la famille.

Aussi, la ferme croyance aux forces surnaturelles et la peur de déplaire aux ancêtres, malgré l’influence des religions importées telles que l’islam, le groupe socioculturel yom continue de perpétrer cette pratique. Les enfants qui subissent souvent le phénomène sont des enfants nés avec les dents, les enfants nés par les fesses ou par les bras ou les pieds et les enfants nés prématurément.

L’avis des acteurs sur les enfants supposés sorciers varie en fonction du rang socioprofessionnel qu’occupe chaque acteur dans la société. En ce qui concerne les élus locaux, beaucoup d’entre eux acceptent l’idée selon laquelle les enfants qui présentent les critères anormaux présentés plus haut, peuvent être dangereux et maléfiques. Mais elles reconnaissent tout de même de leur accorder un nom humain comme tous les enfants normaux. Même s’ils ont l’air normaux, ces enfants ont un esprit mauvais qu’ils ne contrôlent pas. C’est cet esprit qui cause les malheurs. Par contre, pour les responsables des structures de lutte contre la pratique, il n’y a aucune différence entre un enfant né « normalement » et un autre né « anormalement ». C’est un enfant sorcier qui n’est pas un monstre. C’est un enfant viable qui n’est ni un handicapé physique, ni un handicapé mental.

Pour les détenteurs des us et coutumes des Yom, les enfants qui naissent et poussent les dents en haut du mâchoire, perdent au moins l’un des parents dès la chute de l’une des dents. Ils vont plus loin pour démontrer que hormis des dents, les enfants qui naissent par les pieds sont des porteurs de malheurs non seulement aux parents géniteurs mais aussi à toute la communauté.

À cet effet, un dignitaire clarifie :

Un enfant né avec un handicap représente un malheur pour sa famille.  Dans l’entendement de la communauté, il n’y a qu’une seule manière de naître ou de pousser les dents. Un bébé qui naîtrait par le siège, l’épaule et autres n’est pas un être normal. C’est un mauvais génie qui doit être conjuré afin qu’il revienne sous un aspect plus acceptable. Il n’a rien de commun avec l’être humain, si ce n’est l’apparence. D’où ces surnoms d’être fabuleux, étrange, extraordinaire, etc. Il émane de cet enfant un esprit maléfique, une force dévastatrice. Le fait qu’il soit par exemple né face contre terre est interprété de la manière suivante : le bébé écrasera toute la famille, il en fera ce qu’il voudra (G.M., Gardien de tradition, 72ans).

La plupart des femmes interrogées portent également des jugements sur ces enfants dits sorciers. En effet, lorsque les enfants naissent avec des critères anormaux, ils attirent toujours le malheur sur leur famille. Nombre de femmes affirment que ces types d’enfants apparaissent dans des rêves et menacent de tuer la personne qui les aurait reconnus. Etant donné que le personnel sanitaire, les enseignants, les paysans et les chefs religieux appartiennent tous à un groupe sociolinguistique et culturel, ils ont également une appréciation sur les conséquences de la présence d’un enfant sorcier.

Les évolués de la communauté, pour la plupart approchés, ne sont ni figue ni raisin. Bien vrai qu’ils reconnaissent la perte en vies humaines, mais ils estiment que cette pratique relève de la culture de la communauté. En ce qui concerne une autre catégorie d’individus comme les agents de santé, le personnel de la justice et les responsables des ONG sont unanimes à condamner les phénomènes. Pour eux, l’âme humaine est sacrée. On doit respecter les droits de l’homme. Les agents prouvent que par des traitements les parents peuvent surmonter tout ce que la communauté considère comme tabou.

2.4.  Persistance du phénomène de l’infanticide

La plupart des personnes approchées reconnaissent que la pratique persiste bien qu’elle ait diminué d’ampleur. Elles avouent que tout le monde n’est pas prêt d’abandonner la pratique du phénomène à cause de son caractère sacré car elle est héritée des ancêtres. Malgré la répression par l’Etat, les communautés continuent la pratique. Elles s’accrochent à tradition. Une poche d’individus résiste aux répressions. Il faut reconnaître que de nos jours, les populations ne tuent plus les enfants sorciers. Elles préfèrent les donner aux Peulhs en échange avec des cadeaux tels que du bétail ou des vivres. Les enfants abandonnés clandestinement constituent en majorité la population des Gando[1].

