Arthur Vido§
Résumé : Cet article retrace la vie et l’œuvre d’Assou, un grand dignitaire du royaume de Sahé. À partir des récits laissés par quelques voyageurs européens des XVIIe et XVIIIe siècles, l’auteur nous décrit un bel homme de grande taille, avec un esprit positif. Généreux et loyal, il est très attentif aux soins de sa famille. Pour le compte du pouvoir royal, il s’occupe des relations extérieures et est dans l’intimité du monarque. Ministre très influent, il a droit aux honneurs publics et est adulé par les négociants français. À la mort du roi Ayisan le 8 octobre 1708, c’est lui qui fait introniser de force le jeune Houffon. Cependant, miné par des divisions internes, le royaume houéda est envahi en 1727 par les soldats du Danxomè. Assou entre alors en résistance et finit par perdre la vie le 15 juin 1733. La mort du roi des Houéda, survenue quelques jours après celle d’Assou est évocatrice de la complicité qui existait entre eux et des liens qui les unissaient. Répondant ainsi aux plaintes enregistrées de nos jours du fait de la perte des valeurs dans la société béninoise, cette étude matérialise par l’écrit la mémoire d’un personnage marqué par la bravoure, le patriotisme, l’effort du progrès collectif et l’esprit d’abnégation.
Mots-clés : Biographie, Assou, dignitaire, royaume de Sahé.
Abstract: The author traces the life and work of a great dignitary of the Kingdom of Sahé named Assou. Thanks to the stories left by some European travelers of the seventeenth and eighteenth centuries, he describes a handsome tall man, with a positive spirit. Generous and loyal, he is very attentive to the care of his family. On behalf of the royal power, he deals with external relations and is in intimacy of the monarch. A very influential minister, he is entitled to public honors and is adulated by French merchants. On the death of King Ayisan on October 8, 1708, it was he who forced the enthronement of young Houffon. However, undermined by internal divisions, the Houeda Kingdom was invaded in 1727 by the soldiers of Danxomè. Assou then enters into resistance and ends up losing his life on June 15, 1733. The death of the king of the Houeda, which occurred a few days after that of Assou is evocative of the complicity that existed between them and links that united them. Responding to the complaints recorded today because of the loss of values and landmarks in Beninese society, this article materializes in writing the memory of a character marked by bravery, patriotism, the effort of collective progress and the spirit of self-sacrifice.
Keywords: Biography, Assou, civil servant, Kingdom of Sahé.
Introduction
L’historiographie béninoise est riche en études portant sur la biographie de certains personnages. Dans son mémoire de Maîtrise intitulé Biographie du roi Agaja, Adolphe Houénou décrit physiquement et moralement ce roi fon de la première moitié du XVIIIe siècle, avant de faire part de ses conquêtes et de ses relations avec les négriers européens. Dans Guézo : la rénovation du Dahomey, Joseph Adrien Djivo a publié la biographie de celui qui dirigea le Danxomè de 1818 à 1858. Quant à l’article écrit par Abiola Félix Iroko et intitulé Autour de l’identité de Toussaint Louverture, il présente et explique les différents prénoms et surnoms donnés à Toussaint Louverture. L’exercice a été fait par le même chercheur sur Gbèhanzin dans Anthroponymie et royauté : le cas de Béhanzin, qui présente les différents anthroponymes dont est issu le nom fort du monarque fon de la fin du XIXe siècle. Un ouvrage a été consacré à une haute personnalité du Bénin : Mathieu Kérékou. C’est à travers le livre Le président Mathieu Kérékou : un homme hors du commun que Félix Iroko a tracé le portrait de cet homme. Il y a été également question de son enfance, de son parcours scolaire, de sa carrière militaire et de son apparition sur la scène politique à partir du 26 octobre 1972.
Si ces publications ont l’avantage de sortir des sentiers battus, elles ne traitent cependant que de personnalités bien connues, ignorant de fait que la renommée de ces dernières n’est pas due qu’à leurs seules actions et compétences. En réalité, il y a toujours des personnes dans l’ombre qui aident d’autres à être des hommes de prestige. Cette étude se propose donc de faire connaître Assou, un de ces personnages qui a été un haut dignitaire houéda de la première moitié du XVIIIe siècle.
1704 équivaut ici à l’année au cours de laquelle apparaissent les premières informations sur Assou. Quant à l’an 1733, il correspond à la fin de sa vie sur terre. Son décès est survenu à la suite de plusieurs combats de résistance qu’il dirigea aux côtés de Houffon.
