Résumé (Criminalité à moto dans les villes d ‘Abidjan et de Bouaké)

Komenan Raphael Ya,§

N’da Joseph Dakon

&

Kafé Guy Christian Kroubo

Résumé : La violence urbaine perpétrée par des individus à moto est un phénomène nouveau en Côte d’Ivoire. Et pourtant, les ivoiriens, jusqu’à la rébellion armée de 2002, privilégiaient les déplacements en voiture et quelques rares fois sur des motos en vertu des présupposés de l’époque, qui voyaient l’usage des engins à deux roues comme synonyme de pauvreté. Petit-à-petit, l’usage de la moto comme moyen de déplacement va insidieusement se disséminer dans le comportement des populations. Hormis les accidents de la circulation auxquels ces nouveaux voltigeurs seront exposés à longueur de journée, l’usage de la moto va favoriser une nouvelle forme de criminalités. Ces délinquants munis d’armes blanches et quelques fois d’armes à feu, agressent les populations avec une violence inouïe pour s’approprier leurs biens et se fondent dans la nature sur leurs engins à deux roues. Les objectifs de cette étude sont de montrer l’existence effective du phénomène de vol à moto et l’urgence de le traiter afin d’éviter qu’il s’enracine dans la société ivoirienne comme ce fut le cas des « enfants en conflits avec la loi ». Pour atteindre ces objectifs, les outils de collecte de données relevant des approches quantitatives et qualitatives notamment, la recherche documentaire, l’entretien et le questionnaire ont été convoqués et les résultats montrent bien que le phénomène des voleurs à moto est une réalité qui créée l’émoi chez les populations.

Mots-clés : Violence urbaine, Moto, Délinquants, Criminalité, le Sentiment d’insécurité.

Abstract: Urban violence perpetrated by individuals on motorcycles is a new phenomenon in Côte d’Ivoire. And yet, Ivorians, until the armed rebellion of 2002, favored travel by car and sometimes on motorcycles under the presuppositions of the time, which saw the use of two-wheeled vehicles as synonymous with poverty. Little by little, the use of motorcycles as a means of transportation will creep insidiously into the behavior of populations. Aside from the traffic accidents to which these new acrobats will be exposed all day long, the use of motorcycles will encourage a new form of crime. These delinquents, armed with knives and sometimes with firearms, attack populations with incredible violence to appropriate their property and base themselves in nature on their two-wheeled machines.

The objectives of this study are to show the effective existence of the motorcycle theft phenomenon and the urgency of treating it in order to prevent it from taking root in Ivorian society, as was the case with « children in conflict with the law « . To achieve these objectives, data collection tools relating to quantitative and qualitative approaches in particular, documentary research, an interview and a questionnaire were called in and the results clearly show that the phenomenon of motorcycle thieves is a reality that creates turmoil among the populations.

Keywords: Urban violence, Motorcycle, Delinquents, Crime-Sense of insecurity.

Introduction

La violence urbaine perpétrée par des individus sur des engins à deux roues est un phénomène nouveau en Côte d’Ivoire. En effet, l’usage de la moto comme moyen de déplacement est très récent. Les Ivoiriens privilégiant les déplacements en voiture et quelques rares fois à moto en vertu des présupposés de l’époque, imprégnés de morale victorienne qui assimile (De Montclos, 2004) l’usage de la moto à la pauvreté.

C’est avec la rébellion armée des années 2002 que l’usage de la moto comme moyen de déplacement est rentré insidieusement dans les habitudes des Ivoiriens. Parti de Bouaké, ville du centre du pays qui a abrité le quartier général, l’usage de la moto a gagné, petit-à-petit, tout le pays. Jadis utilisé quelques fois en milieu rural, la moto est aujourd’hui, un des moyens de déplacements privilégiés par la population ivoirienne. Elle est présente sur toutes les routes ivoiriennes et les grandes agglomérations comme Abidjan, la capitale économique. Daloa, San-Pedro et Korhogo ne sont pas en reste. Toutes les couches socio-économiques y ont adhéré notamment, les jeunes.

