Résumé (L’Histoire de la chefferie de Vogan, de Assigblé Adra (1890) à Jacob Kalipé (1982))

Azontowou Senou§

Résumé : La chefferie de Vogan a été dirigée au début de la colonisation allemande à partir de  1890, par Assigblé Adra. Celui-ci a désigné des notables dans chaque quartier de son ressort, parmi lesquels Paul Kalipé qui a fini par devenir le chef investi par les Allemands en 1898. Il est mort le 5 juin 1951, après 53 ans de règne. Sa succession a posé un véritable problème entre ses fils. L’administration française s’y est mêlée, cherchant à imposer le candidat de son choix, en la personne de Jacob Akpasso Kalipé, fils cadet du défunt chef et militant du Parti togolais du progrès.  Elle a refusé d’entériner la désignation de Ferdinand Kalipé, le fils aîné et partisan du Comité de l’unité togolaise. La population, surtout la jeunesse, qui supporte massivement le candidat rejeté, s’est opposée au choix du conseil de famille influencé par le pouvoir colonial. Les affrontements ont été violents entre les deux camps, entraînant des morts, des blessés et des arrestations.

Mots-clés : chefferie, Vogan, administration coloniale, conflits, conséquences.

Abstract: At the beginning of German colonization, the chieftaincy of Vogan was assured by Assigblé Adra. The latter appointed notables in each district under his jurisdiction, including Paul Kalipé. Kalipé eventually became the chief and was invested by Germans in 1898. He died on June 5, 1951 after leading his community for 53 years.His succession caused a real problem among his sons. The French colonizers got involved, seeking to impose a contender of their choice. The eldest son of the deceased chief, Ferdinand Kalipé, was an advocate of the Comité de l’unité togolaise (a political party that advocated immediate independence for Togo). The French rejected him and chose Jacob Akpasso Kalipé, the youngest son of Paul Kalipé and a staunch supporter of the pro-French Parti Togolais pour le Progrès (PTP). The population, especially the youth, who massively supported Ferdinand’s candidacy, opposed the French choice. There were violent clashes between the two camps, with deaths, injuries and arrests.

Keywords: chieftaincy, Vogan, settlers, conflicts, damage.

Introduction

La chefferie telle qu’on la conçoit pendant la colonisation avec toutes les difficultés qui l’entourent,  n’était pas le cas pendant la période précoloniale où le chef (agnigbafio) est choisi parmi les descendants mâles du premier occupant du sol et ne sortaient pas de sa chambre d’où son nom de Homefio (roi ou chef de chambre). Les données ont changé pendant la période coloniale : le chef n’est pas, nécessairement, issu du premier occupant du sol, mais parmi ceux qui sont entièrement acquis à la cause du colonisateur. Tel est le cas de la chefferie de Vogan où Assigblé Adra qui était le premier chef de cette localité intronisé dans les années 1890 à partir du moment où il n’est pas qualifié de précieux auxiliaire par l’administration coloniale allemande, il faut l’accuser de rage pour pouvoir l’abattre. Ainsi, il fut détrôné au profit de Paul Kalipé. Après la mort de ce dernier, sa succession n’a pas été facile. Le jeu politique rentra ainsi dans l’affaire de chefferie. L’aîné, Ferdinand Nouwomkpo Kodjo Kalipé, agent de la United african company (UAC), dont le résident général est Sylvanus Olympio et membre du Comité de l’unité togolaise (CUT), est soutenu par ce parti politique. Le cadet, Jacob Akpasso Kalipé, son demi-frère, du Parti togolais du progrès (PTP), bénéficie de l’appui de la France. Sous l’administration coloniale française, Jacob Kalipé a pu succéder à leur père, Paul Kalipé, et est devenu chef de Vogan, sous le nom de Jacob Akpasso Kalipé II. C’est ce que nous étudierons à travers l’Histoire de la chefferie de Vogan, de Assigblé Adra (1890) à Jacob Kalipé (1982).

Pour parvenir à nos résultats, nous avons mis à contribution les sources orales, les sources écrites, les documents d’archives dont leurs analyses nous ont permis de faire  ressortir un plan à deux volets : La chefferie de Vogan  de Assigblé Adra à Paul Kalipé et la succession de Paul Kalipé et ses conséquences sur Vogan et ses environs.

1. La chefferie de Vogan : de Assigblé Adra (1890) à Paul Kalipé (1898)

A l’arrivée du colonisateur allemand, il faut des autorités traditionnelles pour véhiculer leurs idéaux au détriment des rois de terre qui ne sortaient de leurs chambres. A Vogan, le choix fut au début porté sur Assigblé Adra. Mais qui est ce personnage ?