Avec l’option prioritaire de la purification qui permet à l’enfant d’être accepté par son entourage et par sa société, une prise de conscience est en train de naître. Ce qui n’est pas le cas chez les femmes qui ont du mal à les accepter. Suivons les propos d’une cette femme :

Les gens ont dit que c’est moi qui ai donné naissance à cet enfant porte-malheur. Non, ce n’est pas moi. Ceux qui étaient là lors de mon accouchement auraient changé mon bébé. Je ne peux pas accoucher un enfant de ce genre. Ce n’est pas mon enfant (D. F. Mère paturiante.39ans).

En effet, peu d’entre elles reconnaissent que la pratique a diminué mais affirment qu’elles continuent dans la clandestinité. Par contre, elles admettent tout de même qu’on ne tue plus les enfants rituellement et que les bourreaux sont en train d’abandonner ce métier

Malgré les efforts fournis par les autorités et les populations en vue de l’éradication de l’infanticide rituel, il existe encore des poches de résistance dues notamment aux fondements qui sont indépendants de la volonté de celles-ci. Ils se résument en quatre principaux points : l’ignorance et l’analphabétisme des populations, le poids de la tradition, car les pratiques héritées des ancêtres s’abandonnent difficilement, la crainte du regard des autres et enfin le respect des prescriptions ancestrales pour ne pas les mettre en colère

C’est ce qui justifie la persistance de cette pratique au sein de la population Les autorités communales et les responsables d’ONG sont unanimes sur le fait que les différents facteurs énumérés plus haut sont les principales causes qui sous-tendent la persistance de l’infanticide rituel dans la communauté Yom..

3. Discussion           

Le rejet des enfants dits sorciers est fortement ancré dans les mentalités des populations. Depuis de génération en génération, cette croyance est transmise. Dès l’enfance, les jeunes sont largement informés sur la pratique. Cette croyance fait partie intégrante de leur éducation et de leur culture. Les ‘enfants dits sorciers qui ont massacré les familles sont expédiés pour mettre en garde ceux qui douteraient de leurs forces maléfiques.

Les critères les mieux connus sont la poussée des premières dents par la mâchoire supérieure, la poussée des premières dents à 8 mois et la naissance à huit mois est encore redoutée. Pour que les enfants qui ont développé les critères de sorcellerie soient tolérés, ils doivent subir un rite de guérison appelé sombu pour devenir être humain. Le concept sombu signifie la réparation qui est un processus au cours duquel l’enfant ayant été déclaré sorcier et qui, par décision de son entourage, n’est pas automatiquement voué à l’infanticide, doit subir une réparation. Elle se résume notamment à faire subir à l’enfant des rites particuliers qui feront qu’il sera accepté de nouveau accepté par sa famille.

Ce qui fait écrire A. Toko Maman (50) en ces termes :

 Les rites consistent en l’aspersion du corps de l’enfant par des décoctions d’herbes tout en faisant des incantations pour conjurer le mauvais sort et ‘’renvoyer le mauvais génie’’ de ce corps dans la nature ou le ‘’corps d’un animal sauvage. C’est seulement après cette réparation que la purification de l’enfant et celle de la famille intervient. C’est une cérémonie symbolique au cours de laquelle l’enfant est présenté à sa famille, comme un des leurs (un être humain), et qu’elle accepte à son tour, que l’enfant fasse partie de la communauté après avoir été « réparé ». La purification de la famille victime la rassure également quant au pardon des ancêtres pour avoir eu dans leur lignée un enfant sorcier/

La purification de l’enfant considéré comme sorcier est désormais la solution envisagée par la majorité des acteurs sociaux concernés même si tout le monde n’opte pas pour cette dernière. Pour cela, certains jettent simplement l’enfant.  L’évolution de la tradition dans le temps permet de constater que l’infanticide autrefois pratiqué sans équivoque est aujourd’hui remis en cause par les garants eux-mêmes.

