Jonas Charles Ndeke§
Résumé : Cet article porte sur la hiérarchisation de l’information télévisuelle au Congo dans un contexte marqué d’une part, par la libéralisation du champ médiatique et d’autre part, par la volonté de l’État de garder une main mise sur le secteur médiatique. Il s’appuie sur un corpus constitué de six sommaires et six conducteurs d’actualité de 2015 à 2017 des chaînes Télé-Congo et DRTV. Il ressort de nos investigations que Télé-Congo privilégie les événements présidentiels et gouvernementaux, alors que DRTV s’aligne sur le territoire de la proximité à tendance multithématique. Ces résultats se justifient par un environnement télévisuel sous influence étatique au Congo.
Mots-clés : hiérarchisation, information télévisuelle, Congo-Brazzaville, institutionnel, proximité
Abstract: This article focuses on the prioritization of television news in Congoin a context marked by the liberation of the media field and on the other hand, by the will of the Government to keep a stranglehold on the media sector. It is based on a corpus made up of 6 summaries and 6 current affairs conductors from 2015 to 2017 from the Congo TV and DRTV channels. Our investigations show that Congo TV favors presidential and government events, while DRTV aligns itself with the territory of proximity with a multi-thematic tendency. These results are justified by the television environment under state influence in Congo.
Keywords : hierarchy, television news, Congo-Brazzaville, institutional, proximity
Introduction
Le choix et l’ordre hiérarchique des thèmes dans un média en général et dans une chaîne de télévision en particulier ne s’opère pas de manière individuelle par les journalistes. Le script invisible ou la sélection des faits est l’un des éléments qui préside à l’élaboration d’une information dans un média, en général et à l’antenne de la télévision, en particulier. Il constitue le premier élément de ce processus. Comme le font remarquer François Poulle et Roger Bautier (108) « le J.T. est sélectif. Comme tout organe de presse, il trie et opère ses choix dans le flux des dépêches… ». Il convient de rappeler qu’une information est, à l’origine, un événement selon l’idéaltypique journalistique. Dans ce référencement implicitement positiviste, « l’événement est un fait réel – du moins, reconnu comme tel par l’observateur, pour tenir compte des débats qui animent régulièrement positivistes et constructivistes sur ce terrain de l’information médiatique » (Delforce, Cabedoche) – qui s’est produit dans une zone géographique donnée. L’information est le résultat du traitement médiatique de ce fait. Ce fait est porté à la connaissance d’une rédaction par l’intermédiaire d’une source d’information.
Le choix et la hiérarchisation de l’information relèvent de la compétence de la conférence de rédaction, si nous n’élargissons pas à « l’analyse détaillé de l’ensemble des acteurs intervenant dans le process de co-construction de l’information médiatique » (Charraudeau). La conférence de rédaction a lieu en général en deux temps pour chaque journal, à savoir la sélection des sujets que vont couvrir les journalistes et l’examen de ce qu’ils ont acquis par leur enquête et la décision de diffuser ce travail ou non à l’antenne. C’est donc permettre au directeur de l’information de la chaîne, au rédacteur en chef, au chef d’édition ainsi qu’aux responsables des différents services (politiques, social, étranger, etc.) de se livrer à l’examen de l’actualité.
De nos jours, le processus de production et de diffusion de l’information est bousculé par les télévisions transnationales et les dispositifs socio-numériques. Plusieurs chaînes de télévisions transnationales et les nombreux réseaux sociaux, à la faveur d’internet permettent aux téléspectateurs et aux usagers de ces dispositifs socio-numériques d’accéder à l’information en temps réel, en proposant des formats de diffusion de l’information en continu. Pendant ce temps, dans le contexte congolais, la plupart des chaînes, à l’exception de VOX TV, restent soumises au respect des heures de diffusion de l’information. Alors que les téléspectateurs veulent tout savoir en temps réel. Dans le jargon journalistique, si une nouvelle n’a pas de lien avec l’actualité immédiate, une information sera « mise au frigo », dans l’attente d’un évènement qui l’actualise. Parallèlement, les codes déontologiques que se donnent les instances dites représentatives du journalisme imposent un temps de latence à la diffusion : celui de la vérification de l’information et de la source, supposée subir au préalable la confrontation contradictoire. Enfin, c’est la ligne éditoriale qui donne à la chaîne son originalité, sa cohérence, et sa justification. Même si l’actualité est une « maitresse obligée » comme souvent entendu dans les rédactions, les chaînes de télévisions doivent décider de l’angle sous lequel elles aborderont les faits et les idées. Et l’actualité est tellement vaste, dans la plupart des domaines, qu’il faut constamment faire des choix, voire en préciser à l’avance les critères.