Hormis les accidents de la circulation auxquels ces motocyclistes sont exposés à longueur de journée dans la ville d’Abidjan, il y a un autre phénomène qui commence à prendre de l’ampleur. Il s’agit des braquages à moto qui deviennent de plus en plus fréquents. En effet, l’émergence de ce phénomène s’opère sous les couleurs, très particuliers, de l’insécurité (Pottier et Robert, 1997) et favorise cette nouvelle forme de criminalité. Ces délinquants munis d’armes blanches et quelque fois d’armes à feu, agressent les populations avec une violence inouïe pour s’approprier leurs biens, créant ainsi l’émoi chez les Abidjanais (Crizoa, 2019).

Après leur forfait, ils s’évanouissent dans la nature. En effet, à l’aide de leur moto, ces criminels se faufilent entre les véhicules bloqués dans les embouteillages, déambulant entre les ruelles des quartiers inaccessibles en voiture. Ils empruntent également des voies non-bitumées ou encore des pistes caillouteuses pour échapper aux forces de l’ordre qui ne disposent pas toujours de moyens adaptés pour cette forme de criminalité urbaine. S’il n’existe pas de statistiques fiables en la matière, le sentiment d’insécurité lui est une réalité, une émotion personnelle qu’il faut considérer (Rouleau, 1997).

On le voit, la pratique n’est pas propre à la seule ville d’Abidjan. Mais, c’est elle qui semble enregistrer le plus grand nombre de cas en la matière, ainsi que le laissent croire les nombreuses plaintes quotidiennes à ce propos. Aucun quartier n’y échappe, des communes les plus huppées de Cocody aux bourgades d’Abobo, tous sont impuissants devant ce phénomène de vol à moto.

Cette étude qui se présente comme une contribution au débat public sur le vol à moto en Côte d’Ivoire, singulièrement, à Abidjan et Bouaké, a pour objectif de comprendre le phénomène afin d’ouvrir des pistes de réflexions pour lutter efficacement contre ses impondérants sur les populations. C’est pourquoi, elle cherche à répondre aux interrogations suivantes :

  • Qui sont ces criminels ?
  • Quel est leur mode opératoire ?
  • Pourquoi les forces de sécurité ne réussissent-elles pas à cerner leurs actions ?

Cette étude s’inscrit dans deux grilles d’analyse théorique. La théorie du choix rationnel (Cusson, 2004) et la théorie des opportunités criminelles (Rengert, 1994 ; Ouimet, 2000). Dans le premier modèle, le sujet n’est pas un être passif, mais plutôt un acteur agissant. Le délinquant apparait comme un acteur qui prend des décisions, élabore des stratégies, poursuit des fins, choisit des moyens disponibles. La rationalité permet d’expliquer pourquoi la criminalité à moto dans les villes d’Abidjan et Bouaké s’est beaucoup développée.

Dans la deuxième théorie, la criminalité est déterminée par la convergence entre des délinquants motivés, des cibles intéressantes et l’absence de gardiens efficaces (Rengert, 1994 ; Roche et al., 2000). Notre analyse va prendre en compte les différents aspects de la réalisation de la criminalité à moto, les opportunités et circonstances.

Pour sa bonne compréhension, la démarche débutera par la méthodologie utilisée avant de présenter et de discuter les résultats obtenus.

1. Méthodologie

La méthodologie de cette étude est structurée en trois parties, à savoir, le terrain d’étude, la population d’étude, la méthode de collecte et de traitement des données.

1.1. Terrain d’étude

Le choix du terrain d’étude a été fait à partir d’un suivi de la presse nationale sur le reportage des vols à la tire et les braquages avec des criminels identifiés comme étant à moto. Il s’agit des villes d’Abidjan et de Bouaké.

Figure1 : Localisation des zones d’étude

Respectivement capitale économique du pays et chef-lieu de la région du Gbêkê ou encore capitale du Centre, Abidjan et Bouaké constituent les deux plus grandes villes de la Côte d’Ivoire.   Tandis que la ville d’Abidjan se situe au sud au bord du Golfe de Guinée, Bouaké est situé au centre, dans la vallée du Bandama, sur la voie ferrée Abidjan-Niger, à 350km environ au nord d’Abidjan et à 100 kilomètres au nord-est de Yamoussoukro, la Capitale politique.