Notre travail s’est effectué sur la base des comptes rendus de voyage des négriers européens des XVIIe et XVIIIe siècles. Ces documents constituent, malgré leurs limites et insuffisances, de véritables mines d’informations à exploiter dans le cadre de l’histoire précoloniale des sociétés africaines. Dans l’ensemble, il s’agit de sources de première main dont les auteurs, venus sur nos côtes pour le commerce négrier, sont des témoins oculaires doublés de leur qualité d’excellents narrateurs. Il est question ici d’analyser le regard porté par les auteurs européens sur la vie et l’œuvre d’Assou.
La collecte et l’analyse des informations nous permettent d’aborder le sujet suivant trois parties. La première présente le personnage sous ses aspects physique et moral avant de parler de sa famille. La deuxième aborde les différents rôles joués par Assou à Sahé avant et durant la conquête du royaume par Agaja, en 1727. La troisième partie fait état des luttes menées par Assou en vue de reprendre Sahé des mains de l’envahisseur fon.
1. Le personnage
L’étude biographique d’Assou passe par une bonne connaissance de ses traits physique et moral. Sur ces points, des récits laissés par quelques voyageurs européens des XVIIe et XVIIIe siècles nous livrent d’importantes informations. Nous nous en sommes servi pour tracer son portrait et parler de sa famille.
1.1. Aspects physique et moral
Plusieurs négriers européens ont visité Sahé. Par exemple, l’Anglais Thomas Philips accosta à la rade de Gléhué le 20 mai 1694 et le Hollandais Guillaume Bosman, en 1697. Ils ont laissé des notes de leurs séjours. Cependant, leurs rapports ne font aucune mention d’Assou. Suivant nos recherches, la première mention faite d’Assou nous vient du corsaire français Jean Doublet de Honfleur. Ce lieutenant de Frégate sous le roi Louis XIV fit sa première visite des côtes de Gléhué le 27 septembre 1704.
La description d’Assou commence par la signification de son nom. Que signifie donc Assou ? Le silence des traditions orales houéda sur la quasi-totalité de l’histoire de leur royaume ne nous permet pas de connaître le sens ni les circonstances ayant été à la base de ce nom. La certitude est que dans nos traditions africaines, le nom donné à un nouveau-né n’est pas fortuit. Il résulte, soit des circonstances de sa naissance, soit de sa période de venue au monde, ou encore du rang qu’il occupe parmi les enfants. Dans ce cas-ci, nous ignorons tout des évènements liés au choix du nom. L’autre axe de réflexion consiste à supposer qu’Assou ne soit pas son nom de naissance mais un nom de fonction comme Aplogan ou Gogan. Que signifierait alors Assou ? À partir de quel roi la fonction aurait-elle été créée ? Le seul élément d’appréciation que nous avons est que les premières informations sur Assou commencent à partir de 1704, au cours du règne d’Ayisan (1704-1708). Est-ce ce dernier qui aurait créé cette fonction ? Aussi, en considérant que le nom soit une création des négriers, notamment français, que signifierait-il alors dans la langue française ? Il nous paraît vraisemblable que ce nom soit typiquement africain car nous savons qu’en fongbé, Assou désigne le mari, l’époux et ce dernier signifie Ossou en houédagbé. On peut aussi considérer qu’Assou soit une déformation française d’Ossou. Mais en considérant Assou au lieu d’Ossou, comment peut-on justifier le port d’un nom fon par un Houéda surtout qu’à cette époque, Sahé n’était pas encore conquis par Agaja ? L’hypothèse la plus vraisemblable est que son nom soit Ossou ou Ossue qui est d’origine houéda et par lequel Guillaume Snelgrave le désigne (136). Ainsi, le vrai nom de notre sujet serait Ossou et Assou ne serait qu’une déformation. En définitive, nous ne savons pratiquement rien de la signification de l’anthroponyme de ce personnage. Cela ne saurait nous empêcher de tracer son portrait.