L’état de la recherche, en République du Congo révèle l’absence des travaux spécifiques sur la hiérarchisation de l’information télévisuelle. En outre, on dénombre des travaux consacrés aux médias en général (Miyouna, Gakosso, Ndeke) qui abordent la question de la hiérarchisation de l’information télévisuelle. Nous inscrivons également cet article dans ce contexte. L’environnement médiatique congolais est marqué par l’influence étatique, c’est-à-dire par l’État et ses institutions (présidence de la république et gouvernement). Cette influence étatique entraine une double médiatisation, partagée entre la prédominance des sujets institutionnels (chaîne publique) et des sujets dits « de proximité » à tendance multithématique (chaînes privées) (Ndeke 193-304).
Cet article vise à mettre en exergue la hiérarchisation de l’information télévisuelle au Congo dans un contexte marqué d’une part, par la libéralisation du champ médiatique et d’autre part, par la volonté de l’État de maintenir une main mise sur le secteur médiatique. Pour ce faire, il tentera de répondre à deux questions : à quels impératifs contraignants obéissent la sélection et l’ordre hiérarchique des thèmes aux journaux télévisés de Télé-Congo (chaîne publique) et DRTV (chaîne privée) ? Quels sont les facteurs qui justifient la hiérarchisation de l’information télévisuelle en contexte congolais ?
Pour répondre à ces questions, deux hypothèses de recherche seront mobilisées. La première formule le présupposé selon lequel le choix et l’ordre hiérarchique des thèmes aux J.T. de Télé-Congo est dominé par les actualités présidentielles et gouvernementales et à DRTV par les sujets de proximité. La deuxième hypothèse justifie le choix et l’ordre hiérarchique de l’information à Télé-Congo et DRTV par un environnement télévisuel sous influence étatique.
1. Cadres théorique et méthodologique
Cet article se structure autour du concept de médiatisation. La médiatisation renvoie « … en la mise en média d’individus, de groupes ou d’institutions par la construction de produits médiatiques formalisés, dans une visée stratégique, impliquant des pratiques collectives de consommation » (Lafon 163). Le script invisible ou la sélection préétablie des faits est donc la traduction de pratiques reconnues par le champ, qui consiste à choisir les événements qui méritent d’être portés à la connaissance du public en fonction des habitus, consignes éditoriales, chartes déontologiques et rapport de forces entre acteurs, internes et externes. La ligne éditoriale de Télé-Congo subit particulièrement cette influence. Cette orientation éditorialiste de cette chaîne explique ainsi la logique d’exclusion de certains champs de l’information dans la couverture d’actualité, qui ne seraient pas, directement ou non, liés à ces intérêts institutionnels (Ndeke 193-304). C’est dans ce contexte que les travaux de Kaarle Nordenstreng et Tapio Varis sur la circulation à sens unique de l’information mondiale et de Patrick Charaudeau, Guy Lochard, Jean-Claude Soulages (31 – 46) sur le parallélisme dans les attitudes informative seront mobilisés afin de comprendre la hiérarchisation de l’actualité à Télé-Congo. Par contre à DRTV, la distanciation vis-à-vis de l’État explique le positionnement a priori consensuel, plus orienté vers les sujets dits « de proximité » et une tendance à la diversification des différents champs de l’information. Cet article s’appuie également sur l’approche conceptuelle de Hervé Bourges sur la décolonisation de l’information pour répondre à ce questionnement à propos de la hiérarchisation de l’actualité sur DRTV.