La ville d’Abidjan forme avec les Sous-Préfectures d’Anyama, de Brofodoumé, de Bingerville et de Songon, le District Autonome d’Abidjan tandis que les départements de Bouaké de Botro, Sakassou et Béoumi forment la région du Gbêkê.  

Si la ville d’Abidjan représente, à elle seule, 20% de la population de la Côte d’Ivoire avec plus de 4 395 243 d’habitants et environ 60% du produit intérieur brut (PIB), la ville de Bouaké couvre une superficie de 2700 hectares avec une population d’environ 681 000 habitants. Sur le plan économique, Bouaké joue un rôle indéniable dans la constitution du PIB du pays dans la mesure où elle abrite 10% des industries (AMOATTA, 2017) et reste, malgré les meurtrissures de la rébellion armée dont elle fut le bastion, la troisième économie du pays après Abidjan et San-Pedro avec une contribution au PIB de l’ordre de 3 %.

Ainsi, les villes d’Abidjan et de Bouaké restent des plus grandes agglomérations du pays avec un potentiel socio-économique et démographique important. Cependant, la criminalité à moto, telle que décrite par la presse en ligne et les réseaux sociaux, tente de s’inscrire définitivement dans l’agenda des faits sociaux (POTTIER et ROBERT, 2017).

1.2. Méthode de collecte des données

Pour atteindre l’objectif de l’étude, l’échantillon d’enquête a été constituée sur la base des couches socio-professionnelles susceptibles d’aider à la compréhension du phénomène. Ainsi, 78 individus répartis dans le tableau policiers 1, ont accepté de participer à cette étude.

Tableau : Echantillon de la population d’étude

Source : Enquête menée sur le terrain et dans la presse du 1er mars au 19 mai 2021.

L’enquête s’est déroulée en deux phases. La première s’est tenue dans la ville de Bouaké du 1er au 6 mars 2021 et la seconde à Abidjan du 23 mars au 19 mai 2021.  L’approche a été mixte à savoir qualitative et quantitative et mobilisé les outils de collecte de données relevant de ces deux approches à savoir, l’entretien, le questionnaire et la recherche documentaire.

L’entretien et l’administration du questionnaire ont été effectués grâce à un guide d’entretien et un questionnaire avec des questions fermées et des questions ouvertes. Cette approche mixte a permis de réaliser des statistiques et de disposer des informations qualitatives pour la compréhension du phénomène. Quant à la recherche documentaire, elle s’est effectuée par une observation de la presse nationale en ligne et par la consultation des réseaux sociaux et des pages officielles des Organismes gouvernementaux en charge de la sécurisation des biens et des personnes notamment, celle de la Direction Générale de la Police Nationale de Côte d’Ivoire (DGPN), et celle de la Gendarmerie Nationale de Côte d’Ivoire.

L’échantillonnage volontaire a été privilégié afin de s’assurer que les enquêtés répondaient aux critères de participation à savoir, avoir une connaissance du phénomène des vols à la tire et braquage à moto.

1.3. Méthode de traitement des données

Le traitement des données a fait appel à la méthode d’analyse quantitative et qualitative. 

En effet, les fiches d’enquête et les guides d’entretien comportaient un volet permettant l’identification de certains enquêtés, à savoir, les victimes et les auteurs de ces actes criminels. Cette identification a permis d’exploiter les statuts des deux composantes pour établir des statistiques grâce au logiciel Excel. Il s’agit du sexe, de l’âge, de la nationalité, du niveau d’instruction et de la situation socio-professionnelle.

Le questionnaire quant à lui comportait également un volet qualitatif de même que le guide d’entretien. Les réponses à ces interrogations ont aidé à comprendre les modes et les techniques élaborés par ces criminels pour échapper aux forces de l’ordre et à la furie des populations qui sont prêtes à en découdre avec eux.

