Konan Simon Kouame§
Résumé : Les accidents motos deviennent une préoccupation majeure pour les populations et également les autorités municipales de Bouaké. La problématique des accidents motos motive cette recherche qui vise à expliquer le phénomène sous l’angle de l’attribution causale et de l’expérience d’accidents motos vécus. Les données ont été recueillies au moyen d’un questionnaire auprès d’un échantillon de 200 motocyclistes dont l’âge varie entre 20 et 30 ans, détenant un permis de la catégorie A et avec une ancienneté de 2 ans. Les résultats obtenus au moyen de l’analyse de variance multivariée montrent que l’attribution causale et l’expérience d’accidents motos, par leurs effets individuels et combinés influencent l’adoption de comportements accidentogènes chez les motocyclistes à Bouaké. Il ressort de cette recherche que l’explication causale externe et le vécu d’accidents motos sont à prendre en compte dans la prévention des accidents motos.
Mots-clés : accidents, explication causale, comportement à risque, expérience, taxi-moto
Abstract: Motorcycle accidents are becoming a major concern for the populations and also the municipal authorities of Bouaké. The problem of motorcycle accidents motivates this research, which aims to explain the phenomenon from the perspective of causal attribution and the experience of motorcycle accidents. The data were collected by means of a questionnaire from a sample of 200 motorcyclists ranging in age from 20 to 30 years, holding a category A license and with a seniority of 2 years. The results obtained by means of multivariate analysis of variance show that the causal attribution and the experience of motorcycle accidents, by their individual and combined effects influence the adoption of accident-prone behaviors among motorcyclists in Bouaké. It emerges from this research that the external causal explanation and the experience of motorcycle accidents must be taken into account in the prevention of motorcycle accidents.
Keywords: accidents, causal explanation, risk behavior, experience, motorcycle taxi
Introduction
Le problème de transport dans la plupart des villes africaines se pose avec insistance. Commencé au Togo avec les ‘‘Zémidjan’’, le phénomène des taxis-motos s’est vite répandu en Afrique de l’Ouest, plus particulièrement au Mali, Burkina-Faso et en Côte d’Ivoire. Concernant la Côte d’Ivoire, K. L. Krah et al. (161) soutiennent que pendant la crise militaro-politique de 2002, le problème de transport dans les zones Centre-Nord-Ouest (CNO) se posant avec acuité, les moto-taxis sont apparus comme la principale solution. La proximité de la Côte d’Ivoire avec le Burkina Faso a favorisé l’importation des motos qui vont servir de moyen de transport en commun dans les zones CNO et plus particulièrement à Bouaké.
L’utilisation des motos comme moyens de transport va certes résoudre un certain nombre de problèmes mais va laisser apparaître d’autres, tels que les accidents de la circulation impliquant les motos, l’incivisme dans la conduite de ces engins engendrant des encombrements de voies, etc. Les conduites à risque auxquelles s’adonnent les motocyclistes occasionnent plusieurs accidents qui se soldent souvent par des morts. Face à cette situation, l’Etat ivoirien va réglementer ce secteur d’activité en imposant des taxes et en exigeant aux motocyclistes le permis de la catégorie A.
Malgré les mesures prises par l’Etat et appliquées par la municipalité de Bouaké, le problème des accidents motos liés aux comportements accidentogènes des acteurs se pose avec insistance. Les investigations menées sur la question incriminent plusieurs facteurs dont les caractéristiques personnelles des motocyclistes (Kazony 1) et les déterminants structurels (Gagné 16). Ces recherches n’ayant pas suffisamment insisté sur les effets individuels et conjugués des croyances, à travers, les explications causales des accidents et l’expérience d’accidents motos vécue, leur prise en compte ne serait-il pas un moyen prometteur d’explication du phénomène ?
La réalisation de cette étude, en vue de la compréhension du phénomène repose sur trois grandes parties dont la première expose la problématique de la recherche. La deuxième partie de cette recherche présente la méthodologie adoptée pour obtenir les résultats. La troisième partie de ce travail concerne l’analyse et l’interprétation des résultats obtenus.