1.1. Qui est Assigblè Adra ?

Au début de la colonisation allemande, dans les années 1880, les Allemands ont commencé à intervenir dans les affaires de chefferie dans la partie méridionale du pays en mettant en place leurs auxiliaires. Le cas de la chefferie de Kouvé en 1885, de Togoville en 1890 où Plakou fut imposé comme chef (Sossou, 2001, p. 351). C’est dans cet ordre que la population de Vogan a aussi intronisé Assigblé Adra comme chef en 1890. Ce dernier a choisi, dans chaque quartier, ses collaborateurs ou notables parmi lesquels figurait De Saba Kalipé Aziafon, baptisé plus tard Paul. Selon les propos  de Kalipé Kowou, la population aurait contesté peu après le pouvoir d’Assigblé Adra pour la simple raison qu’il les tenait d’un bras de fer (Ce qui est porté à la connaissance des autorités allemandes). Pour d’autres, ce chef n’aurait pas été très dégourdi à la cause du colon allemand, raison de sa révocation et les Allemands ont mandaté les notables de faire un autre choix et de le porter à leur connaissance. Un choix qui fut porté sur la personne de Kalipé qui est investi par les Allemands en 1898. Nous n’avons pas eu accès à l’acte et surtout les archives allemandes. Après ce briefing sur Assigblé Adra, ce chef déchu, qui est Paul Kalipé ?

1.2. Paul Kalipe : l’homme et ses œuvres

1.2.1. L’homme

Paul Kalipé a accédé au trône en 1898 et a fait de Vogan une grande agglomération. Originaire de Fina-Monou, un petit village distant de sept kilomètres de Vogan et qui est devenu, plus tard, Gaohonou (maison des rois), Paul Kalipé  a connu la colonisation allemande, l’intermède anglais et la colonisation française jusqu’à sa mort le 5 juin 1951, après 53 ans de règne.

 Ce dernier ne s’est pas seulement contenté de son trône, mais il a aussi développé l’agriculture, et surtout l’horticulture qui lui ont fait obtenir de nombreuses distinctions honorifiques comme notamment le prix d’honneur de l’Exposition d’horticulture du Prince de Mecklembourg et  la médaille de chevalier du Mérite agricole, organisée à Lomé, avant la guerre, par les Allemands[1]. Paul Kalipé est catholique. Il a obtenu le diplôme de chevalier de l’Etoile noire du Bénin (Martet 74).

Photo n°1 : Paul Kalipé, chef traditionnel de Vogan

Source : Archives privées de la famille Kalipé[2]

1.2.2. Ses œuvres

Paul Kalipé a fait de Vogan une localité importante du pays ouatchi, réputée pour son marché hebdomadaire qui s’y tient le vendredi et que fréquentent de nombreuses revendeuses à la recherche de certains produits du terroir, comme l’huile de palme, le haricot rouge et surtout le gari ( Le Bris, 1984). La plus grande œuvre qu’on peut retenir de Kalipé est le canal qu’il a fait creuser en 1927  sur instruction de l’administrateur français, sur une distance de 2 km, reliant Vogan à la lagune, de sorte que les pirogues de la lagune puissent arriver jusqu’à Vogan. En cette année de 1927, le Gouverneur de Guise lui a rendu  visite et lui a adressé des compliments en ces termes : « Tu as fait là quelque chose que bien des rois n’ont pas fait »[3].Le chef Kalipé a un trésor qu’il ne montre qu’aux visiteurs de marque comme De Guise. Il porte dans son regard le respect et l’admiration qu’il a de lui-même. Le chef Paul Kalipé est très fier de ses diplômes et de ses médailles aussi (Chroniques anciennes du Togo, No 5, 74).

Disons que les chefs traditionnels qui sont en fait des auxiliaires du  colon, disposaient très peu de marges de manœuvre dans la gestion de leur communauté. Ils tenaient à rendrecompte des faits et gestes des populations à l’administrateur du cercle. Le fait de moindre incident n’échappe guère au contrôle de ce dernier. C’est  ainsi qu’à Vogan le 3 avril 1939, le Chef Paul Kalipé, dans une note adressée au chef de circonscription (Cf. annexe n°1), demanda autorisation de transfert des nommés Ségbon, Aménou et Kagbé qui se sont battus entre eux à la veille.  Le fait qu’il dirigeait la plus  forte population dans le cercle d’Aného en 1947 (46000 hbts[4]), il est qualifié de bon chef dans le compte-rendu de mission de l’inspecteur  des Affaires administratives au commissaire Bourgine[5].