La combinaison de ces deux méthodes a été facilitée par le logiciel MAXQDA qui offre des avantages d’analyse de données non structurées notamment des entretiens, des discussions de groupes et des fichiers sonores. Les résultats ainsi obtenus ont été présentés et discutés.

2. Résultats

Il s’agira de présenter les caractéristiques des délinquants à moto, de voir leur mode opératoire avant de faire montrer l’ampleur que ce type de criminalité prend en Côte d’Ivoire.

2.1. Caractéristiques des délinquants à moto

Les délinquants à moto appréhendés ou abattus sont tous de sexe masculin. Ils sont en majorité âgés de 25 à 35 ans (48.57%) dont 48% à Abidjan et 50% à Bouaké.  Ils sont suivis par ceux âgés de 15 à 25 ans qui représentent 28.57% dont 28% à Abidjan et 30% à Bouaké.

Ces criminels les plus âgés (plus de 35 ans) représentent 22.86% dont 24% à Abidjan et 20% à Bouaké. 

Source : Enquête menée sur le terrain et dans la presse du 1er mars au 19 mai 2021.

60% de ces criminels sont des étrangers provenant de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). 31.43% d’entre eux sont des Maliens avec 30.43% à Abidjan et 31.43% à Bouaké. Ceux-ci sont suivis des Burkinabés qui représentent 25.71% dont 17.39% à Abidjan et 41.67% à Bouaké. 2.86% d’entre eux proviennent d’autres nationalités et ont tous été appréhendés ou abattus à Abidjan.

Cependant, les Ivoiriens constituent une forte représentation avec 40% de ces criminels dont 47.83% à Abidjan et 25% à Bouaké.

Source : Enquête menée sur le terrain et dans la presse du 1er mars au 19 mai 2021.

Qu’ils soient à Abidjan ou à Bouaké, ces criminels utilisent le même mode opératoire pour atteindre leurs objectifs.

2.2. Mode opératoire

Il faut distinguer le mode opératoire des grands bandits de celui du vol à l’arraché.

2.2.1. Mode opératoire des grands bandits à moto

Les grands bandits à moto opèrent à deux sur la même moto. Il peut s’agir d’un gang constitué d’une moto ou de deux et/ou trois motos différentes. Ils ont pour cible, des personnes entrant ou sortant des établissements financiers, banques ou commerces pour y effectuer des opérations financières. Une fois la cible identifiée, ils accostent cette dernière et sous la menace de leurs armes à feu, les dépossèdent de leur argent et disparaissent dans la nature à bord de leur moto. Ils ne tardent pas à ouvrir le feu sur leurs victimes quand celle-ci tentent de résister. Ainsi, par exemple, le vendredi 27 mars 2020, des bandits à bord d’une moto, ont ouvert le feu sur deux employés de la société SABIMEX dans la commune de Marcory. Ces employés se rendaient dans un établissement financier à bord de leur véhicule pour y faire un versement. Les malfrats à moto ont ouvert le feu sur eux, les blessant grièvement avant d’emporter la somme de 40 millions de FCFA appartenant à la ladite entreprise (Kioshiko, 2020)

Ces braqueurs à moto opèrent souvent avec la complicité de personnes qui connaissent les victimes. Les malfrats alors guetteront la cible et attendront le moment opportun pour agir. Dans ce schéma,en effet, à la suite d’un braquage qui a eu lieu le jeudi 24 juin 2021 dans une entreprise de cosmétique à la zone industrielle de Yopougon ; braquage au cours duquel 8 millions ont été emportés par 02 individus à moto, un employé de l’entreprise a été interpelé et a reconnu avoir été l’initiateur de ce braquage.