Problématique
A la faveur de la crise politico-militaire de 2002, les difficultés de déplacement dans les zones CNO (Centre Nord Ouest) de la Côte d’Ivoire vont voir éclore le transport en commun assuré par les motos-taxis. L’essor de ce mode de transport a poussé l’Etat ivoirien à reconnaître l’activité à travers l’instauration d’une patente annuelle inscrite dans l’annexe fiscale de 2018 (Barro 2). La valeur des patentes varie selon la catégorie des engins. Ainsi, un montant de 20000 f est exigé aux engins à deux roues et 25000 f. aux tricycles. Depuis l’officialisation de cette activité, le nombre de taxis-motos en circulation à Bouaké a augmenté pour atteindre un effectif de 7 000 motos (Lama 1).
L’avènement des motos-taxis a certes résolu en partie le problème de transport urbain à Bouaké, mais il est à la base de plusieurs difficultés dont les encombrements, les conduites dangereuses et les accidents (Hermitte, 12). Selon C. Kazony (1), près de 1000 cas d’accidents par an impliquant les motos sont enregistrés.
Les constats montrent que ces accidents sont liés à l’incivisme des conducteurs (Kazony). L’auteur incrimine également le non-respect du code de la route, l’excès de vitesse, les mauvais dépassements, les surnombres sur les motos et les tricycles, des cortèges et autres parades à l’occasion des mariages. Il y a également les pannes mécaniques liées à l’absence de phares ou de feux clignotants, absence de casques (Van Elslande, 8). Les causes d’accidents liées à l’incivisme résument les comportements accidentogènes qu’adoptent les motocyclistes. Face à la recrudescence des accidents impliquant les motos, l’Etat de Côte d’Ivoire, à travers la municipalité de Bouaké, a pris des mesures d’assainissement du secteur. Malgré ces mesures souvent répressives adoptées par le Préfet de la ville, le problème des accidents motos se pose avec insistance. Cet état de fait justifie la question de recherche qui vise à comprendre pourquoi une persistance des comportements accidentogènes malgré l’existence de mesures coercitives ?
Les études sur les comportements accidentogènes incriminent le type de formation reçue (Kouamé 110), la consommation de substances psychoactives ou des stupéfiants (Rutter et al. 691), la perception du risque (Gandit et al. 110 ; Kouabenan 140), l’attribution causale (Kouabenan, 201) et l’expérience (Kouamé et al. 30). Ces recherches, bien que pertinentes, ont manqué de prendre en compte les effets individuels et combinés de l’explication causale des accidents et de l’expérience dans la pratique de la conduite des motos taxis. Dans quelle mesure la prise en compte de ces facteurs constituerait-elle un moyen d’explication scientifique des comportements à risque qu’adoptent les motocyclistes dans cette localité de la Côte d’Ivoire ?
De manière générale, la présente étude vise à expliquer les comportements accidentogènes adoptés par les conducteurs de motos à Bouaké sous l’angle de l’explication causale que font les motocyclistes des accidents et de l’expérience d’accidents qu’ont ces derniers. Cet objectif général se subdivise en deux objectifs spécifiques. De façon spécifique, cette étude vise à expliquer que les comportements accidentogènes qu’adoptent les motocyclistes à Bouaké sont tributaires de l’explication causale qu’ils font des accidents motos. De même, cette étude vise à expliquer les accidents motos enregistrés à Bouaké par l’expérience d’accidents vécus par les motocyclistes de cette ville.
Ces objectifs ne peuvent être atteints qu’à travers des hypothèses scientifiquement élaborées. Les hypothèses de cette recherche se déclinent en hypothèse générale et en hypothèses opérationnelles. L’hypothèse générale stipule que l’explication causale que donnent les motocyclistes des accidents et l’expérience qu’ils ont des accidents motos influence significativement les comportements accidentogènes qu’ils adoptent dans les rues de Bouaké. Les hypothèses opérationnelles qui fondent cette recherche sont au nombre de trois dont une interactive. La première stipule que les motocyclistes qui donnent une explication externe des accidents adoptent plus de comportements accidentogènes que ceux qui en donnent une explication interne. La deuxième hypothèse opérationnelle souligne que les motocyclistes qui ont fait l’expérience d’accidents motos adoptent moins de comportements accidentogènes que leurs homologues qui n’ont jamais fait l’expérience d’accidents motos. L’hypothèse interactive soutient que les motocyclistes qui expliquent les accidents par des causes externes et qui n’ont jamais fait l’expérience d’accidents motos s’exposent plus aux comportements accidentogènes que ceux qui font une explication interne des accidents et qui ont fait l’expérience d’accidents motos. La soumission de ces hypothèses à l’épreuve des faits nécessite la mise en place d’une méthodologie rigoureusement menée, du moins scientifiquement.
