Résumé (De l’identité du personnage transculturel dans La Répudiation et Printemps de Rachid Boudjedra)

Alexis N’Dui-Yabela§


§ Université de Bangui / [email protected]

Résumé : La rencontre entre les différents personnages dans les textes de Rachid Boudjedra met souvent en scène un monde complexe et conflictuel. À l’analyse, l’on se rend compte que le personnage-étranger est toujours perçu par le personnage-narrateur comme un Autre et donc susceptible d’être un danger. Cette situation crée une tension permanente qui est perceptible autant dans le discours produit par les protagonistes que dans leurs attitudes interactionnelles. Ainsi, dans ce corpus de romans de Rachid Boudjedra, les personnages connaissent un parcours assez identique en trois temps : une situation de conflit entre les personnages protagonistes puis un rapprochement des identités différentes et enfin un dépassement des différences créant ainsi une identité de la différence. Notre réflexion consiste à montrer que la construction du personnage transculturel dans les textes de Boudjedra témoigne de l’esthétisation d’une écriture encline au dialogue culturel. Nous indiquerons par ailleurs que le personnage transculturel porte en lui-même une problématique essentielle, celle de l’identité.

Mots-clés : Conflit, l’Altération, l’Altérité, identité de la différence, personnage transculturel.

Abstract: The encounter between the different characters in the texts of Rachid Boudjedra often depicts a complex and conflicting world. Upon analysis, we realize that the stranger-character is always perceived by the narrator-character as an Other and therefore likely to be a danger. This situation creates a permanent tension which is perceptible as much in the discourse produced by the protagonists as in their interactional attitudes. Thus, in this corpus of novels by Rachid Boudjedra, the characters experience a fairly identical path in three stages: a situation of conflict between the protagonist characters, then a rapprochement of different identities and finally an overcoming of differences thus creating an identity of difference. Our reflection consist in showing that the construction of the transcultural character in the texts of Boudjedra testifies to the aestheticization of a writing inclined to cultural dialogue. We will also indicate that the transcultural character carries within himself an essential issue, that of identity.

Keywords: Conflict, Alteration, Otherness, identity of difference, cross-cultural character.

Introduction 

Dans la plupart des textes de Rachid Boudjedra, le rapport interactif entre les personnages protagonistes est souvent un rapport assez complexe et conflictuel. Ainsi, dans ce rapport de force, le personnage-étranger constitue un point nodal dans la mesure où il est perçu par le personnage-narrateur, qui est souvent de culture arabo-musulmane, comme un Autre qui porte une culture à l’antipode des valeurs socioculturelles arabo-musulmanes. Ce personnage-étranger est susceptible d’être un danger au regard du narrateur. Cette situation crée une tension permanente perceptible entre les personnages protagonistes. Dans notre corpus, les rapports diégétiques entre les personnages connaissent souvent un schéma assez identique qui part d’une situation de conflit entre les personnages protagonistes telle que l’acquisition des valeurs traditionnelles arabo-musulmanes, la méfiance vis-à-vis de l’Autre, la subversion des excès de sa propre culture. Ensuite, il s’opère une altération identitaire qui ouvre la voie au rapprochement à l’Autre qui se caractérise par l’altérité, l’acceptation de l’autre. Enfin, à l’issue de l’étape d’altération, le personnage-narrateur se retrouve dans une situation transculturelle car il aurait acquis tout au long de son parcours d’autres identités. Il prend alors conscience de sa contingence culturelle mais a du mal, non seulement à identifier les éléments transférés mais aussi à se séparer d’eux. Cette situation explique bien la notion de l’« identité de la différence » (Bueno 7-22). En quoi consiste ce processus qui conduit à l’identité transculturelle ? Pour répondre à cette problématique, nous exploitons principalement l’approche transculturelle proposée par Hédi Bouraoui (2005) afin d’évoquer les différents fondements de l’identité transculturelle. Nous utilisons par ailleurs, des éléments de l’approche bibliographique pour mettre en exergue les caractéristiques de l’identité transculturelle chez les personnages de Boudjedra.

1. De « l’identité de la différence » de H. Bouraoui : une remise en question de l’identité de soi

La question de la différence des identités trouve son implication dans le terme adjectival « transculturel » qui semble mieux s’appliquer au niveau identitaire et esthétique. Il existe sémantiquement une relation d’opposition entre « identité » et « différence » mais cette relation d’opposition entre les deux termes renvoie à une seule et même réalité lorsqu’on utilise l’expression « identité de la différence » qui introduit une perspective nouvelle dans l’évaluation de la diversité, tout en lui conférant une qualité oxymorique pour lire et analyser les œuvres qui posent la problématique de la contradiction ou de la pluralité identitaire.

Ainsi, l’identité et la différence demeurent deux concepts-clés dans la fiction romanesque de Boudjedra car le rapport d’opposition entre ces deux termes implique le caractère de toute identité humaine, dont la composante essentielle est une étrangeté inconnue par laquelle nous sommes tous des êtres étrangers condamnés à l’étrangeté absolue (Bouraoui 14). La découverte de l’autre et de la différence entraîne la prise de conscience de cette étrangeté propre à tout homme et l’approche de l’autre n’est qu’une forme particulière de migrance. Et selon Boudjedra, l’écriture est la forme parfaite de l’expérience de migrance ; et à en croire l’auteur algérien un migrant est essentiellement un étranger.