Notre corpus est constitué de deux types de données. Il s’agit de six sommaires des journaux télévisés de Télé-Congo (3 sommaires) et DRTV (3 sommaires) du 26 mai 2015, du 17 décembre 2016 et du 6 septembre 2017, soit 10 titres des J.T. Cette première catégorie de données est complétée par six conducteurs des journaux télévisés de Télé-Congo (3 conducteurs) et DRTV (3 conducteurs) du 26 mai 2015, du 14 décembre 2016 et du 10 août 2017, soit 80 sujets d’actualité. Partant du principe et de la logique d’observer la hiérarchisation de l’information des chaînes Télé – Congo et DRTV sur un temps long comme nous l’a recommandé Jocelyne Arquembourg-Moreau et fidèle au « désir d’histoire qui caractérise les dispositions des chercheurs en SIC » (Mattelart, Cabedoche), notre corpus est inscrit dans la durée (2015 à 2017). C’est à la suite d’une veille communicationnelle réalisée de juin à août 2018 à Télé-Congo et à DRTV que nous avons puisé, après une approche exploratoire de plusieurs journaux télévisés ces données. Ces données ont été enregistré directement à DRTV. Pour Télé-Congo, certaines ont été directement enregistrées à Télé-Congo et d’autres[1] sur les sites internet[2]. Le choix porté sur Télé-Congo et DRTV se fonde sur le fait qu’ils sont des chaînes généralistes des secteurs respectivement public et privé qui émettent sur satellite et mobilisent plus d’audience, soit 39% pour Télé-Congo et 37% pour DRTV (Ndeke 425). Elles présentent une équivalence suffisamment cohérente pour autoriser une analyse comparative de la hiérarchisation de l’information représentative des chaînes congolaises. En attendant d’étendre le nombre de chaînes de notre corpus, ces deux chaînes assez représentatives des pratiques professionnelles dans le secteur des médias congolais nous permettront d’en dégager les constantes en termes de hiérarchisation de l’actualité. Ces données ont été traitées manuellement. Elles permettent selon nous de dégager une tendance de la hiérarchisation de l’information dans ces deux chaînes de télévision. Pour ce faire, l’analyse de contenu (De Bonville, Bardin) comme outil d’analyse est convoquée à cet effet. L’analyse de contenu est une technique de recherche fondée sur la pré-catégorisation thématique des données textuelles. Ce corpus a été également soumis à l’analyse comparative (Vigour 5). La comparaison multivariée qui laisse un libre usage à toute configuration comparative possible a été convoquée. Ces démarches méthodologiques permettront de mettre en lumière la hiérarchisation de l’actualité à Télé-Congo et à DRTV. Cet article se subdivise en trois parties. La première partie se consacre à l’examen de l’environnement télévisuel congolais. La deuxième partie se focalise sur la hiérarchisation de l’information à Télé-Congo. Enfin, la dernière partie porte sur la hiérarchisation de l’information à DRTV. Toutes ces analyses seront croisées à des fins comparatives.
2. Résultats et discussions
2.1. Environnement télévisuel sous influence étatique
Pour appréhender le choix et l’ordre hiérarchique des thèmes aux journaux télévisés de Télé–Congo et DRTV, il nous a paru nécessaire de convoquer un premier indicateur à savoir le contexte de développement des télévisions au Congo. La remise en cause brutale de la situation de monopole d’État sur la télévision au Congo enclenchée en 1990 a provoqué la redéfinition du rôle de l’État, avec la transition de la télévision d’État vers une télévision dite de « service public » et le développement d’un secteur privé télévisuel à partir de 2002. Le secteur public télévisuel est animé par l’unique chaîne publique Télé-Congo. Télé-Congo est une chaîne publique sous tutelle du ministère de la Communication. Le décret n°2003-224 du 21 août 2003 portant attributions et organisation de la direction générale de la télévision nationale stipule dans son article 1 que « la direction générale de la télévision nationale est l’organe technique qui assiste le ministre, dans l’exercice de ses attributions en matière de télévision ». Par ailleurs, les agents de la télévision nationale congolaise ont le statut de fonctionnaire et souffrent d’un manque de formation adéquat du fait, notamment, des difficultés budgétaires et de l’absence d’un bon plan de formation. En même temps, il existe un Conseil Supérieur de la Liberté de Communication (CSLC) chargé entre autres de réguler la communication dans le pays et de répartir le temps d’antenne en période électorale.
Dans le secteur privé, bien qu’on assiste aux lancements de plusieurs chaînes privées (TOP TV, VOX TV, DRTV, ESTV, …), elles appartiennent pour la plupart aux personnalités proches du pouvoir en place. C’est le cas de La Digital Radio Télévision (DRTV-International). DRTV est la doyenne des chaînes privées congolaises. Elle est lancée en 2002 et fait partie d’un groupe de presse audiovisuelle, constitué de deux chaînes de télévisions (Digital Radio Télévision en sigle DRTV-International et Digital Radio Télévision Force One en sigle DRTV F1) et une station de radio. Ce groupe de presse audiovisuelle est la propriété d’un opérateur privé, Monsieur Norbert Dabira, général des forces armées congolaises. À ses débuts, DRTV a consacré une grande part de son budget à la formation de ses agents, mais ces dernières années, suite aux difficultés financières, ce budget consacré à la formation s’est retrouvé largement en baisse.
Ainsi, même si la loi n°8 – 2001 du 12 novembre 2001 consacre en théorie la libéralisation du secteur médiatique, l’État tente de maintenir une main mise sur les médias. Elle se traduit par la mise en œuvre des reformes inachevées et l’autorisation sélective et restrictive des médias privés.