Les résultats obtenus seront interprétés au moyen de certaines théories dont la théorie de l’attribution causale de F. Heider (63) et la théorie du comportement planifié de I. Ajzen (3). A travers la première théorie, Heider (op.cit) montre que face à une situation quelconque, tout individu cherche à trouver une explication en l’attribuant à des causes qui peuvent être externes ou internes. Lorsqu’un individu attribue l’occurrence des phénomènes insolites comme les accidents à des causes externes telles que la chance, la puissance des forces occultes, etc., il a tendance à adopter des comportements à risque. L’effet contraire est observé lorsqu’un individu prend conscience de ses faiblesses et sa probable responsabilité dans la survenance des accidents. Quant à théorie du comportement planifié de I. Ajzen (3), elle stipule que l’adoption de comportement à risque est les résultats d’une planification des actes. Dans cette planification du comportement, l’individu développe une intention, se met dans des prédispositions visant à commettre l’acte en toute connaissance des éventuelles conséquences. C’est effectivement dans cette planification du comportement qu’il tire l’énergie nécessaire pour agir. Ainsi, un motocycliste qui a l’expérience des accidents motos va s’atteler à ajuster ses comportements pour éviter l’adoption de comportements accidentogènes. En revanche, lorsqu’il n’a aucune expérience des accidents, la planification de son comportement vise à se prédisposer à prendre des risques et à s’exposer aux accidents.
- Méthodologie
La méthodologie de la présente étude repose sur une description des variables de la recherche, la construction de l’échantillon et l’élaboration de l’instrument de recherche.
2.1- Description des variables
Les hypothèses émises font ressortir deux sortes de variables. Les variables indépendantes et la variable dépendante.
2.1.1. Variables indépendantes
La présente recherche met en évidence deux variables indépendantes. Il s’agit de l’explication causale des accidents et de l’expérience d’accidents motos.
L’explication causale des accidents peut être définie comme étant la manière dont un individu explique un phénomène en faisant référence à la cause qui le justifie. Cette variable est de nature qualitative dichotomique. Il existe les motocyclistes qui expliquent les accidents motos par des causes internes et ceux qui les expliquent par des causes externes. Ceux qui donnent une explication causale interne sont ceux qui attribuent l’occurrence des phénomènes insolites comme les accidents par des insuffisances personnelles telles que le manque de formation, une erreur personnelle, un manque de vigilance ou d’attention… Par contre, ceux qui donnent une explication externe sont ceux qui attribuent les causes des accidents par exemple aux facteurs autres que leur responsabilité. Il s’agit d’une attribution qui prend en compte la chance, l’œuvre des individus jaloux, l’action des fétiches, des génies…
L’expérience d’accidents motos peut être perçue comme le fait d’avoir été auteur d’accidents motos. Cette variable est de nature qualitative avec deux modalités. Il y a d’une part ceux qui ont une fois fait l’expérience d’accidents motos en tant qu’auteurs et d’autre part ceux qui n’en n’ont jamais fait. Faire l’expérience d’accident revient à enregistrer son implication dans un ou plusieurs accidents motos. En revanche, il y a des conducteurs de motos qui n’ont jamais été impliqués dans un quelconque accident de motos.
2.1.2- Variable dépendante
La variable dépendante de cette étude est relative aux comportements accidentogènes liés à la conduite de moto. Les comportements accidentogènes sont relatifs à tout comportement à risque se soldant par des accidents. Ils concernent précisément l’excès de vitesse, le non respects du code de la route, l’absence de casque de protection et les surcharges (passagers et marchandises). Les comportements à risque au volant se soldant souvent par des accidents, cette variable a été appréhendée en se fondant sur les accidents enregistrés. Cette variable est de nature quantitative s’exprimant en termes de scores, c’est-à-dire le nombre d’accidents motos enregistrés par le motocycliste dans le mois.