Il faut tout d’abord rappeler que la présence d’Assou à Sahé est bien antérieure à 1704 parce qu’étant probablement né et ayant grandi dans ce milieu. Nous ignorons tout de son année de naissance et de son adolescence. Les renseignements que nous avons de lui commencent à partir de son entrée au palais, lorsqu’il fut nommé ministre ou haut dignitaire. Jean Doublet qui l’appelle Asson, le présente comme un homme « très bien de taille et d’esprit ». Il précise même que Assou est « un des plus beaux noirs que l’on puisse voir ayant de beaux traits, un nez bien fait, point les lèvres grosses, grands yeux et un beau front, d’une taille de cinq pieds 8 pouces et bien proportionné de corps et très poli et gracieux » (Bréard 254 et 258). Assou est alors une personne agréable à regarder. La description faite de lui par Jean Doublet révèle qu’il a une taille de cinq pieds huit pouces. Ces données permettent de déterminer la taille approximative d’Assou. En effet, « pied » et « pouce » sont des anciennes mesures de longueur. Un pied équivaut à 12 pouces alors qu’un pouce vaut 27 millimètres. Si Assou a 5 pieds 8 pouces, il aurait en tout 5 fois 12 pouces plus 8 pouces, ce qui fait 68 pouces. En considérant qu’un pouce vaut 27 millimètres, Assou mesurerait alors 1836 millimètres, soit 1,836 mètre. La taille d’Assou serait approximativement égale à 1,84 mètre.
Au cours de l’audience accordée à Jean Doublet par le roi Ayisan, Assou était présent et se chargeait des affaires qui liaient le palais aux Français. La sincérité et la loyauté dont faisait preuve Assou dans la gestion des affaires du pays ont amené le voyageur français à dire qu’il était un homme généreux. Ces propos sont partagés par un voyageur anonyme français du début du XVIIIe siècle qui décrit Assou comme le « le plus droit et le meilleur » des Africains (28). Aux dires des auteurs-témoins, Assou était une personne de bonne moralité que Jean Doublet appelle affectueusement « Notre capitaine Asson (Assou) » (Bréard 258).
Sur le plan vestimentaire, Assou, en tant que ministre à la cour, a une manière de s’habiller qui diffère de celle d’un simple citoyen. Celle-ci est constituée de la peau de bœuf dont la tête et les pattes avant sont enlevées, celles de derrière se joignent et servent à passer autour du cou. Ainsi, la peau de l’animal côtoie le sol (Anonyme 28). Assou porte cet insigne aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du palais. En étant beaucoup plus précis sur le sujet, Jean Doublet nous renseigne que les ministres ou dignitaires s’habillent très bien car : « ils portent une peau de veau dont les extrémités en sont ôtées, et la pend avec un cordon de cuir du bout où était la queue pendue à leur col, le poil, en dehors traînant de l’épaule gauche aux genoux » (Bréard 257). C’est la marque de leur supériorité et de leur grandeur si bien que : « lorsqu’ils passent par les chemins, les peuples se croupissent sur leurs talons et joignent leurs mains qu’ils frappent l’une contre l’autre très doucement en baissant la tête et se relèvent lorsque ce ministre (ces ministres) les a dépassés » (Bréard 257).
C’est grâce à cette marque qu’on identifie l’homme dont certains membres de sa famille ont vécu, tout comme lui, à Sahé.
Portrait n° 1 : Le haut dignitaire Assou
Source : Portrait réalisé par Cyr Raoul Sehou-Houindo (2018).
1.2. Sa famille
L’étude de la généalogie d’Assou commencera par ses géniteurs car les informations sur ses ascendants directs existent. Ces dernières portent uniquement sur son père. En effet, le Chevalier des Marchais nous informe qu’Assou offrit des sacrifices d’hommes et d’enfants afin d’obtenir la guérison de son père (Labat 274). Nous ne connaissons ni le nom du père ni sa fonction dans le royaume.
Son frère est le deuxième membre de sa famille dont nous parlerons. Les observations le concernant ont été faites par Jean Doublet de Honfleur. Le corsaire nous indique que le frère d’Assou est le grand sacrificateur du royaume : « Son frère n’est pas si bien fait ni poli quoique grand marabout » (Bréard 258-259). À Sahé, c’est le grand sacrificateur qui s’occupe de tout ce qui est religieux. Quel est son nom ? Des Marchais nous renseigne qu’il s’appelle Beti. C’est donc Beti, le frère d’Assou qui s’occupe des sacrifices faits aux divinités du royaume et c’est lui qui les invoque, sous la demande du roi, pour la prospérité du pays. Aussi, cette fonction, à Sahé, fait partie de celle ministérielle. Beti était, tout comme son frère, un ministre de la cour. Cela dénote de la place et de l’importance de la famille d’Assou au sein du royaume houéda.