Certains de ces bandits spécialisés dans le braquage à moto sont recrutés depuis l’étranger (Kouassi, 2020), pour commettre ces actes criminels sur le territoire ivoirien. C’est ainsi que les membres d’un gang affirment devant les éléments de la police nationale après avoir été appréhendés qu’ils sont « venus en Côte d’Ivoire à la demande de OUEDRAOGO A. pour perpétrer des vols à mains armées à moto. » Ils ont affirmé avoir conduit plusieurs opérations et emporté notamment, 20 millions de FCFA au préjudice d’un opérateur économique dans la commune du Plateau qui revenait du siège d’un établissement financier de la place dans le quartier des affaires ; 40 millions au préjudice d’une entreprise située dans la Commune de Marcory ; 06 millions au préjudice d’un ressortissant Indien et des sommes d’argent arrachées à leurs propriétaires, notamment au terminus 81/82 à Angré et au Vallon dans la Commune de Cocody et au grand marché de la Commune d’Adjamé » (DGPN, 2020).

2.2.2. Mode opératoire du vol à l’arraché à moto

Le mode opératoire du vol à l’arraché diffère de celui des grands bandits à travers l’identification de la cible et de l’objet convoité.

En effet, le vol à l’arraché à moto est opéré généralement par deux ou trois individus sur une ou deux motos. Ils sillonnent les différents quartiers de la ville à la recherche d’une éventuelle victime. Toujours à l’affût, ils observent les passants et prennent pour cible celui ou celle qui a le profil « victimologique » le plus élevé. Soit elle a « le nez fourré » dans son téléphone portable, soit une jeune dame seule qui s’apprête à descendre d’un taxi en commun ou encore qui est accompagnée jusqu’à un certain niveau de son parcours, soit encore un individu qui circule seul à moto ou à pied. Ainsi, ils s’approchent de la personne ciblée par l’arrière ou de face et, par l’effet de surprise, arrachent violemment l’objet convoité avant de démarrer à vive allure leur moto. « Parfois même, étant dans votre véhicule ou dans un taxi en communication avec les vitres du véhicule baissées, ils s’approchent de vous et profitent d’un moment d’inattention pour arracher de force le sac ou le téléphone à portée de main. Vous n’allez jamais les voir venir », s’exclame Monsieur Koutouhan, opérateur économique à Abidjan. 

Dans d’autres cas, les agresseurs, toujours à moto, descendent au niveau de la victime, feignant de déposer l’un des leurs. Très vite, ils encerclent la victime et la menacent avec des armes blanches, principalement, des couteaux. En cas de refus d’obtempérer de la part de la victime, les malfrats n’hésitent pas à la poignarder. Sitôt, l’objet convoité obtenu, ils décampent des lieux avec leur moto.

Ces quidams qui sont pour la plupart des jeunes garçons, n’hésitent pas à ouvrir le feu, ou à taillader à la machette, toutes victimes ou passants qui osent s’opposer à leurs actes. Ils traumatisent ainsi les populations et aucune commune n’y échappe. A la Riviera Palmeraie, un quartier huppé d’Abidjan dans la célèbre commune de Cocody, « plus d’une dizaine de fois, nous avons assisté à des pleurs et des lamentations surtout des dames et jeunes filles. Le sac à main ou le téléphone portable de celle-ci ont été arrachés par des individus à moto sous le regard des passants qui n’ont pu les défendre de peur d’être eux-mêmes, pris pour cible par ces malfrats motorisés » (Grace, 2021) et armés.

Que ce soit la journée ou la nuit ces bandits motorisés ne ratent aucune occasion de faire une victime. Le temps pour vous de vous en rendre compte, ils ont disparu. Si la victime résiste, alors, elle est agressée à l’aide de machettes, de couteaux, de gourdins et quelques fois d’armes à feu.

A Abidjan, les lieux de prédilection sont les ruelles des quartiers ou sous quartiers ou la circulation est moins intense. Ce qui est totalement diffèrent de la ville de Bouaké ou ces malfrats ont une préférence pour les grands axes de la ville. Comme le disait une enquêté, « Il est devenu difficile d’utiliser son téléphone portable aujourd’hui dans les rues de Bouaké, de peur de se le faire arracher », Koné F, étudiante en licence 3 de droit à l’Université Alassane Ouattara.

