Yohou Constant Dahiri§
Résumé : Cet article propose d’analyser l’image du poète dans Le rêveur de Jean Vauthier. Dans un monde de plus en plus influencé par les découvertes scientifiques qui ont stimulé l’expansion économique, et ont permis aux hommes et aux femmes de trouver des occupations adaptées à leurs aptitudes et à leurs goûts, la question de la place du poète et de l’importance même de la poésie se pose avec acuité. Dans une approche poétique doublée de la méthode d’analyse du texte théâtral de Michel Vinaver, le lyrisme de Jean Vauthier dans les fragments pertinents réservés à l’étude permet d’examiner l’image du poète et de rendre compte de l’importance de la poésie dans le monde actuel.
Mots-clés : la science, importance de la poésie, la poésie, l’image du poète, le monde actuel.
Abstract: This article proposes to analyze the image of the poet in The Dreamer by Jean Vauthier. In a world increasingly influenced by scientific discoveries which have stimulated economic expansion, and have enabled men and women to find occupations suited to their aptitudes and tastes, the question of the place of the poet and of the very importance of poetry arises acutely. In a poetic approach coupled with the method of analysis of the theatrical text of Michel Vinaver, the lyricism of Jean Vauthier in the relevant fragments reserved for the study makes it possible to examine the image of the poet and to account for the importance of poetry in today’s world.
Keywords: Science, Importance of Poetry, Poetry, the Image of the Poet, the World Today.
Introduction
Les écritures dramaturgiques des années 1950 baptisées « théâtre de l’absurde » ou « nouveau théâtre » ou encore « anti-théâtre » voire « a-théâtre » (Stalloni) ont pour point nodal la rupture avec les conventions théâtrales admises jusque-là. Ce divorce rime pour chacun des auteurs avec inventions de formes nouvelles, d’innovations ou de transgressions de certaines catégories dramaturgiques fondamentales comme la fable, le personnage, l’espace, le temps et le dialogue. Dans ce mouvement, Jean Vauthier a considérablement tourné son théâtre vers la poésie. Pour relever le caractère poétique de l’œuvre théâtrale de Vauthier, Géneviève Serreau dira : « ce théâtre frénétique, en effet, est d’abord verbal, se veut soûle de mots et de cris, et trouve en eux sa satisfaction, son épanouissement, sa fin dernière» (Serreau 138). En mettant en évidence la dominante verbale et la profusion de mots ayant trait à la poésie, au lyrisme et de cris, Sereau rapproche le théâtre vauthurien de la poésie. Avec sa pièce Le rêveur Vauthier théâtralise un discours social portant sur le poète et son art. Dès lors, comment l’image du poète est-elle mise en débat dans cette pièce ? La poésie est-elle encore nécessaire dans ce monde dominé par la science ? En entreprenant la présente analyse, notre objectif est de montrer l’image du poète et, à partir d’elle, juger de l’importance de la poésie. Pour mener à bien notre travail, nous nous servirons de la méthode d’analyse du texte théâtral de Michel Vinaver. Cette méthode préconise le prélèvement d’un ou plusieurs fragments pertinents de l’œuvre pour les lire au ralenti. De cette étude au niveau moléculaire sortira des informations nécessaires pour la compréhension globale de la pièce. De façon précise, cette méthode, comme celles des sciences expérimentales « repose sur le postulat que la lecture au ralenti d’un fragment suffit à relever pour l’essentiel le mode de fonctionnement dramaturgique de l’œuvre tout entière ; il s’agit d’un regard porté sur le texte à un niveau qu’on peut appeler moléculaire […] », (Vinaver 11). Notre analyse s’articulera en trois points. La première articulation présentera la séquence. La séquence sera composée d’un ensemble de trois fragments qu’on retrouvera en annexe de l’article. Dans une approche poétique, il est question d’aborder le lyrisme de Vauthier dans cette séquence. Consacrée à l’analyse au ralenti de la séquence, la seconde articulation examinera le persiflage du poète ainsi que la défense qu’il présente. La troisième et dernière articulation mettra un point d’honneur à la poésie qui mérite encore ses lettres de noblesse dans un monde dominé par la science.
- Le lyrisme dans la séquence
Pour la présente analyse, nous avons constitué une séquence pertinente composée de trois fragments. La pertinence de cette séquence réside dans le fait que les échanges dialogiques dans les fragments qui la constituent permettent de cerner au mieux l’image du poète et l’importance de son art. Autrement dit, au cours des dialogues des actants dans les trois fragments, les différentes visions du poète et l’expression de l’importance de la poésie transparaissent crescendo de façon plus ou moins explicité.
Toutefois, avant de présenter les différents fragments constitutifs de la séquence (voir annexe), il convient de préciser que la division en fragments de la séquence tient au fait que pour mieux l’explorer, « une division de cette séquence en fragments est nécessaire pour mieux en permettre la saisie », (Vinaver 896). Au demeurant, la poésie dans les fragments se manifestant d’entrée par la présence du lyrisme, nous analyserons les marques lyriques dans cette première articulation de notre réflexion.