La famille d’un homme n’est pas confinée dans les bornes de ses géniteurs et de ses frères. Ainsi, que sait-on par exemple de la vie matrimoniale d’Assou ? Combien de femmes avait-il eu ? Nul ne le saura avec exactitude. Cependant, la certitude est qu’il était un polygame car : « La coutume du pays autorise la polygamie à l’excès. Il est assez ordinaire aux Grands (capitaines ou ministres) d’y avoir plusieurs centaines de femmes et de concubines » (Snelgrave 3). De cette observation, il est clair que la polygamie était la norme à Sahé. Assou, en tant que ministre, était sans doute, un polygame. Le fruit d’une union polygamique ou monogamique est la mise au monde d’enfants. Et parlant d’enfants, Assou devrait en avoir eu un certain nombre. Cependant, les informations dont nous disposons ne parlent que d’un seul appelé Favory (Gayibor 906).
2. Le dignitaire et sa place dans le royaume
Assou a exercé plusieurs fonctions à la cour de Sahé. Il était toujours au service des rois dont il militait pour l’intronisation et luttait pour la protection du royaume. Il en a tiré profit en bénéficiant d’un statut prisé à l’époque. Cette partie du travail s’intéressera aux différentes tâches qu’il a exercées auprès des souverains avant la conquête de leur royaume.
2.1. Ses fonctions
À l’époque où Jean Doublet visitait Gléhué, Assou était déjà au Conseil de gouvernement du roi Ayisan. Il est donc possible de faire remonter sa présence dans les arcanes du pouvoir avant cette date. L’historien nigérian Isaac Akinjogbin nous indique qu’Assou avait été le leader du clan des ministres ayant soutenu l’intronisation d’Ayisan, qui était le fils cadet au détriment de son frère aîné (40). Pour y arriver, notre personnage avait reçu l’aide du ministre Aplogan et des négriers européens installés à Gléhué (Sogbossi 26). S’il est donc évident qu’il a soutenu et milité pour l’accession d’Ayisan au pouvoir, c’est dire qu’il a probablement appartenu au Conseil de gouvernement de son père et prédécesseur. Ainsi, Assou a été ministre sous au moins trois monarques houéda : Agbangla, Ayisan et Houffon. Il est donc clair que ses fonctions au sein du royaume remontent à une période antérieure à la venue du corsaire en 1704, même si nous ne saurions la dater ni préciser les fonctions qu’il a exercées. Nous ne savons pas avec exactitude les rôles joués par Assou du temps du roi Agbangla, mais il nous paraît évident qu’ils ne soient pas différents de ceux joués sous son successeur. Jean Doublet nous présente le personnage étudié comme le ministre de la marine (Bréard 254). Comme déjà mentionné plus haut, il se chargeait de recevoir et d’introduire les négriers européens au palais pour une audience avec le roi. À la suite de la visite du corsaire, le roi le convia à un dîner pour le lendemain. Là encore, intervint Assou qui le fit entrer au palais pour le repas. Cela dénote de la présence effective et de la fréquence d’Assou à la cour. C’est dire qu’il est très proche du souverain et l’assiste. Sa place régulière aux côtés du roi Ayisan ne souffre d’aucune contestation et elle est confirmée par un autre fait, qui prouve également toute l’importance de ce dignitaire dans le royaume. En effet, au cours du dîner, Assou était à table avec le roi et ses invités. Or Bosman nous dit qu’hormis les reines, aucune personne ne doit voir le roi manger (383). Seules ses épouses ont ce privilège. Pourtant, le corsaire fit remarquer qu’Assou avait partagé le repas avec eux. C’est un grand statut dont a bénéficié Assou sous Ayisan. Nonobstant, cette place ne le soustrayait pas du respect qu’il devait au souverain car il s’adressait à lui en étant toujours à genoux.
Assou s’exprimait agréablement en français sans être sorti du pays. Cette langue apprise aux côtés des négriers européens lui permettait de servir d’interprète à la cour royale (Bréard 254). En outre, il était chargé de prélever, pour le compte du roi, des coutumes et droits auprès des Français désireux de mener à bien leurs activités commerciales dans le royaume (Anonyme 28). Négociant avec probité pour les marchands européens auprès de son roi, Assou était considéré par des Marchais comme le protecteur de la nation française (Labat 71-72).