2.2.3. Mode opératoire des braquages de motos à moto 

Le mode opératoire des braqueurs de motos à moto est aussi diversifié que leur stratégie d’opération. Il commence par repérer la cible qui est généralement les livreurs de marchandises à moto et les motards circulants dans des zones males éclairées à Abidjan et Bouaké. Après avoir identifié la cible, elle est pourchassée par une ou deux motos des braqueurs. Une fois au niveau de la victime, la moto de ce dernier est violemment percutée à l’arrière par un des braqueurs. Une fois la victime au sol, si sa moto se renverse, ou si celle-ci s’arrête pour constater l’accident, elle est très vite accostée par le gang qui la menace ou l’assène de coups de machettes et récupère, sa moto pour disparaitre dans la nature.

Selon le témoignage de Serge, livreur de divers articles à moto et étudiant en master 2 de science économique et de gestion à l’Université Felix Houphouët-Boigny, il a été victime d’un braquage par des individus à moto dans la nuit du mercredi 23 au jeudi 24 septembre 2020, aux environs de 21 heures sur la voie de la Corniche dans la commune de Cocody à Abidjan :

Quelques minutes après avoir emprunté la Corniche, j’ai aperçu à travers mes rétroviseurs que deux motocyclistes me suivaient. Pour les semer, je me suis mis à accélérer. Quant au détour d’un virage, venait en face de moi, à vive allure, un autre motocycliste. Arrivé à non-niveau, celui-ci m’a bousculé avec son pied et je suis tombé. A cet instant, l’un des occupants des deux motos qui me suivaient est descendu pour s’emparer de ma moto. Ils sont partis tous les trois, ensemble avec ma moto. Je venais ainsi de réaliser que ceux qui me suivaient étaient deux sur leur moto, et étaient aussi les complices de mon agresseur.

Ce témoignage a été confirmé par une vidéo qui a circulé et qui continue de circuler sur le réseau social officiel de la DGPN dénommé « Police Secours » le samedi 21 août 2021. Cette vidéo montre un livreur à moto se faire braquer par deux individus à moto, en plein après-midi dans la commune de Cocody. L’opération de braquage a duré de 17 heures 20 minutes 49 secondes à 17 heures 21 minutes et 15 secondes soit 26 secondes. Il a donc suffi de 26 secondes pour opérer et disparaitre avec la moto du livreur. Ce qui montre la rapidité avec laquelle ces braqueurs opèrent.  

Les différents modes opératoires peuvent être combinés pour fait naitre chez les populations, un sentiment d’insécurité et semer la terreur et la psychose dans les cités ivoiriennes notamment celles d’Abidjan et de Bouaké.  La moto devient ainsi le moyen de déplacement privilégié par les délinquants pour écumer les magasins, les domiciles et les autres lieux de fréquentation. Ce qui montre l’ampleur du phénomène tel que relevé dans la discussion des résultats.

3. Discussion des résultats

Réalisée sur un échantillon de 78 individus comprenant des conducteurs de motos incriminés, des victimes et des agents de justice, cette étude a montré que la criminalité à moto est une réalité dans les villes d’Abidjan et de Bouaké. En effet, il ne se passe une journée sans que des usagers ne déposent une plainte dans un commissariat ou une brigade de gendarmerie. Les réponses des enquêtés et davantage, celles des mototaxis ont révélé que les vols à l’arraché et les braquages de motos à motos qui constituent l’essentiel de cette activité criminelle sont en pleine expansion. Ces individus véreux opèrent très vite et disparaissent dans la nature en un rien de temps. Ils attaquent par surprise ou de façon frontale, sous la menace d’armes à feu, armes blanches et autres objets contondants, matent leurs victimes et les dépouillent de biens matériel et financier. Leurs cibles, des personnes entrant ou sortant des établissements financiers, banques ou commerces ou des individus commettant l’imprudence de tenir leur sac ou appareils à portée de main. Ils s’en prennent aussi à des paysans venant de vendre leur récolte. Ces braqueurs à moto dont certains sont recrutés depuis l’étranger, opèrent souvent avec la complicité de personnes qui connaissent les victimes. Parfois à deux ou trois individus sur une ou deux motos, ils sillonnent les différents quartiers de la ville à la recherche d’une éventuelle victime.