2.2. Hiérarchisation de l’information à Télé – Congo aux ordres des actualités présidentielles et gouvernementales
Après cet éclairage, le tableau ci-dessous présente les résultats de l’analyse des sommaires retenus par période à Télé-Congo :
Tableau N° 1 : Ordre hiérarchique des thèmes abordés aux sommaires des J.T de Télé-Congo en 2015, 2016 et 2017 | |
Catégorie | Pourcentage |
actualités présidentielles | 30 |
actualités gouvernementales | 30 |
thèmes de société | 20 |
Thèmes culturels | 10 |
thèmes internationaux | 10 |
Total | 100 |
Il ressort de ce tableau n°1 que l’ordre hiérarchique des thèmes abordés aux sommaires des journaux télévisés de Télé-Congo accorde une priorité aux actualités présidentielles. Les actualités du président de la République constituent les premiers sujets abordés aux sommaires des journaux télévisés de Télé-Congo. Les actualités gouvernementales se place en deuxième position. On enregistre en troisième position les thèmes de société. Enfin, les thèmes culturels et les thèmes internationaux occupent respectivement la quatrième et la cinquième place. Par ailleurs, les taux de représentativité des thèmes dans les sommaires des journaux télévisés de Télé-Congo s’inscrivent plus ou moins dans la même orientation. Les sommaires des journaux télévisés de Télé-Congo sont dominés par les actualités présidentielles (30%) et les actualités gouvernementales (30%). Ces deux premières catégories cumulent à elles seules 60% du taux de représentativité des actualités abordées aux sommaires des J.T. de Télé-Congo. On note 20% pour les thèmes de société. Enfin, les catégories thèmes culturels et thèmes internationaux enregistrent respectivement 10%.
Pendant la période 2015, les résultats des sommaires des journaux télévisés de Télé-Congo montrent un équilibre entre les différentes catégories. On enregistre 33% pour la catégorie actualités présidentielles, 33% pour la catégorie actualités gouvernementales et 33% pour la catégorie thèmes internationaux. Le premier thème rend compte de la poursuite des consultations initiées par le président de la République sur la vie de la nation et le fonctionnement de l’État. Le deuxième thème se focalise sur les conclusions de la seizième conférence de la Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale (CEEAC) tenue à N’Djamena au Tchad. La République du Congo a été représentée par le président de la République Denis Sassou N’guesso. Ce sommet a statué entre autres points sur la prolongation technique de la transition en République Centrafricaine. Bien qu’il porte sur la dixième université du notariat africain, cette activité (troisième thème du sommaire) a été supervisée par le ministre de la Réforme foncière de l’époque, représentant son collègue de la justice empêché.
Aussi, en 2016, on enregistre un taux de représentativité de 50% pour la catégorie actualités présidentielles, 25% pour les actualités gouvernementales et 25% pour la catégorie thèmes culturels. La première activité est consacrée à l’audience accordée par le président de la République aux dirigeants de la compagnie italienne ENI, avec à la clé la signature des accords portant sur le renforcement de l’offre énergétique au Congo. La deuxième activité quant à elle s’est focalisée sur des échanges entre le président de la République Denis Sassou N’guesso et Marck Gentilini, un expert en santé, sur la lutte contre les faux médicaments. Le troisième thème du sommaire est consacré à l’actualité du gouvernement, notamment l’ouverture à Ewo dans le département de la Cuvette Ouest des Assises nationales de la santé sous la supervision du premier Ministre. Enfin, le dernier point abordé dans le sommaire relève d’un thème politico-culturel, à savoir l’organisation d’une conférence-débat autour d’un ouvrage sur la nécessité de management politique dans la gestion du pouvoir : Mr Serge Ikiemi, l’organisateur de cet événement, a été l’invité du journal télévisé.
En 2017, même si la première actualité abordée au sommaire relève des actualités gouvernementales, cette catégorie n’occupe que 33% des thèmes abordés au sommaire des J.T. de Télé-Congo contre 67% des thèmes de société. Le premier titre du journal est consacré à l’actualité gouvernementale, notamment à une réunion du comité de pilotage du Programme National de Développement 2017-2021 qui s’est tenue sous l’autorité du chef du gouvernement Clément Mouamba. Le deuxième et troisième titres du journal portent sur des sujets de société, respectivement d’une part, l’ouverture du guichet unique des passeports rwandais mise en place à Brazzaville afin de permettre aux réfugiés rwandais désireux de rentrer chez eux d’obtenir facilement ce document et d’autre part, le départ du Directeur Général de la Société des Transports Publics Urbain (STPU), condition posée par les travailleurs de cette société pour lever la grève qu’ils observent depuis un mois.