L’importance du personnage se retrouve également à travers la résidence qu’il possédait. Des Marchais nous renseigne que les habitations de la capitale n’avaient généralement qu’un seul niveau (Labat 232). Elles étaient construites en terre battue et couvertes de paille. Tous les sujets du roi avaient de telles résidences. Mais en dehors du roi, seul Assou avait une maison à deux niveaux et un canon devant celle-ci pour la protéger. C’était un privilège dont il bénéficiait en raison de son importance et son implication dans le développement des affaires du royaume. Son implication dans l’intronisation de Houffon pourrait aussi justifier ce privilège à lui accordé.
À la mort d’Ayisan le 8 octobre 1708, Houffon était encore un mineur et ne pouvait donc pas accéder au trône, conformément aux lois coutumières (Anonyme 33). En fait, ces lois prévoyaient qu’en cas de non désignation du prince héritier par le roi avant son décès, l’intérim devait être assuré par le Gogan jusqu’à ce que le Conseil du gouvernement n’élise le nouveau souverain. Elles ne statuaient pas sur l’accession d’un mineur au trône. Les ministres n’étaient pas unanimes quant à la solution à adopter. Assou et Aplogan militèrent pour l’intronisation du jeune Houffon. Deux clans apparurent donc et s’opposèrent. Pour faire passer son vœu, chaque clan usait de ses forces. Ainsi, le Gogan réunit 12 à 13 mille soldats derrière lui alors qu’Assou fut aidé par environ huit mille soldats et des marins européens. C’est fort de cela qu’Assou et ses partisans parvinrent à faire de Houffon le roi de Sahé (Akinjogbin 39-41). Tout cela confirme son rôle non moins négligeable et sa place dans le Conseil du gouvernement.
Ces oppositions et divergences d’intérêts au sein du pouvoir, conjuguées à d’autres évènements ne manquèrent pas d’ébranler le royaume qui fut conquis par Agaja en 1727.
2.2. La prise de Sahé en 1727
Les luttes intestines désorganisèrent le royaume de Sahé et le rendirent vulnérable. En effet, Snelgrave nous raconte que le jeune âge de Houffon lors de sa prise du pouvoir, fait qu’il ignorait tout des affaires du pays (4-6). Celles-ci étaient donc gérées par ses ministres durant plusieurs années. Chacun d’eux se comportait comme un « petit roi » et ne s’intéressait qu’à ses propres affaires, laissant ainsi de côté le bien-être du royaume. Cela entraîna la division au sein du Conseil et du peuple, puis permit la conquête du royaume. Dans le même ordre d’idées, Valère Sogbossi parle de l’attitude d’Aplogan, ministre et administrateur de la province de Gomè (28). Ce dernier a soumis son territoire à Agaja en 1726. Mais, il faut noter que les Houéda ont défendu leurs terres avant d’abdiquer. En effet, le sieur Ringard, capitaine du navire le Mars de Nantes, qui accosta à Gléhué le 3 mars 1727, assista à la résistance houéda dirigée par Assou. Selon le voyageur, Assou et deux autres dignitaires continuaient de lutter malgré la désertion d’un grand nombre de soldats devant l’ennemi (Law 321-328). Assou continua de défendre la capitale avant de fuir à son tour à cause de la supériorité militaire de l’adversaire. Ainsi, Agaja s’empara de la capitale, étape primordiale pour la prise de Gléhué. Quel fut le comportement des Houéda à la suite de la conquête de leur royaume ?
3. Assou et la résistance post conquête
La conquête fon a causé la destruction de la capitale du royaume houéda et la mort d’un grand nombre de personnes. Néanmoins, certains ont réussi à s’enfuir avec le jeune roi. D’après les recherches (Gayibor 898 ; Pliya 527 ; Soglo 71-73), Houffon ne dut la vie sauve qu’à une fuite précipitée vers l’ouest, traversant le lac Ahémé, accompagné d’un groupe important. Parvenus sur l’îlot boisé de Mitogbodji, les fugitifs installèrent les reliques de leurs ancêtres et les précieux objets de leurs cultes. L’endroit devint alors un véritable sanctuaire au milieu du lac. Mais son exiguïté et le souci de pureté autour des temples religieux conduisirent à la fondation de nouvelles localités comme Agatogbo, Akodéha, Houéyogbé, etc. Assou fut aux côtés de son roi en exil. En août 1729, Guillaume Snelgrave, de retour sur les côtes africaines, apprit que le roi déchu et Assou étaient dans les environs de Grand-Popo (131-132). D’après le voyageur anglais, les Houéda en fuite prirent des dispositions sécuritaires pouvant leur permettre d’être à l’abri de toute attaque. Le lac Ahémé derrière lequel ils s’étaient réfugiés les mettait hors de danger et leur permettait de mettre en place des stratégies pour reprendre leur royaume.