- Le lyrisme dans le fragment un
Dans le premier fragment, le lyrisme se manifeste par deux éléments essentiels qui sont la scansion et le changement orthographique de certains mots. Ces marques lyriques résident dans l’usage de l’interjection « ah » avant et après un mot scandé « phé-no-mé-nal » et le changement de l’orthographe du mot « joli » en « jolly ». Ces procédés confèrent aux lexèmes en question une teinte de chant car leur prononciation nécessite une certaine magnificence de la voix chez le lecteur ou le comédien qui assumera la réplique. Cette technique scripturale proche de la composition des chants est perceptible dans la réplique de Simon ci-après :
Simon, se hâtant
Ah ah ! Phé-no-mé-no-nal !! Ah !
« jolly » … « jolly » ! Ça alors…
(Changement de ton, et lourd) :
Dans cette réplique transparaît l’expression du lyrisme fondé sur la voix en ce sens qu’après les interjections, la scansion de « phénoménal » et le travestissement de « Joli » qui auront un impact certain sur leur diction, la didascalie interne annonce un « changement de ton, et lourd ». Cela prouve sans ambages le goût de la variation et de l’esthétisation de la voix chez Vauthier. Or, la poésie lyrique met un point d’honneur la voix. Elle appelle à l’oralité pour sa diction. Bertrand Darbeau le dit bien en ces mots : « la poésie lyrique est (…) par excellence celle de la voix : très longtemps, elle fut destinée à une performance orale dans laquelle elle était lue (ou chanté) à haute voix. » (Darbeau, 17). Cette quête de la voix lyrique marquée par la scansion se poursuit dans la réplique suivante de Georges :
Georges
Pour tout dire, je ne sais plus…/ tu sais bien où j’habite / pour tout dire : mon, je sais ne plus… sincèrement – dans l’instant du moins…/ tu sais bien : deux pièces, au cinquième.
Les barres obliques et slashs impactent et déconstruisent la continuité énonciative du locuteur. Georges joue ainsi sur la voix, les mots, ses sentiments et le rythme de la syntaxe.
- Le lyrisme dans le second fragment
Dans ce fragment, le lyrisme provient de l’exposition des sentiments de Simon à l’égard de Georges. En effet, les répliques de Simon dominent dans ce fragment. Il juge Georges à travers un vocabulaire appréciatif et des qualificatifs dépréciatifs qui laissent transparaître ses émotions. Les répliques qui suivent en témoignent :
Simon
Ouayi. Ah – ah – ah (petit rire de Laurette.) … Très bon rêveur…
(Grave soudain) :
– vois-tu, tu ferais bien de te lever à cinq heures du matin, petit coin ou pas
– – – Comment tu fais pour rêver ? Tu te couches en te disant « bonsoir – bon rêve » et le matin, ça y est, tu peux trafiquer là-dessus ? (Il allume une cigarette.)
(Marchant un peu les mains dans les poches)
… C’est pas mal, le coup de l’acte non prémédité, ouayi, qui en déclenche un autre… L’âme sœur, l’osmose au sous-sol… Tu te lèves tard ? Tais-toi.
(Les grandes études et les grandes découvertes
…. D’où viennent les rêves ? Duverger a écrit un bon bouquin là-dessus. (Les yeux vers la bibliothèque.) … Très intéressant, (à Laurette en proférant large) : – Très intéressant.
Simon.
C’est jolly, cet hurluberlu, (Appuyant et complice de l’œil de Laurette.), ce casse-pieds !– Qui galope sur le pont. (Leger rire de Laurette.) Ce coupable, perpétuellement coupable à l’air libre, coupable partout ! (Rire vainqueur et bruyant.)
Simon.
… C’est jolly, (Fort et méchamment) Ce
Crétin galopeur ! … (Se balançant un peu, réfléchissant.)
– dis-moi, tu as un cerveau.
Il est inévitable que tu penses.
Allez,
Passe-moi ça que j’auditionne, – vite.
Tu te poses questions, non ?
Simon, mécontent.
Il n’y a pas de sujet majeur, non ? Par exemple, moi, je sais que je représente quelque chose d’important dans la vie de la Nation. J’agis sur toute une population – et j’en suis fier. J’en tire une légitime fierté.
Dans ces discours, Simon traduit ses émotions, ses jugements à travers des interjections à valeur de moquerie : « Ouayi. Ah-ah-ah », un vocabulaire mélioratif à travers les groupes de mots « très bon rêveur », « c’est pas mal » et « c’est jolly » et des qualificatifs péjoratifs comme « casse-pied », « hurluberlu ». Ces éléments traduisent des sentiments contrastés du journalise à l’égard du poète. Aussi fait-il un usage excessif des déictiques des première et deuxième personnes et leurs variantes : « je », « me » dans la dernière réplique, « tu », « toi » dans la première réplique. L’usage de ces pronoms personnels illustre le lyrisme. On le sait avec Darbeau que « [l’énoncé] lyrique n’est pas seulement celui dans lequel s’exprime un je : il est aussi celui dans lequel on s’adresse à un tu » (Darbeau,21). Le tu qui est le destinataire de l’énonciation du je dans le discours lyrique fonde la substance de celui-ci.
- Le lyrisme dans le troisième fragment
Dans ce fragment, le lyrisme découle de l’intensité dans les dialogues. Cette tension dans les répliques que manifeste par leur brièveté des répliques qui dénote de l’empressement des uns à arracher la parole aux autres. Ainsi, l’échanges dialogique entre les personnages est d’une forte intensité que son rythme devient fort, telle que montré dans ce relevé suivant :
Simon
« Je ne sais pas mais je lui donne vingt mille francs par mois » – Une veuve !