Ces résultats de l’ordre hiérarchique des thèmes abordés aux sommaires des journaux télévisés de Télé-Congo de 2015 à 2017 montrent un déséquilibre entre les différentes catégories. Ce déséquilibre s’explique par un écart important de 20% entre les premières catégories (actualités présidentielles 30% et actualités gouvernementales 30%) et les dernières catégories (thèmes culturels 10% et thèmes internationaux 10%).
À la lumière de l’analyse des sommaires de la chaîne nationale Télé-Congo, nous observons donc bien le déploiement d’une logique institutionnelle. Ce constat interpelle le statut de chaîne de service public tant revendiqué par Télé-Congo. Dans cette logique institutionnelle, la priorité des sommaires est accordée aux actualités présidentielles et aux actualités gouvernementales. Cette tendance s’inscrit dans la conception de la « télévision comme un instrument essentiel de domination idéologique des masses » (Latorre et al. 6) » et « d’appareil idéologique d’État » (Foucault).
Tableau N° 2 : Ordre hiérarchique des sujets abordés aux journaux télévisés de Télé-Congo de 2015, 2016 et 2017 | |||||
N° | Catégorie | 2015 | 2016 | 2017 | Total |
1 | actualités présidentielles | 3 | – | 5 | 8 |
2 | actualités gouvernementales | 3 | 7 | 4 | 14 |
3 | thèmes de société | 2 | 3 | 3 | 8 |
4 | thèmes économiques | 1 | 4 | 3 | 8 |
5 | thèmes politiques | 3 | – | 1 | 4 |
6 | Thèmes culturels | – | – | 2 | 2 |
7 | Thèmes internationaux | 2 | – | – | 2 |
Total | 14 | 14 | 14 | 46 |
Ce tableau met en lumière les résultats de l’ordre hiérarchique des sujets abordés aux journaux télévisés de Télé-Congo des périodes 2015, 2016 et 2017. Ces résultats montrent clairement des effets d’agenda médiatique qui se déploient sur Télé-Congo. L’ordre hiérarchique des sujets aux journaux télévisés de Télé-Congo s’inscrit dans la même orientation que celui des sommaires. Télé-Congo accorde une priorité aux actualités du président de la république. Les actualités du président de la République constituent les premiers sujets abordés aux journaux télévisés. En 2015 et en 2017, les conducteurs d’actualité lui consacrent ainsi 8 unités d’enregistrement en tant que premier sujet ouvrant le J.T., soit 3 premiers sujets pour la période 2015 et 5 premiers sujets pour la période 2017. Le taux de représentativité des actualités du président de la République sur l’ensemble des périodes est évalué à 17%. Par ailleurs, si la première place est occupée par l’actualité directement liée au président de la République, la seconde est consacrée à l’actualité du gouvernement. Ces trois exemples indiquent que sur les 46 sujets diffusés, 14 sujets ont été consacrés à l’actualité du gouvernement et diffusés immédiatement après l’actualité du président de la République pour le premier et troisième conducteur, et en premier lieu pour le deuxième conducteur d’actualité, en l’absence de l’actualité liée au président de la République. L’actualité du gouvernement enregistre le taux de représentativité le plus élevé de notre échantillon avec 30%, soit 3 sujets diffusés en 2015, 7 sujets diffusés en 2016 et 4 sujets diffusés en 2017. Aussi, on note en troisième position de l’ordre hiérarchique des sujets abordés aux journaux télévisés de Télé-Congo, les catégories thèmes de société et thèmes économiques 17% chacune. Les thèmes politiques se positionnent en quatrième position de l’ordre hiérarchique des sujets abordés aux J.T de Télé-Congo avec 9%. Enfin, on enregistre un taux de représentativité de 4% pour les deux dernières catégories thèmes culturels et thèmes internationaux.
Par ailleurs, ces résultats confirment le déséquilibre observé entre les différentes catégories au niveau des sommaires à propos des thèmes abordés. Ce déséquilibre se traduit par un écart important de 26% entre la catégorie actualités gouvernementales (30%) et les catégories thèmes culturels et thèmes internationaux (4%). Ils montrent clairement le positionnement institutionnel de Télé – Congo.
Au regard des indices collectés, Télé – Congo accorde une priorité à l’actualité du président de la République et du gouvernement, rejoignant ainsi le constat que Kaarle Nordenstreng et Tapio Varis avait établi quant à la réduction à l’institutionnel à côté de l’anecdotique des sujets traités par les grandes agences mondiales s’agissant de la transmission des dépêches concernant les pays du sud (Nordenstreng, Varis).