Photo n° 2 : Paul Kalipé et le Commandant de Cercle d’Aného

                          Source : Archives privées de la famille Kalipé[6]

2. La succession de Paul Kalipé et ses conséquences sur Vogan et ses environs

Le 5 juin 1951, le canton de Vogan perd son chef, Paul Kalipé. Après la mort de ce vieux chef, la succession au trône met aux prises ses deux fils : l’aîné, Ferdinand Nouwomkpo, et le cadet, Jacob Akpasso.

2.1 La succession au trône de Paul Kalipé

Il faut signaler que Kalipé 1er est un grand défenseur de Comité de l’unité togolaise (CUT), une association créée par le Gouverneur Montagné en 1941, pour soutenir la France en détresse au cours de la seconde Guerre Mondiale, de même que son fils aîné Ferdinand, l’héritier présomptif du trône. En 1946, au moment où le CUT est transformé en parti politique, défendu par Sylvanus Olympio, Paul Kalipé a observé une stricte neutralité et s’est mis en retrait de tous les partis politiques[7]. Par contre, son fils aîné Ferdinand a continué à être le grand défenseur de ce parti nationaliste.

Par contre, le fils cadet du chef défunt, Jacob Akpasso, est le chef de file du Parti togolais du progrès (PTP)  à Vogan. C’est un parti pro-français qui lutte aux côtés des Français pour une indépendance progressive et non immédiate comme le revendiquent les membres du CUT.  Ce dernier bénéficiant de l’appui de la France veut accéder au trône entrainant ainsi le clivage du clan royal  entre partisans du CUT et ceux du PTP.

C’est le fils cadet, membre du PTP, qui a le dessus et succède à son père sous le nom de Kalipé II.

Photo n° 3 : Jacob Akpasso ou Togbui Kalipé II

            Sources : Archives privées de la famille Kalipé[8]

Cette succession se déroule dans un climat délétère.

En effet, deux versions s’opposent sur le mode de dévolution du pouvoir : l’une veut que la succession soit patrilinéaire avec principe de primogéniture ; tandis que l’autre, expliquant qu’il n’existe, en fait, aucune règle précise, veut que la liberté de choix soit laissée au chef, qui, de son vivant, désigne son successeur parmi ses enfants.

Dans l’une ou l’autre des hypothèses, le successeur ne doit être frappé d’aucune incapacité (physique et morale), et sa désignation doit résulter d’un consensus du conseil de famille. Le problème est donc assez préoccupant pour nécessiter, de la part des autorités administratives locales françaises, une réunion des chefs ouatchi pour rendre un avis sur la question. Ce qui est fait le 1er septembre 1951, dans les bureaux du cercle d’Aného, en présence du commandant de cercle A. André. L’avis rendu est le suivant :

La coutume ouatchi prévoit en cas de décès du chef, la nomination immédiate de son successeur. Si le chef, de son vivant, a désigné son successeur, c’est celui-ci qui est nommé, car le chef défunt prend, avant cette désignation, l’avis du conseil de famille. Si le chef défunt n’a désigné personne pour lui succéder, la désignation est faite par le conseil de famille qui choisit le fils ou à défaut un membre de la famille. (Kponton 183)

Cet avis unanime a été rendu par des chefs ouatchi en majorité d’obédience PTP dont  Michel Ayassou de Kouvé, Jean Sepenou d’Akoumapé, Noudoukou  de Dagbati, Capitaine Koffi de Tchekpo, Akakpo Akoeté de Vokoutimé, Messanvi Agbezouhlon d’Attitogon, Amoussou Assignon d’Ahépé, Akakpo Kou d’Amégnran. En revanche, d’autres chefs ouatchi, tels que Francis Chardey d’Afagnan, Kuégan Tognon d’Agomé-Glozou, Viagbo de Tabligbo, n’ont pas assisté à cette réunion pour des motifs non élucidés (Kponton 185).L’opposition de la population de Vogan à l’accession au trône de Jacob Kalipé provoqua des troubles dont le plus grave est celui du jeudi 23 août 1951.

2.2. Le refus d’un chef imposé

En cette journée du jeudi 23 août 1951, Jacob Kalipé doit rendre la justice, pour la première fois, en tant que nouveau chef de Vogan. La population de Vogan s’oppose à la tenue de la séance pour les raisons suivantes :

  • si, à une certaine période de sa vie, Paul Kalipé a pensé faire de son fils Jacob son successeur, il est revenu sur sa décision, de façon publique, en raison du comportement de ce dernier, et il aurait d’ailleurs fait parvenir aux autorités françaises une lettre dans ce sens ;
  • toujours pour les adversaires de Jacob Akpasso Kalipé, cette collaboration du fils et du père serait consécutive à une supercherie du fils qui aurait fait, en 1938, une traduction fallacieuse des propos d’un administrateur, laissant entendre au vieux chef Paul que la France souhaite que Jacob, le fils, gère la ville de Vogan, tandis que le père, dirige le canton.