Lorsqu’Agaja conquit Sahé, non seulement il y installa une garnison mais pensa aussi pouvoir avoir un accès facile à Gléhué. Ce ne fut pas le cas car cette ville était protégée par les forts européens (Sogbossi 30). Cette situation permit au capitaine Assou et à plusieurs Houéda de mener la résistance. Ils reçurent l’aide des Sahouè avec qui ils formèrent une coalition (Gayibor 97). Après l’échec des différentes tentatives de réoccupation de Sahé menées par Assou, Houffon fit appel à l’alafin d’Oyo. Ne voyant pas d’un bon œil les conquêtes d’Agaja dans la région, celui-ci envoya ses troupes contre le Danxomè à partir de mars 1728. Face à un ennemi devant lequel il ne pouvait résister, Agaja se retirait régulièrement dans des cachettes sûres aménagées dans la brousse. À partir de 1729, les cavaliers yoruba firent de Kana leur quartier général d’où ils lançaient des attaques en direction des cachettes du roi fon (Gayibor 899-901). Affaibli, Agaja ne put donc plus contrôler ses possessions et affronter efficacement la résistance menée par les Houéda. Assou et ses partisans profitèrent pour faire des incursions régulières sur la ville de Gléhué. Voici le témoignage de Guillaume Snelgrave à ce sujet :
Peu à peu l’armée (fon) se trouva diminuée considérablement, ce qui encouragea le capitaine Ossue à quitter les îles, et à venir s’établir, avec beaucoup de ses gens, tout proche du fort français, qui est à environ quatre miles de Sabée (Sahé) : croyant que la grosse artillerie de la place serait bien capable de les protéger contre les insultes de ceux de Dahomè, au cas qu’ils osassent tenter quelque chose contre eux. (Snelgrave 135)
Mais, dès que le roi Agaja fut informé du retour des Houéda, il dépêcha une armée contre eux. Face à la menace fon, Assou et sa suite paniquèrent et décidèrent de se réfugier dans l’enceinte du fort. Un jour après, les troupes d’Agaja arrivèrent à Gléhué et assiégèrent aussitôt le fort. Malheureusement pour les réfugiés houéda, le toit de chaume qui couvrait les bâtiments du fort prit feu. L’incendie causa d’importants dégâts humains et matériels. Assou eut le temps de prendre la fuite et trouva asile chez les Anglais :
Cet accident alarma les Blancs, qui sachant qu’il y avait une grande quantité de poudre dans leur magasin, et ne voyant aucun moyen d’éteindre ni d’arrêter le feu, prirent le parti de s’enfuir au fort anglais (…) Mais les Noirs, qui ne connaissaient pas si bien dans quel danger ils étaient, souffrirent beaucoup quand le magasin vint à sauter : il y en eut plus de mille de tués, et une grande quantité de blessés, par ce malheur imprévu. Cependant, à la faveur de la fumée, et dans la confusion, le capitaine Ossue, et plusieurs de ses gens, gagnèrent le fort anglais. (Snelgrave 137)
Assou et les autres survivants furent ainsi accueillis par le directeur du fort anglais d’alors, Testefole, qui les fit évader la nuit suivante. Pour s’être immiscé dans les affaires politiques locales, ce directeur fut enlevé par les soldats fon et mourut de façon tragique (Cornevin 259). D’autres affrontements ne manquèrent pas d’arriver. Suivant les écrits de Snelgrave, Assou était toujours à la tête de la résistance :
Les autres à la tête desquels était le capitaine Ossue avec les troupes de Popo, voulaient hazarder (hasarder) une bataille. Pendant cette contestation, l’armée de Dahomè avançait toujours fièrement, mais le capitaine Ossue et le Général Popoe marchèrent à eux, avec une contestation aussi fière et aussi brave : ils attaquèrent même avec tant de vivacité leur aile droite, qu’ils le firent plier et ils les chassèrent devant eux, pendant quelques temps. (Snelgrave 149)
Mais en 1730, un traité de paix fut signé entre Agaja et l’Alafin d’Oyo (Gayibor 905). Ce qui freina les ambitions de la coalition. Les raids d’Oyo sur le Danxomè furent interrompus. Le roi fon s’activa alors à protéger ses possessions houéda. En 1731, Houffon voulut négocier avec Agaja afin de réoccuper son territoire mais il se ravisa sur les conseils de Mynheer Hendrick Hertog, alors directeur du comptoir hollandais de Jèkin, qui lui promit son soutien. Plusieurs autres tentatives de réoccupation du royaume, conduites par Assou furent menées, mais échouèrent. Ces combats de résistance ont cependant ralenti le commerce négrier à Gléhué à cause de l’instabilité qui y régnait. L’intention d’Agaja de mener directement la traite avec les négriers blancs ne se concrétisa pas de sitôt. Il dut attendre l’affaiblissement de la résistance menée par Assou. Les négriers ont aussi subi les affres de cette résistance. En effet, d’après Joâo Basilio, directeur du fort portugais de Gléhué de 1728 à 1743, les troupes d’Assou, aidées par Hertog, ont pillé et tué deux négriers portugais qui allèrent vers le lieu de refuge de Houffon. Un autre qui alla accoster à la rade de Gléhué, fut également massacré (Verger 41).