- Participants
Les participants de la présente recherche ont été sélectionnés au moyen du plan factoriel découlant des plans quasi-expérimentaux. Le choix du plan factoriel découle du fait qu’il constitue, de l’avis de A. Ouellet (132) et M. Robert (78), le plan d’échantillonnage le plus complet, car il représente toutes les combinaisons possibles des facteurs. L’application de cette technique permet de distinguer d’une part, l’explication causale des accidents symbolisée par C qui est subdivisée en C1 et C2 avec C1 équivalant à l’explication causale externe des accidents et C2, à l’explication causale interne des accidents. Elle permet de distinguer d’autre part, l’expérience des accidents motos notée E qui est subdivisée en E1 et E2. E1 correspond à l’expérience d’accidents motos et E2 à l’inexpérience d’accidents motos. On obtient ainsi 4 combinaisons possibles, soit 2*2 ; le nombre de combinaisons étant égal au produit du nombre de modalités de chacune des variables. Ces différentes combinaisons sont représentées dans le tableau suivant :
Tableau I : Présentation des groupes expérimentaux
Explication causale des accidents (C) | ||||
Explication causale externe (C1) | Explication causale interne (C2) | |||
Expérience d’accident motos (E) | Expérience d’accidents motos(E1) | G1 : C1E1 N=50 | G2 : C2E1 N=50 | |
Aucune expérience d’accidents motos (E2) | G3 : C1E2 N=50 | G4 : C2E2 N=50 |
Le plan factoriel utilisé permet de constituer 4 groupes de 20 sujets chacun se répartissant comme suit :
- Le premier groupe (G1) est constitué des motocyclistes qui expliquent les accidents par des causes externes et qui ont une expérience des accidents motos.
- Le deuxième groupe (G2) renferme les motocyclistes qui expliquent les accidents par des causes internes et qui ont une expérience des accidents motos.
- Le troisième groupe (G3) est composé par les motocyclistes qui expliquent les accidents par des causes externes et qui n’ont aucune expérience des accidents motos.
- Le quatrième groupe (G4) regroupe les motocyclistes qui expliquent les accidents par des causes internes et qui n’ont aucune expérience des accidents motos.
Toutefois, pour que les différences observées entre les groupes ne soient pas attribuées à l’influence d’une variable et à elle seule, il ne suffit pas que les groupes soient comparables par rapport aux variables qui servent à définir le plan et sur lesquelles portent les hypothèses. Il importe, en outre, comme le soutient R. Quivy et L. Van Campenhoudt (105), de contrôler les variables parasites, c’est-à-dire les variables qui sont susceptibles d’avoir une influence sur la variable dépendante ou les variables dont on ne peut pas prouver la neutralité. La technique la mieux appropriée au contrôle des variables parasites est la technique de l’appariement qui consiste, selon H. Chauchat (84), à former des groupes équivalents en sélectionnant les sujets en fonction des variables que l’on veut neutraliser, de telle sorte que la distribution de ces variables soit la même dans chacun des groupes. Cette technique a permis de constituer un échantillon de 200 motocyclistes, de sexe masculin, âgés de 20 à 30 ans et possédant un permis de conduire de la catégorie A et totalisant 2 ans dans la profession.
- Matériel et méthodes
Le recueil des informations nécessaires à la réalisation de la présente étude s’est fait au moyen d’un questionnaire. L’utilisation d’un tel instrument de recherche découle du fait que cette étude s’inscrit dans le cadre d’une recherche quantitative. Comme le soutiennent H. Chauchat (25) et P. N’da (43), le questionnaire est approprié aux études quantitatives. L’utilisation du questionnaire réside dans sa capacité de standardisation des questions. Pour R. Ghiglione et B. Matalon (143), et M. M. Touré (98), le questionnaire présente plusieurs qualités dont la standardisation des questions, c’est-à-dire que les questions dans un questionnaire sont posées dans le même ordre, avec la même formulation. Il n’autorise pas d’interprétation ou de reformulation de la passation. Le questionnaire permet, selon A. Ouellet (206) et M. Grawitz (78), une facilité de dépouillement et de traitement statistique.