Aussi, cette session du tribunal, sous la présidence de Jacob Kalipé, ne fait-elle pas l’unanimité au sein de la population, dont l’opposition est portée à la connaissance du nouveau chef. Ce dernier en fait, d’ailleurs, part au commandant de Cercle, qui minimise l’affaire.

Le 23 août, la colère gronde. La population, du moins une bonne partie, n’entend pas que Jacob Kalipé préside le tribunal coutumier qui doit juger plusieurs affaires. Très tôt le matin, les manifestants envahissent les rues, scandant des slogans hostiles au chef : « Jacob ne présidera pas son tribunal : il n’y a plus de chef ». (Kponton 185).

Selon Kokoe Koffi[9], Jacob Kalipé est contraint de quitter le tribunal et de se réfugier chez lui, où il se fait protéger par ses proches. L’autorité administrative à laquelle il fait appel achemine d’Anfoin, village situé à mi-chemin entre Vogan et Aného, 10 gardes de cercle, sous les ordres d’un gradé, pour tenter de rétablir la situation.

Cependant, loin de se calmer, la révolte continue de gronder. Le tam-tam de guerre retentit dans la ville. Les cloches de la mission catholique sonnent à toute volée. En outre, depuis le début de cette journée, il a été signalé que les lignes téléphoniques, reliant Vogan à Aného, ont été coupées.

 Très vite, manifestants et forces de l’ordre envoyées dans les quartiers se retrouvent face à face entrainant ainsi des  altercations ont lieu. Au cours de l’une d’elles, non loin de la boutique de Ferdinand Kalipé, un garde-cercle, nommé Tchinda Elda, est pris à partie par les manifestants, qui le terrassent et lui arrachent fusil et baïonnette. Le chef de brigade Jolly, chef de poste de la gendarmerie d’Aného, organise alors le repli de ses forces vers le poste administratif.

Devant la pression toujours grandissante des manifestants, évalués entre 300 et 500 personnes, une nouvelle demande de renfort est adressée au commandant de cercle d’Aného, qui y satisfait aux environs de 11 heures. Ce qui porte à 25 le nombre des gardes, encadrés par l’adjoint au commandant de cercle et un gendarme français.

A 11h 30, 13 gardes de cercle viennent en appui à leurs collègues. Arrive, ensuite, à Vogan l’administrateur André, commandant de cercle d’Aného.

12 heures : le commandant de cercle André repart sur Aného avec le chef de Brigade Jolly, pour n’en revenir qu’à 17h 30, bien après la fin de l’émeute.

La direction des opérations est alors confiée au gendarme Flouzat, avec pour mission de contenir les manifestants et de protéger les infrastructures administratives (bâtiments et véhicules).

12h 30 : les événements se précipitent. La foule marche sur la place administrative. Parmi les insurgés, de nombreuses femmes et de nombreux habitants du quartier Bamè, dont le jeune Amouzou Magnigbo. Munis de machettes, de gourdins et d’armes à feu (fusils de traite), pour les hommes, et de bouteilles pleines d’un cocktail d’eau et de piment pour les femmes, les manifestants parcourent les rues.

Plusieurs tentatives sont faites pour parvenir à la place administrative. C’est au cours de l’une d’elles que le nommé Ben Agboto, dit Tomgbla, est arrêté. La foule se déchaîne alors pour le délivrer.

13h : les forces de l’ordre, se sentant acculées, font usage de leurs armes (fusils et grenades), sur l’ordre du gendarme Flouzat, en présence de l’adjoint au commandant de cercle d’Aného, M. Richard.

Au commandement, le tir partit, très bref. Il ne dura que quelques minutes… ‘’

… Six individus furent atteints mortellement

… Un blessé laissé sur l’esplanade mourut peu après, ce qui porte à sept le nombre de morts, dont deux femmes. (Kponton 186)

Tel est le bilan officiel de cette journée du 23 août 1951 à Vogan. Aussi bien sur le nombre des morts que sur celui des blessés, il semble que le décompte n’ait pu être effectué de façon exacte.

Le gouverneur Digo reconnaît lui-même, dans son compte rendu sur les incidents de Vogan réclamé par le ministre des Colonies, M. Pignon : « Il est difficile d’évaluer le nombre de blessés ».