La perspective transculturelle de Boudjedra est perçue à la fois comme une participation et une tension conscientes à l’échange entre les cultures du personnage autochtone et celui étranger. Souvent, ces protagonistes du récit envisagent ces échanges comme la manifestation d’une dynamique de « perte et gain » selon les termes de Tassinari entre la culture d’origine et la culture d’accueil (Tassinari 23). La notion d’évolution demeure à la base une perspective anthropologiquement très dynamique, puisque selon (Lamore 43-48) la notion de la transculturation n’est pas lié un moment ni à un facteur isolé, mais elle est bien un processus séculaire, constant, permanent. Ainsi, cette permanence dans le processus de construction de l’identité transculturelle revêt un caractère objectif et nécessaire.

Entièrement jouée sur le mode de la conciliation des contrastes, la notion de l’identité de la différence se révèle ainsi une approche efficace pour l’évolution du conflit engendré par le choc culturel, tant sur le plan de l’identité individuelle que sur celui interactionnel. C’est par ce choix que le personnage, en tant que sujet évolutif dans l’univers diégétique, arrive à transformer  les différentes identités acquises en une identité de la différence.

 Dans La Répudiation ou Printemps, Boudjedra fait adopter à ses personnages des caractères qui traduisent l’identité de la différence. Il présente la plupart de ses personnages-narrateurs comme des sujets perdus dans leur propre société, méconnus par eux-mêmes, énigmatiques et sans identité fixe. À ce titre, ces personnages sont sources de tous les maux sociétaux : violents, transgresseurs, homosexuels, lesbiennes, sadomasochistes, alcooliques, psychopathes entre autres. Aussi sont-ils à l’origine des conflits qui les opposent en permanence au clan islamiste. En réalité, ce statut de contingence des personnages subversifs a souvent un lien avec l’histoire puisque ces personnages se basent de façon remarquable sur l’histoire de la colonisation de leur pays, ou de la décolonisation, pour soit se méfier de l’étranger, soit fustiger tous les complices du Clan, qu’il considère comme une autre forme de colonisation.

Mieux encore, Boudjedra décrit l’espace diégétique des personnages-narrateurs comme un espace historiquement sous domination occidentale, ce qui engendre chez lui des transformations culturelles et identitaires, un phénomène qui serait à l’origine de leur transmutation identitaire[1] expliquant le fait qu’ils oscillent entre attirance et rejet de l’Autre. Cette attitude est d’autant plus manifeste chez Rachid que chez Teldj, des personnages que nous considérons comme des sujets essentiellement transculturels. Encore faudrait-il mentionner que le sujet transculturel est un sujet transcendant.

La représentation que le personnage transculturel Rachid fait de son amante étrangère Céline, dans La Répudiation, relève d’une approche transcendantale. La preuve en est que Boudjedra met en scène un monde fictivement complexe, composé de deux entités : d’une part, l’Algérie, encore attachée à une tradition patriarcale représentée par cette unité fondamentale qu’est la famille, et d’autre part l’Étranger, la France, symbole de la modernité agressive qui oblige à l’ouverture. Il faut, par ailleurs, préciser que le conflit entre Rachid et Céline est historico-social, celui d’une Algérie en quête d’une identité après sa tragique colonisation par la France, le pays d’origine de Céline. Et pourtant, il y avait quelque chose de commun entre ces deux personnages aux origines historiquement conflictuelles. Néanmoins, Boudjedra passe par des stratégies interculturelles pour créer des situations de réciprocité ou de confluence entre Rachid et Céline. Visiblement, Céline serait, elle aussi, répudiée par sa société d’origine, ce qui l’oblige à une immigration sur fond de la quête d’identité tout comme le narrateur Rachid. C’est en cela qu’elle ressemblait à Rachid, au niveau identitaire, « Céline me ressemblait ! J’étais double et elle l’était aussi » (15).

Ainsi, à partir de ce moment-là, toutes les relations interactionnelles entre Rachid et Céline vont changer. Désormais, le narrateur la désigne par les termes : mon double (15), ma congénère (16), mon amante (18). La négociation des identités étant faite, le narrateur, qui au départ résistait à la narration de son récit d’une enfance saccagée, a repris tout son esprit et adopta la disposition normale pour débuter son récit (19).

Pour réussir un tel exercice qui est à la fois exutoire et cathartique, la présence de Céline est cruciale, car si elle n’existait pas, Rachid ne pourrait trouver l’occasion de raconter ses souvenirs. Elle a pour fonction de délivrer la parole du narrateur : « Inutile de remâcher tout cela, disait-elle, parle-moi plutôt de ta mère… » (14) ; « Parle-moi encore de ta mère. » (16) ; « Raconte, disait-elle » (41). Souvent, pour montrer sa coopération l’amante semble désirer connaître la suite de l’histoire entamée, elle est loin d’être dévorée par la curiosité et donne l’impression de vivre un conte sans s’y impliquer puisqu’elle n’est pas un sujet parlant   (Maingueneau 71) mais un véritable embrayeur du discours de Rachid avec sa phrase injonctive assez récurrente dans le texte : « parle-moi ».  

Rachid, conscient du pouvoir coopératif qu’ont ses paroles sur son amante ne cessera, lui aussi, de parler. Il l’enchante par son éloquence pour mieux la retenir : « Je restais avec cette envie de la faire souffrir en l’enfermant dans un voile blanc où elle se fût trémoussée comme une pieuvre tentaculaire » (18).