Si la chaîne s’inscrit dans un processus de mutation d’une chaîne d’État vers une chaîne de service public, dans la pratique, l’empreinte de l’État à travers ses institutions reste assez présente. Comme le témoigne Marie Soleil Frère (144), « le média télévisuel a toujours constitué une préoccupation essentielle pour l’élite dirigeante. Soucieux de leur image, les chefs d’État et les mandataires politiques se montrent extrêmement sensibles aux contenus diffusés ». Les journaux télévisés en contexte congolais demeurent « pensés » par les gouvernants, ainsi que Jérôme Bourdon l’a observé, comme « un moyen de concrétiser les liens entre le cœur du pouvoir et la périphérie en permettant une communication directe à sens unique » (Bourdon 63). Ce constat établi par l’auteur ne fait pas non plus l’unanimité, au sens où nous assistons depuis la décennie 1990 à la libéralisation de l’espace médiatique en contexte congolais, à l’instar de ce qu’a démontré Tourya Guaaybess dans le cadre d’une analyse sur les télévisions arabes-« l’État n’est plus maître dans son royaume » (Guaaybess 154).
2.3. Choix et l’ordre hiérarchique des thèmes aux J.T. de DRTV dictés par les sujets de « proximité » à tendance multithématique
Le décryptage des sommaires et des conducteurs des journaux télévisés de DRTV nous permettra de mettre en exergue la hiérarchisation de l’information à DRTV.
Tableau N° 3 : Ordre hiérarchique des thèmes abordés aux sommaires des J.T de DRTV en 2015, 2016 et 2017 | |
Catégorie | Pourcentage |
Thèmes de société | 100 |
Total | 100 |
La lecture des résultats des sommaires de DRTV montre bien une volonté de « désinstitutionalisation » de l’information traitée par cette chaîne. Aucun thème institutionnel n’a été abordé dans ces trois exemples de sommaires. Les thèmes de société monopolisent les sommaires de l’ensemble des périodes étudiées avec un taux de représentativité de 100%. Plusieurs autres enseignements peuvent être dégagés de cette lecture des sommaires des J.T. de DRTV.
Premièrement, l’exemple sélectionné pour la période 2015, notamment le journal télévisé du 26 mai 2015, consacre son sommaire à deux thèmes. Le premier titre du journal télévisé s’arrête au lancement des épreuves du concours d’entrée en sixième et le dernier titre porte sur le bilan de la coopération entre les villes de Brazzaville et de Kinshasa en République Démocratique du Congo.
Deuxièmement, cette logique de « proximité » est également perceptible à travers l’exemple du sommaire du journal télévisé du 17 décembre 2016, constitué de deux titres également. Le premier titre aborde le désarroi des populations après des pluies à Brazzaville, notamment dans le 6è arrondissement Talangaï aux quartiers 66 et 68. Ce désarroi s’explique par l’énormité des dégâts avec les toitures des maisons emportées ici et là. Le dernier titre se consacre aux préparatifs de la rentrée académique à l’Université Marien Ngouabi où une organisation étudiante, le MEEC, prépare les nouveaux bacheliers à la rentrée académique.
Troisièmement, ce positionnement de proximité est également assumé à travers l’exemple du sommaire du journal télévisé du 6 septembre 2017. Ce sommaire aborde trois titres liés au quotidien des Congolais. Le premier titre porte sur une interrogation relative à la rentrée scolaire dans le système éducatif congolais où l’ouverture des portes des écoles au privé et au public ne sera plus fixée à la même date. Le deuxième titre aborde le phénomène de l’automédication dans la société congolaise et le dernier titre est consacré à la persistance de la grève à la Société de transport public urbain (STPU) à Brazzaville.
En attendant de poursuivre et approfondir nos analyses, nous observons donc déjà à travers les résultats des sommaires sélectionnés pour la chaîne DRTV une tendance à un positionnement de proximité de cette chaîne, selon les critères professionnels-discutables-de la notion.