C’est dans ce contexte d’affrontements armés qu’Assou décède le 15 juin 1733 (Gayibor 906-907). D’après une lettre datant du 29 novembre 1733 laissée par M. Levet qui assurait la direction du fort Saint-Louis de Grégory, le personnage étudié perdit la vie une vingtaine de jours après être tombé malade (Verger 166). Les documents consultés ne donnent pas d’informations relatives à sa maladie. Quant à Houffon, il mourut deux jours ou six semaines après Assou. La mort du roi des Houéda, survenue quelques jours après celle d’Assou est évocatrice de la complicité qui existait entre eux et des liens qui les unissaient.
Conclusion
Cette étude a permis de mettre en lumière le personnage Assou. Beau et mesurant environ 1,84 mètre de taille, il s’était toujours conduit en gentleman envers les négriers européens, qui ne tarissaient point d’éloges à son égard. Son engagement aux côtés des chefs locaux a permis à son royaume d’être compté parmi les entités politiques de renom au début du XVIIIe siècle. Il a été ministre de la marine, interprète et défenseur de la cause des Français. Ces différentes fonctions lui ont permis d’avoir un statut enviable dans la société. La conquête du milieu houéda, à partir de 1727, n’émoussa pas ses ardeurs de toujours servir son jeune souverain Houffon. Pendant la guerre, il n’abandonna pas son roi. Il mena la lutte jusqu’à l’épuisement de sa force physique avant d’abdiquer. Suite à la prise de Sahé, il a suivi Houffon dans sa fuite et l’a aidé à mener la résistance dans le but de reconquérir son trône. Son engagement aux côtés de son roi est la preuve de son courage et surtout de sa grande loyauté.
Bien souvent, les personnalités les plus connues ne le sont que grâce à l’action de leur entourage constitué de gens peu ou mal connus. Une étude sur ces hommes et femmes de l’ombre constitue un terrain fertile en données utilisables sur lequel les historiens doivent s’aventurer.
Travaux cités
Akinjogbin, Isaac Adeagbo. Dahomey and its neighbours 1708-1818, Cambridge: Cambridge University Press, 1967.
Akplogan, Blaise. Gbêkon, le journal du prince Ouanilo, Paris : L’Harmattan, 2011.
Alladayè, Jérôme Comlan. « Tasi Hangbé : une femme sur le trône du Danxome », Revue du CAMES, nouvelle série B, vol 012, n° 10, 2010, p. 123-131.
Anignikin, Coovi Sylvain. Les origines du mouvement national au Dahomey 1900-1939, thèse de doctorat de 3e cycle, Université de Paris VII, 1980.
Anonyme. Relations du royaume de Judas en Guinée, de son gouvernement, des mœurs des habitants, de leur religion et du négoce qui s’y fait, Aix-en-Provence, ANSOM, Dépôt des Fortifications des Colonies 75, pièce 104, 1708.
Byll-Cataria, Régina. « Vie du gouverneur Fourn au Dahomey (1901-1928) », Annales, Fac. Lettres, Arts et Sciences Humaines, n° 7, 2002, p. 99-112.
Bosman, Guillaume. Voyage de Guinée, Utrecht : A. Schouten, 1705.
Bréard, Charles. Journal du corsaire Jean Doublet de Honfleur, lieutenant de Frégate sous Louis XIV, Paris : Chavaray frères, 1884.