Laurette.
Oh … c’est beaucoup
Simon, véhément.
Sans rien faire
Les poètes
– A quoi tu crois ?
Georges
A quoi je pense ?
Simon
Oui
Georges, gênant et gravement.
… je crois à la beauté.
Simon
Bon
Georges
… à ceux qui meurent pour elle. – – – je crois à tous les dévouements obscurs et inlassés, et à tous les bafouements que cela implique.
Je crois aux martyrs. Je crois aussi à leur victoire, proche où lointaine.
Je ne crois pas à ce qui est altéré ni à ce qui ressemble à du vrai … Je ne crois pas qu’aux chefs-d’œuvre. Je crois à la beauté et aux secrets desseins de Dieu.
Les trois dernières répliques de Simon et de Georges montrent clairement que les deux actants ont presque lutté la parole. Cependant, Georges l’emporte car il parvient à dire une ode à sa croyance et in fine à celle du poète. Cette ode dans sa forme comme dans son fond est empreinte de lyrisme tant le poète la dit comme un poème qu’il récite mais aussi y traduit ses sentiments par la reprise anaphorique de « je crois » et « je ne crois pas ».
- Lecture au ralenti de la séquence
La lecture au ralenti est une analyse minutieuse des répliques échangées, car « elle se fait en s’arrêtant à chaque réplique [pour y tirer] ce qui est proprement action», (Vinaver 896.) Au demeurant, dans les différents fragments de la séquence, les échanges ont porté sur la condition du poète dans la société actuelle et l’utilité de la poésie. Les personnages en présence sont Simon, le journaliste, son épouse Laurette et Georges le poète. Dans une sorte d’interrogatoire, le journaliste et le poète ont eu un échange construit sur le modèle de questions-réponses rythmé par une tournure en dérision du poète et de son art, mais aussi de sa défense. Notre analyse au niveau moléculaire prendra en compte deux points essentiels : le persiflage du poète et sa défense.
- Le persiflage du poète
Eu égard aux différentes positions assumées, on note que l’échange dialogique oppose deux groupes de personnages : le couple Simon- Laurette et Georges. Cette opposition met en confrontation deux points de vue dont le dominant est, ici, le persiflage de la condition du poète dans la société. En effet, Simon et Laurette ont trouvé l’occasion bonne, celle d’être en face d’un poète, pour se moquer à fond de lui. Comme on peut le constater, la séquence s’ouvre sur un rire soudain et bruyant du couple Simon-Laurette : « soudain éclate un rire bruyant de Simon. Celui de Laurette le rejoint » (fragment un). Ces rires sont, en fait, des railleries orientées contre le poète, car les époux le considèrent comme un être anormal, un vulgaire personnage. Les rires moqueurs éclatent lorsque Georges décide de partir.
Pour profiter de l’instant qui leur est offert pour « examiner » le poète afin de le découvrir davantage, Simon refuse qu’il parte : « ne pars pas si vite » lui lance-t-il, (fragment un). Mais, la situation embarrassante dans laquelle se trouve Georges le gêne tellement qu’il veut s’en éloigner le plus tôt possible. Ainsi, il informe à nouveau ses interlocuteurs qu’il part. La réplique suivante dévoile son embarras :
Georges, gêné et ne disant mots qu’il veut
Je m’échappe, avec plus de vélocité possible.
(Fragment un.)
Cependant, Simon qui veut tirer plus d’informations possibles de son interlocuteur refuse de le laisser partir. Il engage alors un interrogatoire, non des moins frustrants tant il perçoit le poète comme un être atypique. Voici le « dialogue direct » des deux personnages.
Simon, avançant d’un pas. Un bras de sa femme autour du cou.
Non, non, attends un peu. – quel âge as-tu ?
Georges
Je m’en vais / pas d’âge.
Simon
Où habites-tu, très exactement ?
Georges
Pour tout dire, je ne sais plus…/ tu sais bien où j’habite / pour tout dire : mon, je ne plus… sincèrement – dans l’instant du moins…/ tu sais bien : deux pièces, au cinquième.
Simon
Non. Une pièce, plus un débarras. Cela fait deux débarras.
Laurette, bref rire de gorge.
Oh Simon … le pauvre …
Simon, désenlaçant Laurette.
Le pauvre ? (Il avance vers Georges) – Écoute ça. (A Georges) : – Comment assures-tu ton existence ? – Avec quoi ?
(Simon loge ses mains dans ses poches)
Georges
… Traductions.
(Fragment un.)
Dans cet échange dialogique à valeur d’interrogation marqué par la dominance du mouvement-vers, il convient de retenir que pour Simon, Georges est un être autre qu’un homme normal. Ses questions mettent en doute l’humanité, c’est-à-dire qu’elles nient à Georges la condition humaine : un poète est tout sauf un homme disposant d’une psychologie normale. Ainsi, suivant ses questions, Georges serait un homme sans âge, un sans-abri et un homme inutile à lui-même et à la société si bien qu’il l’interroge : « Comment assures-tu ton existence ? Avec quoi ? » À cette nième interrogation déshumanisante, le poète répond sans ambages : « traductions ».