En effet, par crainte de représailles, tous les blessés ne se présentent pas dans une formation sanitaire. Les estimations officielles de 10 à 14 blessés peuvent donc être revues à la hausse. Cette remarque est tout aussi valable pour le nombre de morts. D’une part, on reconnaît à Vogan que beaucoup de blessés ont préféré se faire soigner chez eux, afin d’échapper à toute investigation de l’autorité administrative, et que, du fait de la gravité de leurs blessures, certains ont succombé à domicile, sans être déclarés. Mais alors, quelles sont les conséquences de ces événements de Vogan ?

2.3. Les conséquences des événements du 23 août 1951 à Vogan et ses environs

Outre les morts et les blessés que l’on déplore, les incidents de Vogan ont comme conséquences : l’arrestation et l’emprisonnement de certaines personnes.

2.3.1. Les arrestations et le procès de Lomé

Une chasse aux sorcières est entreprise à la suite des événements du 23 août. Dès le 24, le gouverneur Digo fait part d’une vingtaine d’arrestations lors de sa visite, ce jour même, à Vogan. Les membres du CUT, que l’administration française juge responsables de l’agitation politique ayant conduit aux événements à Vogan, sont activement recherchés.

Les arrestations se sont étalées sur trois années : 1951, 1952 et 1953. Elles dépassent les limites du canton de Vogan et leur aboutissement est le procès en cour d’assises, d’octobre 1953, à Lomé.

Doivent se présenter, devant cette cour, une soixantaine d’accusés dont l’âge varie, en général, entre la trentaine et la quarantaine. Toutefois, il est à noter la présence, sur le banc des accusés, de certains prévenus âgés de plus de 60 ans. C’est l’exemple d’Amouzou Zebada, un des principaux accusés de Vogan, qui a plus de 70 ans.

A l’ouverture du procès, sur les 60 personnes :

-34 sont détenues ;

-19, arrêtées dès 1951, bénéficient d’une liberté provisoire qui leur a été accordée à partir de 1952 ;

-7, en fuite, sont recherchées depuis 1951 ou 1952 selon le cas, dates du lancement d’un mandat d’arrêt contre elles ;

Les prévenus comparaissent sous différents chefs d’accusation :

– participation à des réunions au cours desquelles la rébellion a été soit décidée, soit organisée ;

– instigation et (ou) participation à la révolte ;

– participation à des marches ayant précédé les événements du 23 août ;

– propos injurieux ou provocateurs à l’égard de l’autorité coloniale française ;

– port d’armes blanches ou contondantes (machettes, gourdins) ou d’armes à feu (fusils de traite) ;

– volonté supposée d’aller rejoindre les rangs de la rébellion ;

– insultes aux forces de l’ordre durant les incidents ;

– pratiques occultes…(Kponton 187-188)

De plus, l’appartenance au CUT semble être un fait aggravant. Parmi les accusés, figurent Ferdinand Kalipé, Augustin Tossou Agboh, Emmanuel Koumaglo, Amouzou Zebada, Messan Alfred Zidol, Kpodonou Zidol, Kponton Emmanuel, Ben Agboto dit Tomgbla, etc.

Outre les dépositions des représentants de l’ordre colonial comme Paul Jolly, chef de poste de la gendarmerie d’Aného, l’autorité a eu recours à plusieurs témoins à charge à Vogan. Ce sont, entre autres, Jacob Kalipé lui-même, Albert Kalipé (son secrétaire), Anani Alognon, Mamavi Ayissou, Emile de Saba, Kpeto de Saba, Aziagble Kpongbaya, etc.

Bien qu’aucun des accusés ne possède d’antécédents judiciaires, on aboutit, aux termes des assises de Lomé qui ont été mouvementées, à plusieurs condamnations à des peines d’emprisonnement, qui ont été purgées à Lomé, Kpalimé et Mango. Toutefois, même après leur libération quelques années plus tard, ils ont été mis sous surveillance. Le rapport adressé le 2 mai 1956 au Chef Collin, Commandant de la Brigade de la gendarmerie, en témoigne (Cf. annexe n°2).

Photo no 4 : Les prisonniers politiques de Vogan

Sources : Archives privées de la famille Kalipé[10]

2.3.2 Les retombées positives du règne de Jacob Kalipé

Les débuts du règne de Jacob Kalipé ont été tumultueux. Mais, après avoir maîtrisé les poches de résistance avec l’appui de la France et pacifié Vogan et ses environs,  Kalipé II a renforcé son pouvoir par les grandes œuvres qu’il a mises en place.En effet, en 1956, le Chef Kalipé II de concert avec le Gouverneur et ses pairs du pays ouatchi ont mis en place un cours complémentaire pour former les premiers cadres (Cf. annexe n°3).