Tableau N° 4 : Ordre hiérarchique des sujets abordés aux journaux télévisés de DRTV de 2015, 2016 et 2017 | |||||
N° | Catégorie | 2015 | 2016 | 2017 | Total |
1 | thèmes de société | 5 | 2 | 5 | 12 |
2 | actualités présidentielles | 1 | – | 1 | 2 |
3 | actualités gouvernementales | 2 | 2 | – | 4 |
4 | thèmes économiques | – | 2 | 2 | 4 |
5 | thèmes politiques | – | 1 | – | 1 |
6 | Autres (religion, culture) | 3 | 1 | 2 | 6 |
7 | Thèmes de port | – | – | 2 | 2 |
8 | Thèmes internationaux | 3 | – | 3 | |
Total | 14 | 8 | 12 | 34 |
Les résultats de l’examen des conducteurs de l’actualité des journaux télévisés de DRTV montrent que la hiérarchisation de l’information dans cette chaîne est dominée par des thèmes de société. Les thèmes de société constituent les premiers sujets abordés aux journaux télévisés de DRTV. Ils enregistrent le taux de représentativité le plus important de notre échantillon avec 35%, soit 5 sujets diffusés en 2015, 2 sujets diffusés en 2016 et 5 sujets diffusés en 2017. Par ailleurs, on enregistre en deuxième position de l’ordre hiérarchique des sujets abordés aux journaux télévisés de DRTV, les actualités du président de la République avec 6%, soit 1 sujet diffusé en 2015 et 1 sujet diffusé en 2017. On enregistre en troisième position de l’ordre hiérarchique des sujets abordés aux J.T. de DRTV les actualités gouvernementales. Elles occupent 12% du taux de représentativité de notre échantillon. On note en quatrième position de l’ordre hiérarchique des sujets abordés aux J.T. de DRTV la catégorie thèmes économiques avec 12%. On enregistre en cinquième position de l’ordre hiérarchique la catégorie thèmes politiques avec 3%. La catégorie « autres » (religion et sport) se place en sixième position avec 18%. La septième place de l’ordre hiérarchique est occupée par les thèmes de sport avec 2%. Enfin, la catégorie thèmes internationaux se termine en dernières position avec 8%.
Au regard de ces résultats, on observe que DRTV se positionne sur le territoire de la proximité en accordant sa priorité aux sujets de société. L’ordre hiérarchique des sujets aux journaux télévisés de DRTV met en avant des sujets considérés comme « proches » des préoccupations locales du quotidien, s’il faut se contenter de cette définition floue et pourtant corporativement consacrée de la proximité en tant qu’ « imaginaire communicationnel » (Restier-Melleray 251-270).
Au-delà de l’importance qu’accorde la chaîne aux sujets de proximité, ces résultats mettent également en lumière une tendance de diversité thématique qui se justifie par des écarts moins importants entre les différentes catégories. DRTV s’aligne dans une logique de diversité thématique, s’inscrivant dans la thèse de Hervé Bourges sur la « décolonisation de l’information », quand l’auteur s’insurgeait contre cette hégémonie des contenus des J.T. imposés par les agences du Nord pour le traitement de l’information internationale, y compris depuis le Sud via les abonnements aux agences mondiales, situées au Nord et proposant d’ouvrir ce traitement à l’information de proximité, supposée intéresser prioritairement les populations locales (Bourges).
Conclusion
Il ressort de l’examen de six sommaires et six conducteurs des journaux télévisés, soit 10 titres et 80 sujets d’actualité des J.T. de Télé- Congo et DRTV, un schéma de l’ordre hiérarchique de l’information télévisuelle en contexte congolais diamétralement opposé. Télé-Congo accorde une priorité aux actualités du président de la république et du gouvernement. Les actualités du président de la République et du gouvernement constituent respectivement les premiers et deuxièmes sujets abordés aux sommaires et aux journaux télévisés de Télé – Congo. Par contre, DRTV s’aligne sur le territoire de la proximité. Les thèmes de société constituent les premiers sujets abordés aux journaux télévisés de DRTV.
Ces résultats confirment notre première hypothèse qui forme le présupposé selon lequel le choix et l’ordre hiérarchique des thèmes aux J.T. de Télé-Congo est dominé par les actualités présidentielles et gouvernementales et à DRTV par les sujets de proximité.
De ce fait, au-delà du processus de libéralisation des médias engagé au Congo, l’État tente de garder un regard attentif sur les contenus médiatiques. Ce constat permet de confirmer notre deuxième hypothèse qui justifie le choix et l’ordre hiérarchique de l’information à Télé-Congo et DRTV par un environnement télévisuel sous influence étatique.
Ces résultats ouvrent la voie à d’autres pistes de recherche notamment à étendre le nombre de chaînes de notre corpus et élargir le corpus d’étude.
Travaux cités
Bardin, Laurence, L’analyse de contenu. Paris : Presse Universitaires de France, (2è Édition ”Quadrige”), 2016.