Le questionnaire de la présente étude présente fondamentalement quatre parties dont la première est relative aux variables biographiques. Ces variables concernent le sexe, l’âge, la situation matrimoniale et l’ancienneté. La deuxième partie est relative à l’expérience d’accidents motos vécue. Quant à l’explication causale des accidents, inspirée de celle de D. R. Kouabenan, elle est évaluée au moyen d’une échelle d’explication causale. Cette échelle de type Likert comporte 16 items dont les modalités de réponses se subdivisent en ‘‘pas du tout d’accord’’, ‘‘pas d’accord’’, ‘‘ni d’accord ni pas d’accord’’, ‘‘d’accord’’, ‘‘tout à fait d’accord’’. La quatrième partie a trait aux comportements accidentogènes qui sont évalués à l’aide d’une échelle d’intervalle allant de 0 à 100. A cette échelle s’associe une question d’évaluation des accidents enregistrés par le répondant.
Plusieurs étapes ont concouru à l’élaboration de cet instrument. Il s’agit de la recherche documentaire qui a permis de consulter les ouvrages traitant de la question en vue d’identifier les causes des accidents motos et les explications qui en découlent. Cette démarche est soutenue par une enquête exploratoire auprès de la population et des motocyclistes sur les accidents motos dans la ville. Cette étape de la rédaction du questionnaire a permis la formulation de plusieurs questions relatives aux comportements à risque adoptés par les motocyclistes.
Le questionnaire élaboré a été soumis à l’appréciation de certaines personnes qualifiées de juges à travers la méthode des juges. Cette méthode consiste à apprécier le taux d’ambigüité des questions. Pour ce faire, nous avons choisi 10 personnes (linguistes, criminologues, psychologues). Ces spécialistes sont tenus d’identifier les questions qui leur semblent ambigües. Aux termes de cette épreuve, un taux d’ambigüité est calculé et les questions dont les taux d’ambigüité est supérieur à 50% sont reformulées et soumises à nouveau aux spécialistes. Cette démarche a permis de formuler des questions qui vont faire l’objet d’un pré-test.
Le pré-test réalisé auprès de 20 conducteurs de motos, présentant les mêmes caractéristiques que ceux de l’échantillon constitué, vise à apprécier le niveau de compréhension des questions par ceux-ci. Cette épreuve a permis d’adapter le niveau de langue concernant certaines questions au niveau de compréhension des motocyclistes choisi à cet effet.
Le questionnaire ainsi élaboré a fait l’objet d’une administration dans les différents sites retenus par la technique d’échantillonnage utilisée. La technique de passation utilisée est celle de la méthode d’administration directe ou la méthode du ‘‘tête à tête’’. Elle consiste pour l’enquêteur à remplir le questionnaire selon les réponses de l’enquêté. Cette méthode a pour avantage de limiter les erreurs dans le remplissage des questionnaires. Cette démarche a permis d’exploiter 100 questionnaires en vue d’un traitement statistique aboutissant à des résultats qui ont été analysés et interprétés au moyen des théories.
Les données recueillies ont été traitées au moyen de l’analyse de variance multivariée (ANOVA). De l’avis de D. C. Howell (95), l’analyse de variance multivariée permet d’étudier non seulement les effets des variables indépendantes séparément, mais aussi les effets d’interaction de deux ou plusieurs variables. Sur cette base, nous avons utilisé l’analyse de variance multivariée pour établir des relations entre les variables explicatives et la variable dépendante. De même, cette technique nous permet, selon M. Reuchlin (32), de faire des combinaisons de premier et de second ordre.
- Résultats
Les résultats de la présente recherche sont obtenus au moyen de l’analyse de variance multivariée. Le choix de cette technique réside dans le fait que tous les indices de tendance centrale relatifs aux comportements accidentogènes donnent approximativement les mêmes valeurs : Moyenne (MX) = 2,83 ; Médiane (Me) = 2 ; Mode (Mo) = 2. Les données ainsi obtenues obéissent à la loi normale.