Jacob Kalipé a fait partie des négociations avec les responsables de la compagnie togolaise des mines du bénin (CTMB) en 1962 et dont certains avantages sont revenus  à ses sujets du point de vue recrutement et de mise en place de certaines infrastructures scolaires et sanitaires dans des grandes agglomérations de Vogan dont entre autres : Akoumapé, Hahotoe, Amégnrakondji. Par ailleurs, il fît creuser par endroit des puits dans sa communauté. Il a été longtemps à la tête de la chefferie de Vogan : 1951-1982, soit 31 ans de règne. Il a été l’un des grands collaborateurs du président Eyadéma qui vient passer quelques week-ends avec lui[11].

Conclusion

Les ancêtres avaient préétabli des règles de la chefferie destinées aux premiers occupants du sol. A l’arrivée du colonisateur, en occurrence allemand, cette règle a été bafouée et la chefferie est plutôt destinée aux plus dégourdis à la cause de l’impérialiste. Cela s’est confirmé, à l’époque française, à Vogan où après le décès de Paul Kalipé, son fils aîné Ferdinand qui devrait lui succéder a perdu le trône au profit de son demi-frère Jacob, à cause de son appartenance au CUT, un parti nationaliste. Il a même fini en prison.

Il faut reconnaître que le jeu politique est encore très mal compris en pays ouatchi. L’appartenance à différents partis politiques est normalement une richesse pour les membres d’une même famille, mais quelquefois, c’est le contraire qu’on constate. L’un des exemples est celui qu’on avait vécu à Vogan où les princes sont devenus des rivaux en raison de leur appartenance à différents partis politiques. Les conséquences qui en sont découlées peuvent servir d’exemples à la chefferie traditionnelle au Togo en général et en milieu ouatchi en particulier. Le chef peut certes avoir sa tendance politique, mais l’exprimer publiquement, conduit toujours à des dérives. On suggère que le chef, garant des us et coutumes soit au-dessus de la mêlée et ne s’ingère dans aucun parti politique. Alors sa communauté sera à jamais préservée.

Les annexes 

Annexe N°1    

Paul Kalipé                                                              Vogan, le 3 Avril 1939

Chef du Canton de Vogan                                                                                                     

                     Monsieur l’Administrateur des Colonies  Commandant

Le Cercle d’Anécho

Monsieur 

           Je vous fais conduire par escorte de ma Police Djama les nommés Ségbon, Aménou, Kagbé, etc., ces derniers qui se sont battus  le Samedi dernier sont dans mon village.   

              Je vous demanderais de punir très sévèrement le jeune Ségbon un voleur infini, qu’il y’a trois ans a ramassé les plaques d’impôts des autres pour aller les vendre.

           D’autre part, quand moi-même je dirigeais le village, punissais des gens pareils, les infligeais des fortes amendes, des faits pareils ne se produisent jamais.

            Je vous prie Monsieur l’Administrateur de me relâcher  un peu le frein pour que  je continue mon travail comme autrefois, et comme ça  les gens seront un peu calmes.        Veuillez agréer Monsieur l’Administrateur ; l’hommage de mon profond respect.

                           Votre  bien dévoué  serviteur

Annexe N°2 :

CHEMANT DE L’A. O. F.                        ANECHO, le 2 Mai 1956

ET   DU   TOGO                                        RAPPORT

TERRITOIRE DU TOGO             du Maréchal-des-logis Chef COLLIN

SECTION DE LOME                 Commandant la Brigade de Gendarmerie

BRIGADE  D’ANECHO         sur les agissements des émeutiers Vogan,

N° 8/4                                       récemment amnistiés

                  REFERENCE : Art.21 du service intérieur du détachement et 22 et suivants du     service de la Gendarmerie au TOGO.

              Depuis quelques jours, d’après des renseignements recueillis auprès de diverses personnes dignes de foi, il résulte que les émeutiers de Vogan, récemment amnistiés organisent des petites réunions privées soit à leur domicile ou domicile des Chefs C.U.T.

             Les meneurs libérés, tels que Ferdinand KALIPE, Emmaunuel KPONTO,  dit COCO, ont commencé à parcourir les villages Badougbé, Togoville, etc., et se livrent à leur propagande néfaste.

            D’autres émeutiers qui avaient fui aussitôt l’incident, donc non jugés, arrivent à Vogan en vainqueurs. C’est ainsi que le dimanche  23 avril dernier, d’entre eux accompagnés des membres de leur famille , se sont présentés devant le domicile du Chef du Chef du Village Jacob KALIPE et où, portés en triomphe par leurs partisans qui leur manifestaient leur sympathie , ont nargué ouvertement ledit Chef , tout en proclamant leur force .