On le sait, un rêveur est un homme qui fait des rêves, c’est-à-dire qu’il explore l’univers onirique pour y puiser la substance de son art. Le traducteur exprime en d’autres langues ce qui existe déjà dans une langue donnée ou il convertit une chose, une idée d’un aspect à un autre. Un Rêveur qui vit des traductions de ses rêves est un homme qui transcrit ses rêves pour leur donner un caractère du réel. Or, cette activité est du ressort du poète ou de l’écrivain. Georges affirme donc qu’il vit de traductions. En affirmation qu’il assure son existence avec des traductions, le poète nous envoie à la source du poème, de la poésie. En effet, à la source, le poème est d’abord et avant tout un rêve. Il est un rêve que son auteur, le Rêveur, esthétise en le transcrivant pour lui donner un timbre agréable, un fondement lyrique, épique et / ou poétique tout simplement. Mieux, le poème, c’est un rêve esthétisé et sublimé. William Marx ne dit pas autre chose qui remonte aux sources de la poésie pour révéler que « dans la Grèce archaïque, la poésie était le discours des Muses » (Marx 7). Autrement dit, la poésie, depuis ses origines antiques a toujours été fondée par le rêve, si elle n’est le rêve tout simplement. « Les poètes sont les « serviteurs des Muses» (Marx 2), ajoute-t-il pour conclure. Pierre Michot, dans un fragment intitulé Maitres chanteurs et maitres poètes, abonde dans le même sens lorsqu’il soutient que : « tout art poétique n’est rien d’autre qu’explication du rêve en tant que réalité ». Les poètes sont donc des rêveurs. Pour transcrire leurs rêves, les poètes jouent avec le langage dont ils brisent les codes habituels pour mieux le mêler à leur rêve. « Les poètes sont des explorateurs aux frontières du langage », dira Catherine M. Grise : (2002, p.8). Dans cet ordre, Georges, le Rêveur, celui dont le métier est de « rêver » et traduire ses rêves en poèmes montre, à travers sa réponse à Simon, qu’il vit bien de son art : la poésie. Il assume son métier. Il en est donc fier.
Mais, dans sa dynamique de dénigrement du poète, après s’être renseigné sur les conditions qui favoriseraient le rêve, donc les conditions de son inspiration, et après avoir obtenu des réponses sincères de Georges, Simon le qualifie de bon « très bon Rêveur » (fragment deux). Cependant, alors le lecteur-spectateur pouvait s’attendre à d’autres qualificatifs mélioratifs, le journaliste se lance dans une déshumanisation sans précédent du poète : ainsi le traite-t-il : « […] hurluberlu. […] ce casse-pied ! – qui galope sur le pont. […] Ce coupable perpétuellement, coupable à l’air libre, (rire qui monte.) Coupable aux toilettes, coupable partout ! (Rire vainqueur et bruyant) », (fragment deux). Le rire qu’il mêle à son discours visant à humilier le poète lui donne un caractère aussi bien comique que sadique tant il se réjouit de ses attaques contre son interlocuteur avec une certaine dose de cruauté. Il se voit vainqueur et possesseur d’un certain pouvoir sur le poète d’où il éclate un « rire vainqueur et bruyant ». Son rire est aussi la signification de la chosification du poète. Il rit de lui parce qu’il le prend pour une chose, car on rit d’un homme lorsqu’on le prend pour une chose. Bergson le dit dans son Essai sur la signification du comique : « nous rions toutes les fois qu’une personne nous donne l’impression d’une chose » (Bergson 51). Comme si cela ne suffisait pas et que le concerné n’avait pas pu décoder les différentes attaques contre lui portées, Simon, toujours suivant sa logique énonciative, interroge sa désormais cible : « __dis-moi, as-tu un cerveau [?] » (fragment deux). Pour boucler son entreprise de rabaissement du poète, il extériorise un dépit qui sous-entend que les poètes profitent de la société sans rien faire et sans lui apporter. Ce dégoût à l’encontre des inutiles (poètes et autres littérateurs) qui vivent sur le dos des autres se révèle dans sa réplique ci-après :
Simon, véhément.
Sans rien faire.
La didascalie instrumentale qui dévoile la tonalité avec laquelle il exprime sa désapprobation du fait que des gens puissent vivre uniquement de traductions de rêves est « véhément ». Adverbe d’intensité, cette note didascalique laisse transparaître toute la charge émotionnelle qui accompagne le propos de Simon. Il considère que le poète est inutile à la société. C’est un être déréglé qui n’apporte rien, mais gagne tout dans la société. Comme il apparait, le journaliste Simon pense que le poète n’est pas un être normal. Il le considère même comme une chose, comme un vil personnage.
- La défense du poète
Au cours des échanges, Simon s’est résolu à vilipender et rabaisser le poète. Il l’a chosifié. Il s’est moqué de lui en le déshumanisant à bien des égards. Mais, malgré les offenses, Georges répond correctement aux interrogations. La cohérence et le bon ton avec lesquels le poète a échangé avec son interlocuteur ne sont-ils pas les fondements de sa défense ?