3.1. Comportements accidentogènes en fonction l’explication causale des accidents
L’analyse de variance multivariée utilisée dans l’analyse des données de cette recherche permet d’obtenir des résultats consignés dans le tableau suivant :
Tableau II : Influence de l’explication causale des accidents et comportements accidentogènes
Explication causale externe : moyenne (Mx) des comportements accidentogènes | Explication causale interne : moyenne (Mx) des comportements accidentogènes | ddl | F | Signifi-cativité | Seuil de probabilité |
3,23 | 1,05 | 1 | 22,42 | P | 0,05 |
Les résultats obtenus au moyen de l’analyse de variance multivariée donnent une valeur F de Snedecor ((F (1) = 22,42 ; P < .05) qui indique une différence significative entre les comportements accidentogènes adoptés par les motocyclistes faisant une explication causale externes des accidents et ceux qui expliquent les accidents par des raisons internes. La comparaison des moyennes des deux groupes montre que les motocyclistes qui donnent une explication causale externe des accidents totalisent un score moyen d’accidents (Mx = 3,23) qui est inférieur à celui de leurs collègues qui donnent une explication causale interne des accidents (Mx = 1,05). Ces résultats corroborent l’hypothèse selon laquelle les motocyclistes qui donnent une explication externe aux accidents adoptent plus de comportements accidentogènes que ceux qui en donnent une explication interne.
Pour expliquer ces résultats, nous pouvons soutenir que lorsqu’un individu donne une explication causale externe à des événements insolites comme les accidents, il a tendance à se dédouaner ou ignorer ses propres insuffisances pouvant expliquer l’occurrence de ces événements. En se fondant sur la théorie de l’attribution causale de F. Heider (63), nous pouvons soutenir que les motocyclistes qui font des explications externes, en attribuant l’occurrence des événements à des forces occultes comme les Dieux, les esprits maléfiques, la chance ou la malédiction ou même à des personnes jalouses, sont enclins à sous-estimer les risques et à adopter des comportements à risques qui peuvent se solder par des accidents. Sur la base d’un tel raisonnement, ils se livrent à des surcharges qui peuvent déséquilibrer la moto et les contraindre à des accidents. Certains se livrent à des parades ou à des excès de vitesse, sous prétexte qu’ils sont immunisés contre les accidents ou qu’ils ont la protection des Dieux ou des fétiches qui sont supposés les protéger. Cette manière de raisonner les pousse à ignorer les dangers et à s’exposer aux accidents.
En revanche, les motocyclistes qui expliquent les accidents par des causes internes semblent plus objectifs et adoptent des comportements de sécurité les épargnant des accidents de la circulation. Les comportements accidentogènes enregistrés chez ces motocyclistes sont souvent imputables à la consommation de substances psychoactives telles que la drogue, l’alcool et autres stupéfiants. En se référant à la théorie de l’explication causale, nous pouvons soutenir que lorsqu’un individu attribue les causes des accidents à des caractéristiques personnelles telles que l’incompétence, l’inexpérience ou des erreurs individuelles, il se met dans les dispositions de combler ses tares et s’améliorer en évitant les accidents autant que faire se peut.
3.2. Influence de l’expérience d’accidents motos sur les comportements accidentogènes
Les données traitées au moyen de l’analyse de variance multivariée permettent d’obtenir des résultats représentés dans le tableau suivant :
Tableau III : Comportements accidentogènes selon l’expérience d’accidents motos
Expériences d’accidents motos : moyenne (Mx) des comportements accidentogènes | Aucune expérience d’accidents motos : moyenne (Mx) des comportements accidentogènes | ddl | F | Signifi-cativité | Seuil de probabilité |
0,64 | 2,82 | 1 | 18,15 | P | 0,05 |
L’utilisation de l’analyse de variance multivariée dans le traitement des données recueillies donne des résultats ((F (1) = 18,15 ; P < .05) attestant l’existence d’une différence significative entre les comportements accidentogènes adoptés par les motocyclistes ayant fait l’expérience d’accidents et ceux n’ayant fait aucune expérience d’accident. La comparaison des moyennes des scores d’accidents obtenues par les deux groupes indépendants montre que les motocyclistes qui ont déjà fait l’expérience d’accidents ont un score moyen de comportements accidentogènes (Mx = 0,64) qui est inférieur à celui de leurs collègues qui n’ont encore enregistré aucun accident (Mx = 2,82). Ces résultats confirment l’hypothèse qui stipule que les motocyclistes qui ont fait l’expérience d’accidents motos adoptent moins de comportements accidentogènes que leurs homologues qui n’ont jamais fait l’expérience d’accidents motos.