          Le lundi 30 Avril, le principal meneur  ABEN AGBOTO, qui était en fuite, sur indication du Chef du Village, est arrêté par les militaires de la brigade en vertu d’un mandat d’arrêt de Monsieur le Juge d’Instruction de LOME.

              Devant l’état actuel des choses et pour limiter toutes propagandes néfastes  de la part de ces pertubateurs, des fréquentes patrouilles seront effectuées, principalement dans les villages de Vogan, Togoville  et Badougbé et ceci selon les possibilités de la brigade.

          Les conditions d’amnistie des émeutiers de Vogan (jugés ou non jugés), seront inconnues du Commandant  et du Commandant de Brigade.

Annexe N°3                                                                                          Vogan, ce 23 mai 1956

                                   Nous soussignés

1 Noudoukou Djokoto, Chef traditionnel de Dagbati , Chevalier de Légion d’Honneur 

2 Akakpo Akoété     Chef traditionnel  Vokoutimé,  Croix de guerre, Chevalier de la Légion                                       d’honneur,

3 Logossou Gati    Chef traditionnel de Klologo,

4 Dénis Allognon   Chef traditionnel de Kponou, Chevalier de l’Etoile  du Bénin

5 Felix Misso  Chef traditionnel de Tokpli

6 Akakpo Abah Messan Chef traditionnel de Vo Afowuimé, Chevalier de l’Etoile du Bénin

7 Agbonou              Chef traditionnel de Vo Assoh

8 Abraham Assagbavi Chef traditionnel de Vo Adabou

9 Tengueh Sogbo  Chef traditionnel  de Sévagan

10 Michel Agbossoumondé Chef traditionnel de Akoumapé Assiko

11 Jean Adandohoin Chef traditionnel  Chef traditionnel de Akoumapé Doulassamé

12 Félicien Afidégno  Chef traditionnel de Akoumapé Atchanvé

13 Anani Kpokassou Chef traditionnel de Hahotoè

14 Kahoho Ayao  Chef traditionnel de  Animabio

15 Attisso Komlan Chef traditionnel de Kovéto

16 Akakpo Avoudjisso  Régent de Wogba

17 Houkpati Guénoukpati Chef traditionnel de Vo Momé

                       A    Monsieur le  Gouverneur,

                                  Commissaire de la République au Togo

                                  Sous Couvert de Monsieur l’Administrateur en Chef                 de la F.O.M. Commandant le Cercle d’Anécho

                          Monsieur le Gouverneur,

                           Nous avons l’honneur de porter à votre connaissance ce qui suit :

Nous, interprètes des populations que nous représentons venons en leur nom et en notre nom personnel vous témoigner notre reconnaissance pour ce qui touche tous les biens faits dont vous avez nourri le peuple  Ouatchi durant vos deux séjours parmi nous dans le Cercle d’Aného.

            En d’autres termes, nous ne saurions comment vous signifier notre reconnaissance au sujet de la construction dans le Cercle d’Anécho d’un cours complémentaire  dont la situation définitive a été projetée sur Vogan.

         Monsieur le Gouverneur, vous voudriez bien nous permettre de vous faire entendre que ce fut pour nous, 18 mai 1956 écoulé, une très grande honte que de communiquer  à nos peuples la prolongation de la date de la pose de la première pierre du Cours Complémentaire que vous vous aviez vaillamment promise.

       Nous ne sortons de ce grand embarras qu’au retour du Chef KALIPE II de Lomé, celui-ci qui nous faisait voir que dans ses entretiens avec Monsieur le Gouverneur il en résulte qu’il manque de fonds pour faire démarrer le travail.

   Cependant, comptant toujours sur la générosité de la fraternelle bonté que vous avez toujours eue pour nous satisfaire dans le Cercle d’Anécho, et notamment nous le peuple Ouatchi, nous venons très sérieusement et avec la vive joie vous soumettre  notre point de vue qui est le suivant :

  Hormis le terrain et les briques procurés par le Chef Kalipé II,  nous susnommés, y compris ce dernier nous promettons une aide de un million (1000 000) de francs dont voici la moitié et dont le reste vous parviendra dès le commencement du travail dont nous sommes impatiemment à l’espère.

                                   Monsieur le Gouverneur,

Nous faisons toujours appel à la générosité que vous avez toujours eue pour faciliter la fréquentation scolaire à nos enfants  dans le Cercle.

   Nous sommes très heureux de vous confier la charge parce qu’elle touche l’édification du Cours Complémentaire dans le Cercle, édifice proposé pour Vogan, ce qui nous fait porter l’idée sur la naissance de notre Sauveur Jésus Christ dans une bergerie.