L’infanticide est perçu une pratique consistant à éloigner par élimination physique un enfant déclarer sorcier au vu des normes qui régissent la procréation dans ce milieu. Elle est également considérée comme une légitime défense contre un être malsain qui veut détruire les siens. N’est-ce pas ce qui pousse à expliquer :

Dès qu’un enfant est déclaré sorcier, le chef de la collectivité va chercher le bourreau qui emporte le bébé qu’on ne reverra plus jamais. Le bourreau peut égorger l’enfant, le noyer, l’empoisonner ou l’abandonner vivant loin dans la forêt à la merci des intempéries et des bêtes sauvages (Gobi 54).

Par rapport à cela et à leur entendement, celui qui est appelé bourreau est plutôt un bienfaiteur, un libérateur, comme celui qui a le courage de tuer un monstre ou un diable menaçant tout le monde. Et ce libérateur est bien récompensé pour son œuvre. En effet, il reçoit un taureau lorsque l’enfant qu’il a exécuté est du sexe masculin, et une génisse lorsque l’enfant est du sexe féminin.

Dans d’autres régions, l’argent, des vêtements ou d’autres cadeaux lui sont offerts. La fonction de bourreau est définie par la communauté selon des règles bien établies. Ne devient pas bourreau qui veut. Pour l’être, il faut nécessairement être issu du milieu, être connu comme une personne qui respecte l’autorité et la culture.  Il faut également subir un rite d’initiation afin de connaître les secrets des plantes, de la forêt et pour être en contact avec les génies. Le rôle du bourreau n’est pas l’apanage d’une famille particulière. Ce sont les garants de la tradition qui choisissent ce dernier en fonction des critères énumérés plus haut.

Malgré l’évolution de la société traditionnelle qui est entrée en contact avec d’autres sociétés, ce peuple continue de faire persister certaines pratiques ancestrales telles que l’excision et l’infanticide car leurs us et coutumes sont élaborés de manière à protéger la société (Adoukonou 45). Au nombre de celles-ci, il y a l’élimination des enfants dits sorciers. La tradition exige qu’ils soient sacrifiés. Les enfants malchanceux sont alors confiés à des réparateurs qui peuvent décider de leur fracasser le crâne contre un tronc d’arbre ou par tout autre moyen.

Le rejet des enfants sorciers est fortement ancré dans les mentalités des populations. Depuis des décennies, et de génération en génération, cette croyance est transmise. Dès l’enfance, les jeunes sont largement informés sur la pratique. Cette croyance fait partie intégrante de leur éducation et de leur culture. Des exemples mythiques d’enfants sorciers qui ont massacré les familles sont trouvées et donnés pour mettre en garde ceux qui douteraient de leurs forces maléfiques. Le résultat est bien probant (Avimadjessi 5).

Pour lutter contre cet état d’âme de la population, les conservateurs de la tradition, les autorités locales ainsi que les responsables ONG manifestent une volonté ferme de lutter contre cette pratique et ce, malgré le caractère cultuel et sacré du phénomène. Le fondement de cette pratique réside dans la manière de percevoir et d’expliquer les phénomènes incompris au sein de la communauté Yom. C’est une perception renforcée par l’orgueil social en vigueur dans la hiérarchie familiale et développé dans certaines localités.

La lutte proprement dite contre ce phénomène n’est pas bien huilée dans la communauté. La loi qui réprimande le phénomène n’est pas bien appliquée à sa juste valeur sinon on aurait pu éradiquer cette pratique à l’instar des mesures prises par l’Etat contre l’excision partout au Bénin.  Toutefois, avec la thérapie moderne, la construction des centres de santé et des maternités dans chaque hameau, le phénomène d’enfant dit sorcier n’est plus légion dans les contrées comme cela s’observait dans la communauté.

Le vaste dossier de l’infanticide n’a certainement pas été épuisé au cours de cette recherche. Il n’a pas été non plus question de faire le procès des peuples et des ethnies qui ont pratiqué ou qui la pratiquent encore, car à voir les choses de près, on pourrait, sans grand risque de se tromper, dire que ces peuples et ces groupes socioculturels sont finalement victimes d’un passé qui continue de s’imposer douloureusement à eux. C’est donc l’effort de tous les êtres humains, de tous les pays, qui délivrera ces peuples et sauvera les enfants encore menacés. Les lois et la force de l’État doivent se manifester sans complaisance dans ce combat.