L’explication de ces résultats est fondée sur le postulat que les individus qui ont fait l’expérience d’un événement, cherchent à tirer les conséquences de cet événement. Dans la présente recherche, les résultats peuvent s’expliquer par le fait que les motocyclistes qui ont une fois fait l’expérience d’accidents (victime ou auteur) ont tendance à faire preuve d’une extrême prudence. Ils se mettent dans les dispositions de respect du code de la route et des conditions sécuritaires exigées dans la conduite des motos. L’adoption de comportements sécuritaires justifie le nombre moins élevé d’accidents motos enregistré chez cette catégorie de personnes.
Contrairement à cette catégorie de conducteurs, les motocyclistes qui n’ont aucune expérience des accidents motos adoptent des comportements différents. L’inexpérience engendrant l’ignorance des conséquences des prises de risques à motos les amène faire des parades dans les rues, à fouler au pied le code de la route, à rouler sans casque de protection, à ignorer feux et panneaux de signalisation ou à rouler en surnombre. Ces comportements à risque se soldent par des accidents qui occasionnent souvent des morts. En référence à la théorie du comportement planifié de I. Ajzen (202), nous pouvons soutenir que l’adoption de comportements accidentogènes chez les motocyclistes découle d’une prédisposition de ceux-ci à la commission d’un acte dangereux dont ils ont connaissance des éventuels effets.
3.3. Influence de l’effet interactif de l’explication causale et de l’expérience d’accidents motos sur l’adoption de comportements accidentogènes
Le traitement statistique réalisé au moyen de l’analyse de variance multivariée en vue de l’explication de l’effet interactif de l’explication causale de l’accident et de l’expérience d’accidents motos sur l’adoption de comportements accidentogènes chez les motocyclistes donne les résultats consignés dans le tableau suivant :
Tableau IV : Effet interactif de l’explication causale des accidents, de l’expérience d’accidents motos sur les comportements accidentogènes
Explication causale externe vs absence d’expérience d’accidents : moyenne (Mx) des comportements accidentogènes | Explication causale interne vs expérience d’accidents : moyenne (Mx) des comportements accidentogènes | ddl | F | Signifi-cativité | Seuil de probabilité |
4,03 | 1,73 | 1 | 35,08 | P | 0,05 |
L’utilisation de l’analyse de variance multivariée pour le traitement de données relatives à l’effet conjugué de l’explication causale des accidents et de l’expérience que les individus ont des accidents a permis d’obtenir de résultats ((F (1) = 35,08 ; P < .05) montrant une significativité de la différence entre les groupes comparés. La comparaison des moyennes montre que les scores moyens de comportements accidentogènes enregistrés par les motocyclistes faisant une explication causale externes des accidents et qui n’ont aucune expérience des accidents motos (Mx = 4,03) est supérieur à celui de ceux qui font une explication interne des accidents et qui ont déjà fait l’expérience d’accidents motos (Mx = 1,73).
L’explication des résultats issus de la combinaison de l’explication causale des accidents et de l’expérience des accidents découle de l’explication des effets individuels de ces facteurs sur l’adoption de comportements accidentogènes. Il est important de soutenir que la combinaison des deux facteurs donne un effet plus important dans l’adoption des comportements à risque. En effet, un motocycliste qui fait une explication causale externe des accidents et qui n’a aucune expérience d’accidents motos prend plus de risque et s’expose plus aux accidents que celui qui a la capacité de faire une appréciation objective des accidents et qui en a déjà fait l’expérience.