Au cours des échanges qui ont lieu dans les différents fragments, Georges est resté cohérent dans ses interventions. Quoique les questions de son interlocuteur visaient à lui montrer son inutilité dans la société, il leur a apporté des réponses cohérentes et logiques. Il est surtout resté calme au cours des dialogues. Ses prises de paroles se font conformément aux exigences des maximes conversationnelles. En outre, lorsque Georges intervient, c’est pour apporter une réponse, une information exhaustive qui aide Simon à mieux comprendre le poète, sa fonction et ses sources d’inspiration comme c’est le cas dans les séquences dialoguées suivantes :
Simon.
… C’est jolly, (Fort et méchamment) Ce
Crétin galopeur ! … (Se balançant un peu, réfléchissant.)
– dis-moi, tu as un cerveau.
Il est inévitable que tu penses.
Allez,
Passe-moi ça que j’auditionne, – vite.
Tu te poses questions, non ?
Georges
C’est toi. C’est toi qui poses des questions.
(Fragment deux)
Simon, véhément.
Sans rien faire
Les poètes
– A quoi tu crois ?
Georges
À quoi je pense ?
Simon
Oui
Georges, gênant et gravement.
… je crois à la beauté.
(Fragment trois)
Dans les relevés ci-dessus, les questions de Simon sont des attaques. Aussi, traite-t-il Georges de « crétin galopeur », un substantif de sens péjoratif qui désigne une personne devenue inintelligente, idiote. Mais, en homme avertit des préjugés et des attaques de toutes sortes contre sa fonction et son importance dans la société ainsi que de son activité, en lieu et place de riposter à l’attaque de Simon par une attaque-défense, il répond avec justesse de ton qui évite tout conflit. Pour lui, seul Simon est habilité à poser des questions, car c’est lui qui cherche à comprendre ou à connaître comment un Rêveur vit. C’est pourquoi Georges est resté calme et comme un enseignant, il a répondu en respectant les « principes de pertinence, sincérité, informativité et d’exhaustivité » (Maingueneau 83). Sa posture montre sa grandeur d’esprit par rapport à celui du journalise qui porte, ici, le point de vue du sens commun, c’est-à-dire des non-initiés à décoder la poésie et qui pour ce fait la relève aux calendes grecques.
En opposant la vision du poète selon sa conception profane (Simon), à la clarté de l’expression du poète (Georges), Vauthier contribue clairement à la défense du poète et au relèvement de son importance dans la société. C’est pour mieux mener sa stratégie qu’il confie le rôle de l’interrogateur à un journaliste pour examiner le Rêveur afin d’amener le lecteur-spectateur à comprendre les deux points de vue (profane et éclairé) relatifs au poète afin de cerner l’importance définitivement sociale de l’artiste.
L’échange a montré que le poète est un homme mûr et mature qui ne se laisse pas ébranler par quelques dénigrement et abaissements que ce soit. Homme incompris dans un monde porté vers le matérialisme, il le sait et comprend pourquoi les uns et les autres lui en veulent. Pour déconstruire ses clichés négatifs à son sujet, il doit rester plus persuasif d’où son calme et sa posture doctorale au cours des échanges dialogiques. Mieux, s’il cherche à donner le maximum d’informations relatives au métier et à la vie du poète, c’est parce que :
[Le] plus souvent poètes et critiques soulignent la responsabilité de la société parce que celle-ci, préoccupée d’un savoir rentable et rapidement assimilée ne peut intégrer le caractère singulier d’une poésie qui réclame la lenteur de la relecture et qui n’apporte pas de parole claire et aisément assimilable. (Andreucci 26).
Sachant qu’il revient aux poètes de montrer la valeur sociale de leur art, malgré toutes les prises de positions et les questions calomnieuses de Simon, Georges, le poète, a gardé la lucidité pour prouver la grandeur de l’esprit du poète. Il sait que les jugements abjects que font les époux relèvent de leur ignorance. Sa constante clarté démontre que le poète est un homme normal, un être doté du sens de raisonnement quoique le profane le trouve inutile et étrange dans le processus de réalisation du progrès social et du bonheur de l’Humanité. Aussi comprend-t-il que la poésie est « le lange de Dieu » dont les codes qui sont les « secrets desseins de Dieu » (fragment trois) ne sont déchiffrables que par de « happy few initiés » (Andreucci 26), des éclairés et imprégnés de la chose artistique. La grandeur du poète réside dans son éloignement du monde ordinaire qui fonde son incompréhension par tous.
- L’importance de la poésie dans un monde dominé par la science
Le monde actuel est dominé par la science, cela est une certitude. Pour nous en convaincre, nous pensons à l’avancée des technologies de la communication et de l’information qui réduisent davantage les frontières du monde, simplifie le travail et les activités économiques (on parle aujourd’hui de télétravail et d’économie numérique), à la performance de la médecine, aux moyens de transports révolutionnés, pour ne citer que ceux-ci. En plus de ces éléments scientifiques, il y a aussi la politique et la production des armes hautement sophistiquées par des industries de pointe qui rythment le monde en l’agitant. Ainsi, si l’importance de la poésie est aujourd’hui en débat, c’est parce « [qu’] elle entre en compétition avec la politique et l’économie […] », (Bouraoui 13). Dans cet univers sous l’emprise de moyens de production de résultats palpables et quantifiables au service de l’évolution de l’Humanité, la poésie serait devenue inutile ?