De même, on retrouve une ressemblance presque congénitale entre Teldj et son amante espagnole Nieve comme le lui faisait savoir le facteur :

Mais un matin, le facteur sonna chez Teldj pour lui faire signer un recommandé et en bavardant il lui dit : « Tu sais que ta voisine s’appelle Nieve ? Il paraît que ça veut dire neige en espagnol. Elle s’appelle donc comme toi ! Vous portez le même prénom ! Amusant, non ! Et elle est espagnole ! Elle vient de Grenade. Ça, c’est marrant aussi, n’est-ce pas ? Grenade le pays de nos ancêtres andalous ! » (…) (Teldj = Nieve (en espagnol) = Neige !)  (Printemps 140-141)

Toutes ces ressemblances entre les personnages, pourtant issus de cultures diverses, ne sont ni anodines ni gratuites. Elles sont nourries de prétextes transculturels voulus par Boudjedra. La lecture de ces romans de Rachid Boudjedra nous entraîne donc vers un espace de désillusion intimement lié à l’éternelle confrontation des identités entre Européen / Africain, Colonisateur / Colonisé, entre l’ici / l’ailleurs, entre le Soi / l’Autre, Autochtone / Etranger, Homme / Femme, Sexe masculin / Sexe féminin, etc.Ainsi, à travers cette écriture empreinte de modernité, Boudjedra arrive à tracer un monde de rencontre et de reconnaissance des différences, voire une identité de différence. Il marque un tournant dans la représentation de l’Autre, un Autre qui se définit par le Soi aussi bien par la langue que par la culture notamment les valeurs relatives à l’histoire, à la politique, à la sexualité ; bref on accepte la manière dont l’Autre perçoit le monde et on le subit. Et tout cela se tisse dans un imaginaire complexe qui traduit l’identité transculturelle.

2. Les différents fondements de l’identité transculturelle

2.1. Les fondements biographique et social

L’œuvre romanesque de Rachid Boudjedra est un espace où se produisent des identités, c’est tout simplement pour l’auteur algérien le terreau des rencontres identitaires. La présente analyse s’intéresse aux fondements sociaux de la création en littérature et, plus précisément, à l’influence des différents cadres de socialisation d’un écrivain sur les modalités identitaires de sa pratique littéraire. À travers ces cadres, il se donne à voir des corrélations potentielles entre la forme esthétique du texte et ses contextes sociaux de réalisation (Harchi). Dans cette perspective, étudier le cas de l’écrivain algérien de langue française Rachid Boudjedra se révèle particulièrement intéressant. 

Investiguer sur les identités dans l’œuvre littéraire de Boudjedra nous conduit ainsi à considérer l’histoire intime et l’histoire collective comme le carrefour au détour duquel s’opère un ensemble de transpositions, de négociations et de réajustements qui, une fois mis au jour, sont susceptibles de révéler « les mécanismes de la fabrique littéraire », (Lahire 67). En nous appuyant sur un corpus constitué d’éléments biographiques, de textes romanesques et d’un ensemble de propos tenus par Rachid Boudjedra ainsi que de discours critiques relatifs à son œuvre littéraire, nous nous attacherons à comprendre les différentes constructions identitaires de l’écrivain. 

Lorsqu’on considère biographiquement, la trajectoire sociale de Rachid Boudjedra, il est observable qu’il s’est construit au fil du temps une identité sociale, marquée par une formation scolaire solide puisque né dans une famille bourgeoise, sa mère était une femme au foyer, occupée à élever ses trois enfants, deux garçons, une fille, et le père était, quant à lui, un riche commerçant. Rachid Boudjedra vit sa jeunesse à Ain Beida, dans la région des Aurès, en Algérie. Interrogé par Hafid Gafaïti, Rachid Boudjedra revient lui-même sur cette première période de sa vie :

J’ai d’abord été à l’école coranique à quatre ans. Ensuite l’école française à partir de six ans. Doublée d’un cursus d’arabe. C’est-à-dire que j’allais à l’école arabe le soir, à la sortie de l’école française. Cela me faisait une quinzaine d’heures à l’école par jour. Il faudrait rappeler que l’arabe n’était pas enseigné à l’école, pendant la colonisation française. Il y avait des écoles privées qui fonctionnaient le soir, qui étaient d’ailleurs gratuites mais financées par les dons des citoyens et des bénévoles. Cet apprentissage double se faisait à Ain Beida, dans le village où je suis né. (Gafaïti 13)

 Puis, Boudjedra entame des études à Constantine et poursuit ces dernières à Tunis, au collège Sadiki, alors réputé pour ses enseignements relatifs à la littérature, aux sciences, aux mathématiques. Souvent qualifiés de modernes, ils étaient dispensés en arabe ainsi qu’en français. À cet égard, l’écrivain précise :

Ensuite, mon père m’a envoyé au lycée de Tunis. J’ai été élève au collège Sadiki ; rien que pour faire des études où l’arabe était enseigné au même titre que le français. C’était un enseignement bilingue et élitiste. Tous les cours étaient doublés. Par exemple, nous étudions les maths en français et en arabe, les sciences naturelles aussi et ainsi de suite. Toutes les matières étaient enseignées obligatoirement dans les deux langues (Gafaïti 13-14)