Cornevin, Robert. La République populaire du Bénin : des origines dahoméennes à nos jours, Paris : G. P. Maisonneuve et Larose, 1981.
Débourou, Mama Djibril. La société baatonnu du Nord-Bénin : son passé, son dynamisme, ses conflits et ses innovations, des origines à nos jours. Essai sur l’histoire d’une société de l’Afrique Occidentale, thèse d’État ès Lettres et Sciences Humaines, Université d’Abomey-Calavi, vol. 1, 2010.
Djivo, Joseph Adrien. Guézo : la rénovation du Dahomey, Abidjan : NEA, 1978, 108 p.
Gayibor, Nicoué Lodjou. Le Genyi : un royaume oublié de la Côte de Guinée au temps de la traite des Noirs, Lomé : Éditions Haho, 1990.
Gayibor, Nicoué Lodjou. L’aire culturelle ajatado des origines à la fin du XVIIIe siècle, Thèse de doctorat d’État, Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, vol. 2, 1985.
Houénou, Adolphe G. Biographie du roi Agaja, mémoire de Maîtrise d’Histoire, Université Nationale du Bénin, 1988.
Huannou, Adrien. « Paul Hazoumé, romancier », Présence Africaine, nouvelle série, n° 105/106, 1978, p. 203-215.
Iroko, Abiola Félix. « Autour de l’identité de Toussaint Louverture : un exercice d’anthroponymie historique », La croix du Bénin, 2003.
………. Le président Mathieu Kérékou : un homme hors du commun, Cotonou : Les Nouvelles Éditions du Bénin, 2001.
……….. « Anthroponymie et royauté : le cas de Béhanzin », La croix du Bénin, 1999.
Labat, Jean Baptiste. Voyage du Chevalier des marchais en Guinée, isles voisines et Cayenne, fait en 1725,1726 et 1727, Paris : Saugrin, vol. 2, 1730.
Law, Robin. « A neglected account of the dahomian conquest of Whydah (1727): The « Relation de la guerre de Juda » of the Sieur Ringard of Nantes », History in Africa, vol. 15, 1988, p. 321-338.
Michozounnou, Romuald et Djimassè, Gabin. « Adandozan face aux défis de son règne : la paix et la reconversion économique », Colloque national sur la vie, le règne et l’œuvre de Dada Adandozan (1797-1818), Abomey-Calavi les 27, 28 et 29 mars 2014.
Pliya, Jean. « Migrations historiques et peuplement dans les régions lagunaires du Bénin méridional », in B. Antheaume et al., Tropiques, lieux et liens. Florilège offert à Paul Pelissier et Gilles Sautter, Paris : Orstom, 1989, p. 525-531.
Snelgrave, Guillaume. Nouvelle relation de quelques endroits de Guinée et du commerce d’esclaves qu’on y fait, Amsterdam, 1735.
Soglo, Gilles Raoul. Les Xweda. De la formation du royaume de Sayi (Saxe) à la dispersion (XVIe-XVIIIe siècle), mémoire de Maîtrise d’Histoire, Université Nationale du Bénin, 1995.
Sogbossi, Valère. L’évolution économique de la région de Gléxwé du royaume xwéda de Saxè à la domination fon, mémoire de Maîtrise d’Histoire, Université d’Abomey-Calavi, 2011.
Tiando, Emmanuel. Kaba : de l’histoire à la légende, Cotonou : Imprimerie Gutenberg, 2017.
Verger, Pierre. Flux et reflux de la traite des nègres entre le Golfe du Bénin et Bahia de todos Santos du XVIIe au XVIIIe siècle, Paris : Mouton, 1968.
……….. « Le fort portugais de Ouidah (première partie) », Études Dahoméennes, nouvelle série, no 4, 1965, p. 5-50.
Vido, Arthur, Akogni Paul et Adjovi Romaric. Abiola Félix Iroko : itinéraire d’un chercheur africain hors pair, Cotonou : Les Éditions Plurielles, 2018.
Zohou, Codjo Arnaud. Histoires de Tasi Hangbé, Paris, Les Éditions Cultures Croisées, 2003.
Comment citer cet article :
MLA : Vido, Arthur. « Biographie d’Assou, un haut dignitaire du royaume de Sahé (1704-1733). » Uirtus 1.2. (décembre 2021): 487-501.
§ Université d’Abomey-Calavi (Bénin), [email protected]