Dans ces dialogues qui se présentent sous la forme d’interrogatoire entre Simon le journaliste et Georges le poète, pour prendre la défense du poète et montrer l’utilité de la poésie, Vauthier les a fait évoluer par des questions-réponses. Cette stratégie dialogique conduit le poète à produire un nombre important d’informations pouvant aider Simon et le lecteur-spectateur sur la valeur sociale et spirituelle de la poésie. Et la démarche adoptée par le dramaturge amène le rabaissé à tout mettre en œuvre pour combattre les clichés contre lui. Toutefois, en plus de la lucidité du poète au cours du dialogue, pour comprendre l’importance de la poésie, il convient d’analyser la séquence dialoguée suivante :
Simon, véhément.
Sans rien faire
Les poètes
– A quoi tu crois ?
Georges
A quoi je pense ?
Simon
Oui
Georges, gênant et gravement.
… je crois à la beauté.
Simon
Bon
Georges
… à ceux qui meurent pour elle. – – – je crois à tous les dévouements obscurs et inlassés, et à tous les bafouements que cela implique.
Je crois aux martyrs. Je crois aussi à leur victoire, proche où lointaine.
Je ne crois pas à ce qui est altéré ni à ce qui ressemble à du vrai … Je ne crois pas qu’aux chefs-d’œuvre. Je crois à la beauté et aux secrets desseins de Dieu.
(Fragment trois)
À la question « à quoi tu crois ? » de Simon, Georges affirme mordicus qu’il croit à la beauté avant de décliner tous les fondements dans sa croyance dans la tirade construite sur le modèle d’un poème qui met fin à la séquence. À travers cette tirade à valeur d’ode à la croyance du poète, Georges, se met une posture doctorale, car il enseigne, en fait, au journaliste ce que ce dernier semble ignorer au sujet des poètes et de son importance dans la société. Il montre la maturité du poète et sa ténacité face aux coups qu’il a toujours pris de toute part pour le simple fait qu’il se fait la voix des sans voix. Ces coups venant du sens commun sont, dans la séquence, portés par Simon le journaliste. En y résistant, il dévoile sa capacité ou la capacité du poète, à résister aux calomnies, aux railleries, aux rejets et à la persécution voire aux assassinats dont sont victimes les poètes pour leurs « rêves » d’espoir, de changement et d’un monde meilleur. En effet, pour de simples poèmes, des poètes sont morts, le plus souvent combattus et exécutés, ce qui montre l’importance de la poésie. Victor Hugo n’avait-il pas combattu le grand Napoléon avec de simples mots et vers et, pour cela n’avait-il été contraint à l’exil ? La poésie est une arme de combat qui dérange d’où elle est combattue au point de faire des « martyrs ».
Aussi montre-t-il l’importance de la poésie dans la société. En outre, la vie ne peut pas être fondée uniquement que sur ce qui est vrai, matériel et quantifiable. L’esprit a besoin d’évasion et de nourriture spirituelle qui puisse fortifier l’âme. C’est pourquoi le poète croit à la beauté et à la sublimation de la vie. La poésie, c’est aussi le rêve, la beauté, l’esthétique et le sublime. Il souligne également que la poésie est d’inspiration divine. L’inspiration du poète est nourrie par « les secrets desseins de Dieu », donc de Dieu, dont il rend compte dans ses poèmes. En fait, le poète est un messager de Dieu, la poésie étant d’inspiration divine. Pour corroborer cette dimension du poète et de l’écrivain, in fine, Séry Bailly, écrit dans la préface du roman Epitres aux gens d’Adjouffou de Jérome Diégou Bailly que « l’écrivain est un démiurge qui peut créer des mondes qui le soulagent et cette puissance acquise [de Dieu] peut instaurer son espérance » (Bailly 17). Selon Bailly, le poète tient son importance de sa relation directe avec Dieu, son inspirateur. Ce que Séry Bailly dit autrement est que l’écrivain, le poète en sa qualité de cumule de Dieu comme le prophète, agit au nom de Dieu. Il transmet aux humains ce que Dieu lui inspire.
Pour tout dire, en abordant le thème de la poésie dans Le rêveur à travers le vocable du « rêve » et désignant le poète comme un Rêveur, Vauthier réveille le débat relatif à l’importance de la poésie dans la société. Pour montrer la valeur sociale de la poésie dans un monde très porté vers les sciences, il confie le rôle de pourfendeur de la poésie et du poète à un journalise, Simon, qui vilipende et offense son interlocuteur et confère une certaine aisance, une hauteur de vue, à Georges le poète qui se défend contre les attaques, des calomnies face auxquelles il se montre psychologiquement préparé. Le poète qui répond à son détracteur avec élégance, loin de toute polémique relevant du sens commun, met en évidence la définition du poète selon laquelle « le terme « poète » évoque une manière de voir la vie et de la vivre, une façon d’appréhender qui se marque par une certaine distance avec le « commun des mortels » » (Collectif, Rue des écoles). En d’autres mots, le poète est, à bien des lieux du sens commun et, de ce fait, il ne peut polémiquer avec lui. Là où le commun des mortels voit le mal, le poète voit et crée le bien avec sa manière d’appréhender ce mal.