Tous ces éléments paraissent être de bons indicateurs qui révèlent l’appartenance de Rachid Boudjedra à un univers social aisé où des capitaux, économiques notamment, ont pu être déployés afin de favoriser l’acquisition, par le jeune enfant, de compétences linguistiques et intellectuelles solides. Cet investissement parental et paternel, plus précisément en l’éducation du fils signale, d’une part, une conscience aigüe des possibilités d’ascension sociale qu’offre une scolarité réalisée au sein d’un établissement « élitiste » et, d’autre part, un savoir-faire stratégique susceptible de concrétiser l’ambition familiale. Cela nous semble d’autant plus remarquable, et donc significatif, que cette ambition s’inscrit dans un contexte colonial où le système de l’enseignement est le lieu privilégié d’exercice d’une domination symbolique en ce qu’il « vise principalement l’acculturation convenable de la main-d’œuvre destinée aux colons ou à l’émigration puisque l’école dispense tout à la fois : et les savoirs et les manières d’en bien user » (Colonna 128).

  L’environnement familial dans lequel Rachid Boudjedra a été amené à évoluer, dès l’enfance, se caractériserait ainsi par une capacité singulière de contournement des déterminismes sociaux que le système colonial faisait peser, à l’époque, sur une très grande majorité de la population algérienne. Ainsi, de l’identité sociale (ou familiale), en opposition au système colonial, le jeune Rachid, en tant que produit social, s’est construit une identité individuelle, celle qui l’oppose cette fois-ci à son père géniteur et, à travers lui, au système patriarcal fondé sur la religion.

    Par ailleurs, nous analyserons cette fois-ci une autre identité que l’auteur algérien s’est forgée sur les modalités de son engagement politique. Au tournant des années 1960, Rachid Boudjedra, alors âgé de 19 ans, fait le choix de prendre part au combat pro-indépendantiste. Sa lutte contre la présence française en Algérie revêt la forme d’un engagement militant marxiste, particulièrement actif. Il s’agit de l’identité politique. Voici de quelle manière l’écrivain en parle :

J’ai découvert le marxisme à dix-sept ans et j’ai tout de suite adhéré à cette idéologie parce que j’ai été un enfant rebelle. Rebelle à tout un contexte sociologique caractérisé essentiellement par les relations féodales qui existaient à l’intérieur de ma famille. L’hypocrisie, le mensonge et l’exploitation y régnaient d’une façon révoltante. Donc, très tôt, le marxisme m’a semblé comme une philosophie, une vision du monde qui s’opposait à cette féodalité familiale. Cela dans un premier temps, évidemment, et d’une manière presque sensitive, affective, sentimentale. Il y avait un terrain pour que je devienne marxiste. Par exemple mon père employait des centaines d’ouvriers et en les fréquentant j’ai pris conscience de l’exploitation et de l’injustice. J’ai été choqué tout jeune par le fait qu’un des ouvriers de mon père dormait dans les écuries avec les chevaux, à même le foin, hiver comme été. Surtout, surtout, j’ai été frappé par la situation des femmes à l’intérieur de la famille, par le mépris dans lequel elles étaient tenues, par leur passivité aveuglée, par leur peur. Du même coup, j’ai compris qu’il y avait quelque chose de pourri dans cette façon d’être algérien au début des années 1950. (Gafaïti 25-26)

Et il ajoute, un peu plus loin :

Il y avait une situation propice à la compréhension de l’injustice sociale dans la mesure où du côté de ma mère la famille était très pauvre, alors que du côté de mon père elle était immensément riche. Donc, naturellement, j’ai été porté vers ma famille maternelle et en particulier vers mon grand-père que j’ai d’ailleurs connu très peu. Il est mort alors que j’étais un enfant d’à peine dix ans. En vivant à l’intérieur de cette contradiction, j’ai compris ce qu’était la sociologie politique. Les classes. L’exploitation. L’histoire. Mon grand-père maternel était un cheminot. Mon oncle maternel était lui aussi ouvrier. Cette opposition m’a amené à une certaine prise de conscience et je crois même qu’elle a été déterminante. Mais je n’en étais qu’au stade sensible. Mon grand-père et mon oncle maternels étaient communistes. Ils m’ont toujours fasciné parce qu’ils étaient très humains, très préoccupés par les autres et très originaux. Être communiste dans les années 1940, dans un village situé dans une région agricole très riche où les colons français et les féodaux algériens faisaient la loi, ce n’était pas n’importe quoi. Et puis après cette adhésion sentimentale, il y a eu, plus tard, l’adhésion consciente. À vingt-deux ans, j’ai adhéré au P.C.A. J’y suis resté fidèle ma vie durant puisque j’y suis encore aujourd’hui, sans interruption. (Gafaïti 28)

Ce qui nous semble particulièrement intéressant à noter, ici, est la manière dont Rachid Boudjedra, subjectivement, définit sa propre identité politique par constitution des faits d’histoire familiale et d’engagement marxiste. En effet, tout au long de son propos, l’écrivain ne fait que peu référence au contexte politique, pourtant très difficile, dans lequel était alors placée l’Algérie puisque de novembre 1954 à juillet 1962 faisait rage, dans le pays, une guerre de libération des plus violentes. En ayant recours à cinq reprises au terme «famille» et une fois seulement au terme « colon »,Rachid Boudjedra crée une relation à la fois directe et forte entre son expérience de l’injustice sociale observée et vécue au sein de sa propre famille et sa volonté de militer politiquement au sein du Parti Communiste Algérien. La sensibilité aigüe de l’écrivain à la problématique des conflits de classes semble ainsi s’être formée très précocement, à l’époque de l’enfance. En ce sens, la croyance en l’idéal communiste ne nous apparaît pas tant être une prise de position nouvelle et spontanée vis-à-vis de la problématique historique et coloniale mais plutôt le renforcement d’une posture ancienne à l’égard du thème de l’injustice.