- Discussion
Les accidents de la circulation impliquant les mototaxis deviennent un phénomène très récurrent dans les villes ivoiriennes et plus précisément dans les zones ex-CNO. Ces accidents motos occasionnent plusieurs dommages avec souvent des pertes en vies humaines.
Il ressort de cette étude que les motocyclistes qui font une explication causale externe des événements tels que les accidents sont plus enclins à adopter des comportements accidentogènes que ceux qui font une explication interne des accidents. Ces résultats corroborent la thèse de D. R. Kouabenan (201) sur l’explication causale des accidents routiers. L’auteur estime que lorsqu’un individu explique l’occurrence d’un phénomène insolite comme les accidents, il a tendance à lui trouver des causes externes à sa personne. Cette façon de fonctionner lui permet de se dédouaner et de mieux accepter psychologiquement l’accident. Cette idée est soutenue dans les travaux de D. R. Kouabenan (140), et M. Gandit et al. (110). Ces auteurs estiment que cette explication donnée aux phénomènes conditionne la perception du risque. Se fondant sur des aspects psychosociaux, D. R. Kouabenan mentionne que ces perceptions peuvent comporter des biais dont le biais de sur-confiance, l’illusion d’invulnérabilité, l’optimisme comparatif, etc.
En outre, les comportements accidentogènes adoptés par les motocyclistes tirent leur fondement dans les déterminants psychosociaux comme l’expérience que les individus ont de l’accident. Les résultats concernant cet aspect du travail montrent que les motocyclistes qui ont une expérience des accidents ont tendance à adopter moins de comportements accidentogènes que ceux qui n’ont aucune expérience en la matière. Ces résultats concordent avec ceux de S. I., Kandolo et al. (894-896) qui, dans une étude sur les accidents routiers arrivent à la conclusion que l’expérience dans la conduite automobile est l’un des facteurs associés aux accidents dans la ville de Lubumbashi. Les propos de ces auteurs corroborent ceux de J. B. B. Vroh (648-650) dans les investigations sur les déterminants des accidents mortels de la circulation routière en côte d’ivoire de 2002 à 2011. Parmi les facteurs incriminés se trouvent l’expérience dans la conduite. Bien que l’étude porte sur les accidents automobiles, nous pouvons le rapprocher aux accidents motos en déduisant que l’expérience dans la conduite est un facteur déterminant de ce phénomène.
Conclusion
Les accidents impliquant les taxis motos deviennent un phénomène récurrent qui interpelle tant les autorités politiques que les scientifiques. Dans la recherche des facteurs explicatifs d’un tel phénomène, plusieurs études ont été réalisées avec des méthodes aussi variées que les disciplines qui s’y intéressent. La présente étude, dans une perspective quantitative, cherche à expliquer les comportements accidentogènes adoptés par les motocyclistes à Bouaké sous l’angle de l’attribution causale qu’ils donnent des accidents et de l’expérience qu’ils ont des accidents motos. La méthodologie adoptée permet de confirmer les hypothèses émises. Il ressort de cette étude que l’explication causale externe et l’inexpérience d’accident sont des facteurs à considérer dans l’explication des accidents motos à travers les comportements à risque adoptés par les conducteurs.
Bien que cette recherche apporte une explication à un phénomène social important que sont les accidents motos découlant des comportements à risque des conducteurs, il serait intéressant que cette thématique fasse l’objet d’autres investigations dans d’autres disciplines scientifiques avec des méthodes d’investigation différentes. En effet, une approche socio-anthropologique des comportements à risque permettra peut-être de comprendre l’implication de la culture, élément essentiel de la formation de la personnalité, selon R. Linton (74), dans l’explication des comportements accidentogènes chez certaines personnes. Par ailleurs, une approche psychopathologique permettra de déceler les pathologies ou morbidités explicatives de ces comportements à risque.
Travaux cités
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Comment citer cet article :
MLA : Kouame, Konan Simon. «Explication causale, expérience d’accidents motos et comportements accidentogènes chez des motocyclistes à Bouaké.» Uirtus 1.1 (août 2021): 186-203.
§ Université Félix Houphouët-Boigny, [email protected]