Relativement à l’utilité de la poésie dans la société, lorsque le poète clame qu’il croit au « beau », il avoue d’abord l’inutilité de son art. Cependant, par la suite, quand il se fonde sa croyance dans les « secrets desseins de Dieu », il dévoile la part divine de la poésie. En effet, le poète a une mission divine de restauration, d’apaisement et de consolation de l’âme. Ainsi, face aux miasmes morbides d’ici-bas, face aux atrocités des guerres et aux pandémies qui déchirent l’Humanité, la poésie s’avère nécessaire en ce sens qu’elle est une alternative thérapeutique. En clair, Vauthier aborde le thème de la poésie pour amener le lecteur-spectateur à comprendre que
Le poète occupe une place spécifique dans la société. Artiste c’est l’homme « inutile » dont l’œuvre n’apporte rien de matériellement nécessaire à la société. Et en même temps, c’est un homme nécessaire, son œuvre parle au cœur et aux sens, elle apporte un enrichissement émotionnel et spirituel (Rue des écoles).
Mieux, il est illusoire d’attendre des moyens matériels de la poésie qui montreraient son importance dans la société. Pour apprécier la valeur sociale de la poésie, il faut que l’on cherche à comprendre ce qu’elle apporte émotionnellement et spirituellement à l’âme. C’est à l’esprit et l’âme que la poésie à affaire. Somme toute, la poésie est « une célébration de l’inconscient, non dans le sens freudien, lacanien ou autre, mais dans cet acte de naissance ou de créativité qui dévoile tout besoin du mystérieux ou du divin en nous» (Bouraoui 20). Le poète vend des rêves de restauration, de paix, de quiétude, de fraternité, d’intégration et d’une vie sociale radieuse. La poésie travaille à la réalisation de l’Humanité vraie.
Conclusion
Dans sa pièce Le rêveur, Vauthier met la poésie en débat pour montrer l’importance sociale de la poésie. Par le truchement du thème du rêve et du personnage du Rêveur, il prend part à l’interminable débat relatif à l’importance de la poésie dans un monde exigeant en matière de production de moyen matériel concret. Afin de monter la valeur du poète et l’importance de la poésie, il confronte deux points de vue : celui du journaliste et du poète. Pour Simon le journaliste et tenant de l’opinion du sens commun sur la poésie, le poète est un déréglé mental (hurluberlu, casse-pieds, crétin galopeur) qui gagne tout de la société sans prendre part à son amélioration, à son émergence. De ces rabaissements, Georges se défend et par sa lucidité, il montre l’importance de la poésie.
En transposant la fonction du poète au théâtre, Vauthier met en question la perception du poète par la société. En effet, lorsque Simon, l’avatar du sens commun, découvre que Georges, au départ présenté comme un rêveur, est un poète, il en rit avant d’en faire une crispation particulière ; ce qui donne une certaine tension à l’échange. Après que cette tension s’est nouée autour de la connaissance du rêveur, le discours théâtral arrive à un dénouement donnant l’avantage au poète, le lecteur-spectateur, en suivant les dialogues de bout en bout, a pu se rendre compte que le poète est un homme normal, lucite de persuasif qui est parvenu à démontrer l’importance de la poésie. C’est lieu de préciser que la poésie étant « une certaine façon de s’emparer de la langue et du monde et de les faire jouer ensemble», (Bougault et Wulf 6), elle demeure utile à la construction d’un monde meilleur, un monde de valeur où les hommes soient en parfaite harmonie.
Annexe : Les fragments étudiés
Fragment un
(Soudain éclate le rire bruyant vite de Simon. Celui de Laurette le rejoint.)
Simon, se hâtant
Ah ah ! Phé-no-mé-no-nal !! Ah !
« jolly » … « jolly » ! Ça alors…
(Changement de ton, et lourd) :
Ne pars pas si vite…
(Laurette accrochée aux épaules de Simon)
Georges, gêné et ne disant les mots qu’il veut.
Je m’échappe, avec le plus de vélocité possible …
Simon, avançant d’un pas. Un bras de sa femme autour du cou.
Non, non, attends un peu. – quel âge as-tu ?
Georges
Je m’en vais / pas d’âge.
Simon
Où habites-tu, très exactement ?
Georges
Pour tout dire, je ne sais plus…/ tu sais bien où j’habite / pour tout dire : mon, je ne plus… sincèrement – dans l’instant du moins…/ tu sais bien : deux pièces, au cinquième.
Simon
Non. Une pièce, plus un débarras. Cela fait deux débarras.
Laurette, bref rire de gorge.
Oh Simon … le pauvre …
Simon, désenlaçant Laurette.
Le pauvre ? (Il avance vers Georges) – Écoute ça. (A Georges) : – Comment assures-tu ton existence ? – Avec quoi ?
(Simon loge ses mains dans ses poches)
Georges
… Traductions.
Le rêveur, pp. 216-217
Fragment deux
Simon
Ouayi. Ah – ah – ah (petit rire de Laurette.) … Très bon rêveur…
(Grave soudain) :
– vois-tu, tu ferais bien de te lever à cinq heures du matin, petit coin ou pas
– – – Comment tu fais pour rêver ? Tu te couches en te disant « bonsoir – bon rêve » et le matin, ça y est, tu peux trafiquer là-dessus ? (Il allume une cigarette.)