Par la suite, grièvement blessé au genou, Rachid Boudjedra devient alors l’un des représentants du Front de Libération Nationale. S’engage alors pour lui une période marquée par de nombreux voyages en Espagne et en Europe de l’Est. Sur cette période, l’écrivain ne s’est que peu exprimé, si ce n’est en ces termes : « En tant qu’Algérien, je me suis trouvé très jeune confronté à la résistance anticolonialiste. J’ai vu la guerre de très près et cela m’a fait comprendre l’importance vitale de l’histoire » (35) ou encore : « J’ai été engagé et structuré très jeune dans la guerre d’Algérie » (36).

Nous voyons ainsi se tisser, dans le discours rétrospectif de Rachid Boudjedra, des associations d’identités individuelle et collective d’une part entre les réalités familiales et le fait colonial, et cela à travers une forme de connaissance personnelle et intime forgée au rythme des épreuves rencontrées ; et d’autre part un intérêt profond porté à l’histoire collective. Toutes ces données biographique et socio-historique auraient, comme dans tout processus de création, des implications sur l’œuvre romanesque de Boudjedra.

2.2. Le fondement de conflit : le rapport de force entre les personnages

A la lecture des textes du corpus, quatre personnages répartis deux à deux dans les romans du corpus représentent des figures de subversion. Ils ont été pratiquement révoltés par la même situation et partagent la même vision : celle de renverser les tabous et briser le fanatisme quel qu’il soit. Nous parlerons essentiellement des personnages tels que Rachid et Zahir dans La Répudiation, Teldj et Malika dans Printemps.

  • Rachid

Rachid est l’un des personnages narrateurs de La Répudiation qui a connu d’énormes tourments et hallucinations parce que sa mère est répudiée par Si Zoubir. À partir de ce moment, Rachid va haïr son père et tous les dignitaires de  l’Islam, de même que les préceptes de la religion musulmane. Il va décider d’affronter ceux qu’il juge désormais comme ses bourreaux. Son acte de subversion portera alors sur la religion, la politique et la sexualité à désacraliser les dogmes religieux, perçus comme système aliénant et castrateur(19-21) « Mon plaisir parricide béait. Tuer le chat, tous les chats » (139). Il se révolte contre son père pour venger sa mère. Il fantasme et aiguise son désir de parricide.

  • Zahir

Zahir est un personnage de La Répudiation, le frère aîné de Rachid. Ainsi, il partage la même conviction que Rachid. Lorsque Zahir déclare : « Je suis un mauvais musulman ». Au fond, l’adjectif « mauvais » dit tout sur le statut ou la position de Zahir vis-à-vis de l’islam. De surcroit dans l’énoncé « Zahir est un mauvais musulman », l’on en déduit la phrase négative « Zahir n’est pas un bon musulman ». Dans cette logique, on suggère que ce dernier ignore les préceptes de la religion musulmane ou simplement Zahir est « un mauvais pratiquant » : il transgresse les lois de la religion en s’autorisant l’alcool, la fornication, l’homosexualité, l’ataraxie, le refus de prier cinq fois par jours, et considère paradoxalementla Mecque comme un lieu de kleptomanes et d’hypocrites, etc.

De toutes ces analyses, nous remarquons que Zahir semble plus subversif que son frère Rachid puisque dans le texte la révolte contre le père et la religion semble être plus prononcée chez Zahir surtout à travers ses actes de profanation. Cet état de fait a conduit ce personnage à commettre lui aussi, des actes de fanatisme. Or, Boudjedra est déterminé à toujours combattre le fanatisme. Cela peut alors justifier la mort de Zahir dans l’intrigue.

  • Teldj  

La construction des personnages dans le corpus est quasi-identique. La révolte de Teldj contre les Islamistes va naitre de la décapitation de sa mère Selma par ces derniers. Les raisons de ce crime sont fondées sur un des préceptes idéologico-religieux qui interdisait strictement à la femme l’avortement, sous toutes ces formes. La mère de Teldj ayant violé cette prescription en pratiquant aux femmes des IVG (interruption volontaire de grossesse) comme on peut lire dans les pages 76 et 77 du Printemps « Selma (…) pratiquait l’avortement strictement interdit par la loi, pour venir en aide aux paysannes qui faisaient trop d’enfants pour complaire à leurs maris.»