A ce niveau de l’analyse la théorie du choix rationnel (Cusson, 2004) et la théorie des opportunités criminelles (Rengert, 1994 ; Ouimet, 2000) sont vérifiées. En effet, les criminels à moto apparaissent comme des acteurs qui prennent des décisions, élaborent des stratégies, poursuivent des fins, choisissent des moyens disponibles pour opérer. Mieux ils agissent dans des circonstances qui rendent possibles leurs actes délictueux, s’attaquant à des cibles intéressantes et faiblement protégées. Ces résultats attestent ceux obtenus par Dehbi (2017), qui décrit le vol à l’arraché comme un « art » qui exige une grande dextérité et un don pour détourner l’attention de la victime. C’est aussi l’avis du criminologue Cusson (2006) qui envisage la possibilité que l’activité délinquante résulte d’un « choix rationnel » des individus, sans nier pour autant l’influence des facteurs psycho-sociologiques (personnalité associable, vie festive en bandes). Ce qui confirme l’objectif de cette étude qui est de comprendre le phénomène de vol à motos et de décrire les stratégies des délinquants. Par ailleurs, l’ampleur de ces phénomènes urbains dans les villes d’Abidjan et de Bouaké met à rude épreuve les systèmes étatiques de sécurité. Il altère le capital social, fait obstacle à la mobilité sociale, érode peu à peu la confiance des populations envers les forces de défense et de sécurité notamment, la police et la gendarmerie et dresse un mur entre les populations tétanisées et l’ordre établi (Serafin et Deely, 2010). La peur et l’angoisse produits par la persistance d’un tel phénomène font naître chez les populations un sentiment d’insécurité généralisé. Les enquêtés ont rapporté des cas isolés des lynchages et autres pratiques illicites nées de la justice populaire.

En termes d’intervention, il faut le plus rapidement possible circonscrire ce phénomène afin d’éviter qu’il fasse école, de plus en plus, auprès de jeunes criminels. En effet, le crime organisé peut être mieux combattu si la lutte ne se concentre pas sur les activités de la criminalité organisée à un moment donné, mais sur sa structure et ses modalités d’action (ONUDC, 2012). C’est pourquoi, ces facteurs de risque doivent être neutralisés tôt pour donner plus de chances pour la maîtrise de ce phénomène. Cet engagement devrait être basé sur des stratégies multisectorielles et incorporées dans des projets de développement propres à chaque localité à travers les structures décentralisées notamment, les Conseils régionaux et les Mairies.

Au regard des résultats de cette étude qui a manqué d’évoquer les facteurs explicatifs des vols à motos pour s’étendre sur les tactiques criminelles et les stratégies des délinquants, ils conscientisent sur le besoin de sécurité des populations.

Conclusion

L’observation du phénomène de vol à moto à travers la ville d’Abidjan et celle de Bouaké affichent quelques caractéristiques communes révélées par les données empiriques. Ces données montrent dans un premier temps que ces groupes criminels commettent des infractions contre la propriété et sont principalement actifs dans le domaine des délits « ordinaires » contre la propriété. Dans un deuxièmement temps, ces criminels sont en majorité des étrangers originaires des pays de la CEDEAO. Ces données pourraient naturellement constituer des débats très sensibles et susciter des études contradictoires. Cependant, le fait est que les résultats de cette étude s’apparentent à ceux du Réseau Européen de Prévention de la Criminalité (REPC) qui montre que les voleurs à la tire en Europe sont pour la plupart originaires de l’Europe de l’Est, appelle que le phénomène soit regardé avec dextérité.

Bien entendu, tous les braquages, vols à l’arraché, vols de motos à motos et autres activités criminelles commises à l’aide d’engins à deux roues ne peuvent pas être attribuées aux seuls étrangers, ni indexer seulement les gangs de jeunes. Il est, généralement, commis par des nationaux qui se cachent derrière des comportements attribués au non-nationaux.

C’est pourquoi, l’objectif devrait être de sensibiliser le grand public et lui enseigner comment éviter d’être la victime de ce type de vol. Il conviendrait également d’encourager la population à la coopération avec les institutions étatiques en charge de la sécurisation des biens et des personnes dans le cadre de la police de proximité, cette politique inclusive de sécurité, efficace contre cette forme de criminalité.