          D’ores et déjà, le peuple Ouatchi se glorifie de cette lumière qui lui arrive par le secours de votre charitable bienveillance.

       Avec le vif espoir qu’une suite satisfaisante sera réservée  à notre  demande, veuillez agréer Monsieur  le Commissaire de la République l’assurance de nos sentiments distingués.

                                                NOUS

  1. Noudoukou Djokoto                                     9  Tengueh Soglo
  2. Akakpo Akoété                                         10  Michel Agbossoumondé
  3. Logossou Laté                                                11 Jean Adandohoin
  4. Denis Allognon                                               12 Félicien Affidégno
  5. Felix Misso                                                     13  Anani kpokanou
  6. Akakpo  Aba Messan                                         14 Kahoho Yao
  7.  Agbonou Kpomégbé                                          15 Attisso Komlan
  8. Abraham Assagbavi                                             16 Akakpo Avoudjisso

                                                                         17 Houkpati guénoukpati

                  Copie conforme

Sources et bibliographie

Sources orales : liste des principaux informateurs

Nom et PrénomsAge approximatifStatut socialDate et lieu de l’entretien
Togbui Odzima Kalipé60 ansChef canton de Vogan21 septembre 2015 à Vogan  
Kokoe Koffi69 ansNotable21 septembre 2015 à Vogan  
Kalipé Kowou59 ansSecrétaire21 septembre2015 à Vogan

Les sources d’Archives Nationales du Togo

Canton de Vogan, Administration Générale et Politique, Dossier n°5

ANT, cercle d’Aneho, 2APA47, Note confidentielle du 25 mars 1947

ANT, cercle d’Aného, 2APA26

Archives privées de la famille Kalipé

Photo n°1 : Paul Kalipé, Chef traditionnel de Vogan (1898-1951).

Photo n°2 : Paul Kalipé et le Commandant de Cercle d’Aného.

Photo n°3 : Jacop Kalipé ou Togbui Kalipé II.

Photo n°4 : Les prisonniers politiques de Vogan.

Bibliographie

Cornevin, Robert.  Le Togo des origines à nos jours, Paris : l’Académie des sciences d’outre-mer, 1988.

Gayibor, Nicoué Lodjou. Les Togolais face à la colonisation, Lomé : Presses de l’UB, 1994.

Kponton, Ginette Ayélé.., « Réactions populaires au pouvoir colonial : Agbétiko, Vogan et Mango (1951) », in GayiborNicoué Lodjou (dir), Les Togolais face à la colonisation, Collection ‘’Patrimoines’’ n°3, Lomé : Presses de l’UB, 1994, pp 173-193.

Le Bris, Emile. Les marchés ruraux dans la circonscription de Vo, Paris : ORSTOM, 1984.

Pazzi, Robertto., Introduction à l’histoire de l’aire culturelle Ajatado, Lomé : INSE, 1979.

Marguerat, Yves., Le Togo en 1884 selon Hugo Zöller, Lomé, Editions Haho/Karthala, 1990.

Sénou, Azontowou., Les migrations éwé et occupation du pays ouatchi du XVIIIème siècle à la conquête coloniale, thèse de Doctorat unique en Histoire, Lomé, 2010.

Sossou, Amouzou Koffi. « Le commandement indigène dans le cercle d’Aného face à l’administration française (1920-1963) », in Gayibor Nicoué Lodjou, Le tricentenaire d’Aného et du pays guin, collection « Patrimoines » no11, Presses de l’UB,  Lomé, 2001, pp 351-370.

Comment citer cet article :

MLA : Senou, Azontowou. « L’Histoire de la chefferie de Vogan, de Assigblé Adra (1890) à Jacob Kalipé (1982). » Uirtus 1.2. (décembre 2021) : 582-600.


§ Université de Lomé (Togo), [email protected]

[1] La médaille portait au revers le noble profil du prince de Mecklembourg.

[2] Consulté le 22septembre 2015 à Vogan.

[3] Regards français sur le Togo des années 1930, p.73.Mais avec le temps, ce canal a été obstrué par les roseaux et les alluvions.

[4] ANT, cercle d’Aneho, 2APA47, Note confidentielle du 25 mars 1947

[5] ANT, cercle d’Aného, 2APA26

[6] Consulté le 22 septembre 2015 à Vogan.

[7]  Kalipé Senou Odzima ou Kalipé IV, 60 ans, Chef canton de Vogan, entretien du 21 septembre 2015

[8] Consulté le 22 septembre2015 à Vogan.

[9] Notable à Vogan, 69 ans, entretien du 21 septembre 2015.

[10] Consulté le 22 septembre 2015 à Vogan.

[11] Information donnée par Togbui Kalipé IV

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