Dans Printemps, Teldj décide, elle-même, de sa sexualité en choisissant d’être non seulement lesbienne mais surtout la pratiquer avec une femme non musulmane, May, une chinoise :

Elle [May] est nue et son corps, maintenant ouvert, exhibe la plaie du vagin. « Mon vagin médiocre donc qui pisse l’urine quotidienne et le sang menstruel, où le mâle a décidé depuis longtemps de fourrer son pénis et son nez pour l’éternité. Et c’est avec ça que les femelles font fonctionner leur coquetterie et leur séduction, alors que ce n’est qu’une lézarde anatomique, une fistule physiologique, un œil rouge et cyclonique qui régule le monde, quand même !  » (…) May est très belle aussi (…) Va-et-vient. Sa main agile farfouille dans son sexe. May est une fille espiègle. (Printemps 14-15)

L’homosexualité, le lesbianisme et autres actes de perversité sexuelle pratiqués par Teldj et ses amies la caractérisent comme un personnage subversif dans Printemps. Malika, l’autre personnage-narrateur de ce roman, est aussi une victime du fanatisme des islamistes.

  • Malika

La nymphomanie de Malika est d’abord provoquée par son excision, une pratique imposée aux jeunes filles pubères dans les sociétés traditionnelles. Ensuite, son viol par un vieil arabe. Ces faits vont provoquer chez ce personnage des traumatismes qui se manifesteront par de violentes crises d’hallucinations. Elle décide de se venger par son sexe donc par son corps.  Boudjedra décrit l’excision, exécuté rituellement avec les coqs, et le viol commis par les hommes sur les gamines comme des crimes alimentés par des fanatiques religieux. Ainsi, il animalise un de ces fanatiques, le vieil arabe qu’il compare à un coq noir :

Le coq noir (…) enfonçait son bec dans le vagin volumineux, comme bouffi, comme gonflé et dans tout ce qu’il trouvait dans cet espace cerné et limité par les deux jambes écartées de Malika, maintenue debout ou assise par deux ou trois femmes, picorait allégrement dans la motte chair incisée en deux parties égales de Malika (…) les chats faisant un cercle autour de la victime et prêts à miauler pour laper la première goutte de sang. (Printemps, 87-88)

A partir de ce viol, Malika perd sa dignité et va décider de mener une vie de débauche. Elle arnaque les bourgeois du clan en se servant de son sexe. L’escroquerie et la débauche sont devenues son quotidien en ville Elle n’hésite pas à user de la magie noire pour mieux dompter et dépouiller ceux qu’elle appelle désormais les bâtards de la civilisation, les islamistes. Comme ce fut le cas de Zahir dans La Répudiation, Malika est un personnage particulièrement subversif qui connaitra aussi un sort tragique. Elle se fait écraser par un Tramway.

A l’issue de nos analyses, nous retenons qu’il existe dans les deux romans de notre choix des personnages subversifs. L’auteur offre d’ailleurs des personnages symétriques de par la similitude de leurs actes et de leurs sorts. Zahir et Malika semblent plus subversifs que Rachid et Teldj. Cela donne deux visions de la subversion : la subversion constructive qui propose un idéal social et celle négative qui a conduit les sujets comme Zahir et Malika à la fatalité et à la mort. Tous ces actes de vengeance donnent à tous ces personnages des traits subversifs car, l’on présume que le but pragmatique de ces actes est de briser les tabous sociaux en s’attaquant à tout ce qui est considéré comme sacré. Ce positionnement de chacun de ces personnages subversifs produit subséquemment des discours subversifs.

2.3. Le fondement de l’altérité : Le regard du personnage-narrateur sur l’étranger(e)

  • Rachid / Céline

            Rachid est un jeune algérien qui raconte le récit de la répudiation de sa mère. Cette répudiation sera le point de départ des péripéties et d’images d’une enfance traumatisée. Le jeune Rachid grandit dans le giron des femmes recluses, entouré de la tendresse d’une mère terriblement solitaire, analphabète qui a quand même su lui léguer son goût à la culture arabo-berbère. Dans l’empire et sous l’emprise d’un père polygame et féodal, Si Zoubir, le jeune narrateur connaîtra des blessures.

Déjà cette brève présentation du personnage permet de dégager deux identités chez Rachid narrateur. La première est sociale et liée à sa collectivité, il est Algérien et musulman. La seconde est individuelle parce que née de l’en Soi du narrateur. Il est un révolté contre la figure du père, du clan et de la religion au nom de laquelle sa mère est répudiée. A ce titre, il se considère étranger dans son clan.

Céline, un personnage féminin du roman, est Française et a immigré en Algérie. Elle aussi est une étrangère à la quête de soi pour combler ce vide identitaire en elle. En dépit des différences socioculturelles, Céline, la Française, est l’amante étrangère de Rachid. Ainsi dans l’énoncé : « Il fallait que je la défende, car elle était, elle aussi, une victime au même titre que les autres femmes du pays dans lequel elle était venue vivre » (La Répudiation 13).

À travers le mot « victime » dans cet extrait, nous comprenons d’office que Céline serait, elle aussi, une femme répudiée par sa patrie, la France. Cela justifierait son aventure pour la quête d’identité.  Or, précédemment, à l’issue de la répudiation de sa mère, Rachid s’est dit : « Je ne voulais pas être en contradiction avec les principes que j’avais forgés tout au long de mes cauchemars et où les femmes jouaient toujours des rôles très importants ». (13)

En fait, Céline aurait connu le même sort que la mère de Rachid, en cela il s’est créé un rapprochement qui favorise l’altérité entre Céline et Rachid. Céline, l’amante étrangère, est désormais une figure qui définit l’en Soi de Rachid. La preuve en est qu’elle devient l’embrayeur de la narration en demandant à Rachid, à chaque fois que le besoin se faisait sentir, de reprendre le récit de la répudiation.