Travaux cités

Amoatta, Koffi Guy, « L’industrie de Bouaké à l’ère de la nouvelle économie », In, Mediterranean Telecommunications Journal Vol. 7, N° 1, (2017), ISSN : 2458-6765

Crizoa, Hermann. « Délinquance juvénile à Abidjan aujourd’hui : une analyse causale du phénomène des « microbes » », In Sciences & Actions Sociales 2 (N° 12), (2019) : p. 161 à 172

Cusson Maurice. « Le crime, un choix rationnel ? » In Sciences humaines, Hors-série, n° 47, pratiques, 2004.

De Montclos, Marc-Antoine Pérouse. « Violence urbaine et criminalité en Afrique subsaharienne : un état des lieux », in Dans Déviance et Société, Vol. 28, (2004), pages 81 à 95

Dehbi C, Prévention du vol à la tire dans l’UE – politiques et pratiques, Boîte à outils du REPC, N° 11, EUCPN, 2017.

Direction Générale de la Police Nationale, « Lutte contre l’insécurité : La police criminelle démantèle un gang de braqueurs à moto », In fratmat.info, (2020),  https://www.fratmat.info/article/204694/

Grace, « Insécurité à Abidjan : les voleurs à moto continuent de sévir », In Opera News, 2021.

 Kioshiko, Kohan. « Côte d’Ivoire : fin de cavale pour un dangereux gang de braqueurs », In Cotedivoire.news, (2020), https://www.cotedivoire.news/faits-divers/50724/

Kostner Markus. « Violences urbaines : un problème d’ampleur épidémique », In La Banque mondiale, (2016), https://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2016/09/06/urban-violence-a-challenge-of-epidemic-proportions

Kouassi, K. Richard. « De redoutables braqueurs à moto arrêtés : Voici leur mode opératoire », In afrique-sur7, (2020), https://www.afrique-sur7.ci/440489-redoutables-braqueurs

Nadré, Daniel. « Côte d’Ivoire : la BRI met en déroute un gang de braqueurs à moto », In directinfos, (2021),  http://directinfos-abidjan.ci/2021/05/08/cote-divoire-la-bri-met-en-deroute

OCDE, « Compilation d’affaires avec commentaires et enseignements », tirés In Recueil d’affaires de criminalité organisée, 2012.

Ouimet, Marc. Les enjeux théoriques et méthodologiques en écologie criminelle, Montréal : PUM. 2000.

Pottier Marie-Lys, Robert Philippe. « On ne se sent plus en sécurité ». Délinquance et insécurité. Une enquête sur deux décennies. In: Revue française de science politique, 47ᵉ année, n°6, 1997. p. 707-740.

Rengert, George F.  « Drogue et crime : l’impact du commerce de drogues sur le tissu urbain ».  Criminologie, 27(1), (1994) : 69-79. Montréal : PUM.

Roché Sebastian, Sandrine Astor. Enquête sur la délinquance auto-déclarée des jeunes, Rapport final. Grenoble : CERAT. 2000

Rouleau, Renée. « L’insécurité urbaine : Un mal qui paralyse les femmes », In Téoros, Revue de recherche en tourisme, Open Edition, 16-3, 1997.

Serafin, A. et Deely S. « Violence urbaine » In, Rapport sur les catastrophes dans le monde, Chapitre 4, Fédération Internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, 2010.

Syddick, Aboubacar Al. « Bouaké : Deux braqueurs à moto emportent 14 millions Fcfa », In abidjan.net, (2018), https://news.abidjan.net/articles/635841/bouake-deux-braqueurs-a-moto

Comment citer cet article :

MLA : Ya, Komenan Raphael, N’da Joseph Dakon, Kafé Guy Christian Kroubo. «Criminalité à moto dans les villes d’Abidjan et de Bouaké. » Uirtus 1.2 (décembre 2021): 1-15.


§ Université Felix Houphouët-Boigny de Cocody / [email protected]