Conclusion

Les travaux de recherche menés sur la problématique de l’infanticide rituel dans la communauté Yom ont permis de constater que le phénomène semble avoir disparu.  Mais ce n’est qu’une apparence perceptible dans les grandes agglomérations. Dans la réalité, même si la pratique a diminué d’ampleur, elle persiste dans d’autres cadres avec des stratégies plus affinées car, il existe toujours chez les Yom conservateurs de la tradition. Sur le terrain, plusieurs formes de lutte contre cette forme d’infanticide sont en train d’être menées.

Le principal fondement pour lequel la communauté Yom perpétue cette pratique est le respect scrupuleux des lois ancestrales qui stipulent que tout enfant qui ne respecte pas les normes de naissance prescrites par la société doit être absolument être mis à mort au risque de voir le malheur s’abattre sur la famille. Aussi, la ferme croyance aux forces surnaturelles et aux ancêtres, malgré l’influence des religions importées telles que l’islam et le christianisme, continuent-elles d’être perpétrer par les Yom.

L’Etat ne s’implique pas comme il le faut dans la lutte contre ce fléau qui est toujours d’actualité. On ne saurait sensibiliser la population sur la pratique de l’infanticide au nom des progrès de la médecine sans accroître la création des centres de santé dans les localités où il n’en existe pas encore. Ce devoir revient aux pouvoirs publics et aux structures privées. Les communautés sont finalement victimes d’un passé qui continue de s’imposer douloureusement à elles. La sensibilisation à tous est la principale stratégie à utiliser par les structures de lutte, les ONG, les autorités communales et religieuses contre cette pratique coutumière.

Travaux cités

Adamou, Said. Les fondements socioculturels de l’infanticide rituel en milieu Baatonu: à propos des résultats d’une enquête effectuée dans la sous- préfecture de N’Dali, Thèse de formation pour l’obtention du diplôme d’Etat d’Assistant Social, ENAS, UNB, 1999.

Adoukonou, Vitalien. Contribution   aux   stratégies   de communication pour l’éradication de l’infanticide rituel en milieu Baatonu de Bori,  commune   de   N’dali,   Thèse en Communication et Journalisme, 2007.

Avimadjessi, Denis« On  tue  vos  enfants sous  vos  yeux, infanticide rituel: le cas du Benin », Reportage journalistique, Cotonou, 2004.

Bio Bigou, Bani Léon « Les classes sociales Ganno et MareYo en milieu baatonu: comment et pourquoi des enfants sont liquidés ou exilés ?», Forum de la semaine hebdomadaire d’information générale. 209 (1994) : 11-14.

Bio Sanou, Paul. « Quelle place dans la société des Bariba pour les enfants dits sorciers » dans Acte du séminaire sur l’Infanticide rituel au Bénin, (1987) : 25-37.

Gbegnonvi, Roger. « Les droits de l’enfant à la vie et à la famille et les pratiques coutumières au Bénin » dans Actes du séminaire national, (1995) : 23-28.

Gobi, Amadou. Pratiques coutumières et droits de  l’homme  au  Bénin, mémoire DEA en Sciences Juridiques, FASJEP, UAC,2002.

Mohamed, Alassane. « Infanticide rituel : ses origines et ses causes », dans Rapport du séminaire sur l’infanticide rituel au Bénin. (1997) : 15-22.

Tevoedjre, Ephrem. Introduction au rapport sur l’infanticide au Bénin, 1997.

Toko Maman, Abdoulaye. « Les conséquences juridiques de l’infanticide rituel » dans Rapport du séminaire sur l’infanticide rituel au Bénin, (1997) : 47-54.

Comment citer cet article :

MLA : Takpe, Kouami Auguste et Mora Abdoulaye Bénon. «Approche anthropologique de la compréhension de l’infanticide rituel en milieu yom au Bénin.» Uirtus 1.1 (août 2021): 88-99.


§ Université d’Abomey-Calavi, [email protected]

[1] Gando : ce sont des groupes socioculturels issus des peuples Baatombu, Lokpa, Yom, etc. échappés au phénomène de l’infanticide rituel  des enfants présumés sorciers et qui sont récupérés par la Peuhls.

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