 Céline constitue alors une figure incontournable dans la construction du discours par son interlocuteur Rachid. Le texte précise même que la relation qui existe entre Rachid et Céline est devenue très intime par le fait du discours. Déjà au début du récit, Rachid disait que Céline était son « amante », ensuite son « semblable », par ailleurs son « double » et finalement sa « maîtresse », sa « congénère » ou son « amante Française » (213). Alors nous considérons que cette ressemblance n’est pas anodine.

On peut aussi trouver les raisons de la coexistence entre Rachid-narrateur et Céline dans les données paratextuelles qui, constituent des indices référentiels non négligeables en analyse du discours. Ainsi, à la faveur de quelques sources biographiques (Gafaïti 35), Boudjedra fit sa soutenance sur l’un des chefs d’œuvre de l’écrivain français Louis-Ferdinand Céline[2], lui aussi, un écrivain exclu et marginalisé dans son pays la France. Boudjedra dans la vie réelle s’est marié à une Française. Tous ces indices extratextuels justifieraient le fait que Boudjedra a adopté finalement Céline comme un alter ego. De ces analyses, nous pouvons en déduire que l’altérité est donc une réalité existentielle entre Rachid et Céline.

  • Teldj / Nieve

Il est vrai que dans le contexte de mondialisation actuel, les rapports entre les cultures deviennent de plus en plus fréquents et revêtent toutes sortes de configurations : échanges, confluences, influences, frictions, voire conflits. Or, la littérature demeure de loin le lieu emblématique où certaines questions portant sur l’interculturel sont posées et trouvent souvent une réponse.  Dans Printemps, Teldj va porter un regard sur ses voisins immigrés. C’est en cherchant à connaitre les vraies causes d’immigration de ses voisins que Teldj va ressentir le désir d’altérité.

Au départ (p.9), les rapports entre Teldj et les voisins immigrés étaient très complexes et tendus justement parce qu’elle ignorait culturellement ses voisins. Elle les trouvait d’ailleurs bizarres et grossiers, par conséquent elle les haïssait. Jusque-là, nous supposons que ce personnage est dans la non-altérité. Mais, quelques temps après, ce qui a rapproché Teldj de ses voisins a été les langues étrangères dans lesquelles communiquaient les voisins quand ils parlaient au téléphone :

Ils téléphonaient ou plutôt ils hurlaient, dans leurs appareils portables, leurs consignes ou leurs ordres à des interlocuteurs installés, certainement, dans les bureaux à Londres, à Barcelone, Paris, Moscou, Dubaï, Shanghai ou New York. » ; « Ainsi et sans le vouloir, Teldj apprit quelques phrases de russe et quelques bribes d’allemand, et elle perfectionna son anglais et son espagnol. Mais ce qui l’agaçait le plus c’était ce dépotoir qu’était devenu la terrasse qu’ils occupaient. (Printemps 9.)

A partir de ces instants, Teldj relativise l’image qu’elle avait de ses voisins tout au départ.  Dès lors, un processus d’interaction, d’échange et de réciprocité est enclenché. Tout comme le souligne Carmel Camilleri « On parlera d’interculturel lorsqu’apparaît la préoccupation de réguler les relations entre ces porteurs [porteurs de systèmes différents], au minimum pour réduire les effets fâcheux de la rencontre, aux mieux les faire profiter de ses avantages supposés » (Camilleri 35), Teldj comprit elle aussi que ses voisins, immigrés ou expatriés, n’en étaient pour rien parce que cela pouvait arriver à tout le monde. Elle se rappelait qu’elle aussi « avait passé deux années en Chine, à enseigner la langue et la civilisation arabes à l’Université de Shanghai, grâce aux échanges culturels ».

Mis à part, ce premier aspect d’altérité rendue possible par l’enseignement des langues et la réciprocité culturelle, Teldj aura une autre interaction avec Nieve, sa nouvelle voisine espagnole qui occupait la terrasse après le départ de cette horde d’immigrés.

Cette fois-ci, Teldj ayant des prédispositions à l’altérité, tout semble aller vite. Rappelons que, tout comme les autres personnages-narrateurs de Boudjedra notamment Rachid et Zahir, Teldj porte en elle une révolte contre sa société, sa culture et sa religion depuis la décapitation de sa mère par les islamistes. Ainsi, le désir de réformer cette société est béant en elle. Elle voulait cette « société ouverte, c’est-à-dire d’une société faisant le pari de construire ses performances sur l’échange, la diversité et le respect » (Badie et Sadoun 18-19).

L’altérité entre Teldj et Nieve est non seulement physique mais aussi biologique malgré leurs différences. Teldj (Algérienne) et Nieve (Espagnole) portent les mêmes prénoms qui renvoient à un même référent dans chacune des langues. Leurs prénoms signifient « Neige ». Les deux jeunes femmes sont toutes nées en janvier en plein hiver et dans la même année 1984. Elles ont le même âge : 30 ans. Elles partagent les mêmes passions, les mêmes caractères (83). Autant de coïncidences naturelles et culturelles qui rapprochent les deux femmes qui finiront par s’aimer, s’ébattre afin de manifester leur altérité.

De toutes ces analyses fondées sur l’altération et l’altérité des personnages dans les deux romans, nous avons pu constater que chacun des personnages porte en lui une identité individuelle ou sociale selon son histoire. La compréhension des systèmes culturels et sociaux de l’Autre, conduit chacun d’eux à une adaptation identitaire sur un format qui ne ressemble ni à l’identité de départ ni à celle acquise grâce au système de croisement avec l’Autre, c’est justement en cela qu’il devient un sujet transculturel (Kanga 7-21).