Bourdon, Jerôme, Frondon, Jean-Michel (dirs), L’œil critique. Le journaliste critique de télévision. Bruxelles : Édition De Boeck Université, coll. Médias recherches, 2003.
Bourges, Hervé, Décoloniser l’information. Paris : Cana (Coll. « Des idées et des hommes »), 1976.
Cabedoche, Bertrand, « En témoignage du désir d’Histoire », p. 15-25, préface à l’ouvrage de Ekambo, Jean-Chrétien, Médias pionniers au Congo : Se Kukianga 1891 ; Minsamu Miayenge 1892. Kinshasa et Paris : L’Harmattan, coll. « Médias d’hier »), 2018.
Charaudeau, Patrick, Le discours d’information médiatique, La construction du miroir social. Paris : INA-Nathan, 1997.
Charaudeau, Patrick, Lochard Guy, Soulages Jean-Claude, Fernandez Manuel et Croll, Anne, La télévision et la guerre : Déformation ou construction de la réalité ? Le conflit en Bosnie (1990-1994). Bruxelles : Ina-De Boeck, 2001.
Charaudeau, Patrick, Lochard et Guy, Soulages, « La couverture thématique du conflit en ex-Yougoslavie (1990-1994) » : 31-46., in Charaudeau, Patrick, Lochard, Guy, Soulages, Jean-Claude, Fernandez, Manuel et Croll, Anne, La télévision et la guerre : Déformation ou construction de la réalité ? Le conflit en Bosnie (1990-1994). Bruxelles : Ina-De Boeck, 2001.
De Bonville, Jean, L’analyse de contenu des médias. De la problématique au traitement statistique. Bruxelles : De Boeck, 2006.
Gakosso, Jean-Claude, La nouvelle presse congolaise. Paris : l’Harmattan (Coll. ”Études africaines”), 1997.
Garcin-Marrou, Isabelle, « L’événement dans l’information sur l’Irlande du Nord ». Réseaux n° 76, CNET, (1996) : 60.
Guaaybess, Tourya, Télévisionsarabes sur orbite. Un système médiatique en mutation (1960-2004). Paris : CNRS Éditions, 2005.
Lotorre, Amigo, Bernardo, Lochard, Guy, Identités télévisuelles. Une comparaison France-Chili. Paris : l’Harmattan, 2013.
Mattelart, Armand, « Le désir d’histoire. Un itinéraire culturel », in Mattelart Tristan (coord.), « Contributions aux recherches critiques sur la communication », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°14/3A, 2013 : 17-31, consulté le samedi 7 avril 2018 , [en ligne] https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2013-supplement/02MattelartA/
Miège, Bernard (dir), Le J.T : mise en scène de l’actualité à la télévision. Paris : INA, 1986.
Ndeke, Jonas, Charles, « La pluralité des chaînes de télévision au Congo Brazzaville. Symbole de la diversité thématique ? », Revue Editions Oudjat, numéro 001, 2018 : 6-8, http://editionsoudjat.org/index.html/spip.php?article47.
Ndeke, Jonas, Charles, Les journaux télévisés dans le nouveau paysage de l’information médiatique au Congo (Brazzaville). La difficile construction d’un espace public fragmenté, entre télévisions nationales, publique (Télé-Congo) et privée (DRTV), médias transnationaux et médias sociaux (1990-2018), 2019.
Nordenstreng, Kaarle, Varis, Tapio, Television Traffic – A One-way Street? Paris : Unesco Reports and Papers on Mass Communication, No. 70., 1974, Online http://unesdoc.unesco.org/images/0000/000075/007560eo.pdf (en version française: « La circulation à sens unique ? Revue et analyse de la circulation des programmes de télévision dans le monde, Études et documents d’information, n° 70, Paris : Unesco, (1974) :15-44.
Miyouna, Ludovic, Robert, La télévision congolaise. Thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication soutenue à l’Université Bordeaux III, sous la direction du Professeur André-Jean Tudesq, 1991.
Restier-Melleray, Christiane, « La proximité dans les médias : retour sur une loi », p. 251-270, in Le Bart, Christian, Lefebvre, Rémi (dir.), La proximité en politique : usages, rhétoriques, pratiques. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2005.
Vigour, Céline, La comparaison dans les sciences sociales. Paris : La Découverte, 2005.
Comment citer cet article :
MLA : Ndeke, Jonas Charles. « La hiérarchisation de l’information télévisuelle au Congo (Brazzaville). » Uirtus 1.2. (décembre 2021): 601-617.
§Université Marien Ngouabi, Congo (Brazzaville), [email protected]
[1] www.congo-site.org
[2] www.telecongo.cg