(Marchant un peu les mains dans les poches)
… C’est pas mal, le coup de l’acte non prémédité, ouayi, qui en déclenche un autre… L’âme sœur, l’osmose au sous-sol… Tu te lèves tard ? Tais-toi.
(Les grandes études et les grandes découvertes
…. D’où viennent les rêves ? Duverger a écrit un bon bouquin là-dessus. (Les yeux vers la bibliothèque.) … Très intéressant, (à Laurette en proférant large) : – Très intéressant.
Laurette, timide et convaincue
Oui, très intéressant, très intéressant.
Simon.
C’est jolly, cet hurluberlu, (Appuyant et complice de l’œil de Laurette.), ce casse-pieds !– Qui galope sur le pont. (Leger rire de Laurette.) Ce coupable, perpétuellement coupable à l’air libre, coupable partout ! (Rire vainqueur et bruyant.)
Laurette, faisant chorus, petits rires
Ah – ah ! Ça alors oui.
Simon.
… C’est jolly, (Fort et méchamment) Ce
Crétin galopeur ! … (Se balançant un peu, réfléchissant.)
– dis-moi, tu as un cerveau.
Il est inévitable que tu penses.
Allez,
Passe-moi ça que j’auditionne, – vite.
Tu te poses questions, non ?
Georges
C’est toi. C’est toi qui poses des questions.
Laurette : rieuse.
Ah – ah, Georges a marqué un point.
Simon, mécontent.
Il n’y a pas de sujet majeur, non ? Par exemple, moi, je sais que je représente quelque chose d’important dans la vie de la Nation. J’agis sur toute une population – et j’en suis fier. J’en tire une légitime fierté.
Georges, pour être aimable, mais juste.
Oui – oui, et, d’ailleurs, tu en tires aussi un profit qui est très peu en rapport avec l’importance, bonne ou mauvaise de la chose.
Le rêveur, pp.219-221
Fragment trois
Simon.
Ah ! Ça y est ! – j’étais sûr qu’il y aurait quelque chose comme ça. – – Ah ? Monsieur serait fauché … ? – Mais t’émeus pas, Laurette je la connais, moi, la vérité. (A Georges) : – je t’analyse, tu sais – tu n’as pas mangé pour avoir tout le naturel souhaitable dans le cas où en reparlerions.
Mais en réalité, il a de l’argent. – Je sais combien tu as.
(A Laurette) : Sa mère lui donne vingt – mille – francs – par – mois ––––
––– Oui Madame !
Elle me l’a dit dernièrement. Je l’ai rencontrée : « – Et votre fils ? – Oh Monsieur, le pauvre » me dit-elle, « il travaille tant ! – A quoi ? – je ne sais pas… »
Laurette, cou ployé en arrière, rire de gorge.
Ah – ah, qu’elle est gentille … je l’aime beaucoup.
Simon
« Je ne sais pas mais je lui donne vingt mille francs par mois » – Une veuve !
Laurette.
Oh … c’est beaucoup
Simon, véhément.
Sans rien faire
Les poètes
– A quoi tu crois ?
Georges
A quoi je pense ?
Simon
Oui
Georges, gênant et gravement.
… je crois à la beauté.
Simon
Bon
Georges
… à ceux qui meurent pour elle. – – – je crois à tous les dévouements obscurs et inlassés, et à tous les bafouements que cela implique.
Je crois aux martyrs. Je crois aussi à leur victoire, proche où lointaine.
Je ne crois pas à ce qui est altéré ni à ce qui ressemble à du vrai … Je ne crois pas qu’aux chefs-d’œuvre. Je crois à la beauté et aux secrets desseins de Dieu.
Le rêveur, pp.223-225.
Travaux cités
Collectif, Rue des écoles (version électronique) 2011-2012, disponible sur www.ruedesécoles.net consulté le 04 juin 2021.
Catherine, M. Grise. Rencontres avecla poésie. Toronto, Ontario : Canadian Scholars’ Press Inc, 2002.
Darbeau, Bertrand. Poésie et lyrisme. France : Editions Flammarion, 2007.
Bougault, Laurence et Wulf Judith (dir). Formes et normes en poésie moderne et contemporaine. France : Éditions Styl-m, 2011,
Bouraoui, Hédi. Mutante, poésie. Canada : CMC Éditions, 2015
Maingueneau, Dominique. Les termes clés de l’analyse du discours. Paris : Seuil, 2009
Michot, Pierre. Maitres chanteurs, maitres poètes, disponible sur htt://www.asopera.fr, consulté le 04 juin 2021.
Serreau, Géneviève. Histoire du nouveau théâtre. Paris : Gallimard, 1966.
Diegou, Bailly. Epitres aux gens d’Adjouffou. Abidjan : Frat-mat éditions, 2010.
Stalloni, Yves. Ecoles et courants littéraires. Paris : Armand Colin, 2015.
Vauthier, Jean. Le rêveur. Paris : Gallimard, 1960.
Vinaver, Michel. Ecritures dramatiques. Paris, Actes du Sud, 1993.
Comment citer cet article :
MLA : Dahiri, Yohou Constant. «L’image du poète dans Le rêveur de Jean Vauthier.» Uirtus 1.1 (août 2021): 52-71.
§ Université Félix Houphouet Boigny, [email protected]