Conclusion

A l’issue de l’analyse des romans du corpus de Rachid Boudjedra, nous réalisons  que le personnage, pris comme une donnée de création, constitue dans le texte de Boudjedra un prétexte de reconfiguration sociale. D’abord, il se présente comme une figure de conflit pour des raisons de divergence culturelle, historique et parfois même sexuelle. Ensuite, de ce conflit, comme dans toute situation de choc, le personnage subit un phénomène d’altération à force de frotter ses stéréotypes avec ceux de l’Autre. Ainsi, il se modalise, se transfigure et finalement cède à l’altérité. Et justement, l’altérité, en tant que paramètre de négociation et de contingence des différences, favorise enfin chez le sujet-personnage l’émergence d’une identité de la différence qui n’est en réalité qu’une identité de transcendance culturelle mettant ainsi la conscience culturelle du sujet transculturel dans une zone intermédiaire. Ainsi, la démarche bouraouienne de l’identité se fonde sur un moi « écartelé » qui se métamorphose de façon dynamique et qui harmonise le self et le pour-soi des altérités. Nous sommes donc en face d’un nouveau type de personnage que nous tentons de nommer « personnage transculturel ». Au demeurant, l’on résume le processus transculturel ayant conduit à la construction du personnage transculturel comme suit : Conflit-Altération /Altérité-Identité transculturelle. Ce processus peut faire l’objet d’analyse encore plus profonde pour son amélioration, cependant ce dont l’on est sûr est que les nouvelles écritures francophones sont de plus en plus caractérisées par les regards croisés, les rapprochements culturels, la reconnaissance des différences comme élément de diversité et non de conflit, la naissance d’une identité transfuge dénudée de toute individualité et narcissisme culturocentrique.

Travaux cités

Alemdjrodo, Kangni. Rachid Boudjedra, la passion de l’intertexte, Bordeaux, P.U.B. Pessac, 2001.

Belhabib, Assia. « Une poétique de l’interculturel : entre littératures francophones d’ici et d’ailleurs, Université Ibn Tofail », Maroc, 2010.

Bertant, Badie et Marc, Sadoun (dir). L’Autre, Presses de Sciences Po, 1996.

Boudjedra, Rachid. Praxis et catharsis chez Louis-Ferdinand Céline, DES, La Sorbonne, 1967.

———– La Répudiation, Paris, Denoël, 1969.

———– Printemps, Alger, Barzakh, 2014.

Bouraoui, Hédi. Transpoétique. Eloge du nomadisme, Ontario, Mémoire d’encrier, 2005.

Buono, Angela. « Le transculturalisme : de l’origine du mot à « l’identité de la différence » chez Hédi Bouraoui », in Revue internationale d’études canadiennes N° 43, 2011.

Bronckart, Jean-Paul et al. Le fonctionnement des discours : un modèle psychologique et une méthode d’analyse, Paris, Delachaux et Niestlé, 1985.

Camilleri, Carmel. « Le relativisme, du culturel à l’interculturel », in L’individu et ses cultures, L’Harmattan, 1993, volume 1.

Colonna, Fanny. Instituteurs algériens (1883-1939), Alger, Presses de la Fondation Nationale des sciences politiques et Offices de publications universitaires d’Alger, 1975.       

Coulibaly, Adama. « Critique transculturelle dans le roman africain francophone : Aspects et perspectives d’une théorie », Annales de l’Université Omar Bongo, N° 17, 2012.

Diop, Papa Samba. Fictions africaines et postcolonialisme, Paris, L’Harmattan, 2002.

Gafaïti, Hafid. Boudjedra, ou la passion de la modernité, Paris, Denoël, 1987.

Grenier, Eugène. La berbérie, L’islam et la France, Paris, Ed. de l’Union Française, 1950.

Kanga, Arsène Konan. « Le roman transculturel francophone, un roman des convergences d’écritures », in Rhésus, 2011.

Kaoutar, Harchi. « La création littéraire au carrefour de l’histoire intime et de l’histoire collective », mis en ligne le 26 février 2015, consulté le 26 avril 2021.

Maingueneau, Dominique. Éléments de linguistique pour le texte littéraire, Paris, Bordas, 1986.  

Molley, Koffi Litinmé. « Appendice sur la transculturalité », Lomé, Université de Lomé, 2020.

Tassinari, Lamberto. « Sens de la transculture » Le projet transculturel de Vice Versa. Actes du Séminaire international du CISQ, Rome, 25 novembre 2005.

Comment citer cet article :

MLA : Akakpo, Kokouvi Jean-Paul. « De l’identité du personnage transculturel dans La Répudiation et Printemps de Rachid Boudjedra ». Uirtus 2.1. (avril 2022) :  370- 387.


§ Université de Lomé / [email protected]

[1] Romuald Fonkoua cité par Anissa Talahite-Moodley, Problématiques identitaires et discours de l’exil dans les littératures francophones, Ottawa, Les Presses de l’Université d‘Ottawa, 2007, p. 1.                                                   

[2] Rachid Boudjedra, Praxis et catharsis chez Louis-Ferdinand Céline, DES, La Sorbonne, 1967.

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